Liber 1991
conférence annuelle
Geneviève Boisard
Améliorer l'efficacité des bibliothèques par la coopération, tel était le thème de la conférence de Liber tenue à Padoue du 26 au 28 juin 1991.
La conférence s'était réunie à l'Université de Padoue à l'invitation du Dr. Favotto, responsable du réseau des bibliothèques universitaires de Vénétie. Elle a été marquée par une double caractéristique : l'information sur les réalisations italiennes en matière de coopération entre bibliothèques et la présence, pour la première fois à Liber, de représentants des pays de l'Est : Union soviétique, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et Yougoslavie. L'accent a été mis sur la coopération nécessaire avec ces pays, qui se traduit par le choix de Budapest comme lieu de la prochaine réunion, en 1992.
Comme l'a rappelé Michel Smethurst, président de Liber, dans son discours d'introduction, la coopération entre bibliothèques est une des fonctions de Liber. Les groupes de travail sur le conspectus, le copyright, l'automatisation, les livres anciens et les cartes œuvrent dans ce sens.
Il reste beaucoup à faire
La coopération coûte cher, elle demande des investissements et doit être employée à bon escient. Mais qui peut aujourd'hui posséder la totalité de l'information disponible ? Seul le partage des tâches et l'accès partagé à l'information par le prêt entre bibliothèques permet de satisfaire tous les usagers. La coopération n'aboutit pas à des économies, mais à un meilleur service rendu. Les bibliothèques de recherche ne peuvent obéir à une logique commerciale et se fonder sur le taux de communication des collections, car un livre peu communiqué peut être de plus grande importance pour ses lecteurs qu'un manuel très utilisé par ses étudiants. C'est le grand danger des bases automatisées que de conduire à une évaluation commerciale de leur couverture.
Les bibliothèques européennes doivent préserver en commun leur héritage commun, et c'est un des objectifs du Registre européen des microformes mères que d'assurer cette préservation tout en évitant les doubles dans le microfilmage.
Il reste beaucoup à faire en matière d'accès aux bases informatisées, en particulier par la constitution de thesauri matières multilingues.
Enfin, il reste à relier les réseaux entre eux. La conférence de Munich en novembre 1990 sur le catalogage rétrospectif a débouché sur la création d'un groupe de travail qui étudie la possibilité de fusionner les notices récupérées par les grandes bibliothèques européennes. Un fichier expérimental de notices de différentes provenances sera chargé sur RLIN 1. Le professeur Snyder, de l'Université de Californie à Riverside, connu pour son activité dans la base des ECST (Eighteenth century short title) est chargé du projet, car les Américains sont concernés comme nous par l'héritage européen. A terme il est question de créer à l'échelle européenne un réseau du même type que le RLG 2, ce qui offrirait à Liber un champ d'action particulièrement motivant.
Le réseau national italien
Plusieurs communications ont fait le point sur la coopération entre bibliothèques à l'échelon national.
En Italie, les bibliothèques universitaires sont très fragmentaires et dispersées : bibliothèques d'institut ou de département, étroitement dépendantes des professeurs, gérées par du personnel non professionnel. Il n'y a pas toujours de bibliothèque universitaire centrale. Mais ces bibliothèques sont très proches de leurs utilisateurs et sont souvent performantes.
Les tentatives de coopération ne sont pas venues des autorités universitaires, mais des autorités locales. En effet, les bibliothèques de facultés se sont automatisées isolément, sans prévoir de liens entre elles, et plusieurs systèmes coexistent. Le Servizio bibliotecario nazionale (SBN), projet de système bibliothéconomique national, est né en dehors du monde universitaire. Il est géré par le Ministerio per i beni culturali ambientali, qui n'en est pas le ministère de tutelle, et par les régions. Le professeur Mario Citroni, de l'Université de Florence, en est le coordinateur pour les universités.
Projet orienté vers l'accès au document, le SBN a été mis au point par Cristina Mugnai, informaticienne de l'Université de Florence, mise à la disposition du ministère des Biens culturels à la Bibliothèque nationale de Florence. C'est un système de gestion intégré pour les bibliothèques, qui permet également de connecter des bases locales et d'aboutir à un catalogue grâce à un index commun. Il respecte l'autonomie des composantes. Quatre versions sont disponibles pour plusieurs types d'ordinateurs à des prix « politiques » c'est-à-dire très réduits.
Grâce à l'index, les bibliothèques pourront consulter les grandes bases et récupérer les notices qui s'y trouvent. Les liaisons existent aujourd'hui de façon expérimentale entre Rome et Florence. Une vingtaine d'universités ont adhéré au projet, six ou sept y sont véritablement impliquées, deux d'entre elles, Florence et Padoue, avec le pôle vénitien, l'utilisent pour l'instant.
