La bCP et l'école

Marie-Claire Germanaud

Analyse et historique des rapports entre BCP et école. L'implantation en 1945 de dépôts dans les écoles s'inscrivait dans une tradition liant le livre à l'instruction. Au cours des années ultérieures, le contexte s'est modifié (fermeture d'écoles, affaiblissement du rôle social des instituteurs), si bien que les dépôts, d'abord ouverts à toute la population, se sont souvent refermés sur le seul service scolaire. La collaboration s'est maintenue et même accentuée avec la fourniture par les BCP de livres utilisés comme supports de pédagogies actives. Le système est remis en cause depuis 1978 au profit du soutien apporté aux équipements communaux. Parallèlement, l'Éducation nationale s'engage dans une politique de la lecture concrétisée par la création de bibliothèques-centres documentaires. La départementalisation devrait marquer une nouvelle étape et permettre de promouvoir une véritable politique de lecture pour les enfants, intégrée au monde plus vaste des adultes, s'appuyant et sur l'école, et sur la BCP.

Analysis and historical survey of the relations between central lending library and school. The establishment of the deposits inside the schools in 1945 was part of a traditional link existing between book and education. Later, due to some changes in the context (closing of schools and weakening of the social part of the teachers), the deposits that used to be open to the whole public have often centered upon the school service only. The continuing cooperation has even increased with the supply of books that are used as a support in active pedagogies. The system has been called into question again since 1978 with the provision of an important support to the communal equipments. In the meantime, the ministry of National Education is involved in a reading campaign which finds its expression in the new libraries-documentation centers. The devolution should lead to a new step and give way to the promotion of a real reading policy for children incorporated in the wider adults world and relying on the school and the central lending library at the same time.

Ce texte se propose de donner quelques pistes de réflexion sur les rapports institutionnels BCP/école. Quelques précisions quant au cadre de cette contribution :
- il s'agit ici du milieu rural, celui que les BCP ont précisément pour mission de desservir et où elles étaient, au départ, les seules partenaires possibles. A mesure qu'on approche des 20 000 habitants, la question devient plus complexe et demanderait une étude considérant non plus les seuls rapports BCP/école mais plus généralement les rapports bibliothèque/école;
- les rapports BCP/école sont envisagés d'une façon globale bien qu'il existe d'appréciables différences dans la politique menée par les établissements. Les BCP de création récente ont, par exemple, des relations autres avec l'école que celles qu'entretiennent les BCP plus anciennes. Certaines BCP ne se reconnaîtront donc pas dans les observations ci-dessous.

C'est peu dire que les BCP entretiennent avec l'école des rapports privilégiés. Alors que les textes leur donnent pour mission la desserte des populations des communes de moins de 20 000 habitants dans chaque département, les statistiques de 1983 donnent les chiffres suivants: 61 % des dépôts du bibliobus sont installés dans des locaux scolaires et, dans ce pourcentage, 58 % sont avoués être à usage strictement scolaire; les autres sont censés desservir toute la population. On connaît les conditions d'accès, pour le public, aux relais installés dans les écoles : pas d'accès direct sur la voie publique, pas de présentation rationnelle des collections, horaires de permanence fantaisistes ou très restreints, fermeture complète pendant les congés scolaires. On ne peut être que sceptique quant à la réalité du service offert à la population adulte. L'école pèse donc très lourd dans le service assuré par les BCP.

Ces éléments ne constituent pas une révélation, ils se situent dans la logique des statistiques des années précédentes. Depuis l'origine des BCP, la desserte des écoles représente la plus grosse part de leur activité. Mais les questions dont ces chiffres sont porteurs revêtent une certaine acuité dans le contexte actuel.

L'apprentissage de la lecture est au coeur des débats dont l'école est l'objet par rapport à l'échec scolaire. Chercheurs et praticiens s'accordent pour souligner l'importance des contacts, très tôt, entre les enfants et les livres. Toutefois, si la collaboration entre l'école et la bibliothèque fait l'objet d'un large consensus au niveau du principe, les formes que doivent revêtir les rapports entre les deux institutions font l'objet d'un débat entre bibliothécaires et enseignants, ainsi qu'à l'intérieur de chacune desdites professions.

