Arrêt sur image
Martine Darrobers
Coupez ! Faites un zoom ! Faites défiler pendant dix secondes le film à l'envers ; puis repassez-le à l'endroit ! Un metteur en scène aurait ainsi rendu compte de la journée d'étude 1 sur la vidéo dans les bibliothèques publiques : Arrêt sur images se voulait une mise au point et une ouverture. La mise au point a eu lieu, ainsi que l'ouverture vers de nouveaux usages (prêt et non plus seulement consultation), vers de nouveaux modes d'acquisition, vers une intégration à part entière de la vidéo dans le fonctionnement des bibliothèques et, pout tout dire, vers une réflexion de fond.
Flash-back de Catherine Blangonnet et Brigitte Renouf : le programme de diffusion de films vidéo dans les bibliothèques publiques a très exactement dix ans. Testé au départ sur 8 établissements, ce programme de lancement s'appuyait sur « l'effet BPI », répercussion des propositions novatrices d'un établissement tout neuf, fondé sur l'intégration des collections multimédias.
Un choix élargi
Il en reproduisait aussi la logique : diffusion limitée à la consultation sur place de vidéocassettes, aux documentaires de qualité, choix du format semi-professionnel 3/4 de pouce. Dix ans après 2, plus d'une centaine d'établissements sont impliqués, bibliothèques municipales et bibliothèques centrales de prêt. Le réseau des partenaires s'est élargi : DLL, Centre national du cinéma (CNC), BPI, CNCBP, et agences de coopération régionales. Les modalités se sont elles aussi diversifiées : le choix de films s'est élargi, le film pour enfants a fait son entrée au catalogue... Avec le recul, la généralisation de la vidéo aux bibliothèques publiques pose des interrogations identiques à celles posées par les autres documents : insertion, formation , coopération.
Pourquoi de la vidéo ? Si on s'en tient aux options initiales, l'offre vidéo en bibliothèques s'articule sur la défense d'un secteur cinématographique méconnu, dit « non commercial ». D'où l'accent mis sur toutes les formes promotionnelles :Cinéma du réel, originellement géré par la seule BPI, comporte maintenant un prix des bibliothèques, reconnaissance symbolique du rôle de ces dernières comme instance de prescription. La stratégie de certaines d'entre elles montre clairement un projet de créer une offre documentaire structurée et affirmant l'originalité du canal de diffusion qu'elles constituent : la constitution de fonds locaux à Istres et à Arles est fortement relayée par des festivals et des manifestations visant à ancrer l'offre cinématographique.
Mais est-ce là répondre véritablement aux besoins du public ? « Tandis qu'Arles rame pour créer une demande sur la vidéo, à Clermont-Ferrand, on rame pour répondre aux demandes du public qui dévalise le fonds de prêt », protestait Aline Bretagnolle. Lorsque le taux de rotation annuel du fonds de cassettes 1/2 pouce mis en prêt atteint 19,2, il est plus que légitime de se poser la question : la vidéo en bibliothèque doit-elle passer du stade consultation sur place au stade prêt ? Autrement dit, le 1/2 pouce est-il l'avenir du 3/4 ? C'est d'ailleurs ce qu'a fait Anne-Marie Bertrand, en ouvrant la table ronde sur l'utilisation de la vidéo. Des noyaux d'hérétiques, partisans de la vidéo-prêt, de la vidéo-fiction et même, pour certains, du « commercial » sont, du coup, apparus dans le champ ; en y regardant d'un peu près, on s'est aperçu qu'ils représentaient presque la majorité...
Evolution certaine, mais pas de véritable révolution : personne n'a contesté l'objet et les modalités de l'action entreprise depuis 10 ans. Certes, les plus contestataires ont fait du prêt et de la diffusion de films de fiction plus ou moins « commerciaux » leur seul axe d'activité, mais la plupart des bibliothèques semblent désireuses de garder les deux circuits de diffusion. La chose est souhaitable ; mais est-elle possible ?
