Bibliothèques, information, économie
Conférence inaugurale prononcée au congrès de l'IFLA en août 1989. Jacques Michel rappelle d'abord la place des bibliothèques dans le secteur de l'information. Il dégage ensuite les principaux paramètres économiques des bibliothèques et les compare dans les principales régions du monde. Puis il analyse l'impact des technologies sur la gestion économique des bibliothèques. Enfin, il propose quelques remarques sur la valeur économique de l'information.
Here is the inaugural speech the author pronounced at the IFLA Conference in August 1989. Jacques Michel recalls first the place of libraries in the field of information. Then he brings out the main economical parameters of libraries and compares them in the main regions of the world. In the third place he analyzes the impact of technologies on the management of libraries. Finally, he proposes some remarks about the economical value of libraries.
C'est un grand honneur pour moi d'avoir été invité à présenter la conférence inaugurale du congrès de l'IFLA, et je voudrais remercier les organisateurs de ce congrès de la confiance qu'ils m'ont faite. A vrai dire, je ne me sens que très partiellement compétent pour m'adresser à un public de si éminents spécialistes, n'ayant jamais eu à exercer des responsabilités directes dans la gestion d'une bibliothèque. J'espère donc que les pistes de réflexion que je pourrais vous soumettre au cours de cet exposé, ne vous paraîtront pas trop déconnectées de la réalité à laquelle vous êtes quotidiennement confrontés ou trop simplificatrices.
Le thème général de votre congrès : bibliothèques, information, économie, est un thème à la fois immense, courageux et vital. Immense tout d'abord parce que, par son aspect horizontal, il touche à tous les aspects de la vie des bibliothèques et notamment la gestion des ressources humaines, la formation, les relations avec les autres acteurs du secteur de l'information tels que les éditeurs et les grandes centrales documentaires, les relations avec les utilisateurs qui peuvent apparaître comme des usagers ou des clients, les effets des progrès technologiques, l'explosion de l'information qui impose souvent des choix difficiles et conduit à une grande rigueur du point de vue économique.
Le thème du congrès est aussi un thème courageux. Il n'est jamais facile, en effet, d'accepter que des objectifs culturels ou l'activité de diffusion des connaissances soient limités par des considérations économiques terre à terre. De plus, poser ce type de questions entraînera certainement de votre part des modifications d'attitude et des révisions dans la gestion.
Le thème de votre congrès est vital car, sans cette prise en compte de la dimension économique, il est clair qu'un nombre croissant de bibliothèques connaîtront une asphyxie progressive, remettant en cause leur utilité et créant une insatisfaction des utilisateurs, voire une grande désaffection.
Les bibliothèques dans le secteur de l'information
Je n'ai ni l'intention ni la prétention de traiter dans cet exposé introductif l'ensemble des aspects du thème de votre congrès. Je souhaite simplement donner quelques coups de projecteur sur des aspects particuliers, susceptibles de nourrir la réflexion générale. Ainsi je parlerai d'abord de la place des bibliothèques dans le secteur de l'information. J'essaierai ensuite de mettre en évidence les principaux paramètres économiques des bibliothèques et de les comparer dans les principales régions du monde. Je m'efforcerai alors de dégager l'impact des technologies sur la gestion économique des bibliothèques. Je ferai enfin quelques remarques sur la valeur de l'information et je tenterai de livrer quelques conclusions pour le futur.
Les bibliothèques ne sont pas des acteurs isolés en matière d'information. En effet, on parle souvent de la chaîne de production ou de diffusion des informations ou aussi de réseaux d'information pour montrer les liens existants en ce domaine. Il est indispensable, me semble-t-il, d'en prendre pleinement conscience et de bien comprendre les interactions entre tous ces secteurs.
Essayons tout d'abord avec quelques chiffres de donner un aperçu de la situation. Même si ces chiffres sont empreints d'une certaine imprécision, les ordres de grandeur sont respectés. Ces chiffres sont tirés des rapports de Information market observatory de la Commission des communautés européennes DG XIII, de US industrial outlook et d'une étude sur l'économie des bibliothèques dans la Communauté économique européenne 1 (CEE).
