Opération « Janus »

Passeport pour le futur musée national des sciences, des techniques et des industries

Marcel Meyer

L'opération Janus avait pour but principal de tester la valeur muséologique et didactique d'une quinzaine d'éléments préfigurant les expositions permanentes du futur musée national des sciences, des techniques et de l'industrie de La Villette. Les réactions des différents publics représentatifs des visiteurs potentiels du futur musée ont montré les effets du mode de présentation (types de sollicitations mis en œuvre, supports) sur la compréhension de l'objet de la démonstration. On a ainsi constaté que si la sollicitation du jeu n'est pas un obstacle à la réceptivité, le spectacle sans distanciation peut nuire à la compréhention du message scientifique. Par ailleurs, les supports de présentation sont plus efficaces si les objets servant à la manipulation sont utilisés selon leur fonction habituelle, et non détournée, ou s'il s'agit d'objets conçus spécialement pour la présentation et sans équivalents ailleurs. Les publics consultés attendent davantage d'explications sur les phénomènes présentés, mais aussi sur l'" envers du décor ", c'est-à-dire sur les techniques utilisées dans la réalisation des présentations.

Janus process took place at the National museum for science, techniques and industries of La Villette. Its purpose was to experiment the didactic and museologic value of about fifteen items prefiguring the permanent exhibitions of the museum. The reaction of the various people representative of potential visitors have revealed how important the exhibition apparatus is to understand the message. It appears then that if sollicitation for game is not a barrier to receptivity, the spectacle without outdistance will not help to understand the scientific message. On the other hand, the efficiency of the media is obvious first when the use of the selected items does not differ from their original function, and second, when the items have been created especially for the purpose of the manipulation and have no equivalent elsewhere. It appears that the public is expecting more explanations not only on the phenomena presented, but also on the "backstage", that is on the various techniques adopted in setting the exhibitions.

L'opération Janus a été, pour la mission chargée de la réalisation du Musée national des sciences, des techniques et des industries de La Villette, une étape très importante. Décidée au mois de mai 1982, l'opération était, à l'origine, un test de capacité : il s'agissait, pour la mission, de démontrer qu'elle était capable, en six mois, de concevoir, de réaliser et de mettre en œuvre une quinzaine d'éléments de présentation représentatifs des futures expositions permanentes du Musée. En raison même de la nature de l'exercice, l'exposition n'avait aucune cohérence muséologique : elle était une juxtaposition de fragments disparates. De plus, ces prototypes, réalisés très vite, n'avaient pas été conçus pour résister à une exploitation de relativement longue durée. On risquait donc d'avoir un public déconcerté par un important taux de pannes.

C'est donc avec une certaine appréhension qu'on a invité trois mois durant des publics représentatifs des visiteurs potentiels du futur Musée et cela avec quatre objectifs principaux :
- étudier l'efficacité muséologique des présentations exposées, leur lisibilité, leur fiabilité et, en cas de besoin, concevoir, réaliser et tester les modifications nécessaires ;
- analyser les différentes attitudes des divers publics, mesurer leurs attentes et notre capacité à les satisfaire et à en susciter d'autres;
- expérimenter des techniques d'animation;
- enfin, évaluer des méthodes d'évaluation.

La moisson d'enseignements a été riche et il n'est pas possible, dans le cadre restreint de cet article, d'en rendre compte de façon exhaustive *. Qu'il nous soit cependant permis d'indiquer ici que l'exposition a rencontré un succès qui dépassait largement nos prévisions : les indices de satisfaction sont extrêmement élevés, de l'ordre de 90 %. Le caractère ludique fortement affirmé, l'interactivité très importante, le caractère spectaculaire de l'ensemble ont été les causes principales de la satisfaction de nos visiteurs, en particulier des jeunes. En même temps, ces trois mois de travail nous ont montré que de nombreux problèmes restaient à résoudre.

Nous avons choisi d'exposer ici quelques exemples de ces enseignements portant sur les conséquences des choix opérés en matière de sollicitations, de support et enfin de propos.

Les différents types de sollicitations

Les présentations de Janus utilisaient des sollicitations variées induisant des comportements et des attitudes très différents de la part du visiteur. Nous allons tenter de montrer les conséquences du choix d'une sollicitation à partir de deux exemples, le jeu et le spectacle.

La sollicitation ludique

Le jeu avait à Janus une importance essentielle et cela explique en grande partie la satisfaction des visiteurs. Nous n'entrerons pas ici dans le débat autour de la satisfaction ludique comme fin en soi (le musée peut-il être un lieu d'amusement, un parc d'attractions, etc. ?). En revanche, il nous semble possible de tirer de notre expérience quelques leçons sur le rapport entre le ludique et le didactique dans le cadre d'un musée scientifique.

Partons de l'exemple qui a soulevé le plus de contestations : la cabine sismique 1. La sollicitation ludique y est largement involontaire. Il est apparu très vite qu'elle était souvent assimilée à un manège : la remarque « C'est la foire du Trône », en général faite par des adultes, la demande « M'sieur, on peut refaire un tour de cabine ? » ont été très souvent formulées. D'où la réaction catastrophée d'un certain nombre de personnes : le manège paraît incompatible avec le message, étant donné la gravité du phénomène.