Les bibliothèques centrales de prêt seront à partir de 1986 des services départementaux. Quel sera, dans ce nouveau cadre, le devenir de ces établissements largement tournés vers le monde scolaire ?

La préhistoire

La lecture des documents et, pour une époque plus récente, la mémoire collective font ressortir une première constatation : l'histoire, et même la préhistoire des BCP sont liées à l'école. Très logiquement, l'histoire des institutions ne fera que traduire celle des mentalités. Dans la mentalité culturelle française, le livre est lié à l'apprentissage des connaissances, et ce probablement au moins depuis le XVIIIe siècle et le phénomène encyclopédique.

C'est de l'administration chargée des questions scolaires qu'émaneront les premières initiatives pour assurer la présence du livre dans les populations. Après quelques initiatives sous la Restauration, la circulaire de 1860 signée par Gustave Rouland, ministre de l'Instruction publique, très volontariste, est capitale pour l'avenir des rapports livres/école. Elle subordonne l'attribution d'une subvention aux communes pour la construction de l'école à l'achat d'une armoire destinée à entreposer les livres (cette armoire est très précisément décrite : dimensions, matériaux, etc.). Le décor est planté, dont les BCP hériteront un peu moins d'un siècle plus tard: l'armoire à livres dans l'école.

L'idée que l'école est, après la mairie, une deuxième maison commune à l'usage de toute la population, s'implante dans les mentalités tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. Elle y persistera longtemps alors même que cette notion n'aura plus de rapport avec la réalité.

Si le dépôt du bibliobus à l'école se situe dans une continuité historique, il y a, en ce qui concerne les livres eux-mêmes, un abîme entre les préoccupations des autorités au XIXe siècle et les objectifs qui inspirèrent la création des BCP en 1945. Jusqu'à la Première Guerre mondiale au moins, et quels que soient les régimes en place, la bibliothèque à l'école est censée jouer un rôle politique. Il s'agissait de donner aux citoyens de « bons » livres, c'est-à-dire ceux confortant la philosophie du régime en place. Autre préoccupation : fournir aux populations des ouvrages à caractère instructif ou pratique. La fiction n'a pendant très longtemps pas eu droit de cité. Concernant l'aspect éducatif, la distinction entre manuel et « livre de bibliothèque » était loin d'être aussi évidente que pour nous, y compris au niveau éditorial ; cette confusion, ou, à tout le moins, cette proximité, sera lourde de conséquences pour l'avenir.

Une différence considérable entre cette période « préhistorique » et la nôtre : la notion de livre pour enfants à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle est très restreinte par rapport à celle de l'époque contemporaine. La production en est d'ailleurs numériquement peu importante.

Autre précision d'importance: bien après la Première Guerre mondiale encore, les acquisitions sont très strictement contrôlées par la hiérarchie scolaire, ainsi d'ailleurs que le fonctionnement du prêt de livres, malgré différentes tentatives, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, pour essayer d'implanter réellement cette bibliothèque de l'école dans la population.

L'histoire

1945, c'est la création des bibliothèques centrales de prêt, à l'ombre du système éducatif français. C'est en effet, au sein de la Direction des bibliothèques, elle-même rattachée au ministère de l'Education nationale, que prennent place les BCP. Ce sont des services extérieurs de l'Etat, à vocation départementale. Le texte de l'ordonnance de 1945 leur fixe les objectifs à atteindre dans les communes de moins de 15 000 habitants: « un dépôt temporaire et renouvelable de livres ».

Il ne précise pas de quelle façon elles doivent y parvenir. De fait, prenant la suite logique de la tradition évoquée plus haut, les BCP vont calquer leur réseau sur les écoles. Outre la tradition, plusieurs raisons justifiaient le choix de l'école pour le dépôt du bibliobus : en 1945, la plupart des communes ont encore leur école. L'instituteur (trice), qui habite souvent l'école, est un personnage clé dans la commune, moitié notable, moitié animateur; ses activités socioculturelles renforcent (avant la lettre) la vieille idée de l'école « maison de la culture » pour toute la population du village. Il paraissait logique de lui confier la diffusion du livre dans la commune. Si le dépôt du bibliobus n'est pas confié directement à l'instituteur (trice), il peut l'être à une structure proche du réseau enseignant, comme l'Amicale laïque.

