Liberté surveillée

La circulation de l'imprimé à Paris, 1789-1794

Lise Andries

La liberté d'impression et de diffusion des imprimés n'a pas été totale pendant la Révolution. S'appuyant sur l'étude des textes, l'auteur montre que dès juillet 1789 et bien avant la Terreur, un système est mis en place, visant à limiter le commerce et l'impression des écrits jugés scandaleux ou subversifs. La levée effective de la censure en juillet 1789 provoque une véritable explosion de la presse, entraînant notamment la prolifération des écrits s'élevant contre la morale ou contre le régime. L'Assemblée se refusant à légiférer à ce sujet, une réglementation très stricte est mise en place par la Commune de Paris. De juillet à décembre 1789, un certain nombre de mesures sont prises, appliquées avec plus ou moins de rigueur selon le contexte politique. Après les colporteurs, ce sont les responsables eux-mêmes (libraires, imprimeurs, auteurs) qui sont appréhendés et condamnés, pour un motif qui ne se s'avoue jamais politique. Ce contrôle étroit, qui soulève l'indignation des patriotes, n'empêche pas la presse de constituer dès 1789 un véritable pouvoir politique.

Printing and circulation of printed matters were not totally free during the Revolution. Through a study of the texts, the author proves the institution of a system right from July 1789, and long before the Terreur, in order to restrain the printing and trade of writings that were considered outrageous and subversive. The effective lifting of the censorship in July 1789 induces a real explosion of the press, especially of the writings rising up against the moral or the regime. Since the Assembly refuses to legislate on that matter, the Commune of Paris institutes a very strict control. Between July and December 1789 several measures are taken, which are implemented more or less rigorously according to the political environment. Hawkers first, then the representatives themselves (booksellers, printers, authors) are apprehended and sentenced, but never on a political purpose. However, that close control, although arousing the patriots' anger, does not prevent the press from forming a real political power.

Une hypothèse très répandue veut que le pays ait bénéficié d'une totale liberté d'impression de 1789 à 1793 et jusqu'aux premières mesures instaurant la Terreur. L'examen des textes et des conditions de leur diffusion, ainsi que l'étude du système mis en place dès 1789 pour limiter la liberté de diffusion, conduisent en fait à reconsidérer entièrement cette hypothèse.

Durcissement du ton

En juillet 1789, la censure est officiellement supprimée. Mais l'on sait que dans la dernière décennie de l'Ancien Régime, la police de la Librairie était relativement inopérante. Les officiers de la Chambre syndicale allaient jusqu'à prévenir les libraires et les imprimeurs de leur visite, pour qu'ils puissent camoufler les livres prohibés 1. Est-ce à cause du relâchement d'un régime déjà affaibli ? Est-ce parce qu'à cette époque, la masse des écrits interdits rendait presque impossible d'en interdire la diffusion ? De 1786 à 1789, le chiffre des libelles contre le régime se multiplie par dix, passant de 312 libelles nouveaux publiés dans l'année à 3 305 pour la seule année 1789 2.

Ces écrits, imprimés discrètement dans des officines de Paris et de la proche banlieue, s'ajoutent à la foule des gazettes et des « livres philosophiques » introduits clandestinement en France depuis les presses de Liège, Neuchâtel, Amsterdam et Londres. Ces derniers étaient principalement constitués d'ouvrages pornographiques, de pamphlets politiques et de textes écrits par des vulgarisateurs des Lumières comme Linguet, Mercier et Raynal. Pour cette littérature vendue sous le manteau, il existait, comme le montrent les travaux de Robert Darnton, des entrepôts situés aux portes de Paris, notamment à Versailles et Issy-les-Moulineaux 3. Les livres étaient ensuite introduits dans Paris, notamment dans les voitures des grands seigneurs, rarement contrôlées par police.

