Une exposition d'affiches à la Bibliothèque Forney
Anne-Marie Sauvage
Dans la lignée de sa précédente exposition, intitulée « Négripub » et consacrée à la représentation de l'homme noir dans la publicité, la Bibliothèque Forney nous offre une nouvelle exposition d'affiches (et quelques autres documents publicitaires) particulièrement originale puisqu'elle ne concerne ni un affichiste, ni un produit, mais un thème iconographique : les personnages célèbres. Il faut entendre l'expression au sens large de « personnages identifiables ». Anne-Claude Lelieur et Raymond Bachollet en ont déterminé quatre grands types.
Humour et impertinence
D'abord les personnages allégoriques, mythologiques et religieux. Ainsi l'allégorie du Temps est utilisée pour annoncer une course automobile ou vanter la précision d'une horloge ; Hercule est associé à un breuvage censé donner force et vigueur ; saint Antoine est tenté par une bicyclette, tandis qu'un bon diable crache du feu grâce au gaz ! Le mélange des registres se fait généralement dans la bonne humeur et incite plus souvent au sourire qu'au sérieux.
L'humour est également le ton dominant dans le traitement du second groupe de célébrités : les personnages historiques. Charlemagne, Bayard, Jeanne d'Arc, Henri IV, Louis XIV, etc., et surtout Napoléon ont été bien souvent les promoteurs d'objets aussi divers que des boissons, des vêtements, des savons, des bicyclettes, des appareils ménagers. On voit que la publicité ne se sert que des personnages qui sont connus de tous, qui sont entrés dans la mémoire collective, et qu'elle n'hésite pas à puiser dans les stéréotypes : les vêtements ou les automobiles Bayard sont « sans reproche », Charlemagne a son école et sa grande barbe, Napoléon la main sur l'estomac, etc. En reprenant ces éléments, la publicité contribue d'ailleurs à les perpétuer.
Après les personnages « intemporels » des deux premières sections, la troisième nous présente une des curiosités de l'art publicitaire de la troisième République jusqu'à 1914, c'est-à-dire l'utilisation de l'actualité politique. Il faut saluer ici l'important travail de repérage, de collecte et d'identification accompli par A.-C. Lelieur et R. Bachollet, car, aujourd'hui, bien sûr, nous avons perdu la capacité de lecture immédiate des portraits caricaturés et des allusions à la vie politique du temps. Les présidents de la République successifs (de Mac Mahon à Albert Lebrun), les hommes politiques les plus en vue (de Clémenceau à Jean Jaurès), les souverains étrangers (dont les très populaires Edouard VII d'Angleterre ou Léopold II de Belgique), des événements internationaux (comme la guerre des Boërs 1879-1902, l'incident de Fachoda 1899, ou la conférence d'Algésiras 1906) deviennent un moyen pour présenter des pilules, des bretelles ou des boissons.
Un tel procédé est sans doute largement influencé par les journaux satiriques qui fleurissent à la suite de la loi libérale de 1881. On y retrouve le même esprit d'impertinence, quoique peut-être moins agressif, à l'égard des puissants. Nos années 1980 nous en fournissent aussi des exemples (comme le portrait en photomontage de François Miterrand pour la mode d'André Hayat), mais est-ce vraiment une renaissance ?
Après la guerre de 14-18, les vedettes du sport et du spectacle prennent vraiment le relais du monde politique. Elles sont présentées avec les grands écrivains et philosophes dans la quatrième et dernière section de l'exposition. Voltaire, Rousseau, Jules Verne, tels héros romanesques, ont pu représenter du café, un magasin ou une marque de plume ! Les premiers sportifs ayant servi à promouvoir un produit furent les champions cyclistes tout « naturellement » associés d'abord à leur bicyclette, puis servant bientôt pour d'autres articles ; et le culte des champions est aujourd'hui plus vivant que jamais. De la même façon, l'acteur n'est pas une nouveauté pour la publicité : on est allé du théâtre, au cinéma, en passant par le music-hall, en suivant finalement la popularité de tel ou tel type de spectacle. Sarah Bernhardt est le premier grand exemple, avec ses promotions de la poudre « Sarah Bernhardt », du quinquina « Michaud », de l'absinthe « Terminus », des biscuits « Petit Lu », etc. Durant l'entre-deux-guerres, Joséphine Baker, Mistinguett ou Maurice Chevalier apportent leur fantaisie. Les « stars » du cinéma sont évoquées en fin d'exposition.
