Former et apprendre à s'informer

pour une culture de l'information

par Jean-Marc Proust
Paris : ADBS, 1993. – Pagination multiple [136] f. ; 30 cm. – (Collection Sciences de l’information : Série Recherches et documents). ISBN 2-901046-54-1 : 170 F

Voici un guide, original, car essentiellement politique : plutôt destinés à nourrir la réflexion du formateur (à l’information), les deux rapports qu’il contient n’apportent pas de formules toutes faites, et quand des expériences sont citées ou analysées, souvent étrangement coupées de leur contexte, on regrettera qu’elles tendent vers la caricature inexploitable, malgré leur intérêt réel. Cette dernière remarque concerne surtout le long texte que Jean Michel consacre à des « principes directeurs » pour la formation des ingénieurs. Les mêmes données, arguments et recommandations, sont dispersés, certes déclinés, mais sans cesse repris dans une longue analyse, cyclique et répétitive. Cette spirale aspirante risque d’étouffer le lecteur. Une exposition plus synthétique, plus ramassée, et des conclusions mieux dégagées donneraient plus de poids à des affirmations par ailleurs essentielles.

La brièveté du rapport Serieyx, qui précède celui de Jean Michel, fait sa force. S’appuyant sur des travaux antérieurs, il souligne des principes et préconise des actions. Au lieu de répéter des analyses déjà disponibles, il en déduit l’urgence qui s’impose, et formule synthétiquement des conclusions pour « inciter le lecteur à passer aux actes ».

Une information exponentielle

Le rapport analyse les atouts que représente pour la société et l’individu la capacité à traiter sans cesse une information en croissance exponentielle ; mais les caractéristiques du système éducatif, visant davantage la possession de savoirs disciplinaires que l’intégration active de connaissances – et quelques traits socioculturels nationaux (faiblesse en marketing, négligences, et cloisonnement individualiste) maintiennent des lacunes qu’il est urgent de combler.

Les auteurs ne prétendent pas innover ; ils édictent avec force des mesures déjà énoncées ici et là, mais cette fois regroupées en un faisceau cohérent, qui, de l’enfance à la vie active, en passant par l’enseignement supérieur, irrigueraient toutes les formations. Une unité de principe est dégagée : mettre en œuvre une pédagogie de l’action, et de la découverte ; favoriser une approche concrète ; partir du besoin d’information, et s’appuyer sur le plaisir d’une recherche gratifiante.

Une culture de l’information doit s’imposer dans la formation, – d’abord celle des enseignants, ensuite celle des individus en formation –, reposant sur des pratiques de recherche, ou de synthèse, et sur des projets. La valorisation et l’évaluation de la dimension information doivent être institutionnalisées. Quelques propositions plus concrètes sont faites, visant à lier la recherche d’information à son évaluation critique, à sa communication... La veille et l’analyse stratégiques ne sont pas oubliées.

Le groupe de travail recommande enfin de coordonner les actions de formation à l’information, en dressant d’abord un répertoire des formations existantes, et de bâtir un outil d’évaluation à partir de quelques indicateurs.

Le rapport aborde le rôle des professionnels. L’information n’est une discipline que pour eux. Pour tous les autres, des méthodologies nouvelles doivent être introduites dans les cursus, débordant les disciplines maillées en réseaux multidisciplinaires – l’information n’étant pas une discipline supplémentaire, ni limitée étroitement à une seule discipline.

Les professionnels ont besoin d’une meilleure formation au dialogue avec l’usager ; ils doivent acquérir une double compétence. La nécessité de développer les filières spécialisées est reconnue pour favoriser les recherches et les études, mais on s’étonnera que les bibliothèques et centres de documentation soient aussi peu évoqués, comme si les lieux – infrastructures et moyens – n’étaient pas impliqués dans ce défi à la pédagogie.

Principes directeurs

L’analyse et les conclusions de Jean Michel ne sont guère différentes. Elles s’appliquent à une information spécialisée, dont la maîtrise est nécessaire à un public spécifique : celui des ingénieurs de demain, population pour laquelle les enjeux sont considérables.

La formation de l’ingénieur assure la transmission de connaissances structurantes préparant à la maîtrise de méthodologies d’action. Elle doit donc développer une aptitude à la maîtrise des processus d’information, en vue d’anticiper les évolutions.

L’ingénieur traite des informations à caractère décisionnel, il est opérateur ou transformateur d’information. L’information qui lui est utile est complexe, multidisciplinaire, contrastée voire contradictoire ; elle est multiforme, éparpillée et véhiculée de diverses manières.

Aussi les cursus doivent-ils être conçus comme un dispositif organisé d’accès aux informations pertinentes. L’intégration d’une formation à l’information doit être totale, composante des enseignements et des travaux des étudiants. Fondée dans l’activité personnelle de l’élève, à partir des pratiques et des besoins de l’étudiant et de l’ingénieur appelés à gérer des systèmes complexes, cette formation active et adaptée est assortie de consolidation, de méthodologie et de contrôle. Elle vise la maîtrise stratégique de l’information, et non uniquement celle des outils et des moyens.

