L'image des professionnels de la documentation
24 cm. - (Les cahiers de coopération ; 7).
L'Agence de coopération régionale pour la documentation (ACORD), établie à Valence, poursuit son active politique en matière de publications et propose, presque coup sur coup, quatre Cahiers de coopération susceptibles d'intéresser non seulement les bibliothécaires, mais aussi, de façon beaucoup plus large et en conformité avec la vocation même de la structure éditrice, l'ensemble des professionnels de l'écrit et de la documentation. Leur attention sera d'autant plus aisément retenue d'ailleurs que trois des quatre fascicules en question - qui constituent les actes d'un colloque organisé en décembre 1989 - ont trait, non point à quelque problème de bibliothéconomie, d'archivistique ou de traitement du document, mais à un sujet aussi « sensible », en définitive, que « l'identité », professionnelle et sociale, des hommes et des femmes exerçant leur activité dans ce domaine, au moment où, qui plus est, de nombreux changements sont perceptibles, appelés à trouver une traduction, aussi conforme que possible, dans de nouveaux statuts.
La bonne Image
Les « professionnels de la documentation » ne font pas figure d'exception en se montrant, de manière toute légitime, soucieux de leur « image » dans la société. Quatre communications réunies dans le sixième des Cahiers de coopération mettent en évidence une grande diversité des situations, dans le temps bien sûr, mais aussi selon la fonction précisément exercée.
Pierre Kukawka, au terme d'une enquête menée dans la région Rhône-Alpes, s'interroge sur « l'image des bibliothèques auprès des professionnels de la communication », en l'occurrence des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle. D'une première partie consacrée aux institutions, il ressort que les personnes interrogées fréquentent dans une large proportion (près des deux-tiers) au moins une bibliothèque, presque toujours municipale. S'agissant du personnel, un « chœur de louanges » s'élève de l'enquête, les journalistes se félicitant très majoritairement de la « compétence » des bibliothécaires, mais aussi de la « culture », voire de « l'érudition » dont ils font preuve.
Hélène Soenen, pour sa part, s'est plongée dans la lecture - pleine de surprises - des petites annonces, à la recherche des « représentations des métiers des bibliothèques et de la communication à travers les offres d'emploi et les programmes de formation ». Les idées toutes faites dussent-elles s'en trouver ébranlées, à travers les besoins et les attentes des employeurs, se dessinent « des métiers souvent nouveaux, mal connus, en pleine mutation socio-technologique et dont la diversité déroute le néophyte ».
Quantitativement, le marché de l'emploi connaît une forte croissance, principalement à Paris et dans sa banlieue, les offres émanant pour une large part des collectivités territoriales. Dans le domaine des formations aussi - second volet de l'enquête - sont mises en avant la « variété » et « l'innovation ». L'auteur doit cependant déplorer l'absence, lourde de conséquences et souvent dénoncée par ailleurs, d'une véritable recherche de haut niveau portant sur l'information scientifique et technique.
Sous le titre « Le bibliothécaire et le communicateur », Nelly Vingtdeux rend compte d'un voyage effectué, en 1989, à Québec, à l'initiative de la bibliothèque centrale de prêt de l'Ardèche, auquel prirent part professionnels de la culture, élus, responsables économiques, ainsi qu'une équipe de la télévision régionale. Un film fut tourné à cette occasion avec la participation très active des bibliothécaires canadiens. De cette expérience, Nelly Vingtdeux pouvait conclure, non sans humour : « ... La médiatisation de notre profession est chose trop sérieuse pour la confier aux seuls journalistes 1 »
Ecrivains et cinéastes, aussi talentueux soient-ils, ne semblent pas toujours beaucoup plus recommandables, si l'on en croit Anne-Marie Chantreau et Renée Lemaître, lesquelles analysent avec finesse et humour l'image du bibliothécaire à travers les prismes de la littérature et du 7e art. Notons au passage que cette passionnante investigation vient de donner lieu à une publication complète (Drôles de bibliothèques, Paris, Cercle de la librairie, 1990) pour notre plus grande délectation.
En guise de conclusion, deux communications se proposent d'aller « au- delà du miroir ». Jean-Pierre Poulet témoigne de sa « vocation tardive » de bibliothécaire, au terme d'un parcours pour le moins atypique, tandis que Bénédicte Ginon examine l'image, « pas très bonne », des « documentalistes dans les cabinets de recrutement et les entreprises ».
L'activisme des bibliothécaires
On l'a vu, les bibliothécaires passent pour être « cultivés ». Bernadette Seibel a voulu soumettre cette opinion flatteuse à « l'épreuve des faits » et les résultats de sa recherche constituent l'essentiel du Cahier numéro 7. L'auteur, à l'instar des sociologues qui, régulièrement, examinent à la loupe les « pratiques culturelles des français », prend en considération des activités aussi différentes - et, reconnaissons-le, inégalement « culturelles » - que la lecture, le recours à la télévision, les sorties (au cinéma, au théatre, mais aussi au restaurant), la participation à la vie associative ou encore le sport. Sur tous ces fronts, les professionnels des bibliothèques sont massivement présents.
Ainsi, que ces derniers soient, dans bien des cas, de grands lecteurs, ne surprendra guère ; la réalité rejoint ici le cliché bien connu. Sans doute n'en va-t-il pas de même si l'on considère les médias, dont « l'écoute est largement pratiquée par les bibliothécaires, qu'il s'agisse de la radio ou de la télévision ; les réticences ne sont plus de mise ». Quant aux pratiques amateurs (musique, peinture...), elles ressemblent fort à celles qui caractérisent un milieu voisin, celui des enseignants.
