IDT 95
marchés et industries de l'information
Martine Poulain
Annie Le Saux
Comme chaque année, le congrès IDT * fut un succès et accueillit de nombreux débats.
L’un de ces premiers débats s’est interrogé sur la validité et la sécurité de l’information sur Internet.
Hervé Le Crosnier, spécialiste bien connu du sujet, estime qu’Internet préfigure ce qui sera disponible dans chaque foyer avec les autoroutes de l’information. L’audience mondiale accentue les problèmes de fiabilité et de validité de l’information. D’autant plus qu’on va vers une « éditorialisation » d’Internet, qui voit une importante circulation de l’écrit qui doit y trouver de nouvelles règles et de nouvelles marques. Et Hervé Le Crosnier de passer en revue les différents outils d’Internet et d’en examiner la fiabilité. Il est clair en tout cas que le droit d’auteur tel qu’il est actuellement ne correspond plus aux pratiques ni aux besoins de la circulation de l’information sur Internet.
L’organisation de l’information électronique obéit actuellement à deux modèles : le modèle des communautés virtuelles : c’est alors le groupe virtuel qui construit et valide ensemble l’information ; le modèle de l’agent intelligent : ce sont de « véritables servants électroniques évolutifs, capables de » représenter « sur le réseau les besoins documentaires et informationnels de leur propriétaire ». L’agent intelligent sait filtrer les informations, les réorganiser.
Hervé Le Crosnier évoque les deux risques qui lui paraissent majeurs : le trop-plein d’informations, conduisant de fait à la désinformation ; la société de l’information à deux vitesses. D’où un vibrant plaidoyer pour une conception démocratique du partage de l’information, pour l’exception culturelle, pour la francophonie.
Sécurité des serveurs
Jean-François Billiard, de Questel, a évoqué certains des problèmes que se pose un serveur de l’importance de ce dernier. Celui de sa visibilité d’abord. Comment ne pas être noyé au milieu des autres, innombrables, comment se faire identifier par les utilisateurs ? Celui de la sécurité de l’information ensuite : il faut que le serveur garantisse la qualité de l’information qu’il propose, au nom de sa marque, et qu’il s’efforce de faire respecter le droit d’auteur ; mais aujourd’hui « chaque utilisateur Internet est une photocopieuse en puissance ». Enfin, se pose la question des modalités de la tarification des services sur Internet : accès et identification des produits libres, mais nécessairement paiement des services.
Le rôle des professionnels
Martijn Kole, de la société AT&T, a évoqué l’un des projets de sa société : Right Pages, revue de revues personnalisée proposant une quarantaine de titres sur Internet, pendant que P. A. Pays, d’Edelweb, tentait de préciser les possibilités pour un serveur de protéger les informations et applications qu’il propose : « Il faut se méfier des utilisateurs plus que du reste », estime-t-il...
Jean Michel, président de l’ADBS, a précisé quels étaient selon lui les nouveaux rôles des professionnels de l’information dans le contexte actuel. Il estime la révolution en cours beaucoup plus culturelle que technologique. Les changements sont évidemment de taille : « A côté de l’information stabilisée se développe une information plus fugace, plus interactive », qui « juxtapose des natures et des formes d’information les plus variées ». L’information devient de plus en plus multidimensionnelle. La chaîne de production/diffusion de l’information est très fortement raccourcie et peut présenter de nombreux risques : perte de qualité, de fiabilité, incertitude juridique, difficulté de mise en place des modes de commercialisation, etc. Face à ces enjeux, le professionnel de l’information doit développer de nouvelles qualifications et de nouvelles compétences ; il doit « savoir et pouvoir identifier les bonnes sources, savoir et pouvoir évoluer en permanence » ; mais aussi participer à des approches collectives pour assurer la sécurité et la validité de l’information.
La presse à l’heure du multimédia
L’ouverture de la presse française et américaine aux nouvelles technologies fut un des débats les plus suivis de ce congrès. S’il existe un véritable marché structuré de l’industrie électronique française, il lui manque cependant un dynamisme technique et commercial qui explique son faible développement au niveau international. Les enjeux sont pourtant très importants, industriels mais aussi culturels.
