La politique documentaire d'Université

Thérèse Bally

A côté des bibliothèques universitaires, service organisé, budgétisé et suivi par l'administration centrale, se trouve un second ensemble documentaire fonctionnant dans les universités, celui des bibliothèques d'UER - BUER- (terme regroupant les bibliothèques d'UER, d'instituts ou de laboratoires), ensemble décentralisé et relevant de la seule initiative des directeurs d'UER et de laboratoires ou de chercheurs. Ces deux ensembles coexistent sans réelle coordination.

L'idée d'une politique documentaire d'université c'est-à-dire la mise en œuvre de mesures et moyens visant à organiser et ainsi à rationaliser la documentation dans l'université remonte à 1975. Son histoire a bientôt dix ans; on peut en distinguer les étapes suivantes ;
- le colloque de Gif-sur-Yvette en 1975,
- le rapport des inspections générales en 1980,
- des mesures prises entre 1980 et 1984,
- le décret d'application de la loi sur l'enseignement supérieur relatif aux services de documentation en 1985.

Le colloque de Gif-sur-Yvette

Le colloque de Gif-sur-Yvette réunissant en avril 1975, sous la présidence du Secrétaire d'Etat aux universités, les présidents des conseils et directeurs de bibliothèques universitaires est à l'origine de la première tentative pour organiser la documentation dans l'université.

L'analyse de la situation documentaire dans l'université faite lors de ce colloque établissait l'absence de coordination entre les différents types de bibliothèques : bibliothèques universitaires d'une part, BUER de l'autre. Si des initiatives locales existaient, l'harmonisation des achats était partielle, les catalogues communs peu exhaustifs et l'assistance technique de la bibliothèque universitaire aux autres bibliothèques loin d'être généralisée. Cette gestion est décrite comme dispendieuse, dispersée, et trop diversifiée sur le plan du traitement et de l'exploitation. En outre, il en résulte pour tous les usagers des difficultés d'accès aux collections et à la limite, une occultation documentaire dont les incidences sont fâcheuses pour l'avenir de l'enseignement et de la recherche.

Trois des quatre actions proposées ont pu être suivies d'effet :

La première proposition visait à faire des bibliothèques universitaires dans leur ensemble - en les insérant dans un réseau national structuré et en les ouvrant à un public élargi - des instruments privilégiés de diffusion de l'information scientifique et technique et précisait qu'il est indispensable qu'au niveau universitaire local, une politique globale et cohérente soit définie et mise en œuvre. En conséquence, il était proposé d'apporter quelques modifications au décret n° 70-1267 du 23 décembre 1970 touchant les compétences et la composition des conseils de bibliothèques universitaires ainsi que celle des commissions scientifiques consultatives spécialisées afin que ces institutions soient davantage en mesure de participer à la conception et à la poursuite d'une politique documentaire commune. Le décret n° 76-293 du 26 mars 1976 modifia en ce sens le décret du 23 décembre 1970 sur les bibliothèques universitaires.

Il était demandé un effort de clarification devant porter entre autres sur les dépenses consacrées aux achats de documents. Un regroupement de ces frais en annexe des comptes de chaque université devait constituer une étape importante vers la rationalisation, mais cette proposition n'a jamais été suivie d'effet.

Il était proposé d'affecter à un certain nombre de bibliothèques universitaires des emplois nouveaux afin de former des équipes chargées, sous l'autorité du directeur de la bibliothèque universitaire, de la réalisation des catalogues collectifs. Cinq universités ont ainsi reçu une « cellule de rationalisation » : Amiens, Clermont-Ferrand et Nice en 1976, Limoges et Besançon en 1977. Là où elles ont été créées, les « cellules de rationalisation » ont eu une action non négligeable pour l'instauration d'une coopération avec les BUER: formation des moniteurs chargés des BUER, réalisation de catalogues collectifs régionaux de périodiques, unification des règles de catalogage et des systèmes de classification. La coordination des acquisitions est cependant restée limitée.

La quatrième proposition était de lancer un recensement des BUER afin de pouvoir disposer d'un inventaire systématique, aussi complet que possible, des ressources documentaires - très mal connues et par là même sous-utilisées - que détiennent les universités. Cette enquête a été lancée en 1976 (les données sont celles de 1974). C'est la seule enquête exhaustive faite auprès des BUER. 1700 questionnaires ont été dépouillés. Les résultats existent à l'administration centrale mais n'ont pas été publiés.