Les sorties, dernier exemple, tiennent une grande place chez les professionnels interrogés, surtout, il est vrai, parmi « la jeune génération ». Pour Bernadette Seibel, dans leurs loisirs non moins que dans l'exercice de leur métier, les bibliothécaires font preuve d' « activisme ». Cet investissement, à la fois professionnel et « culturel », trouve certes des expressions diverses, et l'auteur parvient à esquisser les contours de cinq groupes, dominés respectivement par « la vie de famille », « la modernité cultivée », « le culte de l'information critique », « la poursuite du mode de vie étudiant » et, enfin, « la spécialisation érudite ».
Une telle enquête, fort intéressante dans les limites qui sont les siennes, pourrait naturellement donner lieu à des débats nourris, comparables, toutes proportions gardées, à ceux que suscita, récemment encore, la publication des Pratiques culturelles des Français. Ce n'en est certes pas ici le lieu. Notons simplement que la « culture » envisagée de cette manière s'apparente quelque peu à un « fourre-tout » et que ce beau mot, aujourd'hui si galvaudé, donne naissance à des expressions aussi creuses, peut-être, que la « culture de l'actualité médiatique » mise en avant par l'auteur.
Le long exposé de Bernadette Seibel est précédé d'une communication de Bernard Pouyet qui examine les rapports unissant l'université et les métiers de la culture, tandis qu'en fin de volume, Alain Massuard, revêtu de sa « tenue de soirée » propose, entre Prévert et Pérec, un inventaire savoureux de ses loisirs.
Cherche documentallste, désespérément
Attentifs à leur image, les professionnels de la documentation en général et les bibliothècaires en particulier, sont aussi en quête d'une identité plus structurée. Troublée, comme le montre Bernard Pouyet, par des éléments « perturbateurs » tels que la décentralisation, la réforme de l'enseignement supérieur, les mutations technologiques, cette identité ne pourra être « reconstruite » que par une formation plus adaptée et de nouveaux statuts. Ces derniers, ainsi que les conventions collectives, font l'objet du huitième Cahier de coopération. Une importante partie du fascicule est d'ailleurs consacrée au secteur privé, souvent négligé ou oublié.
Ainsi, Noel Terrot, par une analyse de près de cinquante conventions collectives, et grâce à une enquête sur le terrain, aussi bien dans les entreprises qu'au sein des centres de documentation, a voulu connaître « le statut de bibliothécaire et de documentaliste » hors de la fonction publique. Les résultats, à la vérité, ne sont guère encourageants. Ainsi, écrit-il « dans notre voyage au sein des professions libérales, nous avons recherché des documentalistes, "désespérément"» et, au moment de conclure, il doit se rendre à l'évidence : nous avons affaire à « une profession ignorée des conventions collectives ».
Dans un domaine voisin, Jean-Michel Salaün expose un ensemble de « réflexions sur l'évolution des centres de documentation en entreprise », basées, elles aussi, sur une enquête, entreprise dans le cadre de l'ancienne Ecole nationale supérieure des bibliothèques, en 1989.
Pour Andrée Verdiel, au nom de l'Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés (ADBS), structure réunissant des professionnels du secteur privé, comme du public, il importe désormais de « sortir du narcissisme » dans lequel beaucoup se sont complus, de coopérer et de développer des réseaux animés par d'authentiques experts, qu'ils exercent en entreprise ou dans le cadre de la fonction publique. C'est aux fonctionnaires, précisément, que s'adressent quatre autres communications. Gilles Lebreton et Pierre-Yves Givord présentent « les statuts des personnels des bibliothèques de l'Etat et des collectivités territoriales » par une confrontation des textes en vigueur et des projets en attente de publication. A cet examen font écho les points de vue - sensiblement différents, on l'imagine -d'un élu, Jean-Marc Bordier ; d'un directeur de bibliothèque municipale classée, Danièle Taesch et, enfin, d'un syndicaliste, Henri Rive.
Iconoclaste
Tout autre, en vérité, est l'objet du Cahier de coopération numéro 9, puisqu'il porte sur le patrimoine écrit. Le Bulletin des bibliothèques de France a rendu compte * de la journée d'étude organisée le 8 octobre 1990 à Roanne et dont le présent volume constitue les actes ; aussi, ne s'étendra-t-on pas sur ce sujet. Relevons simplement, parmi bien d'autres, l'intervention tout ensemble érudite et iconoclaste de Gérard Oberlé, bibliophile bien connu. Bibliothécaires et libraires d'ancien ne pourraient - les uns et les autres - tirer que bénéfice de relations plus nourries.
On nous permettra d'exprimer, pour finir, un regret. N'est-il pas dommage, en effet, qu'une attention manifestement très insuffisante ait été portée à la présentation matérielle des textes publiés ? Passons sur une mise en page inélégante et dépourvue de tout relief ; déplorons bien plutôt les innombrables « coquilles », incorrections orthographiques, voire grammaticales (jusqu'à six par page ! - Cahier n° 8, p. 135) ou encore la méconnaissance des plus élémentaires conventions typographiques. Pour le coup, l'« image de marque » des éditeurs risque, auprès des puristes, d'en prendre... un coup !