Lesen im internationalen Vergleich
Ein Forschungsgutachten der Stiftung Lesen für das Bundesministerium für Bildung und Wissenschaft
ISBN 3-922695-03-5
Vue de France, l'Allemagne fait figure de paradis de la lecture. Puissance des maisons d'édition, importance du nombre de livres publiés chaque année, rôle décisif de Francfort, tradition de la lecture publique, opulence des bibliothèques universitaires, tout concourt au prestige du modèle d'Outre-Rhin. Car le miracle allemand n'est pas qu'économique, il est aussi culturel.
Le rapport sur la lecture réalisé par la Fondation de la lecture pour le ministère fédéral de l'Education et des Sciences conduit à porter quelques nuances à ce tableau idyllique. Il rappelle - et son esprit même est d'être comparatiste - que les problèmes de la lecture se posent en termes comparables dans les pays industriels d'ancienne culture et que finalement l'herbe n'est pas toujours beaucoup plus verte de l'autre côté de la barrière. L'inégalité dans l'accès à l'écrit, la mesure de l'illettrisme, la concurrence d'autres médias, le recul relatif du livre rapporté à l'accroissement du niveau de formation, de bien-être et de formation de la population sont des phénomènes communs à tous les pays. Comme l'est, avec des nuances, bien évidemment, l'ébauche d'une réflexion sur la lecture prise comme phénomène social essentiel.
Une prise de conscience politique
Février 1989 : une demande d'expertise, à l'initiative du ministère fédéral de l'Education et des Sciences, auprès de la Fondation pour la lecture. A l'arrière-plan de cette mission, une réponse du gouvernement fédéral à une question parlementaire du SPD * sur « le comportement de lecture et la culture du livre en RFA » (nov. 1986). Deux éléments devaient être pris en compte : l'absence d'études scientifiques d'ensemble du phénomène en République Fédérale d'Allemagne et la nécessité de développer des enquêtes parallèles à celles de quelques pays européens et des Etats-Unis.
Le rapport, publié en 1990, devait donc proposer une synthèse de l'état des méthodes et des résultats des recherches internationales sur ce thème; une évaluation des méthodes de recherche dans la perspective de leur application en RFA et de la possibilité de comparaisons internationales dans le domaine des comportements de lecteurs ; une identification des lacunes en matière de recherche ; enfin des propositions concrètes et applicables.
Du côté des pays étrangers - pays de langue allemande, France, Grande-Bretagne et Etats-Unis -, les questions principales devaient porter sur :
- les travaux scientifiques et les données les plus importantes relatives à la capacité de lecture, les standards de lecture, l'analphabétisme fonctionnel ; l'écart croissant de savoir (increasing knowledge gap) ; les modifications des comportements de lecture en relation avec l'élargissement du rôle des « médias électroniques » (image, acoustique, ordinateurs) ; les données mesurant le comportement de lecture et le rapport aux médias, en différenciant de préférence le livre les journaux et les périodiques ;
- les conclusions formulées dans ces différents pays sur les comportements de lecture de la population. Notamment en ce qui concerne les déficits des groupes à problèmes ;
- les actions engagées sur la base de ces conclusions.
Synthèse, études nationales, questions transversales
Le rapport présente trois volets de longueur très inégale, la plus grande part revenant aux bilans dressés pays par pays.
La première partie, rédigée par Anette Brinkmann, Alexander Botte, Bodo Franzmann, Heinrich Kreiblich, Rolf Ziltsperger, tous membre de la Stiftung Lesen (Mayence), rassemble synthétiquement les résultats les plus importants et définit pour l'Allemagne une stratégie d'observation prospective du comportement de lecture de la population.