Ce diagnostic s’appuie sur les perspectives d’une profession dans un contexte d’internationalisation et de développement du tertiaire et des technologies de l’information. Il constitue l’idéal d’une formation, opposé à une réalité où se manifestent des carences. C’est un diagnostic mondial, mais différencié selon les aires culturelles – reposant sur une large enquête, et un historique de la formation. L’étape des années 1970, introduisant une « approche IST », est notée, mais les efforts effectués, non intégrés, nécessitent aujourd’hui de transformer la formation pour répondre aux besoins réels et actuels de la société.

À partir de l’existant, Jean Michel construit une carte des formations, en déduit la typologie du possible – puis énonce des recommandations. Un schéma, fort intéressant, permettra à chaque acteur de se situer dans les formations existantes. Leur axe fort émerge comme la diagonale de cette carte. Un panorama est ensuite dressé ; on énumérera ici les cinq types de formation retenus (auxquels s’ajoute la formation continue) : introduction aux lieux et aux outils, recherches et pratiques documentaires, aspects spécifiques de l’information, intégrations disciplinaires ou méthodologiques, double compétence. Leur durée et leur place dans les cursus donnent sens à ces formations, qui peuvent se combiner 1. Mais ces diverses pratiques pédagogiques sont insuffisantes. Une approche globalisante est nécessaire.

Recommandations pour demain

La formation à la maîtrise de l’information doit faire l’objet d’une politique explicite. Les actions, avec des objectifs clairs, doivent s’adapter aux phases des études, et constituer des approches cohérentes dans la durée, témoignant d’une intégration évolutive. Composante essentielle, processus intégré et continué, cette formation doit être globale – concernant tous les acteurs d’une école d’ingénieurs. Adaptée à chaque contexte et finalisée, elle s’appuie sur une approche globale mais diversifiée, articulée autour des problèmes professionnels, motivante, liée aux travaux de l’élève et à des problèmes réels, affrontés en équipe, à l’aide des technologies nouvelles les plus avancées.

Une telle pédagogie suppose des équipes mixtes, ouvertes, coopérant avec les centres documentaires et dans lesquelles s’investissent les professionnels de l’information.

Des moyens divers sont à mettre en œuvre, dans des structures qui restent à inventer, prenant en compte les environnements stimulants et des ressources polytechniques. Ces moyens sont notamment budgétaires 2, et, en amont, nécessitent des mesures d’accompagnement (sensibilisation des futurs étudiants, formation des professionnels concernés).

Ces textes interpellent les formateurs en toutes disciplines et à tous les niveaux, ainsi que les professionnels de la documentation, particulièrement ceux appelés à former (notons que les Urfist (Unités régionales de formation et de promotion pour l’information scientifique et technique) ne sont jamais citées !), invités à une révolution des mentalités.

Notamment, ces professionnels doivent s’intégrer dans les équipes pédagogiques et devenir les partenaires des formateurs des disciplines. Outre les besoins de formation appropriée déjà signalés, on a retenu trois axes critiques qui apparaissent dans les rapports, essentiellement fondés sur une dialectique de l’offre et de la demande :

– la formation de l’utilisateur : la démarche ne doit pas se fonder sur une offre de l’institution, mais viser l’exploitation des ressources utiles en fonction du besoin de chaque utilisateur. (Que devient la visite organisée de la bibliothèque ?) ;

– ne pas raisonner en termes d’outils et de moyens : ne pas offrir de formation instrumentale plaquée, mais raisonner en termes de stratégie (comment organiser les formations à la bibliographie, à la recherche documentaire ?) ;

– coopérations et réseaux : l’utilisateur vit dans un environnement informationnel et documentaire dont notre bibliothèque et ses ressources utiles ne sont qu’un élément. Comment élargir l’horizon, à quels partenariats s’ouvrir pour faciliter la mise en œuvre de complémentarités efficaces ?

Le lecteur aura noté des convergences plus générales entre ces deux rapports, dont la réunion n’est pas artificielle. A partir de perspectives différentes, tous deux plaident pour une pédagogie active et concrète, centrée sur la résolution de problèmes réels liés aux besoins d’information de l’usager. Ils interrogent donc le professionnel de la documentation, plus habitué à une logique de l’offre et provoquent avec lui l’enseignant. Ils les appellent à une collaboration indispensable pour l’émergence d’une culture de l’information.

Cette culture ne pourra advenir que par la découverte et la mise en œuvre de méthodologies nouvelles, pourvu qu’une « volonté politique au plus haut niveau » scelle les efforts qui apparaissent ici et là. Du RMIste 3, cité par le premier rapport, à l’ingénieur, chacun pourra y trouver la « vraie liberté ».

  1. (retour)↑  La deuxième partie du rapport, « exemples et témoignages », rend compte de formations concrètes, y compris des formations considérées comme innovantes – non comprises dans cette typologie. Citons la contribution de Jean Lossouarn (f. 89-95) qui articule la formation à l’Institut national d’agronomie de Paris-Grignon autour de 4 exigences complémentaires : a) acquérir un comportement, une curiosité (besoin, motivation), b) rationaliser la démarche (ressources et techniques documentaires, méthodologie), c) sélectionner, évaluer (information utile), d) valoriser (communiquer).
  2. (retour)↑  La question qui ne manque pas de se poser est : « Qui prend en charge les coûts d’une telle formation » ?
  3. (retour)↑  Personne touchant le RMI (revenu minimum d’insertion).