L'aristocratie a d'ailleurs contribué elle-même à saper les fondements de son pouvoir: une bonne part des libelles pornographiques attaquant le roi et la reine dans leur vie privée et publique reproduisent les médisances de la Cour et ont été probablement écrits par des proches de la famille royale. Par ailleurs, la clientèle attitrée des « livres philosophiques » se recrute dans les grandes maisons de la noblesse parisienne et dans l'intelligentsia. Voltaire parle de « son » colporteur, qu'il attend chaque jour et qui lui apporte les dernières nouvelles, manuscrites ou imprimées, du moment. Les colporteurs de cette littérature clandestine ont été suffisamment bien étudiés en ce qui concerne la fin de l'Ancien Régime, pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'attarder davantage.

Il est intéressant de constater que, pendant les premières années de la Révolution, ce type de production, déjà abondant, augmente brutalement, tandis que se multiplient dans les rues de Paris les colporteurs d'écrits en tout genre. D'autre part, les libelles durcissent le ton : les textes pornographiques par exemple deviennent plus violemment satiriques et plus orduriers qu'auparavant. Marie-Antoinette est leur principale victime, mais ils s'attaquent aussi à Louis XVI, Mirabeau, La Fayette, Necker et même aux vainqueurs de la Bastille, dans des ouvrages souvent intitulés Vie privée de..., qui mêlent aux calomnies d'ordre intime des discours politiques assez plats et répétitifs.

L'analyse de ces ouvrages est complexe et l'on peut s'interroger sur les modalités de leur réception. Ce sont des textes ambigus, qui invoquent de façon insistante les raisons morales de leur publication - il s'agit d'assainir une classe politique corrompue - et qui flattent en même temps le voyeurisme du lecteur par des gravures franchement obscènes et des descriptions tout aussi suggestives de scènes sexuelles. Cette technique de dévoilement de l'intime, cette manière assez théâtrale d'exhiber les corps s'inscrit parfaitement dans la tradition de la littérature érotique du XVIIIe siècle et de ses grands classiques, tels le Le Portier des Chartreux et Thérèse philosophe. Il s'agit cependant ici de mettre également à nu le corps politique.

Une fermentation dangereuse

Or, ces brochures ne bénéficièrent pas plus de l'impunité pendant la Révolution que sous l'Ancien Régime. Elles furent activement poursuivies, les coloporteurs emprisonnés et les ouvrages saisis. Les archives de police des sections parisiennes 4 témoignent de plusieurs centaines de saisies entre 1789 et 1791, effectuées soit à la suite de dénonciations, soit lors de rondes dans les quartiers chauds de la capitale (Jardins des Tuileries et du Palais-Royal, Quai du Louvre et Pont-Neuf). Le motif principalement évoqué est l'atteinte aux bonnes moeurs et le fait qu'il faut protéger la jeunesse, ne pas l'exposer à lire ou à voir des ouvrages « qui compromettent l'honneur et le repos de plusieurs familles 5 » et qui sont « remplis d'horreurs ». Plus scandaleux encore, les colporteurs de ces « écrits infâmes » sont souvent des jeunes filles ou des enfants, comme cette « petite fille d'une douzaine d'années qui lit ces livres et qui m'en a même offert », déclare, dans une lettre de protestation, un citoyen de la section de la Butte des Moulins 6.

Si le désir de protéger les moeurs est bien présent, ce n'est pourtant pas celui qui figure dans le procès-verbal d'arrestation. En l'absence de toute censure officielle, les commissaires de police sont obligés de recourir à d'autres motifs de condamnation tout à fait significatifs de l'hypocrisie du système qui se met en place à partir de juillet 1789. On arrête les colporteurs principalement pour deux raisons : ils vendent des écrits anonymes, ne portant ni nom d'auteur, ni nom d'imprimeur. Or, selon un arrêté de la Commune de Paris daté du 24 juillet 1789, de tels écrits sont prohibés « sur la représentation [...] qu'il se vendait publiquement par les colporteurs et autres, des imprimés calomnieux, propres à produire une fermentation dangereuse, sans aucun nom d'auteur ou d'imprimeur ». Autre motif d'inculpation, le fait que le colporteur ne possède ni médaille ni permission de colporter délivrée par le district.