Le chiffre d'affaires des éditeurs est estimé à 60 milliards de dollars aux Etats-Unis (35 milliards pour les journaux, 15 milliards pour les périodiques, 10 milliards pour les livres) ; 30 milliards de dollars en Europe ; 10 milliards de dollars au Japon. Dans ce chiffre d'affaires entrent les activités liées à la presse grand public, journaux quotidiens et magazines ainsi que les recettes de publicité de ces journaux.
On peut estimer que les bibliothèques du secteur public ou semi-public contribuent à travers le monde pour un montant de 4 à 5 milliards de dollars au chiffre d'affaires des éditeurs ci-dessus, et que le secteur de l'édition spécialisée doit représenter environ 15 milliards de dollars. Rappelons qu'il existe environ 100 000 titres de journaux spécialisés et qu'il se publie 1 million d'articles par an.
Par comparaison, les éditeurs secondaires, c'est-à-dire les centres de documentation ou les producteurs de bases de données dans les secteurs scientifiques, techniques, médicaux et juridiques dépensent annuellement environ 1 milliard de dollars avec un revenu on line de l'ordre de 0,5 milliard de dollars. Il convient de noter que le nombre de bases de données bibliographiques et de catalogues ou directories s'élève à un peu plus d'un millier et qu'ils se répartissent pour l'essentiel équitablement entre les Etats-Unis et l'Europe. Il existe par ailleurs 3 000 journaux secondaires.
Les services en ligne représentent une part croissante de l'industrie de l'information. Les bibliothèques en sont bien conscientes, étant confrontées au problème de savoir comment mettre ces services à disposition de leurs usagers et à quel prix les offrir (prix coûtant hors coût de personnel, prix subventionné ou prix commercial). Le marché de l'information en ligne est difficile à cerner. Les évaluations qui en sont faites donnent selon les cas une variation du simple au double. Là encore, on peut néanmoins avoir une idée assez précise de la situation. Le nombre de bases de données offertes est de l'ordre de 3 000.
Le chiffre d'affaires des services en ligne est de 4 à 7 milliards de dollars (71 %) aux Etats-Unis ; 1 à 1,5 milliards de dollars ( 18 %) en Europe ; 0,5 milliard de dollars ( 10 %) au Japon ; moins de 0,05 milliard de dollars ( 1 %) dans le reste du monde. En matière d'offre de bases de données, la répartition entre les différentes régions du monde est la suivante: Etats-Unis 56 % ; Europe 27 % ; Japon 15,6 % ; autres 1,4 %.
Il convient de noter que la majeure partie du chiffre d'affaires et de l'offre porte sur des données financières ou économiques, du type cours de la Bourse, données sur les entreprises, renseignement en matière de crédit, etc. Il s'agit donc d'un type d'information qui est, au moins pour l'instant, hors du champ d'action normal des bibliothèques. L'activité on line qui porte sur les domaines de connaissance intéressant les utilisateurs des bibliothèques, représente 0,5 milliard de dollars. La croissance annuelle de l'activité on line est de l'ordre de 25 %. Le nombre de personnes impliquées dans cette activité doit être de l'ordre de 50 000.
Les bibliothèques de statut public ou semi-public représentent, après les éditeurs, le secteur le plus important des activités d'information. On estime le poids économique de ces bibliothèques à travers le monde à 15 ou 20 milliards de dollars dont environ 5 milliards en Europe et 5 milliards aux Etats-Unis. Les dépenses d'acquisitions représentent, en moyenne, 20 % des dépenses totales. Il apparaît que ces bibliothèques contribuent pour 4 à 5 milliards de dollars au chiffre d'affaires des éditeurs à travers le monde. Si l'on tient compte des bibliothèques privées, ce chiffre peut être doublé. Le nombre de personnes travaillant dans les bibliothèques à travers le monde est certainement de l'ordre du million, dont 250 000 environ en Europe.