Lecture stylistique, lecture chronologique
La typologie par grandes catégories de personnages permet de mêler les époques et de faire ainsi des rapprochements intéressants à plus d'un titre. Cependant, un tel parti-pris ne nous interdit bien sûr pas d'autres parcours. Une lecture stylistique, par exemple, peut être le prétexte à évoquer rapidement quelques temps forts de l'histoire de l'affiche.
Les plus anciens documents présentés datent du XVIIIe siècle : « Au grand Louis » (1735) et « Au roy David » (1750). Ces affiches ne diffèrent pas vraiment des estampes d'alors. Même style, mêmes techniques (gravures sur cuivre ou sur bois). Sous l'Ancien Régime, l'affiche illustrée publicitaire est très rare pour des raisons techniques d'impression, mais surtout pour des raisons économiques bien sûr 1 ! Après l'invention de la lithographie, les années 1840 voient naître une production importante d'affichettes de librairie, qui conservent d'abord l'aspect d'une page de titre. Ce sont des lithographies en noir pouvant être éventuellement coloriées au pochoir. C'est selon ce procédé que sont imprimées les étiquettes de parfum d'une inspiration si romantique, présentées sous les numéros 82, 99 et 196. Il faut attendre la fin des années 1870 pour voir naître véritablement l'affiche illustrée moderne avec l'application de la chromolithographie aux grands formats.
Auparavant, l'imprimeur Rouchon inventa, dans les années 1850, de très grands placards généreusement coloriés selon une technique proche du papier peint (gravure sur bois et couleurs au pochoir). Ses affiches sont influencées, à mon sens, par l'imagerie populaire avec des personnages souvent en pied, toujours un peu figés, un peu raides ; la vigueur des coloris renforce cette parenté (voir par exemple « Au grand Pascal », « A J.-J. Rousseau », « A la grande Tragédienne »).
Les premières affiches commerciales de Chéret ne rompent pas non plus avec un modèle antérieur. Ainsi, le « Grand Turenne » (n° 74) semble sorti tout droit d'une de ces affiches au sujet mélodramatique pour romans-feuilletons populaires ! Et « A Voltaire » comme « Au Masque de fer » témoignent d'une certaine difficulté à placer la lettre, la mise en page « écrasant » en quelque sorte l'image. C'est dans les années 1880 et surtout au seuil des années 1890 que Chéret maîtrise la couleur et fait éclater des jaunes et des bleus éblouissants dans des affiches que l'on qualifie « d'artistiques » et qui deviennent une véritable mode 2, (à laquelle s'essaieront de grands créateurs comme Toulouse-Lautrec ou Bonnard).
Avec J. Chéret 3 naît l'affiche illustrée moderne. La lithographie en couleurs restera la technique d'impression dominante dans l'affiche jusqu'aux années 1950. C'est seulement à partir de ce moment que l'offset, qui domine aujourd'hui, la supplantera peu à peu. L'essor du commerce a évidemment été la condition déterminante pour la naissance et le développement d'un art publicitaire dans les deux dernières décennies du XIXe siècle. On assiste alors à une floraison de styles et tendances divers qu'on peut répertorier de la façon suivante :
- une lithographie en couleurs soignée, sans excès, représentative du modèle dominant du temps (ex. n° 31, 32, 33, 57, 108, 109, 178, 182) ;
- une lithographie luxueuse (ex. n° 11, 162: certaines maisons sont déjà soucieuses de se créer une image de marque fondée sur le prestige) ;
- une image influencée par « l'art nouveau » de Grasset à Mucha (ex. n° 1, 6, 24, 47, 56, 200) ;
- la caricature (n° 45, 53, 85, 89, 91, 96, ainsi que la majeure partie des pièces présentées dans la troisième section).