L'implication des élus dans la mise en œuvre d'une politique de lecture, notion qui nous est maintenant familière, est pratiquement absente de la démarche professionnelle du bibliothécaire de l'époque. Autant qu'on puisse en juger avec le recul du temps, la constitution du réseau était basée sur le volontariat, la demande du responsable potentiel avec, sous-jacent, le parti pris suivant : le demandeur (collectif ou individuel), suffisamment motivé pour solliciter le dépôt du bibliobus, est le mieux placé pour s'en occuper. C'est ainsi que la mairie, maison commune du village, a été écartée du réseau d'implantation du bibliobus.

En ce qui concerne les enfants, à cette époque, il s'agissait surtout de faire découvrir aux écoliers en milieu rural les livres adaptés à leurs âges et à leurs centres d'intérêts. C'était tout à fait novateur. D'après les souvenirs des professionnels de l'époque, il n'existait pas d'utilisation proprement pédagogique de ces livres.

Les camions des années cinquante n'étaient pas encore aménagés avec des rayonnages, le système de livraison était basé sur la « caisse ». Cette caisse, préparée à la BCP, contenait une cinquantaine de livres avec un pourcentage variable entre livres pour adultes et livres pour enfants, entre documentaires et romans. Une fois à l'école, les livres pouvaient être laissés dans la caisse ou rangés dans l'armoire dont il a été parlé plus haut. Quel que soit le système de rangement, l'accès aux livres n'était jamais direct, immédiat pour les enfants. Il passait par l'entremise du maître ou de la maîtresse.

A partir des années soixante, le contexte dans lequel travaillent les BCP évolue considérablement par rapport au paysage de 1945 sous l'effet de plusieurs facteurs : la fermeture de nombreuses écoles en milieu rural; l'effacement progressif du rôle de l'instituteur dans la commune : bien souvent, il n'habite plus le village; il devient de plus en plus difficile de considérer l'école comme une maison de la culture ouverte à toute la population. Les adultes ne reviennent guère à l'école qu'en tant que parents, et encore ce n'est pas toujours évident.

La population adulte est de moins en moins concernée par les services de la BCP, soit que, l'école disparaissant, disparaisse aussi le dépôt du bibliobus, soit que ce dernier serve exclusivement les enfants scolarisés.

En ce qui concerne cette population, la solution proposée à l'époque était le prêt direct. Ce mode de desserte consiste à faire stationner le bibliobus à des jours et heures fixes connus de la population dans des endroits publics (marchés, sorties d'usine) et donc à prêter directement aux lecteurs, sans passer par l'intermédiaire du dépositaire. Ce système comporte des aspects positifs, assortis de limites. De toute façon, il n'a jamais été étendu à l'ensemble du territoire national, faute de moyens suffisants. L'ensemble des BCP continue à fonctionner avec le réseau scolaire malgré les changements évoqués plus haut et la relation BCP/école se renforce. Pourquoi cette obstination ?

D'abord parce que les BCP n'ont guère d'alternative. En effet, faute de pouvoir appliquer systématiquement le prêt direct, et sans l'implication réelle des municipalités, elles ne peuvent que continuer à s'appuyer sur l'unique institution présentant un réseau cohérent, l'école.

A partir des années soixante, la pédagogie évolue vers des méthodes dites de « pédagogie active », basées sur le postulat suivant : un savoir qu'on s'approprie est de beaucoup plus « profitable » que les connaissances acquises par le seul discours du maître avec le renfort du manuel. Elles invitent l'écolier à puiser ses connaissances par l'observation, l'expérimentation et le recours à d'autres sources que le manuel, l'écrit en général, et donc les livres. Les méthodes de pédagogie active impliquent donc que les écoliers puissent disposer d'un ensemble de ressources documentaires autre que les manuels. Dans les années 70, Jean Hassenforder milite en faveur d'une bibliothèque centrale d'établissement, impliquant l'autonomie de l'élève par rapport à l'acquisition des connaissances, ainsi que le travail en équipe des maîtres dans une démarche pédagogique de décloisonnement.