De ces chiffres, il apparaît que les interactions entre les différents acteurs du secteur de l'information sont extrêmement fortes et que les bibliothèques représentent le marché le plus important à l'exception des services en ligne dans le secteur boursier, financier, économique. Les grands services secondaires ne vivent que par les bibliothèques. Il en est de même des éditeurs de périodiques scientifiques ou spécialisés. A l'inverse, si les prix de ces produits ou de ces services deviennent trop élevés, un bon nombre de bibliothèques ne sont plus en mesure de conserver leur abonnement et ont, de ce fait, le sentiment de s'appauvrir et de perdre un peu de leur raison d'être.
Il s'est créé peu à peu entre éditeurs et bibliothèques une situation de tension ou, pour le moins, une situation de non-dialogue, qui, du fait de la grande dispersion géographique et numéraire des bibliothèques en comparaison de la relative concentration des éditeurs, crée chez les premières un sentiment de faiblesse, de peur et de dépendance. Le problème du copyright en témoigne. Plus que jamais le dialogue entre les partenaires de la chaîne de l'information est nécessaire. Il devra néanmoins prendre place au niveau international pour arriver à une certaine efficacité. La première étape suppose un certain consensus entre les bibliothèques des différentes régions du monde. La tâche est ardue comme en témoigne l'exemple des pays de la Communauté européenne. Mais ce dialogue me paraît nécessaire pour progresser dans les problèmes économiques que tous rencontrent. Peut-être ce congrès de l'IFLA pourrait-il déboucher sur des recommandations concrètes à cet égard.
Les paramètres économiques des bibliothèques
Il est courant d'entendre les bibliothèques évoquer leur mauvaise situation financière ou budgétaire, le manque de soutien financier des pouvoirs publics et leur perte progressive de pouvoir d'achat. Un peu partout dans le monde, des commissions ont été chargées d'étudier ce problème et des cris d'alarme se sont élevés. Ainsi, aux Etats-Unis, la Commission « Graduate education. Signs of trouble and erosion » insiste, en 1984, sur la nécessité de renforcer le soutien aux bibliothèques académiques, afin de maintenir le niveau des acquisitions. En France, la Commission Miquel attire très vigoureusement l'attention des pouvoirs publics sur la situation peu reluisante des bibliothèques universitaires françaises.
La situation globale est-elle si préoccupante ? Et si oui, pourquoi ? Le tableau suivant donne, pour un certain nombre de pays, une photographie de la situation pour la période 1981-1985.
A l'évidence, il existe des disparités très sensibles entre les différents pays et même notamment au sein des pays de la Communauté européenne. Le rapport mentionné précédemment 2, préparé par Ph. Ramsdale (The Institude of public finance Ltd), sur l'économie des bibliothèques dans la CEE, donne de très nombreuses données complémentaires telles que les dépenses par habitant et la ventilation de ces dépenses par nature, et par type de bibliothèques. Si l'on considère l'évolution dans le temps entre 1981 et 1985 du pourcentage des dépenses des bibliothèques par rapport aux dépenses de l'Etat, hors défense, on constate pour la CEE une grande stabilité. D'où vient alors le sentiment de malaise ?
En fait, la pression économique sur les bibliothèques s'exerce pour trois raisons principales :
- de toute évidence, la croissance du personnel dans les bibliothèques comme dans toute la fonction publique subit partout un ralentissement certain dû au fait que la création de tout nouveau poste génère des dépenses récurrentes ou permanentes. Cette politique de rigueur est appliquée presque partout, de la même façon. Mais, du fait de la grande disparité qui existe entre les pays, l'impact de cette politique est plus rude pour les pays où le niveau est le plus bas ;
- une deuxième raison vient de ce que le prix des livres, des périodiques, et des autres matériels augmente plus vite que le coût de la vie. Le système éditeurs-bibliothèques n'est pas aujourd'hui stabilisé. Il laisse la porte ouverte à une spirale inflationniste pouvant conduire à des désabonnements massifs et à des arrêts de périodiques. L'aspect inflationniste peut être aussi renforcé par des variations importantes entre les monnaies qui créent des dépenses artificielles au niveau des acquisitions.