La levée de la censure, effective depuis le mois de juin 1789, a presqu'immédiatement entraîné une explosion de la presse, qui est l'élément le plus marquant de cette véritable Révolution culturelle. Mais ce gonflement de la production imprimée ne concerne évidemment pas seulement les journaux et les libelles. Tout à coup apparaissent sur le marché, dans une joyeuse anarchie, toutes sortes de mémoires, pétitions et autres brochures, dont aucune loi ne vient réglementer la production. Et il est vrai que pas une assemblée révolutionnaire n'osa promulguer la loi portant atteinte à ce qui semblait un des grands acquis de 89, la liberté de la presse. Il y eut bien la loi Thouret, votée en août 91 par la Constituante juste avant qu'elle ne se sépare, mais elle ne fut jamais appliquée. Or très vite, les révolutionnaires sentirent la nécessité d'imposer des limites à cette profusion d'écrits, dont certains semblaient assez subversifs pour provoquer des troubles et d'autres assez scandaleux pour porter atteinte aux bonnes moeurs.

Le règne de l'arbitraire

Comme la Constituante ne voulait pas remettre en cause la liberté de l'écrit, on eut recours à des moyens de contrôle ou de répression plus biaisés et surtout plus discrets : la Commune de Paris, dirigée jusqu'en 1791 par Bailly et par La Fayette, bons représentants de la « Révolution bourgeoise », promulgua de juillet à décembre 1789 toute une série de mesures visant à surveiller le commerce et l'impression du livre, et tout particulièrement la vente à la criée et par colportage. Le Moniteur universel du 1er décembre 1789 annonce par exemple que « Le Département de police va porter le nombre des colporteurs de 120 à 300 [... ]. En même temps il est prescrit que chaque colporteur portera une médaille de cuivre à la boutonnière. Tous ceux qui seront trouvés à crier dans les rues des imprimés et qui ne seront point porteurs d'une semblable médaille, pourront être arrêtés et leurs papiers saisis » 7.

N'osant recourir aux voies légales de contrôle qui rappelaient trop l'Ancien Régime et le système honni de la censure, les révolutionnaires préférèrent confier à la police et au pouvoir judiciaire la responsabilité de la réglementation de la presse. Il en résulta, du moins jusqu'à la fin de 1791, une situation confuse dominée par l'arbitraire, c'est-à-dire le zèle plus ou moins grand des commissaires de police de district à faire appliquer les arrêtés municipaux, et le fait que les principales victimes étaient, non pas les libraires et les imprimeurs, mais les petits vendeurs à la sauvette et les colporteurs. Certes, on trouve des exemples de saisies de livres et de journaux chez des libraires, principalement dans les boutiques du Palais-Royal. De même, des feuilles anonymes sont saisies chez tel imprimeur, notamment chez Vézard et Lenormand, imprimeurs du libraire royaliste Gattey. La police exige que les typographes replacent les caractères de la forme dans les casses en sa présence. Mais la sanction s'arrête là. Quelques commissaires de police vont jusqu'à taxer le libraire ou l'imprimeur d'une amende de 25 livres, mais le cas est rare et entraîne immanquablement la fureur des intéressés. L'un d'entre eux fait appel auprès du tribunal de police et gagne son procès ! Tout autre est le sort qui attend les colporteurs. Si l'on saisit sur eux des libelles pornographiques, ils sont en général envoyés pour plusieurs mois à la prison de la Force.

Les textes qui donnent lieu à une saisie sont soit des libelles pornographiques, soit des journaux qui représentent les courants politiques les plus extrêmes : L'Ami du peuple et Le Père Duchesne d'un côté, le Jean Bart et le Domine salvum fac regem de Peltier de l'autre. Or, ces journaux extrémistes étaient vendus surtout par colportage (Marat avait par exemple une véritable armée de colporteurs à son service), alors que la presse modérée était exposée tout aussi bien chez les libraires. Le problème est que certains des journaux, L'Ami du peuple par exemple, étaient publiés avec nom d'auteur et d'imprimeur et ne contrevenaient donc pas à la réglementation. La police outrepassait son pouvoir en les saisissant. C'est d'ailleurs ce que dit une femme aux gardes nationaux venus arrêter en août 90 des enfants qui colportaient le journal de Marat dans les jardins du Palais Royal : « La mère de l'enfant est intervenue, qui nous a observé que les Papiers dont son enfant étoit porteur n'étoient pas saisissables, attendu qu'ils portoient le nom de l'auteur » 8. Les colporteurs seront d'ailleurs immédiatement relâchés.