La seconde comprend les comptes rendus pays par pays. Quatre articles pour la RFA : « L'état de la recherche en lecture en RFA » (Anette Brinkmann), « L'évolution des comportements de lecture » (Bodo Franzmann), « L'analphabétisme fonctionnel » (Alexander Botte), « Les publics des bibliothèques » (Peter Borchardt, Deutsches Bibliothekinstitut, Berlin). Un pour la Suisse alémanique : « L'état de la recherche en lecture » (Heinz Bonfadelli, Université de Zürich). Pour l'Autriche, un article sur le même thème d'Angela Fritz (Université de Vienne). « La recherche en lecture en RDA » est analysée par Bernhard Meier (Université de Bamberg). Deux articles sont consacrés à la Grande-Bretagne : « Capacité de lecture, lecture et connaissances scientifiques » par Bryan Luckham (Université de Manchester) et « Lecture en Grande-Bretagne » par Peter H. Mann (Library and Information statistics unit, Loughborough). Les lecteurs francophones ont désormais connaissance du rapport de Nicole Robine (Bordeaux III), consacré à « L'état de recherche et de la réflexion sur la lecture en France » publié dans le n° 5 des Cahiers de l'économie du livre. Trois articles concernent les Etats-Unis : « La dimension sociologique de la recherche en lecture» » (Stefan Aufenanger, Université de Fribourg, RFA), « L'influence de la télévision sur la lecture enfantine » (Karin Böhme-Dürr, Zentralinstitut für das Jugend-und Bildungsfernsehen, Münich), « La capacité de lecture et l'analphabétisme fonctionnel » (Peter Borchardt). Un troisième temps est consacré à des questions plus pointues, mais communes aux différents pays étudiés : une analyse de « La pertinence des tests de lecture » (Erich Vanecek, Université de Vienne) opposant capacité de lecture et maîtrise de la lecture. Deux études sur « L'écart de savoir » et le rôle socialement discriminant des mass-médias, respectivement proposées par Heinz Bonfadelli et Ulrich Saxer (Université de Zürich).
Les auteurs du rapport de synthèse soulignent à quel point les comparaisons internationales sont rendues délicates par l'absence d'unité dans les outils, les méthodes et les données. Reste que l'on tend, dans ce domaine également, vers une plus grande homogénéité des critères de cohérence (échantillons, traitement statistique, périodisation, questionnaires et questionnement homogènes).
Capacité de lecture
La première question posée est celle d'une définition de la capacité de lecture universelle, c'est-à-dire d'un potentiel de performances mesurables par des outils standardisés. Pour les auteurs, il est nécessaire de différencier deux grands types de tests. D'une part, ceux où l'on cherche à saisir le degré de compréhension d'un passage (et de sa structure grammaticale et linguistique) ; de l'autre, les tests orientés sur des critères externes, particulièrement développés aux Etats-Unis, qui prennent pour matériau des écrits fonctionnels, modes d'emploi, décrets, offres d'emploi etc. Ces derniers tests sont particulièrement intéressants dans la perspective d'une enquête sur l'analphabétisme fonctionnel. Le rapport souligne au passage l'importance et la régularité des travaux américains sur l'analphabé-tisme fonctionnel des adultes, bien que les mesures systématiques annuelles soient tournées en direction des populations scolarisées.
En Europe continentale, seule la France a fait une mesure systématique de la maîtrise des élèves (test CE2-6e). C'est l'occasion pour les auteurs du rapport de souligner le retard des pays de langue allemande en ce domaine. On s'y contente, pour l'essentiel, de monographies et de travaux partiels. En revanche, la Grande-Bretagne dispose de l'Assessment of Performance Unit (APU), qui mesure annuellement la capacité de lecture des enfants de 15 ans. On n'y relève pas d'évolution majeure au cours des cinq dernières années. Inversement, les tests établis aux Etats-Unis à la fin des années 60 traduisent une tendance à la baisse ou, au mieux, à la stagnation. En outre, l'écart entre les bons lecteurs et les lecteurs faibles ne cesse de s'accroître.