De son côté, l'instabilité est renforcée par le fait que le tirage des ouvrages spécialisés ou celui des journaux scientifiques est limité et que de faibles fluctuations dans le nombre d'acheteurs peuvent générer des pertes et donc ultérieurement des augmentations de prix induisant à leur tour des désabonnements. La spirale est alors prête à fonctionner. La diminution de cette instabilité passe, sans aucun doute, du côté des éditeurs par une diminution des coûts de production, fondée en partie sur l'utilisation de nouvelles technologies ou de nouveaux médias. Je reviendrai plus tard sur ce point, mais là encore cela nécessite un dialogue entre bibliothèques et éditeurs ; - la troisième raison tient au fait qu'apparaissent sur le marché de nouveaux produits ou services dont les bibliothèques ne peuvent se désintéresser, qui sont, dans un premier temps, des compléments aux services existants, et qui pourront peut-être à terme les remplacer en partie. Présentement, ces services sont sources de dépenses supplémentaires pour les bibliothèques, qui, avec leurs budgets étroits, sont pris dans le dilemme soit de réduire leurs acquisitions traditionnelles, c'est-à-dire de diminuer la valeur de leur patrimoine pour acquérir de nouveaux produits et les équipements nécessaires, soit de s'en tenir à une activité traditionnelle et ne pas faire bénéficier leurs usagers de l'évolution des techniques de diffusion de l'information.
Il s'ensuit un malaise certain qui ne sera surmonté que par une rationalisation des opérations, une rigueur plus grande dans la gestion, une meilleure connaissance des besoins des utilisateurs, et une offre plus étroitement adaptée à la demande. Comme plus de 80 % des dépenses des bibliothèques sont ventilées sur trois postes - personnel 50 à 65 %, acquisitions 15 à 30 %, locaux 10 % -, on voit bien où doit porter l'effort et la rationalisation.
L'impact des technologies
Depuis 20 ans, l'automatisation se répand peu à peu dans les bibliothèques. Il est cependant remarquable de constater que des disparités très importantes existent en ce domaine entre les différentes régions du monde. Ainsi, si les Etats-Unis et le Japon connaissent une informatisation avancée, l'Europe présente à l'évidence un certain retard.
L'effort d'automatisation a porté tout d'abord sur le catalogage, d'une part pour disposer de systèmes autonomes informatisés, d'autre part pour procéder à des opérations de catalogage partagé. L'exemple le plus représentatif en ce domaine est donné par Online computer library center (OCLC), qui réalise un chiffre d'affaires de 50 millions de dollars. Les Etats-Unis envisagent la constitution d'un réseau intégré de catalogage regroupant les trois principaux opérateurs dont OCLC et la Library of congress (Linked system project).
De tels systèmes doivent conduire à des économies substantielles de catalogage, donc à des économies de personnel. Bien souvent, de nombreuses bibliothèques restent persuadées qu'utiliser un catalogage extérieur n'est pas entièrement satisfaisant pour les utilisateurs et préfèrent donc refaire le travail elles-mêmes. Une réflexion approfondie s'impose à cet égard et une véritable analyse coût-bénéfice devrait être faite par chaque bibliothèque. Il y a là, me semble-t-il, une importante réserve de productivité. Il importe, à l'évidence, qu'en matière de catalogage partagé, un certain équilibre s'établisse entre les diverses régions du monde, de façon à créer l'interdépendance indispensable à l'évolution harmonieuse des systèmes. L'Europe a en ce domaine un effort non négligeable à réaliser.
