La photothèque du musée de l'Homme
Christine Barthe
En 1885, un rapport annuel du Muséum national d'histoire naturelle signale : « Travaux du laboratoire : (...) on s'est activement occupé du classement des photographies et on prépare un catalogue des clichés, en vue de provoquer des échanges » 1. Plus tard, en pleine guerre, le musée de l'Homme souligne : « Il s'agissait en somme avant tout de maintenir en vie la photothèque avec les moyens du bord, tout en poursuivant, dans la mesure du possible, l'organisation intérieure du Service » 2. Avant de donner un aperçu de la photothèque du musée de l'Homme, signalons que les chiffres cités ici sont donnés à titre indicatif, concernent ce qui est connu aujourd'hui. Ils sont nécessairement sujet à variation au fil des recherches.
Historique et inventaires
La photothèque du musée de l'Homme a été mise en place en 1932 et 1935, époque de rénovation approfondie du musée d'Ethnographie du Trocadéro, qui allait aboutir à la création du musée de l'Homme en 1937.
Mais l'histoire des documents conservés dès cette époque à la photothèque est déjà longue. Ils proviennent pour partie des fonds existants de l'ancien musée d'Ethnographie du Trocadéro et pour l'autre des collections du laboratoire d'anthropologie du Muséum national d'histoire naturelle auquel le nouveau musée fut rattaché sur décision de Paul Rivet, alors directeur du Musée d'ethnographie.
Les premières recherches montrent que ce laboratoire a compris très tôt l'intérêt et les avantages que pouvait lui amener la photographie. Très vite des collections de photographies ont été créées, qui servaient aux nombreux échanges, conférences, expositions. L'histoire complexe de cet ensemble en fait la richesse mais aussi la grande hétérogénéité, notamment dans ses enregistrements.
Les inventaires du XIXe siècle
La logique des enregistrements du XIXe siècle fait préférer inventorier les négatifs aux tirages, qui sont utilisés comme moyen d'échange ou comme matériel pédagogique.
Les enregistrements se font au départ par nom d'auteur ou de collectionneur, et non par pays ou thème, ce qui est sans doute à rapprocher du souci de représenter les donateurs du musée ou du laboratoire. Cela changera ensuite.
La photothèque des années trente
Face aux plusieurs milliers d'images déjà présentes, le nouveau service mis en place répond par une volonté de systématisation - rangements standards adaptés des modèles utilisés en bibliothèque - qui entraîne une normalisation des formats.
La photothèque créée en 1938 rassemble des documents utiles aux chercheurs du musée, et, par extension, au public. Cette organisation confirme la place des photographies dans le musée : elles ont des outils uniquement documentaires et ce statut leur interdit l'accession au régime d'objet de collection.
En se sens, l'enregistrement d'une photographie prend en compte l'élément documentaire qui a permis la sélection de l'image :
- on enregistre une légende et non un objet. On trouve donc des indications concernant un « cliché » ou une « photo », sans jamais savoir s'il s'agit d'un tirage ancien, ou d'un contretype ;
- on définit ce qui est « document ethnologique » et on élimine ce qui ne l'est pas. Le critère géographique reste le premier, divisé en thèmes tels que : « cartes et paysages », « types et vêtements », « habitat », etc.
- la notion d'auteur est très rarement déterminante, de même que, fait plus surprenant, la date de prise de vue. Une photographie de tel groupe humain au XIXe
siècle pourra donc voisiner avec une prise de vue du XXe siècle.
L'histoire des collections est donc à reconstituer, souvent entièrement, puisque la notion même de collection n'était jamais apparue jusqu'ici pour ces photographies dans la photothèque.