Il faut donc mettre en place une procédure plus compliquée pour saisir la presse politique. Celle-ci tombe sous le coup de la réglementation lorsqu'elle met en cause nominalement un individu et qu'il porte plainte auprès du département de police ou auprès du commissariat de district. Ecrit calomnieux, il relève alors de sanctions judiciaires. L'Ami du peuple, mais également d'autres journaux et des libelles diffamatoires, comme une Liste des citoyens qui se sont faits connaître en bien ou en mal depuis le commencement de la Révolution, furent ainsi poursuivis après dépôt d'une plainte par des personnes directement mises en cause dans ces feuilles. Il faut reconnaître que toute cette presse est d'une extraordinaire violence. Quand on la lit aujourd'hui, on pense à la triste époque de la presse de la collaboration, des appels au meurtre et des listes noires. Cela est vrai, pendant la Révolution, de la presse extrémiste patriote comme de la presse ultraroyaliste. On lit ainsi dans un libelle vendu au Palais-Royal en juillet 1791 et intitulé Le triomphe de Monsieur le Duc d'Orléans : « Peut-être ne laissera-t-on pas à la loi le temps de punir le coupable [le duc d'Orléans]. La justice seule doit frapper. Tes jours sont menacés à chaque pas ».

Le pouvoir de la rue

La répression de l'imprimé concerne donc bien, dans ces premières années de la Révolution, tous les abus qui ont pu être faits de la liberté nouvelle et grisante de dire et d'écrire n'importe quoi, c'est-à-dire aussi bien l'obscène et le nuisible. Pourtant l'équilibre mis en place est bien fragile. La réglementation de la Commune de Paris émane d'hommes qui vivent dans la crainte de la foule, des attroupements, des « émotions » populaires. C'est à ce titre qu'elle sera attaquée par ceux qui veulent au contraire donner vie au mouvement sectionnaire, qui revendiquent le pouvoir de la rue et réclament la liberté totale de la parole et de l'écrit. Il faut souligner le rôle de premier plan que joua dans ce contexte le district des Cordeliers. Présidé par Danton dès 1789, il lutte pour la liberté de la presse et il est le premier à dénoncer les arrêtés de la Commune de Paris. Plus tard, il protégera Marat, décrété d'arrestation, en rappelant à juste titre l'illégalité de toute poursuite pour délit d'opinion : « L'assemblée du district [...] persuadée que la liberté de la presse est une suite nécessaire de celle de l'individu auquel, ainsi que l'Assemblée Nationale l'a bien reconnu, on ne peut interdire la faculté d'exprimer sa pensée et de la mettre au jour à ses risques, périls et fortune; Déclare qu'elle prend sous sa protection tous les auteurs de son arrondissement, et les défendra de tout son pouvoir des voies de fait... » 9.