Il semble bien qu'on assiste, à travers la stagnation des standards de lecture, au même recul tendanciel dans les pays d'Europe du centre et de tous les pays industriels. La responsabilité n'en incombe pas à l'école mais, selon les auteurs, plutôt au champ de socialisation initial de la famille.
L'analphabétisme fonctionnel
L'analphabétisme fonctionnel ou analphabétisme secondaire (après scolarisation) n'apparaît massivement comme problème que dans les dix à quinze dernières années. Ainsi, en Allemagne, la première mention officielle de l'illettrisme date de 1981. Une constante ressort à travers les pays étudiés : une attention politique particulière au phénomène. L'analphabétisme fonctionnel est cerné de manière assez empirique, soit par des études générales de la population, soit par des entrées spécifiques (conscrits, tests scolaires, population carcérale). Le rapport relève l'insuffisance des résultats obtenus par les deux biais.
De manière générale, les enquêtes sur l'analphabétisme fonctionnel semblent difficilement utilisables, faute de définition préalable et indiscutable du phénomène. Ainsi, aux Etats-Unis, en 1984-85, on comptait 10 % d'analphabètes fonctionnels et 44 % d'« aliterates » (qui ne lisent que sous la contrainte), selon la Commission lecture instituée par le Congrès (rapport Books in our future). On dispose bien des chiffres des conscrits en France (6 % d'illettrés), mais les chiffres des mêmes sources en Autriche et en Suisse ne peuvent être retenus.
Très généralement, l'approche de l'analphabétisme secondaire dans les sociétés développées apparaît déficiente.
En ce qui concerne les comportements de lecture, les indications viennent soit d'enquêtes générales sur les loisirs soit d'études directement centrées sur la lecture. Il faut y ajouter les données recensées par les librairies, éditeurs, bibliothèques etc. La « règle du tiers » semble être observable dans tous les pays : un tiers de lecteurs, un gros tiers de non-lecteurs ou très petits lecteurs dans la population adulte. Le rapport souligne cependant le caractère très superficiel de cette description qui ne tient compte ni des paramètres sociaux ni des phénomènes d'âge et de culture.
Dans tous les pays considérés, les femmes sont plus lectrices que les hommes, le journal étant plus masculin. On assiste sans surprise à une corrélation entre le niveau de formation, l'intensité et la fréquence de la lecture (sauf pour les magazines). On observe également dans tous les pays une influence de la nature de la profession et du contact fonctionnel avec l'écrit, indépendamment du niveau de formation. Et partout, l'entrée dans la vie professionnelle s'accompagne d'une baisse de la lecture. Ainsi, 85 % des étudiants allemands sont des lecteurs. Mais en entrant dans la vie professionnelle, ils ne sont plus que 60 % à garder un contact étroit avec le livre (Jugend und Medien, 1986). Indiscutablement, le livre reste valorisé comme « formateur » et dispensateur du savoir.
La courbe d'âge et la courbe de lecture sont très généralement parallèles, les jeunes étant les plus forts lecteurs. Seule la Grande-Bretagne semble faire exception, puisque la courbe de lecture, nettement descendante de l'entrée professionnelle jusqu'à 35 ans, monte régulièrement et continuellement à partir de cet âge. Il n'empêche que la tendance générale en Europe et aux Etats-Unisreste bien celle d'un recul relatif de la lecture.
L'écart de savoir
Les lecteurs français, accoutumés aux approches de type sociologique, seront sans doute curieux de voir l'importance accordée à cette notion, à laquelle les auteurs du rapport sont particulièrement sensibles. Il s'agit là d'un concept apparu aux Etats-Unis au début des années 70 (Groupe de recherche du Minnesota, Ph. Tichenor, G. Donohuel, C. Olien) : « Quand le flux d'information s'accroît dans un système social, les segments de statut social supérieur tendent à s'emparer plus rapidement de cette information que les segments de statut inférieur de façon telle que l'écart de savoir entre ces segments se développe tendanciellement ». Théorie corroborée par le fait que les lecteurs sont les meilleurs spectateurs de la télévision. C'est une autre manière de penser les problèmes d'écart culturel en termes cumulatifs.