Quelques exemples de collections
Dans ces conditions peu favorables se sont pourtant accumulées des collections tout à fait exceptionnelles. En chiffres : on estime à environ 400 000 « images », tous supports confondus, l'ensemble des collections, dont :
- 175 daguerréotypes
- entre 8 000 et 10 000 tirages anciens (du XIXe aux années 20)
- 45 000 plaques de verres négatives
- 18 000 plaques de verres positives
- 27 000 tirages « modernes » (des années 20 à aujourd'hui) noir et blanc
- 12 000 négatifs souples - 25 000 ektas.
Ces collections sont intéressantes à étudier sous le double aspect de leur valeur en tant qu'images et de leur insertion dans un fonds documentaire sur l'anthropologie, science aussi récente que la photographie.
Certaines collections, possédant une unité thématique, n'ont pas été dispersées. C'est le cas de l'ensemble Charnay, regroupant les photographies réalisées entre 1857 et 1885 au Mexique, à Madagascar, en Australie. Elles sont les premières réalisées sur les sites de Mitla, Chichen-Itza, Uxmal.
La collection de daguerréotypes, de par la spécificité du matériau, n'a pas été dispersée, mais à moitié oubliée, rangée dans ses boîtes. Ici, le travail d'identification des auteurs est rendu très difficile, les plaques ayant été entièrement démontées de leurs écrins, beaucoup de traces ont disparu. Les recherches renvoient aux voyages de Dumont d'Urville sur « l'Astrolabe » et la « Zélée » entre 1837 et 1840 et aux crânes ramenés alors, mais aussi aux portraits réalisés par le capitaine Guillian en Afrique en 1846.
L'histoire du laboratoire d'anthropologie est également marquée par le passage de Jacques Philippe Potteau qui y réalisa de nombreux portraits anthropométriques.
Très représentatif d'une catégorie de voyageurs (les marins), Paul-Emile Miot a réalisé des photographies lors de ses missions en Polynésie en 1869-1870. Beaucoup de ces photographies ramenées de voyages étaient alors publiées sous forme de gravures dans les revues comme Le tour du monde.
Un des fonds importants quantitativement est celui du prince Roland Bonaparte qui, sans jamais quitter Paris, a constitué ce qu'on pourrait appeler un début d'encyclopédie d'anthropologie visuelle du XIXe siècle, photographiant de façon systématique les représentants des peuples « exotiques » aux expositions universelles ou ethnographiques.
Crevaux, Léon de Cessac, Alphonse Pinart, Raoult, Lapicque et le voyage de la Sémiramis, Hagen, Maitre, nombreux sont les noms de donateurs, collectionneurs, photographes qui constituent la collection du XIXe siècle. Mais si on y trouve quelques noms déjà connus et attendus (Bonfils, Sebah, Portman et Rey), l'intérêt majeur se trouve sans doute dans des ensembles moins connus aujourd'hui que les prochaines recherches révéleront peu à peu.
Si l'on glisse vers le XXe siècle, c'est toujours dans ses liens avec les ethnologues de l'époque que les collections de photographies se révèlent particulièrement riches. Premières missions organisées par le nouveau musée de l'Homme, comme la mission Dakar-Djibouti, documents rassemblés par les chercheurs (Marcel Griaule, Claude Lévi-Strauss). Ici, encore, les ensembles doivent être rassemblés, mis en relation les uns avec les autres. Mentionnons aussi un ensemble de plus de 700 tirages provenant des études sur le drapé de Gaétan de Clérambault, psychiatre attaché à la préfecture de police au début du siècle.
Lieu ouvert à tous, la photothèque est donc toujours un espace de consultation possible. Pour peu que l'on ait quelque temps à y passer en recherches, elle se révèle vite être une mine considérable de sujets d'étude pour l'anthropologue, l'historien des sciences ou de la photographie. Les premiers travaux de sauvetage des fonds anciens, commencés il y a un an et soutenus par les aides de la Commission nationale de la photographie, ont permis de faire reconnaître la valeur de cette collection. L'importance des travaux à faire, aussi effrayante puisse-telle paraître, en fait néanmoins la diversité et l'intérêt 3.