Est-elle opportune ? répliquait Gérard Collas, du Centre national du cinéma. Car la généralisation de la vidéo-prêt pose brutalement la question des droits de diffusion, actuellement négociés sur la base de la consultation sur place: un petit calcul a montré qu'une telle renégociation pour un tiers du fonds de la DLL nécessiterait une enveloppe de 5,4 MF, supérieure au budget actuel de la DLL... Faut-il, comme l'a suggéré Pascal Sanz, lancer une bourse aux achats de droits, bourse qui serait ouverte au plus grand nombre d'acheteurs possibles ?
Anarchique et clandestine
Les agences régionales de coopération ont déjà pris des initiatives : l'Agence de coopération Rhône-Alpes (ACORD), et Diffusion et information des vidéothèques armoricaines (DIVA) sont la cheville ouvrière de manifestations-vitrines de l'édition vidéo en région, elles achètent des droits de diffusion et de duplication de films ; elles constituent aussi des fichiers de ressources et des catalogues collectifs.
Fichiers et catalogues se veulent complémentaires de ceux établis par la DLL et le CNCBP 3, mais recoupements et lacunes semblent aussi difficiles à éviter les uns que les autres. Bref, il est urgentissime de cerner, d'identifier, de repérer, de répertorier cette production vidéo, encore largement assez anarchique et clandestine : la Phonothèque nationale s'y emploie, le réseau bibliographique des bibliothèques publiques y travaille également. Par ailleurs, la production documentaire de création est recensée et analysée à l'occasion du concours de soutien à la production cinématographique. Cette information à la source peut-elle être récupérable et exploitable ?
Il faut aussi envisager l'intégration, dans ce réseau d'information sur la vidéo, d'organismes nouveaux venus, tels que l'Association pour le développement de l'audio-visuel (ADAV), qui visent délibérément le marché des bibliothèques publiques. Il faut aussi prendre en compte la dimension internationale de la vidéo : le projet MEDIAT s'attacherait à créer un espace européen de la vidéo, avec titrage des films dans toutes les langues de la Communauté européenne. Mais MEDIAT ne semble pour l'instant concerner que le format 1/2 pouce... Face à cette question, cruciale, de la circulation de l'information, Catherine Blangonnet a lancé l'idée d'une Association nationale regroupant les utilisateurs, association destinée à faire l'interface entre les partenaires institutionnels et associatifs : un groupe de travail s'est formé pour y réfléchir.
Outre le problème de l'information, se pose le problème de la formation. Les quelques vidéothécaires en fonction se sont généralement formés sur le terrain, à l'occasion de Cinéma du réel ou de manifestations diverses. Il serait temps, à l'occasion de la réforme du CAFB, de méditer sur leur formation. Celle-ci, d'après Yannick Nexon, devrait comporter 3 niveaux: sensibilisation, mise en place d'un service de prêt de vidéocassettes, approfondissement. Elle devrait aussi, si on en croit diverses interventions, intégrer les éléments juridiques et les aspects critiques liés à la « lecture » de l'image et du film, sans oublier le point de vue catalographique (on a rappelé la norme sur le catalogage de l'image animée publiée en 1980), le point de vue culturel et le. volet technique : le CDV, qui semble être le produit de l'avenir, sera-t-il complémentaire ou substitutif de la vidéocassette ? Le module organisé par le Centre de Marseille 4 devrait susciter des émules, en liaison avec les délégations régionales du Centre de formation des personnels territoriaux.
Tout cela fait beaucoup de choses en chantier, mais on ne peut plus attendre. A l'évidence, la vidéo a réussi sa percée auprès du public : à Clermont, le service vidéo, même lancé sur des bases modestes, a décollé plus rapidement que le service disques, créé 15 ans plus tôt. Mieux encore, il a réussi sa percée auprès... des bibliothécaires, souvent réticents ; il a aussi fait sa percée auprès des élus. Conclusion : une réflexion urgente, des bilans réguliers, une action rapide. Arrêts sur images était une journée d'étude ; elle aura aussi été une journée d'action.