Dans le domaine de l'apprentissage de la lecture, des enseignants, praticiens et chercheurs, soulignent l'aspect restrictif, mécanique, artificiel et souvent vieilli des textes mis à la disposition dans les manuels de lecture. Ils préconisent le contact direct des enfants avec des « vrais » livres (dits « livres de bibliothèque ») pour l'apprentissage de la lecture. Plusieurs démarches de travail s'en inspireront, une des plus connues celle du « livre vivant » en classe étant basée sur le travail de groupe où l'ensemble des enfants découvrent, jour après jour, la progression d'un récit, d'une « histoire ». Cette méthode de travail suppose que la classe dispose d'un même titre de fiction en de nombreux exemplaires.

Au même moment, l'édition du livre pour enfants prend un essor remarquable. Le nombre de titres publiés augmente considérablement, de nombreuses maisons d'édition, de nouvelles collections apparaissent, avec un renouvellement considérable tant sur le plan de l'écriture que de l'illustration. Il est donc possible d'offrir aux enfants un choix beaucoup plus important.

Pourtant, tous ces éléments n'amèneront pas de changement fondamental de l'école par rapport au livre. Si les démarches pédagogiques évoquées plus haut valorisent le livre, elles ne sont pas, tant s'en faut, adoptées par l'ensemble du corps enseignant. Il ne semble pas que la formation initiale des maîtres les ait vraiment prises en compte : le livre pour enfants, d'une façon générale, est absent de l'enseignement dispensé dans les écoles normales au moins jusque dans les années 70. L'Education nationale ne fait rien pour assurer la présence du livre à l'école, l'institution en tant que telle n'a pas de politique du livre. C'est donc vers la BCP que les enseignants qui s'intéressent aux livres pour enfants vont se tourner pour s'en procurer.

La relation BCP/école s'intensifie donc à partir des années 60. Les bibliobus déposent toujours davantage de livres à l'intention des enfants dans les écoles. Les démarches pédagogiques évoquées plus haut entraînent une demande numériquement plus importante, et le personnel des BCP tient à faire profiter les enfants scolarisés du formidable choix proposé par l'édition. Si le rôle des professionnels du livre dans la formation initiale du maître reste quasi inexistant, le personnel des BCP intervient plus fréquemment dans la formation continue (journées pédagogiques, stages). Les BCP sont souvent sollicitées dans l'utilisation pédagogique du livre : on leur demande par exemple de fournir des ouvrages sur le thème du « livre vivant » en classe.

Autre évolution caractéristique de cette période : la caisse des débuts disparaît. Les enfants viennent choisir, accompagnés des maîtres, dans le bibliobus. Par ailleurs dans la classe, le livre devient accessible aux enfants : sorti de la caisse ou de l'armoire, il s'installe sur les étagères du coin lecture qui va souvent de pair avec la démarche du « livre vivant » en classe.

En 1975, les bibliothèques centrales de prêt sont rattachées au ministère de la Culture. Ce changement administratif ne s'accompagne d'aucune modification dans leur mode de travail. L'ensemble du personnel y est d'ailleurs plutôt hostile.

Un tournant, des questions

En 1978, une circulaire émanant de la Direction du livre tire la sonnette d'alarme. Elle souligne que la BCP n'est pas un service scolaire ou para-scolaire; elle rappelle que, si un seul dépôt du bibliobus existe dans la commune, il doit être ouvert à l'ensemble de la population et ne doit pas fonctionner au seul bénéfice des enfants de l'école. Cette circulaire divise la profession : une partie des personnels y voit en effet la remise en cause du travail accompli en direction des enfants.

En même temps, une notion depuis bien longtemps évidente en milieu urbain fait son apparition en milieu rural: l'implication des élus, indispensable au développement de la lecture. La présence du livre ne peut s'appuyer sur le seul volontariat individuel ou associatif ; elle passe par des équipements et des moyens matériels et humains qui ne peuvent être que le fait d'une collectivité publique. De modestes crédits pour achat de livres sont attribués par la Direction du livre aux communes qui ont fait un effort pour créer une bibliothèque. Cette donnée est importante, même si l'étroitesse des budgets en réduit la portée, car elle laisse entrevoir la possibilité d'un autre réseau pour les BCP: des équipements communaux ouverts à toute la population.