Le rapport des inspections en 1980

En 1980, le Ministre des universités a demandé aux inspections générales de l'administration et des bibliothèques de faire une enquête conjointe aux fins d'examiner la situation des bibliothèques et centres de documentation des universités et de proposer des remèdes à la situation actuelle. Cette enquête a été menée sur un échantillon de 17 universités. Ces 17 universités réunissaient près de 250 000 étudiants soit le tiers de la population universitaire et comportaient également d'importants centres et laboratoires de recherche. La conclusion de l'examen de la situation a constaté un sévère désordre de la documentation dans l'université.

Le premier ensemble assurant la fonction documentaire, les bibliothèques universitaires, dispose de locaux adaptés à la bibliothéconomie et de la quasi-totalité du personnel qualifié mais ne peut en raison des insuffisances budgétaires assurer - en 1978 -que 56% des acquisitions de l'université, et notamment des périodiques. Le second ensemble, les BUER, se caractérise par l'utilisation de locaux non définis en fonction de la bibliothéconomie et qui ne resprésentent que 20 % de l'ensemble. Son personnel est presque exclusivement composé de non professionnels et c'est lui qui assure - en 1978 -54 % des acquisitions. Mais les fonds ainsi constitués présentent des collections souvent incomplètes, rarement signalées, et donc inaccessibles au lecteur extérieur à l'UER. Au reste, les documents y sont souvent indisponibles, les prêts s'étalant sur de longues périodes.

Les liens entre les deux ensembles sont faibles : nulle part, il n'existe de consultation régulière en matière d'acquisitions. De plus aucune université (sauf l'université de technologie de Compiègne) ne dispose d'un document retraçant les diverses sources de financement de l'information scientifique, ni d'aucune politique documentaire d'acquisition, tenant compte des besoins des étudiants d'une part, des chercheurs et enseignants de l'autre.

Les propositions des inspections générales pour remédier à cette situation peuvent être résumées en trois points :
- une fonction documentaire concernant toutes les bibliothèques de l'université (bibliothèque universitaire et BUER) devrait être assurée par un service commun de l'université, chargé de définir une politique d'acquisitions adaptée à chaque catégorie d'utilisateur, d'édicter des règles destinées à organiser les collections et à maintenir les fonds en état de disponibilité optimale. Il faudrait aussi associer davantage les universitaires dotés de responsabilités (membres du conseil scientifique, directeurs d'UER par exemple) à la gestion des bibliothèques de l'université;
- un budget universitaire de la documentation doit être établi chaque année. Il doit y avoir globalisation des crédits documentaires dans l'université et débat sur l'emploi de ces crédits, car il faudra bien répartir ces crédits entre les UER et la bibliothèque universitaire. Après discussion du budget documentaire de l'université, chaque ordonnateur saura mieux ce qu'il lui incombe d'acquérir ;
- la formation des personnels employés dans les BUER doit représenter un effort tout particulier. Une telle organisation sera coûteuse en emplois nouveaux car les besoins apparaîtront en toute clarté. Au moins, il faudra tirer parti des personnels existants, étant bien entendu que certains enseignants ou chercheurs qui consacrent parfois beaucoup de temps à la bibliothèque, devraient être recyclés ou remplacés par des personnels de bibliothèque.

Mesures prises entre 1980 et 1984

Ces mesures sont de nature très diverse mais elles présentent un point commun : associer les universités et les BUER aux décisions prises pour les bibliothèques universitaires par l'administration centrale et ainsi amorcer une fonction documentaire dans l'université.

