Infomédiatique 1987

annales de l'École nationale supérieure de bibliothécaires

par Maurice Didelot
Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1987. - 186 p. ; 24 cm
ISBN 2-7654-0358-9 : 165 F.

Dans l'éditorial, Jacques Keriguy, actuel directeur de l'ENSB, présente l'objectif de cette publication : témoigner des activités de recherche menées dans le cadre de l'ENSB, aboutissant à des articles correspondant à un besoin d'actualisation des connaissances professionnelles. De fait, ce numéro publie des travaux de professeurs et d'étudiants de l'ENSB avec un souci évident d'interdisciplinarité à l'examen de la table des matières : état présent des bibliothèques en France, conservation, histoire du livre, audiovisuel, bibliothèques d'hôpitaux, sauvegarde des collections.

Cette richesse a toutefois un inconvénient : une dispersion des sujets qui enlève toute unité à l'ensemble et dont le seul dénominateur commun est d'être le reflet des préoccupations et de travaux menés au sein de l'ENSB. Certaines facettes sont absentes ici : la documentalogie, l'information scientifique et technique et la gestion des établissements, thèmes à la fois porteurs pour les nouvelles orientations de l'ENSSIB (future École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) et objet de maints congrès, colloques, etc. La tâche du rapporteur est compliquée ici par l'analyse de neuf articles différents. Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir d'avoir à rendre compte d'une telle diversité. Pour mieux situer cette entreprise, rappelons que des tentatives ont déjà été menées pour publier de tels travaux. Celle dont nous rendons compte est originale dans la mesure où un éditeur spécialisé accepte de prendre en charge la publication de ce qu'il faut bien nommer « littérature grise » ; il faut d'ailleurs regretter que le titre exact de la publication originale à la base des articles ne soit pas fourni.

Progrès et sauvegarde

Le titre de la première contribution « État de l'art et impact des nouvelles technologies de l'information appliquées aux bibliothèques et à leurs différentes fonctions », extrait d'un rapport rédigé par l'ENSB en exécution d'un contrat avec la Commission des communautés européennes, est ambitieux et trompeur par rapport à son contenu qui comprend deux parties : synthèses sur les bibliothèques en France et état de l'informatisation des bibliothèques (catalogage et gestion) ; l'interrogation de bases de données, quant à elle, est expédiée en 10 lignes (p. 30). Ce bilan permet d'actualiser jusqu'en 1985-1986 l'excellent rapport Vandevoorde Les Bibliothèques en France publié en 1981. Au total, pas d'éléments qui ne soient connus par ailleurs. Cette contribution est manifestement destinée au « marché extérieur » ou à servir de « digest » à un élu ou à un responsable administratif ; le style hésite d'ailleurs entre le ton d'un rapport administratif et la note de synthèse demandée à un professionnel ; à noter une coquille due aux anglicismes (p.38) : abréviations (en français) et non pas abbreviations (en anglais).

La deuxième contribution, « Principe de sauvegarde et conservation des documents des bibliothèques » par Jeanne-Marie Dureau, professeur d'Histoire du livre et patrimoine à l'ENSB et David W.G. Clements de la British library, est la traduction d'une charte adoptée par l'IFLA en 1985 ; cette charte énonçait les principes et donnait des outils et conseils pour la conservation du patrimoine écrit et audiovisuel, par une protection de la forme matérielle originale des documents et par le transfert de leur contenu sur un autre support permettant la sauvegarde. On retrouve dans ce texte des principes et préceptes bien connus des spécialistes dont Jeanne-Marie Dureau, militante convaincue et convaincante de la conservation du. patrimoine, a assuré la divulgation auprès des différentes promotions d'étudiants : principes, notions sur la préservation (distinguée subtilement de la conservation), stockage, conditions physiques, mobilier, sécurité des collections (trilogie feu-eau-vol), communication des collections, facteurs de dégradation des collections (insectes, moisissures, papiers). Des principes, des réflexions, des conseils, certes utiles à l'ensemble de la profession, mais où réflexions et conseils pratiques font un patchwork peu cartésien. Notons cependant que si les films ont été traités, les phonogrammes ont été curieusement omis. Ce texte ne dispense pas de la lecture de fiches plus techniques ou de manuels plus spécialisés, produits encore rares en français à notre connaissance.

