Éditorial

Le bonheur est dans le prêt

Prenez un bibliobus, une équipe « dynamique-et-motivée », des dépositaires bénévoles (= désireux de bien faire), une école et un « large choix de livres ». Ajoutez un petit matin pâle, des routes sinueuses et une pincée de crédits. Arrosez avec quelques gouttes de diesel, recouvrez d'un grand silence 1 et laissez mijoter quelques décennies. Vous obtiendrez un bon raccourci de l'image traditionnelle des bibliothèques centrales de prêt.

Et si cette image reposait sur du vent ? Les ingrédients restent les mêmes mais, au fil des années, l'action des BCP s'est progressivement infléchie et il n'y a plus guère de commune mesure entre les « girls-scouts du ravitaillement en livres » des années 45 et les nouvelles BCP de l'an 1982.

Du militantisme à la normalisation, l'analyse des textes administratifs menée par L. Yvert permet de mesurer l'ampleur de l'évolution. Elle a pu prendre les traits d'une révision déchirante, en particulier lorsqu'il s'est agi de redéfinir les relations avec l'école - au départ le partenaire laïque, gratuit et (quasi) obligatoire; à l'arrivée le boulet qui empêcherait toute rénovation. L'indispensable bouc émissaire en quelque sorte puisque l'école représente encore plus de la moitié des dépôts. 1986 pourrait bien marquer une seconde révision encore plus déchirante puisque les BCP vont passer sous la tutelle des départements. Une échéance souhaitée par les uns (rien à perdre), appréhendée par les autres (qu'y gagner ?) : réactions prévisibles sans doute, dont l'acuité paraît due à la fragilité intrinsèque d'un système fondé sur le bénévolat.

En attendant, les BCP ne sont pas restées inactives. La caisse à livres a disparu, supplantée par le bibliobus de prêt direct, ce dernier étant à son tour en passe d'être détrôné par le « relais ». Mais le relais n'est pas un nouvel avatar du dépôt traditionnel : l'accent est désormais mis sur les médiateurs -intermédiaires responsables que sont les collectivités locales, réseau des dépositaires, formés et informés. L'animation, hier encore une innovation 2, s'intègre à la pratique quotidienne, à la fois point de départ de relais et incarnation des liens avec la BCP. Diversification tous azimuts des documents offerts, mise en place d'un réseau bibliographique automatisé, politique d'incitation à la lecture - tels sont les traits du « nouveau visage » des BCP.

Image trop idyllique, diront certains. Fonder le développement de la lecture publique sur la bonne volonté des élus locaux, c'est travailler sans filet, et les stratégies les plus astucieuses buteront sur l'émiettement et le manque de moyens des communes. Par ailleurs, à trop miser sur l'animation culturelle, la BCP ne risque-t-elle pas d'oublier sa vocation première, le livre ?

Pas du tout, répondront les autres; l'épicerie a fait son temps et la BCP n'est plus le « Monsieur livre » au niveau départemental mais un des éléments d'un réseau, avec des potentialités et des lignes d'action qu'il reste à définir pour une large part, mais qui se définiront à plusieurs.

On peut déjà poser la question : maintenant qu'elles sont investies d'une double mission - construire un réseau et y participer - les BCP doivent-elles en assumer une des conséquences possibles et supprimer le service direct au lecteur ? On assisterait alors au retour des caisses du moins sous leur forme symbolique - des listes thématiques d'ouvrages présélectionnés; les premiers acquis de l'automatisation font apparaître un très large taux de recouvrement dans les acquisitions : les BCP à venir seront-elles un France-Loisirs à grande échelle ? L'hypothèse pourra choquer mais beaucoup se reconnaîtront dans le catalogue de la Redoute; déjà projets et expériences font des BCP des centres de services à l'échelon départemental: services d'information, de télédocumentation, conseil en organisation, en équipement de locaux...

Une innovation à relever : l'accent est mis de plus en plus sur le service aux agriculteurs, longtemps le non-public par excellence. On peut y voir une émergence de la lecture et, plus généralement, de l'information. Mais celle-ci est tributaire de micro-réseaux et de son ancrage local. On retrouve là une problématique similaire à celle du livre. Signe de permanence, mais aussi d'avenir...

La Rédaction.

  1. (retour)↑  Slogan aimablement prêté pour la circonstance par Francis DEGUILLY, Centre de prêt de la Bibliothèque nationale.
  2. (retour)↑  Slogan aimablement prêté pour la circonstance par Francis DEGUILLY, Centre de prêt de la Bibliothèque nationale.
  3. (retour)↑  Martine BLANC-MONTMAYEUR, Les Chemins de la lecture dans les petites communes: bibliobus, dépositaires et lecteurs, étude du département de l'Essonne, DEA Sociologie et économie de la vie locale, 1981, Groupe de recherches sociologiques, Université de Paris X.
  4. (retour)↑  Bernadette SEIBEL, l'Animation dans les bibliothèques centrales de prêt, pratiques nouvelles ou innovation, ministère de la Culture et de la Communication, 1978.