Nouvelles québécoises
Martine Poulain
Les bibliothécaires québécois tiennent eux aussi leurs nécessaires rencontres professionnelles, ici dans le cadre associatif. En octobre dernier se tenait à Montréal le 19e congrès de l'ASTED (Association pour l'avancement des sciences et techniques de la documentation).
Les bibliothécaires furent d'abord invités par la conférence inaugurale de Pierre Pelou à examiner sévèrement les apports de l'exercice documentaire au niveau d'information de nos sociétés. Avons-nous réussi à mieux informer ? On pourrait en douter en constatant l'étendue des ignorances à propos d'événements politiques récents, tels Maastricht et la situation en Yougoslavie par exemple. Or ce monde en pleine effervescence laisse apparaître des besoins gigantesques, notamment chez les peuples qui réaccèdent à leur histoire. Le comportement des usagers a lui aussi changé. Ils veulent aujourd'hui, non plus les modes d'accès à l'information, mais l'information elle-même. En témoignent l'évolution des serveurs vers les bases en texte intégral. Les usagers veulent aussi trouver ces informations plus facilement : la conception du vidéotex est nettement plus conviviale que celle des bases de données.Mais « notre appréhension bibliographique n'a pas suivi l'évolution des utilisateurs », « la référence que nous offrons n'est pas aussi spécialisée que le voudraient nos usagers ». L'urgence aujourd'hui, plaide Pierre Pelou, est bien celle de satisfaire des usagers qui veulent davantage être précisément informés que simplement « documentés ».
Contre la morosité
Jean-Rémi Brault plaida pour le refus de la morosité. Le concept de bibliothèques a été « apprivoisé » au Québec. Celles-ci sont maintenant intégrées au tissu social. Les bibliothèques universitaires peuvent être, malgré la crise et les restrictions budgétaires, fières de leur fonctionnement et les bibliothèques municipales, presque inexistantes au Québec jusqu'aux années 60 se sont développées : 4 bibliothèques municipales au XIXe siècle, 7 autres entre 1900 et 1945, 25 entre 1946 et 1959, 110 depuis la « révolution tranquille ». Les années fastes des bibliothèques scolaires furent celles allant de 1969 à 1973 : du personnel qualifié est embauché, les rayons se remplissent. Mais depuis, la situation est souvent devenue catastrophique. Enfin, Jean-Rémi Brault s'est dit satisfait du rôle que jouaient les deux bibliothèques nationales (celle du Québec et celle du Canada) et de l'organisation des formations.
Bibliothèques scolaires et bibliothèques publiques
Deux rapports ont ponctué les tentatives de propositions de développement ces dernières années 1. L'un, présidé par Gilles Bouchard, essaie de proposer des solutions pour le développement des bibliothèques scolaires. L'autre, présidé par Jacques Sauvageau, président-directeur général de la Bibliothèque nationale du Québec, se préoccupe du sort de la lecture publique. Comme certains autres rapports dans certains autres pays..., il proposait par exemple l'adoption d'une nouvelle loi sur les bibliothèques. La dernière date de 1959 et est aujourd'hui inopérante, a estimé la Commission, qui demandait par exemple : la création d'un Conseil supérieur des bibliothèques, la création d'une Direction des bibliothèques publiques au ministère de la Culture, la mise au point d'un système de subventions pour le développement des bibliothèques, l'identification de structures d'intervention, la définition précise des services à rendre, l'affirmation de la gratuité des services. Aucune loi n'a pour l'heure été adoptée. Mais une Direction du livre et des bibliothèques publiques nouvellement créée devrait en proposer une, plus limitée que celle envisagée par les rapporteurs. Cette même Direction accorde des subventions diverses (aux constructions, aux achats de volumes, par exemple), mais pas de l'ampleur qui avait été déterminée. Le personnel n'est manifestement pas assez formé dans les bibliothèques publiques et le nombre de professionnels insuffisant. Là encore, le rapport avait demandé une prise en charge partielle de la rémunération par l'Etat. Là encore, les choses semblent quelque peu en attente, la toute nouvelle Direction du livre et des bibliothèques publiques peaufinant son plan d'action. A suivre, dirait Jacques Sauvageau...
Les bibliothèques universitaires et la crise
Les bibliothèques universitaires au Québec, rappellent Claude Bonnelly et Jean-Pierre Côté, c'est 23 millions de documents (soit 118,4 documents par étudiant), 21 000 places assises, 157 000 étudiants, 1794 salariés (dont 26 % de professionnels), soit une personne pour 96 étudiants 2. Si la croissance des moyens et de l'offre furent importants entre 1960 et 1970, la crise, les coupes budgétaires (voire salariales) diverses ne les ont pas épargnées ensuite, pendant que dans le même temps, les « clientèles », pour reprendre une expression québécoise, augmentaient en nombre et en exigence. La crise atteint son maximum en 1985, date à partir de laquelle un lent redressement commença. Entre 1985 et 1990, quelques constructions furent entreprises, les informatisations s'accélérèrent, les dépenses d'acquisition augmentèrent. La situation aujourd'hui reste très fragile, la croissance des besoins étant plus grande que celle des ressources et la situation du Québec toujours plus faible que celle des autres provinces canadiennes. L'existence au sein de la CREPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec) d'un sous-comité consacré aux bibliothèques aide beaucoup à la coordination des politiques.
Les années 80 ont été celles des technologies, des systèmes intégrés, des catalogues interactifs, des banques de données locales et des CD-ROM en réseaux, des réseaux campus, avec des usagers appelant de plus en plus les services de leurs bureaux. Le recours au réseau a des effets pervers. S'il augmente la richesse documentaire potentielle, il rend paradoxalement plus minime ce qui est disponible sur place : plus de 600 catalogues de bibliothèques universitaires sont offerts sur Internet... De plus, les technologies ont coûté très cher en matériel et en formation du personnel.
L'heure est donc plus que jamais à la coopération, au partage des ressources, mais ce « partage de la pauvreté relative » connaît lui aussi des limites et « le budget d'acquisition se transforme de plus en plus en un budget d'emprunt et de reproduction d'une information sur mesure » ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes.
Un congrès riche d'échanges, parce qu'organisé par ateliers de travail sur une grande diversité de thèmes et qui outre les questions ici soulevées s'intéressa encore au marketing, à la promotion des bibliothèques, à la présence des communautés culturelles dans les bibliothèques publiques, à l'état de la lecture au Québec, à l'édition par exemple.