Cette action de harcèlement est relayée par la majorité de la presse patriote, L'Orateur du peuple de Louis Fréron et Les Révolutions de France et de Brabant de Camille Desmoulins soutenant toujours à point nommé les luttes du district des Cordeliers. Lors de l'arrestation de Martel, rédacteur de L'Orateur du peuple et prête-nom de Fréron, un concert de protestations s'élève aussitôt. Loustalot écrit dans Les Révolutions de Paris: « Déjà la Municipalité de Paris emprisonne l'auteur de L'Orateur du peuple tout aussi lestement qu'auraient pu faire Sartine et Le Noir... » 10. Et le district des Cordeliers prend, le 1er juillet 1790, l'arrêté suivant : « Si l'Assemblée nationale n'a pas cru que le moment fût encore venu de déterminer les bornes de la liberté de la presse [...], de quel droit le Tribunal de Police ose-t-il s'ériger en législateur ? [...]. D'après cela, si on vient à réfléchir que la rigueur de ce Tribunal ne s'appesantit que sur les écrivains patriotes; que leur surveillance active, quelquefois exaltée, mais jamais préjudiciable à la chose publique, est le plus souvent travestie par ce Tribunal en crime de lèse-nation, quoique dans le fond, les aristocrates seuls seraient fondés à s'en plaindre, quelle confiance pouvons-nous avoir en ceux qui le composent... ? » 11. Martel est finalement libéré le 4 juillet.

Danton est élu substitut de la Commune de Paris en janvier 1792 et l'on peut constater qu'à cette date l'action du district des Cordeliers en faveur d'une liberté totale de la presse a véritablement triomphé. Elle va de pair avec la perte de pouvoir et la déconsidération de Bailly et de La Fayette après la fusillade du Champ-de-Mars, le 17 juillet 1791. Les Gardes Nationaux, qui assurent la police de Paris, se heurtent de plus en plus souvent à des manifestations spontanées d'hostilité et d'insoumission, qui s'expriment aussi lors d'arrestations pour délits de presse. Un colporteur est appréhendé et aussitôt un attroupement se forme pour le défendre, la foule renouant avec les anciennes solidarités de la rue. La police saisit des livres chez un libraire, la clientèle murmure et le libraire refuse de se rendre au commissariat... De fait, à partir de la fin 1791 et jusqu'au 10 août 1792, s'ouvre une période - assez brève il est vrai - où le commerce de l'imprimé à Paris n'est plus soumis à aucune réglementation. La lecture des archives de police est d'ailleurs probante : on ne trouve plus un cas de saisie ou d'arrestation à ces dates.

Naissance d'une presse politique

Après la prise des Tuileries, le jeu politique change brutalement. La guerre aux frontières et les soulèvements intérieurs, auxquels s'ajoute une grave crise économique, font basculer la Révolution dans la Terreur.

On peut en effet considérer que la Terreur commence dès les massacres de septembre 1792 ou même dès l'instauration du Tribunal extraordinaire du 17 août. Dès ce moment, la presse royaliste disparaît et certains de ses journalistes, comme du Rozoy, sont jugés par ce Tribunal et exécutés. En mars 1793, ce sera le tour de la presse girondine avec la mise à sac des imprimeries du Courrier de Gorsas et de la Chronique de Paris. Le quadrillage des rues parisiennes par les comités de surveillance des sections est alors déjà bien en place. Ne subsiste que le colportage des journaux des chansons et des textes républicains les plus officiels.

Jusqu'à Thermidor, la répression va continuer de s'abattre sur ceux qui, dans les premières années de la Révolution, avaient pris parti contre le régime. On est alors dans un système où l'on ne juge pas forcément l'individu sur son action présente, mais sur tout son parcours public et privé depuis 89. Contrairement à ce qui avait été souligné à propos de la répression pendant les années 1789-1791, on trouve rarement des cas d'arrestation de colporteurs. C'est que la répression frappe pendant l'an II, non le menu fretin, mais les responsables. Sur ordres souvent signés du Comité de salut public ou du Comité de sûreté générale, on n'hésite plus à s'attaquer aux libraires, aux imprimeurs et surtout aux journalistes. Le libraire Gattey, un des principaux libraires royalistes, qui avait organisé un réseau de diffusion dans la France entière et jusqu'aux Antilles, est arrêté en ventôse an II et guillotiné en germinal. Wébert, libraire comme Gattey au Palais-Royal et spécialisé dans le commerce des estampes contre-révolutionnaires, est exécuté en prairial. Les imprimeurs - on évoquera les cas de Froullé et de Girouard 12 - n'échappent pas à la répression.

