Préserver, restaurer, substituer

sauvegarde des archives et techniques innovantes

Philippe Rouyer

Organisées par les Archives départementales du Calvados, avec le concours de DPC Industries, les journées des 16 et 17 mai 1995 ont démontré à quel point la frontière entre bibliothécaire et archiviste était devenue formelle. Les thèmes abordés concernaient en effet autant la diffusion de l’information que la conservation du patrimoine. Ces deux jours ont été particulièrement denses, avec 24 communications, des démonstrations de matériel, et la visite des ateliers de DPC Industries à Caen.

De nombreux exposés techniques sur la restauration des documents, la désacidification de masse, la conservation des supports photographiques, la micrographie couleur, le CD-photo, le sauvetage des archives en cas de sinistre, le papier permanent…

Les supports traditionnels

Les supports traditionnels conservent leur intérêt, notamment parce qu’ils sont des supports à lecture directe, dont l’exploitation n’est pas liée à la disponibilité du matériel de lecture. Ainsi, le directeur informatique de RVI a-t-il reconnu l’avantage d’une solution micrographique, pour des dossiers de véhicules qui doivent être conservés 25 ans. Ces supports traditionnels ont évolué : nous avons appris que beaucoup de papiers (70 à 80 % des papiers blancs, ainsi que les papiers couchés) devaient vraisemblablement satisfaire aux normes de permanence, sans qu’il en soit fait mention. Le microfilm couleur, dans le procédé non chromogène, garantit une stabilité excellente, peut-être comparable à celle des films argentiques noir et blanc. Patrick Casas (DPC Industries) a rappelé que le microfilm documentaire d’aujourd’hui devait prendre en compte l’hypothèse d’une numérisation ultérieure. De ce fait, les critères de qualité sont devenus beaucoup plus stricts.

La numérisation réserve des pièges

Bien que partisan convaincu de la numérisation, André Zysberg, directeur de l’informatique et des nouvelles technologies à la Bibliothèque nationale de France, en a souligné les limites et les coûts. En tout état de cause, la numérisation à grande échelle restera longtemps d’un prix élevé, l’opération étant grosse consommatrice de main- d’œuvre. Il ne sera jamais possible ni justifié de tout numériser, et André Zysberg ne croit pas à la « bibliothèque virtuelle », du moins dans le futur prévisible…

Dominique Maillet, chef de la mission pour le programme technique de numérisation dans le même établissement, nous a exposé les difficultés réelles de l’opération. Néanmoins, le but qui avait été fixé à l’origine, à savoir la numérisation de 100 000 livres, sera atteint en 1996, et la numérisation des images sera achevée pour l’ouverture de la bibliothèque.

Depuis sa réforme en 1992, le dépôt légal est habilité à recevoir les documents électroniques. Claire Vayssade a exposé le programme de l’Agence bibliographique nationale. Conserver est une chose, être en mesure de communiquer les documents recueillis au titre du dépôt légal en est une autre : certains documents se présentent sur des supports périssables, comme les disquettes 3 pouces 1/2. Il faut alors les transférer sur des supports plus durables comme les CD-Worm. Il faudra aussi être en mesure de lire des documents se présentant sous des formats différents, et les retranscrire en homogénéisant les systèmes. Vaste tâche, qui ne sera pas toujours aisée, dans la mesure où, parfois, les éditeurs verrouillent les documents, de façon à interdire toute copie.

Innovations et difficultés

Au-delà des modes éphémères, on comprend qu’il n’y aura pas de révolution en matière de conservation et diffusion de l’information. Des évolutions incontestables, des passerelles à établir entre les différents supports, mais aussi la certitude qu’il n’existe pas de procédé miracle et que la connaissance des supports modernes ne doit pas faire oublier que les supports traditionnels subsistent, ont évolué, de façon peu spectaculaire, mais incontestable.

L’intervention de Marin Modrusan, des Archives nationales de Croatie, à Zagreb, a pendant un temps fait oublier la technique pour plonger chacun dans des réflexions plus graves. Son exposé a rappelé la difficulté de sauvegarder des documents d’archives en temps de guerre. De sa projection de diapositives, nous avons tous retenu l’image d’un registre d’état civil, souillé par des traces de bottes. Sans doute n’est-ce là qu’une exaction mineure, lorsque l’on imagine la guerre, avec ses morts, ses blessés, ses vies brisées. Mais sans doute aussi la destruction du patrimoine culturel n’est-elle pas un fait anodin. N’oublions pas que les registres de paroisse ou d’état civil, qui chez nous n’intéresse guère que les historiens et les généalogistes, se transforment en documents stratégiques, si, dans un pays, les origines d’un homme en viennent à avoir plus d’importance que ce qu’il est.