Dans la vingtaine de pièces à peine datant de l'entre-deux-guerres, on distingue immédiatement une nouveauté : le graphisme épuré sur fond uni dans la lignée du Cappellio des années 1910. Celui-ci fut l'instigateur d'un renouvellement profond de l'affiche, marquant une étape décisive dans le passage de l'estampe au graphisme (ex. n° 34, 52, 64, 217, 218) 4. Comme dans bien d'autres domaines, une nouvelle formule ne remplace jamais totalement d'anciennes et diverses catégories co-existent. On retrouve ainsi la veine de la caricature des journaux satiriques (n° 156, 158, 193, 213). On trouve aussi des caricatures plus inventives (n° 17, 174), un zeste de préciosité qui caractérise l'affiche « Art-Déco » (n° 9) et, enfin, quelques exemples de photographie qui commence à être utilisée (n° 189, 192, 194).
Après la Seconde Guerre mondiale, Savignac (« Petrofigaz » n° 36) et ses « gags visuels » domine l'affiche dessinée. C'est dans sa lignée que nous situons les n° 23, 26, 27, 30, 39, 42, 92, même si certaines affiches sont franchement postérieures. Parallèlement, on rencontre toujours des dessins inspirés des dessins de presse (n° 15, 29, 46, 176, 214), mais surtout la photographie règne maintenant largement dans l'affiche depuis les années 1960 (n° 22, 79, 95, 159, 160, 161, 177, 179, 190, 191, 219 à 229). Les collages ou photomontages permettent en général les plus intéressantes créations (n° 175).
Le catalogue de l'exposition nous offre bien des exemples de rapprochements significatifs du cheminement effectué en un siècle : ainsi, les deux représentations de Bayard (n° 59, 60). L'une, signée par Pal à la fin des années 1890, est encore très picturale, tandis que l'autre signée Ravel dans les années 1950 manifeste dans la sobriété la volonté d'une communication visuelle claire et immédiate, ou encore les deux Robinson (n° 178 et 179) avec une affiche du XIXe siècle « surchargée » de mentions diverses et une affiche des années 1980 au slogan lapidaire et provocateur: « Elysold équipe les jeunes ménages » sur l'image du couple Robinson et Vendredi !
Une stratégie publicitaire particulière
Si, depuis Chéret lui-même, la publicité a largement usé de la femme pour présenter les produits, l'exposition nous prouve que le biais des personnes célèbres a également été une stratégie appréciée des « publicitaires ».
A l'origine, le plus ancien mobile a peut-être été de placer son commerce sous la « protection » d'un grand ou d'un saint. Plus généralement, une telle démarche publicitaire a sans doute pour but principal de faire « opérer un transfert de notoriété » (catalogue p. 13). Dans un marché concurrentiel, le consommateur se tourne toujours vers l'article connu d'une façon ou d'une autre. C'est d'ailleurs pourquoi la publicité est née et s'est développée. Aussi, baptiser un produit d'un nom illustre est-il d'abord un moyen de le rendre attractif et de le faire mémoriser : « Au roy David », « A Sainte Marie », « savon Jeanne d'Arc », « champagne Le Vert-galant », « Cherry Maurice Chevalier », « cognac Esmeralda », « poudre de riz Sarah Bernhardt », etc. Les exemples sont nombreux et variés.
Dans les cas que l'on vient de citer, l'affichiste est le simple « illustrateur » d'une notion pré-existante. Dans les autres cas - c'est-à-dire lorsque le nom même de la marque ne reprend pas un nom connu -, l'affichiste fait preuve d'une plus grande créativité en choisissant de rattacher un produit à une célébrité par un lien qui peut être plus ou moins lâche, plus ou moins évident. Pour le consommateur, un produit présenté par un personnage connu n'est pas un produit « nouveau » de plus. De même qu'on suit les conseils d'un ami ou d'un proche, on adoptera plus volontiers un produit recommandé par un être « familier » (même si, en fait, celui-ci est bien éloigné de notre vie quotidienne). Il est nécessaire bien sûr que le personnage soit très célèbre (en d'autres termes, connu du plus grand nombre) pour que son identification soit aisée et sûre. Ce panorama publicitaire pourrait être un point de départ pour s'amuser à répertorier ce qui, de la culture classique, est passé dans la culture collective (figures allégoriques ou personnages mythologiques) ou encore pour répertorier les personnages historiques conservés par la mémoire collective.
