Le livre de prières de Clément VII
Pierre Gaillard
Françoise de Forbin
La ville d'Avignon a acheté en 1991 un précieux livre de prières ayant appartenu à l'antipape Clément VII. Ce manuscrit, qui peut être daté de 1386, a été copié et enluminé dans un atelier avignonnais. Numérisé et indexé, il constitue la maquette d'un projet de banque d'images médiévales.
The city of Avignon bought in 1991 a precious prayer book having belonged to the antipope Clement VIIth.. This manuscript, which can be dated 1386, has been copied and illuminated in a workshop in Avignon. Digitized and indexed, it constitutes the model for a scheme of a bank of medieval images.
Die Stadt Avignon erwarb 1991 ein preziöses Gebetsbuch, das dem Gegenpapst Klemenz VII. gehörte. Diese Handschrift, die von etwa 1386 datiert, wurde damals in einem avignoner Werkstatt abgeschrieben und ausgemalt. Die Bibliothek hat sie digitalisieren und mit einem Index versehen lassen: so wird sie zum Entwurf eines Vorhabens mittel-alterlicher Bilderdatenbank.
C’est le 7 mai 1991 que François Avril, de la Bibliothèque nationale, me signalait la mise en vente publique chez Sotheby’s, le 18 juin, du Livre de prières de l’antipape Clément VII. Ce précieux manuscrit était estimé entre deux et trois millions de francs.
L’achat du manuscrit
Le problème consistait à trouver en quelques semaines des partenaires assez crédibles pour convaincre la ville d’Avignon – dont les difficultés financières sont hélas très réelles – de se lancer dans l’aventure.
Une sorte de groupe de pression s’est alors constitué : les présidents de l’université, du conseil général, de l’académie du Vaucluse… faisaient à tour de rôle le siège du député-maire pour le convaincre d’acheter le « livre », comme disaient certains conseillers municipaux. Un adjoint au maire se déclarait par exemple séduit par la personnalité et l’histoire de Clément VII, grand seigneur fastueux, pape illégitime et qui, donc, sentait un peu le soufre, une sorte de « pape rouge ».
De son côté, Sotheby’s présentait le manuscrit, qui commençait à devenir fameux, et dont les acquéreurs potentiels n’étaient pas si nombreux, dans une riche demeure avignonnaise. La presse locale et la télévision régionale s’en faisaient largement l’écho.
Concrètement, l’aide du ministère de la Culture au titre de l’acquisition de documents d’intérêt national et du Fonds national du patrimoine était acquise à hauteur d’un million de francs. La Fondation Calvet avec cent mille francs, puis le conseil général du Vaucluse avec deux cent cinquante mille francs apportaient également à la ville des arguments plus solides. Mais c’est sans doute l’insistance et le mécénat de la Caisse d’épargne de la vallée du Rhône en Vaucluse qui ont fini par convaincre le maire d’acheter si cher un si petit livre.
La Caisse d’épargne offrait en effet deux cent cinquante mille francs et un prêt sans commission de sept cent mille francs sur dix ans, ce qui représentait, intérêts compris, une dépense de 115 394 francs par an pendant dix ans. Ce n’était pas en définitive une somme insupportable. Instruction était donc donnée au service culturel de l’ambassade de France à Londres de ne pas enchérir au-delà de deux millions de francs (frais non compris).
Le hasard et la crise du marché de l’art consécutive à la guerre du Golfe ont fait le reste : les enchères n’ont pas dépassé la somme prévue. Et le « livre » est parvenu en août à la bibliothèque municipale d’Avignon dans une caisse au moins dix fois plus grande que lui.
Toutefois, pour des raisons dont on nous disait que nous n’avions pas à les apprécier, la ville n’avait toujours pas honoré en octobre la facture qui lui était présentée par Sotheby’s en juillet.
Il a fallu que le conseiller culturel de l’ambassade de France à Londres menace de venir chercher lui-même le manuscrit pour que le député-maire d’Avignon, joint en urgence à l’Assemblée nationale, consente enfin à donner instruction de payer.
Quelques jours plus tard, le 10 octobre 1991, le Livre de prières de Clément VII (Ms. 6733 de la bibliothèque municipale d’Avignon) était présenté au public dans le cadre de la Fureur de lire. Toutes ces péripéties étaient oubliées.
Description du manuscrit
Prestigieux par sa provenance, le Livre de prières du pape Clément VII est exceptionnel également pour son décor peint.
Copié et enluminé à Avignon, il peut prétendre à une place dans l’histoire de la peinture européenne : il s’inscrit dans la production d’un atelier actif entre 1380 et 1410, auquel on peut restituer une quarantaine de manuscrits aujourd’hui dispersés à travers le monde entier. La gamme des couleurs, les motifs décoratifs des bordures et des fonds, la vivacité des personnages, permettent de lui attribuer ce petit manuscrit. Comme sur les autres productions de cet atelier, plusieurs mains semblent s’être partagé la décoration.
Les effets de camaïeu, de transparence et de trompe-l’œil, la traduction de la troisième dimension sont la caractéristique de la peinture à Avignon à la fin du XIVe siècle. Le décor cependant ne s’inscrit pas seulement dans cette tradition : il ouvre également la voie à des formules qui trouveront leur épanouissement au siècle suivant. Les petits enfants à peine vêtus de voiles transparents, qui animent avec une grande fantaisie certaines marges du manuscrit, en constituent l’originalité par rapport aux autres volumes de cet atelier.
Des documents conservés aux Archives secrètes du Vatican ont permis de fournir des précisions très intéressantes, non seulement sur la date de la confection du livre, mais aussi sur le nom du scribe et, très probablement, sur celui de l’enlumineur qui y ont travaillé : une note adressée au trésorier du pape énumère les prières « qui restent à écrire dans le nouveau livre des prières que Guillaume Robert écrit pour notre seigneur le pape ». Neuf des dix prières énumérées dans cette note sont présentes dans le manuscrit et, surtout, elles y figurent dans le même ordre. Le paiement en a été effectué en 1386. D’autres documents permettent d’attribuer, avec beaucoup de vraisemblance, le décor peint à un enlumineur dont le nom est connu par ailleurs : Jean Bandini.
L’intérêt de ce livre de prières ne se limite pas à son décor peint. Il a appartenu en propre au pape, il a été le support et le compagnon de sa prière personnelle. La compilation des prières et des psaumes, faite sans aucun doute par lui-même, est intéressante pour l’histoire de la spiritualité : son choix s’est porté sur des prières adressées à Dieu et à la Vierge, sans invocation des Saints, alors que leur culte constitue une composante essentielle de la piété de l’époque.
Février 1996