Il faut encore vaincre des résistances, convaincre et former le personnel à utiliser des règles et un format uniformes. Il faut mettre sur pied une structure de coopération à l'intérieur de l'université.
Le dialogue entre les bibliothèques universitaires et le SBN est rendu difficile du fait de la séparation des tutelles, situation que nous connaissons en France, mais le Ministerio per l'Università, la ricerca scientifica e tecnologica s'est intéressé au projet, notamment en réalisant des interfaces entre le SBN et les systèmes utilisés par les universités, Digital et Dobis/Libis, et plus récemment par la création d'une commission des bibliothèques et de la documentation, chargée de la coopération entre les universités et de la diffusion de l'information, avec la claire mission de diffuser le SBN dans les universités.
Les deux ministères deviennent donc partenaires. A Florence, dix bibliothèques de l'université sont déjà automatisées, mais également une bibliothèque d'Etat, la Biblioteca Marcucelliana, et elles sont reliées à la Biblioteca nazionale centrale.
A l'heure actuelle 150 bibliothèques peuvent interroger la base qui comprend 200 000 notices. A Padoue, où l'université possède plus d'un million de volumes, mais n'a pas de bibliothèque centrale, 35 bibliothèques sont désormais connectées au SBN et 4 000 notices sont produites chaque mois. Les étudiants disposeront dès le 1er juin d'un OPAC de la 4e génération. Le professeur Favotto, hôte de la conférence, est le coordinateur padouan du projet.
Bibliothèque nationale et agence spécialisée
Au Danemark, comme l'a rappelé Niels Mark, la coopération est ancienne et fonctionne bien dans le réseau national.
En Pologne, Krzystof Wierzchowski dirige le projet d'automatisation de la Bibliothèque Jagellon à Cracovie. Grâce à un matériel russe compatible IBM et de nombreux terminaux made in Taïwan ou Hong-Kong beaucoup de fonctions sont automatisées. Mais il y a un manque énorme de bibliothécaires qualifiés en informatique. K. Wierzchowki se propose d'adopter le système américain VTLS déjà utilisé en Suède et en Finlande et a demandé l'aide de ces pays. Grâce au British council de Cracovie il est connecté aux grandes bases bibliographiques internationales. Il semble que la France soit totalement absente de la coopération bibliographique avec la Pologne, ce qui est infiniment regrettable étant donnée l'ancienneté de nos liens avec ce pays.
Maria Luisa Cabral a souligné le rôle essentiel d'une bibliothèque nationale dans la coopération entre bibliothèques. L'exemple du Portugal est à cet égard éloquent, avec un partage des tâches bien rôdé entre Bibliothèque nationale et bibliothèques universitaires spécialisées.
Cet exemple est-il transportable à l'échelle de pays plus importants ? William Humphreys, ancien président de Liber, a fait une intervention remarquée en indiquant qu'à son avis il était préférable de créer une agence spécialisée de coopération plutôt que de confier ce rôle à la Bibliothèque nationale.
Pour ma part j'ai souligné que d'après mon expérience, il y avait parfois contradiction entre les intérêts propres d'une bibliothèque nationale et les nécessités de la coopération, avec la prise en compte des intérêts des différents partenaires. En tout état de cause, le rôle de coordinateur d'une base nationale et de diffuseur de l'information nécessite des investissements et des moyens spécifiques.
En ce qui concerne la gestion, dans un exposé remarquable et très vivant, Derek Law, de King's college, a exposé les trois types de gestion financière des bibliothèques : féodal, où le bibliothécaire s'en remet exclusivement à l'administration, colonial, où celui-ci ne gère que le matériel et ne fait que peu de virement d'une fonction à une autre, impérial, où le bibliothécaire a la pleine responsabilité de la gestion de sa bibliothèque, y compris celle du personnel, et peut répartir les ressources librement. Il nous a exhortés à gérer souplement les ressources et a montré que l'informatisation modifiait grandement la répartition des charges. Il ne faut pas penser « petit », mais il est nécessaire de voir grand. Un projet bien présenté avec conviction trouvera toujours son financement. Enfin il faut passer de la bibliothèque ptolémaïque, où l'on consacre davantage de temps à différentes tâches de gestion qu'à l'usager, à la bibliothèque copernicienne où l'usager est au centre de tout le système.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce congrès :
- tout le monde a ou a eu les mêmes difficultés, il faut donc s'attacher à les résoudre sans se décourager ;
- il est nécessaire et urgent de constituer un réseau de bibliothèques de recherche européennes qui puisse permettre à chacun de bénéficier du travail des autres - les bibliothèques universitaires françaises ne peuvent en être absentes ;
- les pays de l'Est sont très demandeurs de la coopération européenne ; il importe que la France ne soit pas absente sur ce terrain.