Cependant, la présentation d'un produit par des héros, des divinités, des souverains, des grands hommes du passé et du présent a aussi un caractère particulier: au sentiment du « connu » se superspose la notion de « modèle à suivre ». Le produit devient implicitement le premier, le plus grand, le meilleur parce qu'il est choisi par l'élite. Ce point est, à mon sens, fondamental et il faut, dans cette perspective, distinguer radicalement les images humoristiques des images sérieuses.
La caricature, en effet, introduit une distance qui, sans toujours remettre véritablement en cause l'idée d'exemplarité sous-entendue, la bouscule tout de même quelque peu. Un roi caricaturé n'a plus le prestige d'un souverain représenté avec sérieux (voir par exemple le François 1er réjoui nous tendant sa boisson préférée, n° 62 et 63). Comme l'amusement est toujours un moyen de mémoriser, l'efficacité de l'affiche ne s'en trouve pas annulée, mais la relation du consommateur à la célébrité ne se situe pas dans le domaine de l'admiration. Bien plus : lorsqu'il concerne des personnages du passé, l'humour a une portée moindre, car il s'attaque à une valeur en quelque sorte révolue, alors que, en ' s'attaquant à de grands contemporains, il est par essence plus caustique puisqu'il transgresse un tabou plus fort en touchant à l'ordre des valeurs actuelles.
Regardons à ce sujet la section de l'exposition qui s'intéresse aux images politiques de la troisième République jusqu'à 1914. Les grands hommes peuvent toujours être cités en exemple : « Lhomme chic ne porte que la bretelle Ch. Guyot » clame-t-on au-dessus des portraits des souverains et chefs d'Etat (en l'occurrence : Abdul-Hamid, Léopold II, le président Loubet, François-Joseph 1er, Nicolas II, Guillaume II et Edouard VII) - le même annonceur récidivant d'ailleurs après la Première Guerre mondiale avec son « Les artisans de la victoire portent tous la bretelle Guyot » au-dessus de Clémenceau, Joffre, Pétain, le président Wilson, le roi d'Angleterre, etc. On sourit d'abord du décalage entre l'objet familier et les notions d'élégance et de gloire. Mais on sourit aussi en se moquant finalement des puissants. En termes de relation entre le consommateur et la célébrité, c'est moins le consommateur qui s'élève au rang des grands hommes que les grands hommes qui « s'abaissent » et deviennent des hommes comme les autres. Ceci est particulièrement net dans les portraits du président Fallières par exemple, souvent représenté en chaussons et manches de chemise dans un quotidien bien banal (cirer les chaussures, n° 142, jouer à un jeu d'adresse, n° 126, ou passer l'aspirateur, n° 146), ou encore dans les images de souverains surpris dans leur vie de famille, comme cette affiche représentant le roi d'Italie et le tsar de Russie donnant le biberon à leurs enfants ! De telles images sapent la solennité des puissants qui préféraient sûrement se faire représenter dans de plus nobles circonstances. Et la caricature renforce l'impertinence de la situation. La relation qui s'établit entre le publicitaire et le consommateur est une complicité dans une certaine forme d'irrévérence. D'ailleurs, le consommateur est incité à être actif : à lui de savoir lire, de reconnaître les différents membres d'un groupe de souverains, de saisir les allusions aux événements.