Le développement des services en ligne et de la télématique a conduit les bibliothèques à mettre ces services à la disposition de leurs usagers. Ceci correspondait manifestement à une attente de ces derniers, qui y font appel de façon croissante. Les coûts engendrés ne sont pas négligeables pour les bibliothèques. L'exemple type de ce service en ligne est la création et la consultation en local du catalogue d'une bibliothèque déterminée. Il s'agit aujourd'hui d'une opération banalisée tant du point de vue économique que technique, car il existe de nombreux logiciels sur le marché à des prix raisonnables permettant de réaliser ces opérations sans difficultés majeures.
Plus ambitieux sont les services en ligne offerts par de grandes bibliothèques qui jouent le rôle de grands centres serveurs. La National library of medicine aux Etats-Unis (NLM) en est l'exemple type. On peut citer aussi le cas de la British library avec Blaise et celui de la Bibliothèque nationale du Canada. A l'évidence, ces services sont des cas isolés valables pour les très grandes bibliothèques, qui ont reçu une mission spécifique en ce domaine. Il est bien clair que l'objectif premier de ces opérations n'est pas la rentabilité économique, mais le désir de servir une communauté d'utilisateurs aussi large que possible à un prix acceptable par tous.
Tout naturellement se pose alors la question : faut-il faire payer ce genre de services ? Est-ce comptabible avec la déontologie des bibliothèques, et la notion de service public ? Que peuvent accepter les utilisateurs ? Le fait de facturer un tel service ne va-t-il pas se traduire par une non-utilisation ? Etc. Vous aurez à débattre longuement de ce type de questions au cours de votre congrès. La valeur que l'on donne à l'information est sous-jacente à tout cela. Il s'agit d'un problème difficile et qui ne connaît pas, me semble-t-il, de solution unique.
C'est pourquoi il convient de se garder de toute approche dogmatique dans un sens ou dans un autre ; il convient d'éviter des solutions extrêmes, où tout serait gratuit ou bien où tout serait payant en vue d'un autofinancement. Il faut, en revanche, prendre en compte le maximum de paramètres tels que la nature des services, le type d'utilisateur, l'usage fait de l'information obtenue, la fréquence de consultation, la zone géographique, le type de financement de la bibliothèque. Ce dont il faut bien prendre conscience, c'est que la solution de ces problèmes exige : une beaucoup plus grande écoute des utilisateurs, une analyse beaucoup plus fine de leurs besoins et une capacité d'adaptation beaucoup plus développée.
Dès lors que les bibliothèques sortent du rôle de réservoir de savoir où chacun vient puiser pour tenter de trouver l'information qui l'intéresse, pour se mettre davantage à la disposition de besoins personnalisés, cette approche marketing s'impose.
Un média privilégié
Les progrès dans les moyens de stockage électronique ou optique de l'information ont déjà et vont avoir encore plus dans le futur un impact sur les activités et l'économie des bibliothèques. Le CD-ROM représente, à cet égard, un média privilégié. Certains pourront prétendre qu'il s'agit d'un média fantôme dont on parle depuis longtemps, mais qui ne voit jamais le jour. Il est vrai que le décollage tant annoncé et tant attendu depuis cinq ou six ans tarde un peu à venir. Les dernières informations disponibles semblent cependant indiquer que la diffusion de l'information sur CD-ROM devient réalité.
Il y aurait aujourd'hui plus de 200 000 lecteurs de CD-ROM installés dans le monde. 580 titres étaient publiés en 1988, dont 289 pour diffusion publique. Les plus gros producteurs se trouvent aux Etats-Unis avec 78 % des titres, puis dans la CEE avec 14 % des titres. Parmi ces titres, la part la plus significative revient aux données bibliographiques et aux annuaires (50 %), suivis par des données full text (20 %). Le secteur privé joue un rôle prépondérant dans la production de ces disques, puisqu'il représente, aux Etats-Unis comme en Europe, 75 % des producteurs.
Le marché des produits CD-ROM est évalué à 80 millions de dollars en 1989 et à 200 millions en 1990. Philips anticipe un marché de 1,3 milliard de dollars pour l'équipement CD-ROM en 1990 dont 30 % en lecteurs et 70 % en disques. En 1992, IDC prévoit que le marché des CD-ROM sera le cinquième du marché des services en ligne, soit 2 milliards de dollars environ.