Honneurs de la revue

Olivier Corpet, rédacteur en chef de l'excellente, indispensable mais rare Revue des revues (deux numéros pas an), signe le troisième texte : « Pour un bon usage des revues », texte d'une conférence donnée à l'ENSB le 6 novembre 1986 lors d'une journée d'étude sur la place des revues dans la création et l'information. Il est, là aussi, un militant de la cause des revues, en tant qu'éditeur (il fut rédacteur en chef d'Autogestions, revue de sciences sociales) et chercheur au CNRS, à la Maison des sciences de l'homme. Son plaidoyer s'organise autour de trois préoccupations et constats : place insuffisante des revues de culture et de création dans les bibliothèques ; fragilité du produit revue dans le monde de l'édition ; intérêt des revues comme objet de recherche et comme témoignage d'une culture.

Olivier Corpet ne prête attention qu'aux revues littéraires et culturelles : les autres se porteraient-elles mieux ? Son plaidoyer vibrant afin que les bibliothèques accordent une meilleure place aux revues mériterait nuances : si globalement son pessimisme est fondé, des lieux et des collègues défendent quand même les revues. Où sont conservées les revues évoquées par l'auteur sinon dans nos bibliothèques ? Il est vrai que les nouvelles revues de création souvent éphémères, avant-gardistes, prétentieuses ou racoleuses rendent méfiants nos collègues « qui attendent de voir » avant de s'engager par un abonnement. Le Centre national des lettres, par une action de promotion, certes peut-être pas assez directive et incitative, a défendu auprès des bibliothèques les revues de création. Mais faut-il pour autant tenir à bout de bras et de subventions, des produits qui ne visent qu'un public extrêmement ciblé et élitaire ? Ou chaque revue n'est-elle pas comme un livre, un objet de l'instant ? Rappelons que les surréalistes, dont les revues sont citées ici, ne souhaitaient pas l'institutionnalisation de leurs titres. L'auteur présente, en outre, le rôle de l'association Entrevues, pôle de dialogue et de réflexion, et propose des solutions pour permettre l'existence durable de revues. Au total, une analyse qui intéressera un certain nombre de collègues, qu'ils soient en bibliothèque municipale importante, en bibliothèque universitaire de Lettres ou en bibliothèque spécialisée.

Les six contributions suivantes sont des extraits ou des résumés de mémoires soutenus par les étudiants de l'ENSB dans le cadre du DSB (diplôme supérieur des bibliothèques). L'éditeur ne nous renseigne pas sur les critères de choix (meilleurs mémoires, exemples caractéristiques des recherches). Le premier, dû à Laurent Guillo sur les Perrin, imprimeurs lyonnais (1823-1883), est passionnant par le style d'écriture, vif, et par la qualité de la documentation recueillie. Dès 1921, Marius Audin étudiait cette dynastie d'imprimeurs et donnait le catalogue des impressions (1923); en 1962, René Ponot étudiait les célèbres caractères créés par les Perrin en 1846: les Augustaux. A côté des choix de caractères, les impressions des Perrin au XIXe siècle sont aussi célèbres pour le choix des papiers destinés aux éditions de bibliophilie et pour les créations d'ornements (lettrines, bandeaux, culs-de-lampe). Il est dommage que le texte qui nous est donné ici souffre d'une réduction ponctuée de « etc. » (chapitre sur les ornements) et surtout d'une absence totale d'illustrations (caractères, ornements).