A partir de 1981, la Direction du livre tentera de négocier avec les directions concernées du ministère de l'Education avec comme objectifs un désengagement de la BCP en ce qui concerne les dessertes uniquement scolaires et, d'autre part, une prise en charge réelle du livre par l'institution école. Elle proposait une authentique collaboration entre administrations différentes (Culture et Education), entre professions différentes (bibliothécaires et enseignants), entre institutions différentes (bibliothèques publiques et écoles). Les négociations ont été difficiles, car l'Education nationale a eu du mal à admettre la fin d'un service dont elle bénéficiait depuis des décennies, et qui lui évitait d'avoir à mener sa propre politique du livre.

Dans le même temps, la Direction du livre développe, en direction des communes, une politique d'incitation qui vise à proposer à l'ensemble des populations des équipements de qualité. Des subventions sont attribuées aux communes qui créent une bibliothèque, qui étendent un service déjà existant, qui construisent ou aménagent un bâtiment, qui recrutent un personnel qualifié. Des crédits d'achats de livres et le prêt de mobilier concernent plus spécialement les petites communes.

Dans le même temps également, des responsables de l'Education nationale sensibilisés aux problèmes de l'apprentissage de la lecture, une des causes de l'échec scolaire, essaient de mobiliser l'institution par une politique du livre. La politique du ministère reprend à son compte la réflexion pédagogique évoquée plus haut, en promouvant la « bibliothèque-centre documentaire » dite BCD, héritière de la bibliothèque centrale d'établissement.

En 1984, le ministère de l'Education et le ministère de la Culture s'accordent pour une aide à la création des BCD dans quatre académies (BO du 11-10-84). Ce texte est important par son existence même. Il affirme que l'approche de la lecture par les enfants est une préoccupation commune aux deux institutions, aux deux professions.

L'économie du projet est sous-tendue par un parti pris pédagogique déjà évoqué plus haut: l'autonomie de l'enfant dans son rapport au savoir. Des notions nouvelles y apparaissent : notamment l'ouverture de la BCD, qui se traduit, matériellement, par des horaires d'ouverture en dehors du temps scolaire, mais aussi par la participation des parents, l'accueil d'intervenants extérieurs, et l'intégration à une politique communale du livre.

Le texte, de portée générale, ne règle pas complètement deux points très importants. L'ouverture sur l'extérieur, idée-force du texte, se traduit par une ouverture au-delà du temps scolaire. La configuration des bâtiments avec les possibilités matérielles d'accès est également déterminante. Des critères plus précis à cet égard aideraient à une concrétisation réelle de l'idée. D'autre part, la présence d'un professionnel est envisagée, sans pour autant être exigée, comme étant la condition indispensable pour l'efficacité de l'outil et sa continuité dans le temps.

Tel qu'il est rédigé, le texte concerne implicitement le milieu urbain : la BCD est présentée comme le complément, dans le quartier, d'un réseau de lecture publique déjà existant. En milieu rural, le service public étant encore trop souvent inexistant, l'application du texte tel quel reviendrait à renfermer de nouveau le livre dans l'école. Aussi, s'agissant de petites communes, une réflexion supplémentaire s'impose :

1985 - une nouvelle donne : le divorce ?

Les instructions de la Direction du livre, datées du 1er août 1985, concernant les missions de la BCP, précisent et affirment les orientations de la circulaire de 1978: désormais les établissements scolaires en tant que tels ne doivent plus être desservis par les bibliobus de la BCP. Ces instructions ne manqueront pas de susciter des réactions diverses, épousant la variété des pratiques professionnelles et leur application réelle sera fonction des politiques des Conseils généraux en matière de lecture. Quant au fond du problème, il faut regarder les directives données par cette circulaire à la lumière d'un bilan global des relations BCP/école, et, à la veille de la décentralisation, savoir à quoi servent réellement les BCP devient urgent.

La coopération BCP/école sous sa forme traditionnelle s'étend sur quarante ans. C'est une période assez longue pour qu'on puisse en tirer quelques enseignements.

Du point de vue de la mission de la BCP - la desserte d'une population dans son ensemble - il est évident qu'elle ne peut s'appuyer sur un réseau institutionnel s'adressant à une seule classe d'âge. Le réseau scolaire a montré ses limites à cet égard. La même tentative dans de moindres proportions, avec les clubs du troisième âge, a rencontré le même échec.

