Pour une économie de l'information
Anne Mayère
ISBN 2-222-04476-6 : 140 F
Les économistes se trouvent face à un dilemne pour intégrer l'information dans leur théorie. Gênés par son caractère volatile qui ne lui confère pas les caractéristiques d'une « bonne marchandise », ils sont néanmoins obligés de constater sa position centrale dans la marche de l'appareil industriel ou des marchés, et plus prosaïquement d'observer une industrie et un commerce de l'information en plein développement. Ce flirt paradoxal entre économie et information, Anne Mayère en a fait le sujet de sa thèse, maintenant publiée aux éditions du CNRS.
Une série de présentations critiques d'auteurs venus d'horizons variés, des sciences économiques bien sûr, mais aussi des sciences de la gestion ou du vaste champ hétéroclite des sciences de l'information, est l'occasion pour elle de faire avancer le débat en retenant des propositions, en les affinant et le plus souvent en les enrichissant fortement.
Le livre est organisé en deux grandes parties : « Natures, fonctions et valeur de l'information » et « Information et mutation du système productif ». La première, la plus longue, tente de reprendre à la base la conceptualisation de l'information dans les sciences économiques. A cette fin, ingénieurs (Shannon), biologistes (Atlan, Laborit), psychologues (Watzlawick), cybernétitiens (Wiener), gestionnaires (Simon, Lemoigne) sont tout d'abord mis à contribution... pour être critiqués. Pour A. Mayère, l'information ne peut s'analyser en soi, mais comme un processus qui engage autant son producteur que son récepteur. Elle est de même toujours relative, au système et à l'action à laquelle elle est rattachée. Ces premières constatations lui permettent, en s'appuyant cette fois-ci principalement sur les sciences de la gestion, de proposer une typologie des informations par natures : méthode, structure ou ressource et par fonctions : régulation et mise en forme des structures de production.
Mais c'est, me semble-t-il, dans la discussion directe des théories économiques (Ch. III). que l'apport de l'auteur est le plus fort. Relisant les théories néoclassiques, y compris dans leurs développements récents (théorie des conventions), rediscutant la notion d'une information « bien collectif » et revisitant pour la réinterpréter profondément la théorie de la valeur marxiste, A. Mayère propose une nouvelle définition de la valeur d'usage à partir de son « effet utile » et non plus seulement du potentiel d'utilité incorporé dans la marchandise. Dès lors, d'une part, marchandise et bien matériel ne sont plus synonymes, il est donc possible d'envisager des informations marchandises; mais surtout, d'autre part, une forte analogie apparaît entre information et service et donc les travaux de l'économie des services permettent d'éclairer l'économie de l'information.
Des pistes prometteuses
La deuxième partie du livre part des travaux de Machlup, Bell et Porat sur la place primordiale des activités d'information dans les pays développés, pour, une nouvelle fois, les critiquer et proposer une interprétation de la société post-industrielle s'appuyant sur le rôle de l'information dans la mutation du travail, des modes de production et d'échanges, à partir des éléments développés dans la première partie.
Exigeant avec lui-même, exigeant avec le lecteur, l'auteur a tenté un pari difficile. La matière, un travail sur les concepts, est austère, le style est sans concession aux fioritures. La lecture est parfois rude d'autant plus que l'auteur a voulu beaucoup couvrir, un peu trop sans doute. Il n'est pas sûr que la première discussion sur la définition de l'information, privilégiant arbitrairement certains auteurs, apporte beaucoup à la démonstration économiste.
Mais ce livre arrive à son heure. Témoignant de l'intérêt renouvelé des économistes pour l'information, il fera date pour sa rigueur, son ouverture et la reformulation des concepts qu'il suggère. Les voies largement balisées sont autant de pistes prometteuses pour les chercheurs. Quant aux professionnels de l'information, ils doivent se réjouir de voir leurs interrogations, tant sur l'évolution de ieurs métiers, sur celle de leur place dans l'économie que sur l'économie de leur activité, trouver un écho auprès des chercheurs.