Tous ces chiffres confirment bien la tendance indiquée plus haut.
Pour les bibliothèques, ceci peut avoir un impact considérable dans la nature des services à offrir, et dans l'évolution des postes de dépense, notamment au niveau des acquisitions et des coûts de stockage. Au niveau des services à offrir, les CD-ROM contenant des bases de données bibliographiques pourront, dans un grand nombre de cas, remplacer dans les bibliothèques l'accès aux services en ligne, réduisant considérablement le coût horaire et permettant à tout utilisateur de consulter ces services. Ceci est valable quels que soient la région du globe et le niveau de développement.
Un nombre croissant de CD-ROM offriront des textes intégraux de documents de toute nature, en forme de fac-similé ou en mode mixte. Les projets pilotes du type ADONIS 3 ou celui réalisé par IEEE, IEE, INSPEC et University microfilm 4 sont particulièrement intéressants à suivre.
A l'Office européen des brevets, nous commençons à titre d'essai la publication CD-ROM de l'ensemble des demandes de brevets déposés en Europe et des brevets délivrés. Ceci représente environ 100 000 documents par an, de 20 pages en moyenne. Nous dépensons par an 25 millions de dollars pour les publications traditionnelles sous forme papier. Le seul passage du papier au CD-ROM représenterait pour l'Office européen des brevets une économie annuelle de près de 6 millions de dollars. Sans doute les utilisateurs ne pourraient utiliser ces nouvelles publications qu'avec un équipement approprié. Celui-ci coûtant en moyenne 600 dollars, si l'on compte 200 installations correspondant aux abonnés à ces collections, cela représente un coût total de 1,2 millions de dollars. Même si ce coût d'équipement était pris en charge par l'office, dès la première année nous réaliserions près de 5 millions de dollars d'économie et certainement 6 millions les années suivantes. C'est pourquoi nous envisageons sérieusement en 1991 de donner l'équipement CD-ROM avec l'abonnement aux disques.
Bien évidemment, les abonnés seront libres de faire toutes les copies qu'ils souhaitent sans avoir à payer de redevances, car il n'existe pas de copyright sur les brevets. Les premiers contacts pris avec les bibliothèques concernées sont largement positifs et toutes soulignent l'intérêt qu'un tel projet présente en matière de coût et de stockage.
Je donne cet exemple pour illustrer le fait que les CD-ROM peuvent avoir un impact certain sur les coûts de production de certains produits et donc sur les prix de vente. Il y a là un espoir de voir la tendance inflationniste des coûts d'édition s'infléchir. Les mêmes CD-ROM peuvent conduire progressivement à une réduction des dépenses de stockage et donc d'investissement qui représentent près de 10 % des dépenses des bibliothèques. Dans ce projet CD-ROM de l'Office européen des brevets, c'est le premier avantage que voient les responsables des bibliothèques avec qui nous traitons.
Un dernier domaine où la technologie risque d'avoir un impact sensible sur les bibliothèques est celui des réseaux de transmission à haut débit. Si ceux-ci connaissent un succès équivalent aux réseaux de transmission actuels, nul doute que la fourniture de documents, le prêt interbibliothèque, va connaître un développement considérable, s'accompagnant de restructurations profondes. Les aspects économiques joueront un rôle majeur et le problème des royalties aux éditeurs ne pourra plus être ignoré ; là encore, une nouvelle opportunité se présente pour renforcer le dialogue éditeurs-bibliothèques et permettre une nouvelle donne en matière de prix de publications.
La valeur de l'information
Une réflexion sur l'économie des bibliothèques passe nécessairement par la prise en compte de la valeur de l'information. Rien n'est plus évident et rien n'est plus subjectif.