En ce qui concerne plus particulièrement les enfants, le désintérêt de l'école pour une politique du livre a des causes multiples dépassant largement la responsabilité des BCP, mais le rôle de fournisseur gratuit joué par ces dernières durant des décennies y a certainement contribué. L'injection massive et directe des livres de la BCP dans l'institution scolaire, lui évitant tout effort à cet égard, a sûrement retardé une nécessaire prise de conscience par rapport au livre.

En ce qui concerne son action propre, en privilégiant le milieu scolaire, la BCP a délaissé les autres terrains, contribuant ainsi, sans le vouloir, au sous-équipement du milieu rural en matière de bibliothèques. On objectera que la collaboration des BCP avec l'école a permis, au minimum, un contact qui n'aurait pas pu exister sans cela entre les enfants du milieu rural et les livres, mais immédiatement, d'autres questions se posent : peut-on réellement parler de contacts, quand une classe de vingt enfants dispose de 20 titres, renouvelés deux à trois fois par an ? Si on tient compte des difficultés de la lecture du texte, des goûts personnels de chaque enfant, des conditions d'accès, quel est le potentiel de livres que chaque enfant pourra découvrir ? Outre la présence physique du livre dans l'école, on objectera que la collaboration BCP/école a permis à des enseignants de mener une démarche pédagogique de découverte et de valorisation de l'écrit et que des travaux passionnants dans cet ordre d'idées ont enthousiasmé des milliers d'enfants. Ceci n'est pas contestable, mais sur un bilan à long terme, quel est l'intérêt d'éveiller les enfants au monde du livre, si ce contact est brusquement interrompu lors du passage à la classe supérieure, s'il ne trouve nulle part en dehors de la classe les aliments correspondant à l'appétit qu'on lui en a donné, si, jeune adulte, citoyen, aucun équipement ne lui permet de continuer cette relation au livre ?

Les rapports du livre et de l'école sont complexes. Parents, bibliothécaires, enseignants, s'accordent à reconnaître l'importance du contact, très tôt, entre l'enfant et les livres; non pas quelques livres limités en nombre, soit par une sélection du maître, soit par manque de moyens, mais une grande quantité d'ouvrages variés correspondant à ses centres d'intérêt et permettant aussi la découverte intellectuelle, le rapport du monde, une grande quantité de livres organisée de façon à ce qu'il puisse y apprendre l'autonomie : toutes choses offertes par la bibliothèque.

Le débat peut donc se résumer (se schématiser ?) de la façon suivante : on ne peut envisager la découverte du livre par les enfants sans y impliquer l'école, mais si le livre est trop lié à l'institution scolaire, si on le « scolarise », l'adolescent, le jeune quittant l'école, quittera aussi le livre. Il le quittera d'autant plus facilement que le livre sera absent de son environnement. L'enfant n'est pas seulement un écolier. Ses rapports avec le livre sont la somme de diverses composantes de son histoire, en plusieurs lieux, dans de multiples temps de vie : famille, école, loisirs. Il faut donc multiplier les possibilités de rencontre entre le livre et l'enfant : à l'école, mais aussi à la crèche, sur ses lieux de loisirs et bien sûr à la bibliothèque municipale où il est complètement libre dans ses choix et dans ses modes d'approche. C'est le rôle d'un service public adapté aux besoins de la population à desservir, c'est donc la bibliothèque municipale qui décentralise ses activités vers tous les lieux de vie. En milieu rural, la BCP aide l'ensemble de la structure communale par un prêt de livres, des prestations variées qui vont de la formation aux actions de promotion du livre.

La spécificité du milieu rural pourrait se schématiser ainsi pour une commune: une population peu importante numériquement, à desservir sur un territoire géographiquement peu étendu, avec une marge de manœuvre financière réduite quant aux équipements collectifs. Un même équipement doit donc pouvoir servir à plusieurs fins. S'agissant plus particulièrement de l'école, deux solutions sont envisageables.

- la bibliothèque communale est située près de l'école. Suffisamment grande, convenablement équipée (livres, mobilier) avec des heures d'ouverture et un fonctionnement adaptés aux besoins de l'école, la bibliothèque communale peut être aussi la BCD. Cette solution a en outre l'avantage de permettre une rencontre entre classes d'âges (enfants et adultes) et d'habituer les enfants, très tôt, au contact avec le livre en général, et non pas seulement avec le livre pour enfant;

- autre cas de figure, la bibliothèque communale existante ne peut jouer le rôle de la BCD, parce que trop éloignée de l'école ou que le local s'y prête mal. La bibliothèque communale/BCD est installée dans l'école avec une ouverture directe sur la voie publique et des horaires d'ouverture pendant le temps scolaire et en dehors. Il s'agit d'une décentralisation, dans les locaux scolaires, de la bibliothèque communale.

