La lecture à l'hôpital
Pierre Chambert
La conférence-débat organisée par la Direction du livre et de la lecture le 24 mars dernier à l'occasion du Salon du livre a rassemblé un public nombreux dans un amphithéâtre du Grand-Palais, avec, au total, une dizaine d'intervenants, dont le rôle était rien moins que de tenter de faire un tour d'horizon des initiatives dans le domaine du livre et de la lecture en milieu hospitalier.
Couvrir un champ aussi vaste, très vaste même puisque les relations « culture-santé » ont été largement évoquées, représente un pari difficile à tenir. En définitive et plus modestement, les interventions ont constitué un puzzle en apparence éclaté d'expériences concrètes, de projets, de partenaires. Certaines contributions ont été remarquées - les questions dans le débat l'ont confirmé - à cause de la précision ou de l'intérêt des projets : l'expérience de la bibliothèque à l'hôpital de La Rochelle, associée contractuellement et pédagogiquement à la bibliothèque municipale de la ville ou encore la bibliothèque associée au projet d'espace de détente et de loisirs pour adolescents et grands enfants, dénommé Plein ciel, à l'hôpital Necker.
D'autres interventions ont ouvert la perspective de questions essentielles, même s'il était évident et d'ailleurs convenu qu'un débat de près de trois heures ne permettrait pas d'aller au fond des choses.
Tout de même a été ainsi plus qu'effleurée la question du statut du malade à l'hôpital, citoyen à part entière ou provisoirement fragilisé - et donc doit-il être protégé, et par qui ? En corrolaire bien sûr revient la question des fonds d'ouvrages, du choix des livres, sujet sensible, mais dont le débat n'a peut-être pas assez souligné la dépendance avec le problème général de la relation entre le soignant et le soigné. Une coïncidence : pendant qu'on débattait au Salon du livre de la liberté du malade de choisir ses livres (mais n'a-t-on pas trop pensé critères de choix du bibliothécaire, omettant de songer à l'avis du malade), dans un autre pays un peu plus au nord, on concluait un débat de fond sur l'euthanasie qui, pendant des mois, avait justement centré son objet sur la liberté du choix du malade. Il ne s'agit pas là évidemment de comparer ce qui ne peut l'être, mais de rappeler que les questions culturelles à l'hôpital relèvent des mêmes ressorts de pouvoirs, de dépendances, que celles de la « santé physique », missions premières des hôpitaux. Rappeler aussi que le livre et la lecture ont à voir avec la santé, je veux dire le moral, la guérison... pourquoi pas la qualité des soins... On n'a pas suffisamment approfondi cette idée, qui aiderait peut-être à l'avenir les administrations de santé dans leurs projets culturels.
Il est quasi de règle, quand on traite de la lecture à l'hôpital, de dire que tout n'est pas rose ni évident entre les bibliothécaires professionnels et les bénévoles, ces derniers de très loin les plus nombreux (90 % peut-être d'après les analyses partielles que nous possédons). La conférence-débat du Salon du livre a aussi résonné de ces difficultés. Mais il m'a semblé qu'il y avait une large convergence entre les uns et les autres, sur au moins deux sujets que je veux souligner fortement parce qu'ils sont des points d'appui pour l'avenir.
L'un de ces deux points est la question des dons de livres. Tous ceux, nombreux, qui ont pris la parole dans la salle et à la tribune, ont souligné qu'il fallait accueillir les dons avec circonspection. Tous avaient en tête des exemples de dons catastrophiques, parce qu'il s'agissait d'ouvrages en mauvais état, de rebuts, parce qu'avec le don systématique, sauf s'il est parfaitement dominé et effectué en concertation étroite, il est impossible d'avoir la moindre politique d'acquisition.
Le second sujet concerne les relations entre les professionnels et les bénévoles, la répartition des tâches, la responsabilisation concertée des uns et des autres, dans un même hôpital. Sur ce point, à la suite de l'expérience de La Rochelle, presque toutes les prises de parole ont souligné l'intérêt de ce travail en commun, eu égard par exemple aux technicités ou aux disponibilités de chacun. Si l'on poussait plus avant le sujet, il est probable que lorsqu'on arriverait au concret des tâches à accomplir, des différences notables d'appréciation apparaîtraient. On sait toutefois que les expériences existent, pas assez nombreuses encore sans doute, mais c'est certainement une voie pour faire progresser à la fois la qualité du service de lecture rendu aux malades comme aux personnels, et l'image des bibliothèques d'hôpitaux dans la profession et à l'extérieur.
Je suis conscient de n'avoir évoqué ici qu'une partie du débat. Cependant pour terminer sur cette question d'image, je crois qu'un des mérites de la conférence-débat a été de faire exister les acteurs de la lecture à l'hôpital au sein de l'interprofession du livre. Que la table ronde ait eu lieu au Salon du livre est donc, de ce point de vue, significatif.