En matière de socialisation de la lecture, les lecteurs français retrouveront également des analyses familières, bien que les auteurs soulignent que ce mode d'approche vient des Etats-Unis. Des années 50 et 60, où on pensait les problèmes de lecture uniquement en termes scolaires, on passe aujourd'hui, dans tous les pays étudiés, à une réflexion qui s'exprime en termes de socialisation. La sociabilité, l'influence de la famille, du milieu, des groupes d'amis, de l'environnement socioculturel prend une importance décisive. Partout la famille est saisie comme le lieu central de la motivation à la lecture. L'image parentale joue un rôle déterminant dans le comportement de l'enfant face aux moyens de communication. Avec l'âge et le niveau de formation, l'influence familiale est le troisième critère pesant sur le comportement de lecture. C'est particulièrement vrai dans la concurrence TV vs lecture. Le modèle familial de lecteur intensif est ici décisif. Important aussi, le rôle des pairs : les jeunes lecteurs sont confortés dans leur pratique par d'autres jeunes lecteurs. Parallèlement, la télévision perd de son pouvoir attractif chez les 12-15 ans.
Un bilan pour l'Allemagne
En terminant ce survol, les auteurs du rapport entendent dresser un bilan nuancé sur le recul de la lecture. Constatant que le livre et l'imprimé sont passé d'un quasi-monopole à une situation de concurrence, ils formulent quelques recommandations au gouvernement fédéral pour établir une stratégie de recherche et de remédiation.
Ils soulignent tout d'abord la nécessité de mettre l'accent sur les politiques d'éducation et de formation. Ainsi faut-il, selon eux, observer le rôle de la lecture dans la constitution de la personnalité et la qualification professionnelle. Ce faisant, un certain nombre de questions s'imposent : dans une société où la communication est sous l'influence des nouveaux médias, quelle demeure la part de la lecture dans la qualification ? Quelle liaison établir entre l'usage individuel de la lecture et les objectifs sociaux et politiques de la collectivité ? Quelles données empiriques et quels déficits fondent la nécessité de mesures de formation propres à favoriser la lecture ? Quand et où fixer des exigences de lecture (âge et lieux sociaux) ?
Ils relèvent ensuite un déficit allemand en matière de recheche sur la lecture. D'où la nécessité d'un approfondissement théorique, d'une meilleure connaissance de la sociabilité du livre et du rôle du milieu. Sans doute doit-on recourir à des études nouvelles, mais on a surtout besoin d'interpréter plus finement les données existantes. Regrouper les expériences existantes dans une « banque des méthodes » favoriserait la comparaison et là mise en place de politiques évaluables.
En concluant sur les méthodes d'action, ils préconisent la planification d'une étude de fond sur « Communication et lecture » étendue aux pays de langue allemande. Celle-ci doit s'appuyer sur la mise en place d'une étude qualitative empirique du contact avec l'écrit à l'âge préscolaire et au début de la scolarité (3-8 ans), et sur une étude des médiations vers le livre. Ces travaux devraient s'accompagner d'une évaluation des dernières directives officielles et, plus généralement, d'une réflexion portant sur les conditions qui président désormais à la lecture. Toujours au chapitre des dispositions concrètes, les auteurs concluent sur l'opportunité de mettre en place des tests de lecture chez les apprentis et de convoquer une conférence internationale. Parallèlement, ils se proposent d'établir à l'attention du gouvernement fédéral un rapport sur l'état de la lecture en RFA. Régulièrement réactualisé, un tel rapport rassemblerait les résultats des études évoquées plus haut.
On le voit, les manières d'envisager les questions de la lecture dans les sociétés modernes sont singulièrement convergentes. Nul doute que les temps sont mûrs pour des problématiques et des politiques européennes de la lecture.