Adrienne Monnier et la Maison des amis des livres, 1915-1951

par Martine Poulain
textes et documents réunis et présentés par Maurice Imbert et Raphaël Sorin.
Paris : IMEC éditions, 1991. - 92p. ; 24cm.
ISBN 2-908295-08-3 ; ISSN 1150-3092 : 120 F

Chacun sait qu'Adrienne Monnier fut une des grandes libraires de l'entre-deux guerres, fervent soutien des plus grands écrivains, alors bien souvent ignorés ou méconnus. Mais qui sait que la base de l'activité de la librairie était en fait de jouer le rôle de bibliothèque ?

Lieu de rencontres

La librairie ouvre le 15 novembre 1915 : « Notre première idée était très modeste : nous ne cherchions qu'à mettre sur pied une librairie et un cabinet de lecture dévoués surtout aux œuvres modernes ». Adrienne Monnier, qui a découvert la littérature contemporaine avec Le Mercure de France, souhaite présenter avant tout cette production. La librairie deviendra vite le lieu de rencontre des écrivains : Paul Fort, Pascal Pia, Jules Romains, Léon-Paul Fargue, Louis Aragon, André Breton, puis André Gide, Paul Valéry, André Salmon, Max Jacob, Pierre Reverdy, Blaise Cendrars, Jean Paulhan, Tristan Tzara, Jean Cassou font partie des premiers « abonnés ». Apollinaire, de retour du Front en 1916, « interpelle Adrienne : c'est tout de même fort qu'il n'y ait pas un seul livre de combattant dans cette vitrine ! ». Valéry Larbaud « entre en scène » en 1919, puis Claudel, Gallimard, et en 1920, James Joyce, dont Sylvia Beach, qui avait ouvert Shakespeare et Cie en 1919, venait de publier Ulysse.

Loin de se contenter de vendre ou de prêter des livres, Adrienne Monnier va faire de sa librairie l'un des lieux majeurs de la création littéraire de l'entre-deux-guerres : rencontres autour de textes et de débats, chacun y lisant ses écrits ou commentant ceux des autres, conférences, mais aussi activités éditoriaies : après la « mésaventure de Commerce », Adrienne Monnier fonde Le Navire d'Argent en 1925, Mesures en 1932, et publie nombre d'œuvres de ses amis : elle éditera ainsi Jules Romains, Paul Fort, Paul Claudel, Georges Duhamel, Georges Chennevière, Luc Durtain, Valéry Larbaud, Paul Valéry, ses propres poèmes et, bien sûr et avant tout, l'œuvre qui tue ses traducteurs : Ulysse, publié en francais par La Maison des amis des livres en 1929 et tiré à 1 200 exemplaires.

Multiples activités qui ne furent pas de tout repos et mirent parfois la librairie elle-même en péril : en 1926, Adrienne Monnier est contrainte de vendre sa propre bibliothèque pour éponger les dettes du Navire d'Argent. Elle qui avait aidé nombre de réfugiés antinazis réussira à faire de sa librairie un des lieux restés respirables pendant la guerre et « fêtera » en mars 1941 ses 25 ans d'existence. Une existence qui se prolongera jusqu'en 1951. Adrienne Monnier choisira de mettre fin à ses jours en 1955.

Une bibliothèque exemplaire

La bibliothèque de prêt formait en fait l'essentiel de l'activité du négoce d'Adrienne Monnier. Le règlement de 1917 dit par exemple : « Les sociétaires jouissent des droits suivants : abonnement de lecture à deux volumes ; les livres donnés en lecture ne sont jamais attendus plus de quinze jours ; les volumes mis en lecture sont maintenus dans un état de propreté rigoureuse ; ils sont protégés par une couverture de papier de cristal changée à chaque prêt ; (...) la librairie se met à la disposition de ses abonnés pour les renseignements bibliographiques, recherches de bibliophilie...». Si l'on sait tant de choses sur les allées et venues des uns et des autres, c'est justement parce que presque tous s'inscrivent à la bibliothèque de prêt : « Le 13 juin, Gaston Gallimard a acheté Calligrammes, les Vies imaginaires, et La Veine, pièce d'Alfred Capus. René Clair, qui s'appelle encore René Chomette, s'est inscrit le 1er juillet. Aragon se réabonne et le 26 décembre, Jacques Rigaut devient l'abonné n° 121. Le mardi 14 janvier 1919, s'inscrit Jacques Lacan... ». Fin 1920, la librairie a 580 abonnés. En 1926, le stock de livres s'élève à 18 400 volumes. Walter Benjamin s'inscrit en janvier 1930, etc.

On aurait envie de les citer tous, tant Maurice Imbert et Raphaël Sorin ont réussi à les faire revivre, à montrer la profonde immersion d'Adrienne Monnier dans ces existences obsédées par la littérature et dont l'ouvrage d'Adrienne Monnier elle-même, La Rue de l'Odéon, réédité en 1989 chez Albin Michel, ne donnait qu'une idée partielle.

Longue vie donc à la nouvelle Maison des amis des livres que Maurice Imbert vient d'ouvrir à l'endroit même où règna si longtemps Adrienne, au 6 rue de l'Odéon !