Library networking in Europe = Les bibliothèques en réseau en Europe
Le présent ouvrage est constitué de la quarantaine d'interventions faites lors d'une conférence européenne tenue en 1994 à l'initiative de l'European Foundation for Library Cooperation *.
Produits des réseaux, modes d'accès aux réseaux
À la lecture des diverses interventions, on constate que celles-ci ne portent pas tant sur les réseaux proprement dits, physiques, informatiques ou même intellectuels, que sur leur utilisation, les problèmes qu'elle pose, et sur quelques applications remarquables en la matière.
Certes, on évoque à de nombreuses reprises Internet (mais pas, curieusement, ses « relais » européens, comme notre national Renater), et les compatibilités de protocoles qui se posent avec d'autres réseaux plus anciens (ou supposés tels) ; il n'y aura guère de cohabitation possible si l'on veut en arriver au « village global » que nous promettent les aficionados des réseaux. Pour autant, les solutions techniques existent, ainsi les protocoles d'harmonisation des transmissions informatisées de documents mis au point pour le projet Edil (Electronic Document Interchange between Libraries). Si l'optimisme est de bon ton dans la majorité des interventions présentées, les problèmes multiples soulevés par les documents électroniques et leur transmission sont analysés et développés avec pertinence, clarté et (souvent...) pragmatisme.
Le document électronique : propriété, description bibliographique
Ainsi, les accommodements concernant le droit d'auteur et son application dans le cadre de la documentation électronique sont au centre de nombreux débats : les lois européennes en matière de copyright semblent, aux intervenants, peu adaptées, la législation française pouvant en la matière se targuer d'être l'une des plus restrictives au monde - ou des plus protectrices, selon le point de vue. Cette notion de point de vue rappelle que les relations entre bibliothèques et « éditeurs » électroniques sont d'autant plus complexes que le terme même d'« achat » ne semble plus avoir grande pertinence : en effet, on n'acquiert plus des artefacts (livres, journaux), mais bien plutôt et simplement de l'information.
Cet abandon de l'artefact n'est pas non plus sans conséquence sur les modes de fonctionnement des bibliothèques - et sur leur rôle. Pour Christian Lupovici, le travail d'indexation et de catalogage des documents se justifiait tant que ceux-ci n'étaient disponibles « que » sur un support physique. Le fait qu'ils soient disponibles sous forme électronique pourra à terme dispenser de tout ce travail d'indexation et de catalogage, modifiant radicalement la nature du travail de valorisation des pourvoyeurs d'information. Cette hypothèse est confortée par l'exposé stimulant et volontairement provocateur d'Antii Soini, qui préconise (presque) l'abandon rapide des AACR (Anglo-American Cataloguing Rules), de l'ISBD (International Standard Bibliographic Description), de la CDU, ces deux derniers respectivement qualifiés de « funny punctuation system » et « cryptic set of codes ». Pour autant, le même auteur reconnaît que « the virtual collection [is] often a mess of data », et son exposé contradictoire, qui tout à la fois recommande l'abandon de pratiques bibliographiques très standardisées et célèbre la pratique bibliothéconomique comme seule garantie de sérieux et de rigueur d'une collection, traduit bien les hésitations présentes dans nombre de contributions.
Le rôle des bibliothèques
De fait, le rôle de la bibliothèque semble remis en question : cliente des réseaux, productrice de données ou d'outils d'exploitation pour ces mêmes réseaux, elle paraît à son tour destinée aux réductions de coût, retour sur investissement, gains de compétitivité et autre reengineering qui font l'ordinaire des entreprises. Nombreux sont ceux qui pensent que, à terme, son rôle d'intermédiaire ne sera plus nécessaire, ou le sera dans des proportions extrêmement réduites.
L'accès direct des usagers aux documents (via les réseaux) sera facilité par la mise en place de nouveaux outils de recherche, de sélection et d'obtention de documents, cette dernière restant la moins développée, même si les produits et projets se multiplient, puisque « les réseaux ne sont utiles que quand les attentes bibliographiques aboutissent à la fourniture de documents ». Les obstacles restent nombreux : l'information, par exemple, n'est pas et ne sera jamais gratuite, pas même sur Internet, comme le soulignent de nombreux auteurs ; de même, « les utilisateurs finals ne sont pas encore prêts à lire les documents sur écran », comme ils ne l'étaient pas sur microformes ; enfin, si les documents électroniques peuvent être manipulés après réception par l'utilisateur final, ce n'est pas sans danger - et l'on évoque à nouveau et les problèmes des droits et le rôle des bibliothèques. Plus grave encore, le fossé risque de se creuser entre les pays et les hommes « information rich » et « information poor », d'où la question : faut-il des informations plus disponibles pour tous, ou plus d'informations disponibles pour un petit nombre ?
Des raisons d'espérer
Face à ces incertitudes, certains projets en cours apportent des raisons d'espérer : ainsi du projet Van Eyck, concernant l'échange informatisé d'images, avec des partenaires internationaux ou, encore plus original, le projet Jukebox, qui, comme son nom l'indique, se propose d'échanger musiques et sons à travers le monde... via les réseaux. Enfin, il ne sera pas interdit, un jour, de faire de l'auto-stop sur les autoroutes de l'information, avec la mise en place de services d'interrogation vocale des ressources des bibliothèques publiques.
Le rôle majeur, financier et intellectuel, de la Direction générale XIII de la Communauté européenne est rappelé - nombre de projets n'auraient pas vu le jour sans son appui financier. Au total, une somme d'une bonne qualité, riche et diverse, avec, pour une fois, des intervenants autres qu'anglo-saxons en grand nombre, même si l'on ne peut que regretter le peu de participants et d'intervenants français à la conférence.