L'édition régionale en Normandie
Philippe Rouyer
Le 26 septembre dernier à la Halle aux toiles de Rouen, l'ABF Normandie organisait une journée d'étude sur l'édition régionale. Les interventions couvraient en fait deux aspects de l'édition normande : l'édition régionale, c'est-à-dire l'édition dans la région, et l'édition régionaliste, spécialisée dans la littérature, la géographie et l'histoire locale.
Edition et impression
Vice-président du Conseil économique et social de Haute-Normandie, Antoine Dezellus résumait l'essentiel du rapport de la commission qu'il a présidée, sur le développement de l'édition en Normandie 1. Si l'on a toujours écrit dans cette région (les exemples les plus illustres ne manquent pas), on y édite peu : Paris draine 95 % de l'édition française. Défenseur du livre, Antoine Dezellus s'efforce de sensibiliser les responsables locaux à la nécessité de promouvoir une édition régionale.
En revanche, la Normandie est depuis longtemps une région d'imprimeurs. Claudine Brabez présentait la régie du dépôt légal d'imprimeur, à la bibliothèque municipale de Rouen. Par le dépôt légal, la bibliothèque, qui n'est que l'un des 19 établissements bénéficiant du dépôt d'imprimeur, recueille une moyenne de 7 000 volumes chaque année, soit le 1/5e de la production nationale. L'évolution a été rapide ces dernières années : la progression du nombre de titres déposés par les imprimeurs a été de 70 % entre 1980 et 1989.
Rouage essentiel du dépôt légal permettant de contrôler, de compléter les informations recueillies par le dépôt légal d'éditeur à la Bibliothèque nationale, la régie du dépôt légal d'imprimeur est une lourde charge, mais elle est aussi le moyen d'enrichir les collections de la section « étude ».
L'édition régionaliste
Parce qu'elle répond à l'attente du public, l'édition régionaliste est très vivante. M. Berthout, de Lunneray, était venu présenter sa maison : livres d'érudition, réimpression d'ouvrages anciens, mais aussi livres d'accès plus facile, curiosités, récits pittoresques, ouvrages illustrés, histoire de la Seconde Guerre mondiale en Normandie.
Il n'est pas toujours nécessaire de disposer de gros moyens pour faire vivre une revue littéraire locale. Dans Rouen-Lecture, Philippe Galmiche publie des nouvelles, des chroniques littéraires. Il fait connaître des auteurs régionaux contemporains, ou redécouvrir les textes oubliés d'auteurs consacrés. Rouen-Lecture a atteint le numéro 14, preuve qu'il est possible avec la foi et l'enthousiasme, de faire vivre une revue littéraire régionale.
M. Boudereaux représentait les éditions Isoète, de Cherbourg. Association loi 1901, Isoète publie des ouvrages d'histoire, de littérature, de photographie, d'humour. Isoète n'est pas un éditeur exclusivement régionaliste, mais les titres figurant au catalogue sont pour la plupart en relation avec le Cotentin et les écrivains normands.
Les « institutionnels »
Représentant les « institutions », Henry Decaëns et Michel Zuinghedau dirigent respectivement les Publications de l'université de Rouen et les Presses universitaires de Caen. L'un et l'autre éditent des livres très spécialisés : coûts de fabrication élevés, et tirages nécessairement limités. A Caen, les unités de recherche doivent financer, sur leurs propres crédits, l'édition des manuscrits. En contrepartie, elles encaissent le produit de la vente. A Rouen, le Service des publications doit tenter d'équilibrer son budget. Parfois, la coédition, avec les Presses du CNRS, par exemple, parvient à alléger les charges financières.
L'une des difficultés majeures de l'édition universitaire reste la distribution et la diffusion. Les publications des universités normandes mériteraient d'être mieux distribuées, et mieux connues (notamment à l'étranger où les ventes restent confidentielles). H. Decaëns espère beaucoup d'une distribution/diffusion par le CID (Centre interinstitutionnel pour la diffusion des publications en sciences humaines) 2.
N'ayant pas de but lucratif, les responsables des presses d'université ne peuvent choisir les manuscrits sur des critères économiques. Le choix repose avant tout sur la qualité scientifique des textes. Seuls des spécialistes de la discipline peuvent composer le comité de lecture. Or il est évident qu'ils ne s'exprimeront pas en toute liberté s'ils font partie de la même unité de recherche que l'auteur. Le comité de lecture « idéal » sera plus difficile à réunir en province qu'à Paris.
L'édition régionaliste normande témoigne d'une belle santé, et c'est normal. La Normandie n'est pas une création administrative, mais une réalité historique et culturelle, dont les habitants revendiquent leur identité. En revanche, l'édition régionale doit constamment lutter contre l'attraction de la capitale, géographiquement proche qui plus est. Les pouvoirs régionaux, avec les éditeurs institutionnels et le secteur associatif, pourraient avoir un rôle moteur dans le développement d'une édition normande.