Vidéo-public

Le deuxième mémoire, signé Yves Alix, nous replonge dans notre époque : les vidéo-clubs à Lyon (mémoire ENSB, 1986). Yves Alix, à travers une enquête précise et rigoureuse, examine la situation des vidéo-clubs à Lyon en essayant de comparer le circuit de la vidéo à celui du livre (gestion, circuit du document), tout en dégageant la spécificité de ce type de commerce. Un rapprochement aurait pu être établi avec les commerces d'abonnement à la lecture encore présents à Lyon et dont le mode de fonctionnement est quasi identique à celui des vidéo-clubs. Après un rappel de la situation de la vidéo (édition, distribution) en France, Y. Alix décrit la situation lyonnaise à partir d'une enquête par questionnaire et à partir d'entretiens avec des responsables de vidéo-clubs ; les réponses obtenues lui permettent d'établir un tableau, la typologie et la répartition-géographique des commerces à Lyon. Une analyse du comportement de la clientèle lui révèle la forte relation avec les habitudes de télévision plutôt qu'avec le cinéma : un phénomène sociologique qui touche aussi le livre et qui se traduit par un repliement des consommations culturelles dans un cadre domestique et individuel.

En contrepoint, Marie-Annick Bernard étudie les vidéo-cassettes dans les bibliothèques publiques de Rhônes-Alpes (mémoire ENSB,1986). Dans une première partie, l'auteur rappelle le contexte d'une politique de vidéo-cassettes dans les bibliothèques pour ensuite examiner la situation en Rhônes-Alpes à partir d'un questionnaire adressé aux huit bibliothèques centrales de prêt et à 59 bibliothèques municipales. L'auteur évite de s'impliquer dans le constat qu'elle dresse : l'expérience est-elle concluante, (rappelons que l'enquête de Jean Claude Passeron, L'Oeil à la page, concluait à un tableau en demi-teinte), a-t-elle permis de toucher de nouveaux publics, de modifier l'image des bibliothèques participant à l'expérience ? Aucune conclusion ne dégage les lignes de force de cette étude qui se borne à être un constat; on constate, en outre, l'absence totale de références bibliographiques.

Presse, hôpitaux

La contribution de Marie-Hélène Koenig : « Les Professionnels de l'information et leur presse spécialisée » (mémoire ENSB, 1985) est le résumé d'un gros travail d'enquête par questionnaire en 1985 auprès de 150 enseignants en bibliothéconomie et en documentation et auprès de 250 étudiants de la région Rhônes-Alpes, portant sur la lecture du Bulletin des bibliothèques de France et de Documentaliste. L'auteur donne sa méthodologie ; les résultats de l'enquête apportent cependant un côté fastidieux par la masse de chiffres et le pourcentage des données ; ces dernières auraient gagné à être présentées en une synthèse plus claire et plus efficace. L'enquête permet à l'auteur de mieux cerner le rôle et l'identité des revues professionnelles (lien entre professionnels, ouverture à l'extérieur, sources d'informations professionnelles).

L'article suivant nous promène sur un autre registre : « Les Bibliothèques d'hôpitaux en France » par Colette Jullian (mémoire ENSB, 1983), à partir d'une enquête menée en 1983 auprès de 26 centres hospitaliers, de malades et de personnels dont l'échantillon nous paraît trop faible (61 et 40 réponses) pour tirer des conclusions. L'auteur énonce les deux missions fondamentales de la médiathèque d'hôpital : centre de culture à l'hôpital, destiné au malade et au personnel et élément d'un réseau de lecture publique. L'histoire des bibliothèques d'hôpitaux et leur situation actuelle ne permettent guère d'être optimiste par rapport à ces propositions : réseau clairsemé, inégal, souvent non professionnel avec très peu de moyens. Seules les grandes institutions (Assistance publique de Paris, Hospices civils de Lyon, nouveaux hôpitaux) essaient de répondre à ces défis. En dehors d'un aspect charitatif hérité du XIXe siècle, on peut se demander si les bibliothèques pour malades se justifient encore aujourd'hui : la durée des séjours est raccourcie; quant aux séjours longs liés à de graves maladies, ils sont peu propices à la lecture ; la clientèle des hôpitaux est sollicitée par les offres de livres et de loisirs (kiosque Hachette dans les hôpitaux, familles apportant des ouvrages, télévision dans chaque chambre...). Aux extrêmes : pédiatrie et gériatrie ne sont souvent que des publics potentiels ; la bibliothérapie pourrait-elle constituer une sortie honorable ? Il y a encore peu d'expériences en France; citons toutefois la MGEN (Mutuelle générale de l'Éducation nationale).