Chronologiquement, ces mesures ont été les suivantes :
- en octobre 1980, création des centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) afin d'assurer l'exhaustivité de la couverture documentaire au niveau national. Ainsi des BUER ont été associées à la bibliothèque universitaire pour être siège des CADIST (cas de Strasbourg et de Paris XI);
- une répartition audacieuse des subventions de fonctionnement en 1982, faisant apparaître une participation des universités à la prise en charge des dépenses d'infrastructure des locaux de la bibliothèque universitaire, et ainsi augmenter les ressources financières consacrées aux acquisitions documentaires;
- en 1982 lors de la préparation du budget 1983, transfert aux universités des charges d'infrastructure des locaux des bibliothèques universitaires afin de faire apparaître en toute clarté les crédits documentaires attribués aux bibliothèques universitaires;
- en octobre 1982, attribution de vingt-trois emplois de bibliothécaires adjoints à dix-neuf bibliothèques universitaires pour être mis à la disposition des universités afin de travailler dans les BUER à la politique documentaire (gestion de ces bibliothèques, établissement de catalogues collectifs). Ces attributions de postes ont été effectuées suivant les demandes exprimées par les autorités universitaires en réponse à une enquête envoyée en septembre 1981;
- en novembre 1982, création des unités régionales de formation et de promotion pour l'information scientifique et technique (URFIST), associant université et bibliothèque universitaire pour la formation des utilisateurs à la recherche informatisée et aux techniques nouvelles;
- à partir de 1983, élaboration de contrats d'établissement : les contrats pluriannuels passés entre la Direction de la recherche et les universités soit dans les contrats pluriannuels de recherche, soit dans le contrats de plan Etat-Région, comportent un volet documentaire associant bibliothèque universitaire et BUER. Quatre contrats ont été ainsi passés avec les universités de Dijon et Besançon en 1983, Mulhouse et Valenciennes en 1984 et trois contrats de plan en 1984 avec les universités d'Amiens, Compiègne et Caen. En outre, en 1983 comme en 1984 des aides ponctuelles d'incitation à une politique documentaire ont été accordées à une dizaine de bibliothèques universitaires;
- à partir de 1984, les bibliothèques universitaires et les BUER seront associées à la mise en œuvre de la réforme du premier cycle par l'adaptation de leurs collections et la participation de leur personnel aux enseignements documentaires.

Décret d'application relatif aux services de documentation

La loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 faisant de l'information scientifique et technique une des missions des enseignements supérieurs, insérant la documentation dans les affaires traitées par les conseils dans le cadre de la planification et de la contractualisation, permettait d'envisager l'organisation statutaire d'un service commun de la documentation regroupant toutes les composantes documentaires de l'université.

Une réflexion sur la politique documentaire d'université a été menée dès 1982 au sein d'un groupe de travail composé de présidents d'université et de directeurs de bibliothèques universitaires et s'est poursuivie jusqu'à l'élaboration de l'avant-projet de décret d'application de la loi sur l'enseignement supérieur relatif aux services de la documentation.

Le décret sur les services de la documentation et l'arrêté fixant les modalités de fonctionnement des conseils tels qu'ils résultent de l'apport d'une large consultation et des avis provenant de diverses instances ministérielles prévoient :
- de doter chaque université d'un service commun ayant connaissance de l'ensemble des documents et moyens d'accès à l'information de l'université; toutes les bibliothèques et tous les centres de documentation fonctionnant dans l'université peuvent participer au service commun, organisé autour des sections documentaires. Ce service commun élabore les règles propres à maintenir les fonds dans un état de disponibilité optimale (catalogues collectifs, prêt). Il a autorité technique sur l'ensemble des personnels servant dans les bibliothèques ;
- de renforcer les liens entre les unités de formation et de recherche, écoles ou instituts, les unités associées et le service commun par le choix d'un interlocuteur du service commun dans chaque unité, participant avec voix consultative au conseil de la documentation et aux commissions scientifiques consultatives de la documentation;
- de transformer le conseil de la bibliothèque en un conseil de la documentation quadripartite (personnalités extérieures, usagers, personnels des bibliothèques, enseignants et chercheurs), présidé par le président de l'université. Ce conseil a connaissance de l'ensemble des crédits documentaires et de leur utilisation. Il prépare la politique documentaire de l'université;
- d'élargir les formules de coopération documentaire entre universités.

Lorsque plusieurs universités ont leur siège dans une même agglomération, il est souhaitable, tout à la fois, que chacune identifie d'une part ses moyens et sa politique documentaire et d'autre part qu'une coopération s'instaure, au plan technique et dans les disciplines communes ou complémentaires. De multiples possibilités d'action commune sont proposées à partir du service interétablissements de coopération documentaire.

Le décret * n° 85-694, complété par l'arrêté du 4 juillet 1985, sur les services de la documentation des établissements d'enseignement supérieur relevant du ministère de l'Education nationale est applicable à partir du 4 juillet 1985. Les conditions sont désormais remplies pour l'organisation d'une fonction documentaire unique dans l'université.

  1. (retour)↑  Ce décret ne fixe pas le statut de la bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ni celui des bibliothèques des universités et des bibliothèques interuniversitaires des académies de Paris, de Créteil et de Versailles.