Dans les deux cas, un personnel communal est affecté à la bibliothèque. C'est souvent le même agent qui assure le service en direction de la population adulte et le fonctionnement de la BCD. Il s'agit d'une institution communale; les enseignants participent à sa gestion (choix des titres et des documents, programmation des activités) et restent entièrement maîtres de son utilisation pendant le temps scolaire.

La BCD en milieu rural ne peut donc exister qu'étroitement reliée au service communal offert à toute la population. C'est en fait la bibliothèque municipale (1re hypothèse) ou sa décentralisation sur les lieux scolaires (2e hypothèse) qui est la BCD. Mais au-delà des moyens, c'est l'esprit même d'un service public de lecture qui conditionne cette articulation, toutes les initiatives en lecture en direction d'une seule tranche d'âge s'étant soldées par des échecs. Le rapport au livre de l'enfant se situe dans un paysage global intégrant la présence (ou l'absence) des adultes par rapport à la lecture. Assurer la continuité dans les âges des services et des rencontres liés au livre, c'est intégrer sa relation à l'écrit dans un contexte de société, ou plutôt d'apprentissage à la société.

... ou un nouveau départ ?

La BCP ne fournirait donc plus l'école en livres. Est-ce pour autant la fin de toute collaboration entre les deux institutions ? Ce pourrait être, au contraire, la fin d'un malentendu qui a duré 40 ans.

La BCP n'est pas qu'un réservoir à livres. En tout cas, elle ne doit plus être la seule alimentation possible en livres pour tout un département. Son champ d'action, c'est aussi la dynamisation et la structuration du réseau du livre, a fortiori à partir de 1986 puisqu'elle va devenir le service départemental de lecture publique. L'école étant un des points forts de rencontre entre l'enfant et le livre, la présence de ce dernier dans l'institution scolaire entre tout à fait dans ses préoccupations.

La coopération BCP/école prendra donc un nouveau visage avec les directions de travail suivantes :
- la sensibilisation des élus. C'est la volonté municipale qui peut donner à l'école les moyens d'accéder au livre, soit que les locaux scolaires soient tout à côté de la bibliothèque municipale, adaptée aux besoins de l'école, soit que la bibliothèque municipale se décentralise à l'école. Il appartiendrait à la BCP, en liaison avec les enseignants, de sensibiliser les équipes municipales à de tels projets, et de servir de bureau d'étude pour leur réalisation, une fois la décision prise. Si la volonté municipale est une condition indispensable, le département pourrait intégrer, dans sa politique du livre, une aide à la mise en place de ces équipements. Et la BCP pourrait jouer là un rôle décisif;
- la sensibilisation du grand public, et spécialement des parents, au livre pour enfants. Des actions de promotion du livre pour enfants peuvent être menées en commun sur le plan départemental (expositions, fêtes du livre), ou bien la BCP peut soutenir de telles manifestations quand elles sont menées à l'échelon communal;
- l'information des enseignants dans le domaine du livre pour enfants. Les connaissances, à cet égard, ne peuvent pas être considérées comme définitivement acquises : tous les jours des livres nouveaux apparaissent, des maisons d'édition, des collections, des auteurs naissent, d'autres au contraire disparaissent. S'il est un domaine où la formation continue est indispensable, c'est bien celui-là. Les bibliothécaires de la BCP, qui, de par leur profession, suivent la production régulièrement, pourraient participer activement à cette information.

Et que ce soit dans le domaine de la promotion du livre ou de l'information des maîtres, la BCP pourrait servir de lien entre l'école et les autres professionnels du livre : écrivains, éditeurs, libraires. Car le livre ne se réduit pas à un appendice des démarches pédagogiques, pas plus qu'il n'appartient aux bibliothécaires. C'est un monde vivant et multiple. La BCP a donc encore beaucoup à faire avec l'école au-delà de la desserte du bibliobus. La tâche à accomplir est immense pour une authentique présence du livre à l'école. Il n'est pas trop de deux partenaires...