Massacres !

Le dernier article d'Agnès Dumont-Fillon sur « Le Vol et la dégradation de livres de bibliothèques : exemple de la BPI » (mémoire ENSB, 1986) comprend deux aspects étroitement liés : le vol et la dégradation. L'étude sur les vols à partir des cas signalés par le système de détection (246 sur trois ans, période non précisée) dégage une pointe en hiver et en mai, période d'examen, en corrélation avec la forte majorité d'étudiants fréquentant la BPI (60%). Sociologiquement, la population des fraudeurs est masculine, jeune ; les catégories socioprofessionnelles, cependant, ne sont pas fournies ; les domaines convoités sont la psychologie, la religion, l'économie, le droit et la politique. Les mobiles sont estimés d'après les livres empruntés illégalement comme un besoin de documentation. Le lecteur reste sur sa faim à cause de la faiblesse des sources (fichiers des fraudeurs insuffisamment riches d'informations : pas de CSP, pas de mobiles) ; la situation dans d'autres établissements est, en outre, évoquée trop succinctement.

En revanche, l'étude des dégradations est plus riche en raison de l'existence d'un service de récupération de documents usés ou détériorés : 85% des dégradations sont constitués d'arrachage et de lacérations ; les autres cas sont des graffiti et soulignements, les secteurs des arts et loisirs et des sciences sociales étant les plus touchés ; quant aux ouvrages de droit et ouvrages techniques, ils sont surtout victimes d'arrachages. L'auteur étudie finement les différentes sortes de dégradation par rapport aux types et contenus des documents : soulignement et graffiti sont interprétés respectivement comme un « acte de mémorisation et de communication ». Il est manifeste que l'auteur a pris plaisir à en étudier la signification sociologique et psychologique et ses propos semblent quelquefois les excuser : « le graffiti de livres est une empreinte personnelle d'un individu sur le texte mais il est aussi un appel social plus ou moins conscient ; le graffiti est un désir, une amorce de communication... ». Les graffiti se rencontrent dans les livres ayant une portée philosophique, une fonction critique ou de débat. La BPI, selon l'auteur, favorise « l'expression des passions », devient une « aire de sociabilité » ; l'existence d'un système de détection des vols et l'absence de prêt sont des facteurs importants expliquant ces comportements. Ajoutons que la masse énorme des usagers fréquentant la BPI (14000 en moyenne par jour), la permissivité ambiante et les difficultés de contrôle, rendent le problème plus aigu qu'ailleurs.

Quel bilan tirer de ce premier numéro d'Infomédiatique ? Tout d'abord, l'aspect positif tient à la diffusion de travaux ponctuels reposant sur de sérieuses enquêtes et analyses, études qui peuvent enfin sortir des murs de l'ENSB ! Ensuite, la variété des sujets traités peut engendrer un plus large intérêt de la part des professionnels, mais leur contexte souvent local, leur inscription dans le temps et dans une démarche utilitaire (nécessité de faire un mémoire pour l'obtention du DSB) n'assurent pas au mieux un élargissement du public au-delà d'un cercle de professionnels motivés. Pourrait-on suggérer que le prochain millésime 88 en préparation se recentre autour d'un ou deux thèmes ? Certains articles devraient être réécrits afin d'expurger des considérations scolaires (« notre mémoire », « le temps imparti », etc.). En outre, si l'on suit les objectifs de cette publication - être le reflet des travaux réalisés au sein de l'ENSB -, ne pourrait-on pas y inclure les thèmes de recherche et la liste des mémoires et travaux des étudiants et professeurs ?

Sur un plan formel, cette fois, la présentation pourrait être améliorée : mise en page serrée, absence d'illustration (article de Laurent Guillo), austérité d'ensemble. Le titre, enfin, ne nous paraît pas heureux : à vouloir faire moderne, n'abuse-t-on pas de formules racoleuses et gratuites (premier article) ? Un certain classicisme (annales, travaux, recherches...) conviendrait tout autant à un contenu pour le moins sérieux : ne voit-on pas aujourd'hui les publicitaires revenir à la photo dépouillée en noir et blanc ?