Rien n'est plus évident. En effet, comment justifier l'effort de recherche mondial que l'on peut estimer à 2 % environ de l'ensemble des produits intérieurs bruts (PIB), si les résultats des recherches n'étaient pas publiés et si cette information n'était pas largement diffusée et rendue accessible au plus grand nombre. Comment peut-on justifier qu'un pays de taille moyenne comme la France par exemple, dont les dépenses de recherche et développement représentent 6 % des dépenses mondiales de recherche et développement continue son effort de recherche, sinon parce que c'est la seule façon de disposer de personnes capables de comprendre ce qui se fait ailleurs et de bénéficier ainsi du savoir généré par d'autres et communiqué à travers tous les types de circuits. Il n'est pas exagéré de dire que, sans information, la recherche serait vaine et le savoir ne serait plus. On comprend mieux alors l'importance des bibliothèques dépositaires de ce savoir.
Un autre exemple de la valeur de l'information est la législation mondiale en matière de brevets. Un brevet en effet n'est rien d'autre qu'un monopole d'exploitation accordé pour 20 ans à un individu, personne morale ou physique, auteur d'une invention, en contrepartie de la divulgation de son invention à la collectivité. C'est la raison pour laquelle toute législation en matière de propriété industrielle impose au déposant d'une demande de brevet de publier sa demande au bout d'un temps déterminé. Ceci explique aussi pourquoi l'Office européen des brevets doit faire face à des dépenses si élevées en matière de publications.
Et pourtant rien n'est plus subjectif que la valeur de l'information. Rappelons-nous tout d'abord la loi de Bradford, selon laquelle 80 % des publications restent pratiquement ignorées de tous. Cette loi s'applique d'ailleurs aux brevets d'invention. Il est vrai aussi que la valeur de l'information varie pour chaque personne en fonction des circonstances. Il convient néanmoins de s'efforcer de définir des paramètres permettant de déterminer et de mesurer le plus objectivement possible la valeur de l'information. De nombreuses études ont été faites sur ce sujet qui apportent des éclairages divers. Je voudrais citer l'excellente synthèse faite par Aattoo J. Repo du Technical research centre of Finland, intitulée « Economics of information » 5. Par ailleurs, la série de travaux de King research Inc., réalisés pour le compte de grandes agences fédérales américaines, mérite une attention particulière en ce domaine à cause de la méthodologie utilisée. Bien que la méthode ait quelques faiblesses, elle met cependant en œuvre des données qui peuvent être utilisées pour convaincre les utilisateurs et les financiers des bénéfices apportés par les services d'information, et ce de façon objective.
King lui-même reconnaît qu'il est nécessaire encore d'approfondir la réflexion et d'améliorer les méthodes. Globalement, il faut intensifier l'effort de recherche en ce domaine, car l'explosion de l'information va irrémédiablement renforcer la controverse sur la valeur de l'information. On touche là au coeur du problème.
En conclusion, les bibliothèques prennent et doivent prendre davantage conscience de leur rôle de partenaires majeurs en matière d'information. Le dialogue avec les éditeurs et les autres partenaires est plus que jamais nécessaire. L'explosion de l'information impose une meilleure prise en compte des aspects économiques dans la vie des bibliothèques. Une rigueur plus grande s'impose en termes de fixation de priorités, en termes de gestion économique de tous les postes de dépenses, y compris le personnel. La coopération entre bibliothèques au niveau national et international fait partie intégrante de la prise en compte des aspects économiques. Les nouvelles technologies apportent l'espoir de voir diminuer certains rôles de personnel, les coûts de production des publications, les coûts de stockage. Elles poussent à des services plus personnalisés. Elles conduisent à renforcer l'écoute des utilisateurs, qui toujours davantage doivent être l'objet de préoccupation majeure des professionnels de l'information. Les contraintes économiques existent. Les refuser conduit à une impasse, les maîtriser par une meilleure compétence des faits économiques est source de grande satisfaction professionnelle. Puisse ce congrès de l'IFLA contribuer à ce que chaque participant progresse dans cette maîtrise.