Les exécutions de libraires et d'imprimeurs sont cependant peu nombreuses, comparées à celles de nombreux journalistes comme Brissot ou Desmoulins. Il est vrai que ces derniers étaient engagés politiquement dans les Comités ou à la Convention et que leur destinée est davantage liée aux luttes de factions, qu'à la remise en cause de leur métier de journalistes. D'un autre côté, la parole publique, la médiatisation du politique à l'Assemblée, dans les clubs et dans les journaux, sont des phénomènes si caractéristiques de la Révolution qu'il est sans doute artificiel de séparer les deux appartenances. Après Thermidor, la Terreur est encore à l'ordre du jour en ce qui concerne l'écrit et il faudra attendre le Directoire pour voir reparaître une presse totalement libre, dont le ton est d'ailleurs à cette époque majoritairement contre-révolutionnaire.

La presse reste donc sous surveillance pendant une bonne partie de la Révolution. Cela ne l'empêche pas d'avoir un statut radicalement différent de celui qu'elle avait sous l'Ancien Régime et de constituer un véritable pouvoir politique dès 1789. Si la réglementation de la Commune de Paris pendant la Révolution bourgeoise rappelle à bien des égards la législation d'Ancien Régime (port de la médaille pour les colporteurs, interdiction de l'anonymat), il est indéniable que l'explosion du journal et la circulation massive des libelles ont institué les conditions d'une presse moderne d'information. Cependant, une telle mutation culturelle ne fut pas acceptée d'emblée : le système de contraintes mis en place y compris pendant l'an II prouve à quel point les contemporains avaient mesuré l'extraordinaire pouvoir de démultiplication de la parole, le formidable levier pour l'action que constituait la presse politique.

avril 1989

  1. (retour)↑  Cet article se présente avant tout comme le bilan de recherches récemment entreprises sur la circulation de l'imprimé pendant la Révolution. L'enquête a été menée en équipe et a donné lieu à un colloque. Cf. les Actes du colloque de Montreuil sur « Le commerce de l'imprimé pendant la Révolution », Dix-huitième siècle, n° 21 (1989).
  2. (retour)↑  Cet article se présente avant tout comme le bilan de recherches récemment entreprises sur la circulation de l'imprimé pendant la Révolution. L'enquête a été menée en équipe et a donné lieu à un colloque. Cf. les Actes du colloque de Montreuil sur « Le commerce de l'imprimé pendant la Révolution », Dix-huitième siècle, n° 21 (1989).
  3. (retour)↑  Cf. ibid., l'article de Rebecca ROGERS sur « Le livre embastillé ».
  4. (retour)↑  Cf. Antoine de BAECQUE, « Pamphlets : libels and political mythology », Revolution in print, University of California press, 1989.
  5. (retour)↑  Cf. Robert DARNTON, Bohème littéraire et Révolution, Gallimard/Seuil, 1983 et Nicole HERMANN-MASCARD. La censure des livres à Paris à la fin de l'Ancien Régime, PUF, 1968.
  6. (retour)↑  Archives de la série AA conservées à la Préfecture de police.
  7. (retour)↑  Section de la Butte des Moulins (Palais-Royal), 4 janvier 1790, AA 81 pièce 63.
  8. (retour)↑  22 septembre 1791, AA 86 (Palais-Royal), pièce 64.
  9. (retour)↑  Cité par Sigismond LACROIX, Actes de la Commune de Paris pendant la Révolution, Paris, 1895, t. II, p. 550.
  10. (retour)↑  Section de la Butte des Moulins, AA 81, pièce 202, 12 août 1790.
  11. (retour)↑  Cité par Sigismond LACROIX, t. II, p. 205.
  12. (retour)↑  Lieutenants de police de Louis XV et de Louis XVI.
  13. (retour)↑  Cité par Sigismond LACROIX, t. VI, p. 355-356.
  14. (retour)↑  Ces affaires sont décrites plus précisément dans un article du même auteur sur « Les imprimeurs-libraires parisiens et la liberté de la presse », paru dans les Actes du colloque de Montreuil.