À propos d'acquisitions

Martine Darrobers

Quels livres dans quelles bibliothèques ? Le programme diffusé par le GIF 1 résumait à lui seul le contenu d'une journée placée sous le signe de l'interprofession : tous les partenaires du circuit du livre du Cercle de la librairie à l'éditeur, sans oublier les critiques et les libraires se retrouvaient face à une assemblée de bibliothécaires, pour apporter chacun un éclairage sur les logiques d'acquisitions. Mais ces éclairages n'ont guère apporté de lumières. C'est le moins qu'on puisse dire en voyant le cloisonnement, pour ne pas dire la frustration, où restent encore enfermés les bibliothécaires. Est-ce à dire que ceux-ci n'auraient aucune doctrine sur leurs pratiques d'acquisitions ? Tous les éléments de la problématique générale avaient été réunis dans l'exposé de Dominique Peignet: bibliothèque moyen de diffusion des connaissances, moyen de favoriser le plaisir de la lecture ; bibliothèque service public et non au service du public ; bibliothèque partiellement invisible, puisqu'elle n'offre jamais que les ouvrages non sortis ; vocation, qui la rapproche des librairies, à présenter un fonds, intégration de la dimension mémoire et de la dimension labyrinthe dans la constitution de son fonds. La structure dudit fonds, selon le propos de l'orateur, l'apparente à celle d'un fruit : quel doit être le rapport entre la pulpe, appétissante et éminemment consommable, et le noyau qui assure la reproduction de l'arbre nourricier ?

En fait, le débat s'est plutôt porté sur l'information des bibliothécaires : information abondante, surabondante, des revues, des salons et des bibliographies. Information démesurée : Livres Hebdo ne compte pas moins de 18 000 éditeurs ; information en fait pléthorique, redondante, non sériée et qui noie les bibliothécaires sous sa masse. Les premiers résultats de l'enquête menée par Madeleine Deloule 2 laissent entrevoir que la fonction de défense de petits éditeurs, traditionnellement revendiquée par les bibliothécaires ne serait guère assumée. L'éditeur présent, François Gèze, expliquait alors que les bibliothèques formaient un trou noir pour un éditeur « de qualité », conscient du rôle qu'elles pouvaient jouer mais totalement ignorant du marché qu'elles pouvaient représenter. Que représente la « petite édition » dans les achats des bibliothèques ? En l'absence complète de données chiffrées, il est aventureux pour un service commercial de miser sur un marché aussi opaque. D'où l'absence de promotion spécifique à leur endroit, d'informations sur mesure à la différence de l'appareil de promotion mis en place pour les librairies. L'enjeu est pourtant crucial: devant l'énorme concentration de l'édition, puisque deux groupes assurent à eux seuls les deux tiers de la production et presque les trois quarts de la distribution, les bibliothèques sont souvent la seule chance des petits éditeurs.

Trou noir, les bibliothèques le sont aussi pour les autres partenaires du livre : canal de distribution sans doute, elles ne donnent pas toujours l'impression de maîtriser, dans ses différents aspects, le produit qu'elles diffusent. Il paraîtrait que certains bibliothécaires ignorent ce qu'est le Garamont, témoignant d'une coupable méconnaissance de l'objet livre dans sa matérialité et ses procédés de fabrication. Rien d'étonnant dans ces circonstances, que ce que l'on appelle l'interprofession ait du mal à passer dans les faits.

Alors comment s'informer sur le livre ? Comment repérer le livre de qualité à l'intérieur de l'édition de « faux livres » ? En prenant les choses en main, ont proposé plusieurs intervenants. En participant activement à la prescription et en intervenant en tant que critiques, à l'exemple des bibliothécaires pour enfants qui se sont depuis longtemps positionnés sur ce créneau. En brisant surtout leur isolement, en se regroupant en comités de lecture, en organisant la circulation d'informations sur les livres acquis : il existe des structures de coopération. Qu'on s'en serve ! Et, aussi, qu'on s'attache à démontrer la rentabilité sociale et culturelle des bibliothèques. Et enfin, pour finir, qu'on se rapproche des éditeurs ; l'éditeur de La Découverte a évoqué la possibilité de créer un groupe de travail bibliothécaires/éditeurs: cette parole-là ne sera pas tombée dans l'oreille de sourds.

  1. (retour)↑  Journée d'étude organisée le 25 octobre 1988 à la médiathèque de Corbeil-Essonne par le GIF Groupe Ile de France ABF.
  2. (retour)↑  Cf., dans ce même numéro, p. 276-281.