Information superhighway
the role of librarians, information scientists, and intermediaries
Tous les ans, la bibliothèque de l'Université d'Essen accueille un symposium international consacré à un sujet, si possible d'actualité, intéressant le monde des bibliothèques et de la documentation. Depuis quelques années, l'electronic library est devenu le sujet récurrent de ces rencontres : rien d'étonnant donc à ce que la 17e du nom soit consacrée aux fameuses autoroutes de l'information, et au rôle que les bibliothèques et les bibliothécaires seront amenés à jouer dans leur développement, leur utilisation et ce que les Anglo-Saxons appellent leur improvement, assez mal rendu en français par le terme d'« amélioration ».
Contrairement à nombre d'autres travaux sur les mêmes thèmes, la majeure partie des intervenants du symposium d'Essen ne croit pas que les autoroutes de l'information et, surtout, l'information et les documents électroniques qu'elles vont accueillir, vont restreindre l'importance des bibliothèques et des professionnels qui les gèrent, voire supprimer le rôle qu'ils jouent et joueront dans leur utilisation.
Bien au contraire, face à l'augmentation du nombre de services de bases proposés, face à leur complexité grandissante d'utilisation, les professionnels de l'information seront de puissants médiateurs tant pour développer les outils d'interrogation et d'utilisation de ces produits que pour participer à la régulation d'un « monde » où nombre de facteurs essentiels sont encore incertains, flous, non stabilisés. Coûts, qualité et provenance des informations, droits juridiques d'utilisation, confidentialité, autant de problèmes qui, souvent, ne se posent plus pour l'utilisation de médias connus comme les livres ou les CD-Rom, mais restent aigus pour les produits électroniques diffusés sur les réseaux, et notamment sur le plus médiatique d'entre eux, Internet.
Des cybrarians aux information traffic policemen
Les auteurs rivalisent de néologismes pour qualifier ces cybrarians, amenés à développer leurs compétences techniques et de gestion dans un domaine en évolution ultra-rapide, certains n'hésitant pas à parler de information traffic policemen, ce qui pourra laisser songeur...
Pour eux, le « cyberespace » a besoin de professionnels compétents tant pour y accéder que pour maîtriser les flux d'information qui y circulent ; et, si les information superprofessionals sont en train de vivre, comme leurs institutions, une crise d'identité, c'est avant tout parce que l'avènement des réseaux à haut débit va multiplier leurs modes d'intervention - et non les affaiblir.
Comme souvent, la confusion demeure entre Internet qui, stricto sensu, n'est pas une autoroute de l'information (les débits y sont trop faibles pour cela) et le projet du gouvernement américain connu sous la dénomination de « National Information Infrastructure ». Une pertinente intervention sur ce sujet a le mérite de poser clairement les questions majeures sous-tendues par ce projet. Dans quelle mesure est-il compatible avec la dérégulation complète en cours dans l'industrie des télécommunications ? Va-t-il falloir développer un code de déontologie coercitif, ou une censure, pour prévenir les cas de « mauvaise » utilisation des réseaux (propagande raciste ou fasciste, utilisation par des organisations du crime) ? Comment s'assurer du respect de la vie privée, à l'heure où l'on parle de mettre des « pointeurs » dans chaque poste d'interrogation potentiel pour localiser l'origine des appels (imaginons le même projet pour les postes Minitel, et les polémiques qui en résulteraient !) ? Surtout, qui va payer, là où le gouvernement américain ne propose que des crédits d'incitation, laissant aux partenaires privés le soin de prévoir les financements... et les recettes concomitantes.
Comme le dit l'un des participants, loin d'être un réseau parfaitement organisé et maîtrisé, Internet « [is] the closest thing to true anarchy that ever existed ». Aux bibliothécaires d'utiliser au mieux cette masse d'outils presque entropiques, d'y former leurs utilisateurs, de prévenir les abus, de signaler les manques, de concevoir les outils bibliographiques en facilitant l'utilisation, voire d'évaluer les services proposés suivant des protocoles élaborés avec leurs propres compétences.
Des réalisations à évaluer
Pour ce qui est des réalisations, justement, le bilan est maigre dans la trentaine d'interventions proposées : le prestigieux MIT (= Massachusetts Institute of Technology) a mis en place un (semble-t-il) remarquable système d'information global, utilisant toutes les potentialités des réseaux. Les bibliothèques universitaires de Binghamton (État de New York) ont mis en place un service complet d'orientation sur Internet, pour s'apercevoir que l'outil le plus utilisé (et de loin) restait... leur catalogue en ligne, déjà disponible depuis longtemps, de manière moins accessible il est vrai. Plus inquiétant, au moins pour les prosélytes des information superhighways, une étude approfondie menée auprès de responsables d'écoles et d'universités américaines montre que ceux-ci sont encore très réticents à l'idée que l'ensemble des travaux et recherches menés dans leurs institutions ne soient disponibles « que » sous forme électronique.
On le voit, par-delà la déferlante médiatique (parfois peu argumentée et mal informée) consacrée aux autoroutes de l'information, les intervenants du symposium d'Essen oscillent entre un enthousiasme pondéré et un ardent intérêt, sans douter que les bibliothèques aient un rôle décisif dans leur avènement. Si l'on peut considérer comme significatif le fait que la seule intervention uniquement consacrée aux besoins et pratiques des end-users... ne soit pas disponible, on reprendra plutôt à notre compte la formule de Jenny Walton, venue résumer les travaux des conférenciers, à propos desdites autoroutes : « We are still struggling to understand the concept ». Et la lutte sera sans doute encore âpre et longue...