Si l’on prend des exemples dans la presse française, Le Monde est encore actuellement le seul quotidien français à être chargé sur l’énorme serveur Nexis qui intègre l’ensemble des publications anglophones.
Didier Rioux a expliqué la démarche de ce journal pour valoriser son fonds documentaire par le biais des nouvelles technologies. Partant de l’existant – le fonds papier, c’est-à-dire les collections, les dossiers géographiques, thématiques, biographiques avant 1991 ; une base de données créée en 1987, archivant tous les articles du quotidien –, le projet MATIS (Monde associant texte et image scannérisée), espace d’interrogation interne de la base de données et d’indexation des articles, lancé en 1992, témoigne de la volonté du journal de s’adapter aux changements technologiques.
Ces nouvelles technologies ont rendu possible la diversification des produits commercialisés et des supports, dont Michel Tatu a donné des exemples. Présent sur le Minitel, où l’on peut, sans abonnement, consulter, par le 3629 0456, le texte intégral et par le 3617 LMDoc trouver des références d’articles, Le Monde édite également l’ensemble de ces textes et illustrations sur CD-Rom. Le projet de le mettre sur Internet est freiné par l’impossibilité – du moins pour l’instant, car ce problème est à l’étude – de facturer et d’encaisser le produit des ventes. Ce problème de facturation ayant été réglé par CompuServe, Le Monde est proposé, depuis le début 1995, par le biais de ce service.
L’édition électronique
Les caractéristiques de l’édition électronique par rapport à l’édition papier ou aux bases de données sont les suivantes : la lecture à distance du journal sous cette forme doit pouvoir se faire dans des délais identiques, sinon inférieurs, à ceux de l’édition papier, le lecteur de l’édition électronique souhaitant consulter le dernier numéro paru du journal, sous la même présentation que l’édition papier, donc en fichier image ou postscript ; ce mode de consultation diffère de celui de l’utilisateur de la base de données qui recherche tous les articles parus sur un thème donné et présentés en ASCII.
La tarification elle aussi est différente : le prix de l’édition électronique, pour laquelle il n’y a de frais ni d’impression ni de diffusion, est légèrement inférieur à celui de l’édition papier, alors que, pour la base de données, c’est l’article affiché qui est facturé et à un prix plus élevé, puisqu’il s’agit d’une recherche, qui se fait sur tout le fonds documentaire.
Michel Tatu, regrettant le retard de la presse française par rapport à la presse américaine et britannique, a appelé « les autres quotidiens nationaux et régionaux à venir combler la solitude du Monde ».
Il est vrai qu’aux Etats-Unis, la presse, préoccupée par le recul de ses ventes et la chute de la publicité, s’est lancée depuis deux ans déjà dans le multimédia, les uns misant sur le journal électronique (Washington Post, Time...), les autres sur le CD-Rom (Newsweek).
La version électronique, en plus d’une diffusion à la même heure que la version papier, offre des services supplémentaires : souvent une information plus riche avec des dossiers... ainsi que la possibilité de dialoguer avec les journalistes, le journal devenant ainsi interactif.
Comment va évoluer la presse sur ces nouveaux supports ? Va-t-elle continuer à offrir au lecteur, comme actuellement, l’information exhaustive identique à l’édition papier ou lui offrir une information sélectionnée selon ses centres d’intérêts ? Va-t-elle drainer la même clientèle que celle du papier ou ouvrir de nouveaux horizons vers de nouveaux marchés ? Il semble encore trop tôt pour le dire.
IDT a été riche de nombreuses autres interventions sur les projets – citons le système AGADES (Accès général à la documentation électronique spécialisée), mis en chantier par l’Institut de l’information scientifique et technique –, les changements sociaux et culturels générés par la nouvelle société de l’information, la formation universitaire et professionnelle et l’évolution des métiers, la démarche qualité et, enfin, un sujet qui découle de l’apparition de ces nouveaux modes de diffusion de l’information : les droits d’auteur et les problèmes juridiques.
Les organisateurs de ce douzième congrès ont été, cette fois encore, attentifs aux besoins des différents acteurs des marchés de l’information.