Dans certains cas, on peut se demander si on n'entend pas un discours politique derrière le discours de la réclame. Par exemple, l'antiparlementarisme dans des affiches annonçant une « liquidation » avec les portraits de Louise Michel, Paul de Cassagnac, Alfred Naquet, Jules Grévy, etc., (n° 100), ou clamant que « le meilleur cinéma est celui du Châtelet » sur l'image d'une houleuse séance à la Chambre des députés. De même lorsque l'unanimité qui se fait autour d'un produit, et qui est le signe évident de sa qualité, devient le prétexte à évoquer un consensus social (le petit peuple de Paris se fait servir par des gardiens de la Paix de la... Fraisette, n° 125), et surtout un consensus international («Au Tribunal de la Haye, le péril conjuré avec la Menthe-Pastille », « L'Accord parfait obtenu par l'orangeade Lieutard », etc.). Comme l'analysent A.-C. Lelieur et R. Bachollet, l'aspiration à la paix n'est probablement pas seulement publicitaire : de telles affiches « manifestent sans doute la volonté collective des Français de conjurer les périls à venir » (p. 65). Devant plusieurs de ces affiches, on a l'impression que vendre est moins important que s'exprimer ! Regardons encore, par exemple, l'affiche pour la bi-lessive végétale : elle est l'occasion de passer en revue l'actualité : l'instauration du repos hebdomadaire, la légion d'honneur de Sarah Bernhardt, la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, etc. D'ailleurs, la lessive est un cas remarquable ! Faire la lessive est une allégorie très prisée par la caricature politique. Le vieux Daumier, par exemple, en 1872 a représenté la République en énorme lavandière disant face au tas de « linge sale de l'Empire », « Je ne pourrai jamais laver tout ça ». On voit toute la parenté avec l'affiche pour Saponite, « merveilleux produit pour lessive », qui rassemble Napoléon, Louis-Philippe et Marianne ! ou encore cette « Blanchisserie d'Algésiras » qui « n'emploie que le savon "La Coquille " ». Il est d'ailleurs amusant de constater que, si la lessive, élément du dessin politique, a servi à politiser l'image publicitaire de la lessive, c'est inversement une héroïne publicitaire créée pour une marque de lessive, « La Mère Denis », qui devient l'héroïne d'un album de dessins satiriques politiques dans le « Votez la Mère Denis » de Cabu).
On retrouve au bas des affiches politiques des signatures qui peuvent être celles de collaborateurs à des journaux satiriques du temps. Ainsi Albert Guillaume, Jules Grün, M. Auzolle, Moloch ou Gus Bofa dessinèrent pour Le Rire, Le Courrier Français, ou l'Assiette au beurre. L'immense majorité de ces affiches datant plutôt de la période 1901-1914 que de la dernière décennie du XIXe siècle, on peut se demander si elles ne subissent pas la seule influence de L'Assiette au beurre (qui est créée en 1901 et s'éteint avec la guerre) et ne sont pas finalement une manifestation de l'impact que cette revue a pu avoir. Comme ce type de publicité s'est pratiquement arrêté après la Première Guerre mondiale, on peut penser aussi que l'Union sacrée qui exista jusque dans la caricature politique a donné de nouvelles habitudes aux dessinateurs publicitaires qui, par la suite, n'exercèrent plus leur talent aux dépens des autorités en place.
Les rares exemples publicitaires de « nos » années 1980 comportant des chefs d'Etat actuels (Ronald Reagan, la reine d'Angleterre ou François Mitterrand) sont, dans l'esprit, sûrement assez proches de l'imagerie troisième République que nous venons d'examiner. On y retrouve la même joyeuse irrévérence à l'égard des puissants, le même renversement qu'opère l'attaque de la solennité ou du sérieux. Les deux époques ont-elles la même façon de considérer les hommes politiques ? Est-ce au fond une certaine distance vis-à-vis du discours politique que cette publicité fait apparaître ?
Ces images politiques nous ont donc entraînés bien loin d'une relation d'imitation, d'identification, de séduction qui est au coeur des images utilisant le culte des vedettes. Car, alors, le sérieux est de mise. S'il y a sourire, c'est le plus souvent celui de la séduction. L'exposition montre que Sarah Bernhardt fut la première à se servir de son image (tout autant d'ailleurs qu'à servir son image), en promouvant toutes sortes de produits y compris, bien sûr, des produits de beauté. Dans cette lignée, les vedettes de cinéma ont longtemps présenté du savon ou du lait de toilette. Elles retrouvent alors, manifestement, la même fonction que l'éternelle séductrice anonyme de la publicité en général, l'intermédiaire nécessaire du désir. En se servant du culte des « stars », la publicité se sert d'un comportement qu'on peut considérer comme une aliénation (par laquelle on cesse de s'appartenir pour s'identifier à un autre). Non seulement elle l'exploite à ses fins mais, ce faisant, elle ne peut que l'amplifier en lui permettant de se diffuser davantage.
La visite de l'exposition révèle une publicité variée, inventive. En un siècle, bien d'autres personnages que les célébrités contemporaines ont été utilisées. Et surtout, la relation aux célébrités n'a pas toujours été cette admiration béate et inconditionnelle qui semble dominer le monde d'aujourd'hui.