Or, les résultats des enquêtes vont tous dans le même sens. Ils montrent que : - les gens, en particulier les enfants, s'amusent beaucoup, même si un peu de frayeur se mêle à l'amusement (comme dans certains manèges); le sentiment de frayeur peut d'ailleurs, pour une minorité, dominer pendant l'expérience;
- la majorité des visiteurs affirme après coup que la cabine est réaliste, donne une bonne sensation de ce qu'est un vrai tremblement de terre;
- les visiteurs, y compris les jeunes enfants, déclarent en même temps (c'est-à-dire après s'être bien amusés) qu'un vrai séisme, c'est tragique: « Est-ce qu'un tremblement de terre comme celui-là est possible à Paris ? » est une question plusieurs fois entendue;
- une partie importante des visiteurs réclame ensuite des informations, des explications sur les causes et les conséquences des séismes.

Bref, l'attitude ludique n'est pas ici un obstacle à la réceptivité au didactique: la demande vient spontanément du visiteur, alors même que l'environnement de la cabine n'offrait guère d'éléments dans ce domaine. Il est vrai que l'on sait en général déjà, avant d'avoir visité Janus, qu'un tremblement de terre est tragique. Mais nous pensons que le côté « manège » de la cabine, non seulement ne masque pas cette réalité, mais au contraire la met en valeur. Tout d'abord parce que les visiteurs, y compris les enfants, font très bien la différence entre - pour reprendre le vocabulaire de ces derniers - le « pour de vrai » et le « pour de faux »; ensuite, parce qu'une attitude de jeu fondée sur une forte stimulation sensorielle augmente la réceptivité à la connaissance. Encore faut-il que cette réceptivité soit réellement exploitée, c'est-à-dire que le propos offert soit adapté à la demande suscitée et au niveau des visiteurs.

Le spectaculaire et le merveilleux

De nombreuses présentations de Janus offraient des aspects spectaculaires, voire, dans certains cas, jouaient uniquement sur cette sollicitation, En même temps, ces présentations avaient une ambition didactique plus ou moins clairement affirmée. Une constatation s'est très vite imposée à nous : le message, lorsqu'il existe, n'est en général pas compris par le public, encore moins assimilé, alors même que le spectacle est jugé « beau », voire « merveilleux » ou « fascinant ».

C'est particulièrement net dans le cas du petit théâtre de la sidérurgie 2. Les appréciations du public sont assez contrastées mais souvent fort élogieuses quant au spectacle. Mieux: les visiteurs auxquels la présentation a plu appuient leur jugement non seulement sur la beauté des images, mais aussi sur le caractère « instructif » de cette présentation. Cependant, les mêmes personnes qui jugent cette présentation « instructive » n'ont en général pas compris grand chose. Notre enquête a montré cela de façon très claire : quand on compare les connaissances sur la sidérurgie avant et après la vision, on constate une progression très faible et même parfois une régression.

Comment peut-on expliquer cet échec ? Au-delà de certaines maladresses que l'on peut corriger, il semble y avoir une difficulté fondamentale, inhérente à la sollicitation spectaculaire elle-même, du moins dans le cas où l'on veut, en même temps, « faire passer un message ». Deux problèmes se posent alors :
- le rythme: on pourrait résumer le problème par la formule suivante : le spectacle doit être rapide, la pédagogie est nécessairement lente. Ainsi, si l'on ralentissait le débit du commentaire pour le rendre plus compréhensible, on ralentirait aussi celui des images et le spectacle deviendrait peut-être lent, ennuyeux;
- la nécessaire distanciation : plaçons-nous dans le cas où l'on veut faire comprendre un concept, ou simplement faire approcher un concept, une idée. Bachelard écrit : « l'esprit scientifique doit se former contre la Nature... contre le fait coloré et divers » (La Formation de l'esprit scientifique, p. 23).

On pourrait multiplier les références, jusqu'à Brecht et ses théories sur la distanciation dans le spectacle : pour accéder au concept, à l'idée, il faut s'abstraire de la réalité, de l'image du réel, de la perception visuelle du réel. Autrement dit, il est difficile, sinon impossible, d'être dans le même temps fasciné par une image et de réfléchir à une idée nouvelle en soi ou même simplement. de l'accueillir. Pour revenir à l'exemple de la sidérurgie, il semble que le commentaire ne soit pas, par lui-même, inefficace. Voici la réflexion d'une personne qui avait vu le spectacle pour la deuxième fois : « Si tu fermes les yeux et si tu réfléchis, tu comprends ». Les jeunes aveugles ont d'ailleurs trouvé les explications très bonnes et claires. Autrement dit, pour comprendre, il faut s'abstraire des belles images.

Ainsi, le spectaculaire doit être manié avec précaution; quand on l'accepte en tant que tel, quand on cherche simplement à émerveiller, on risque :
- le sentiment de frustration (Qu'est-ce que cela veut dire, on ne comprend pas, etc... »);
- l'erreur grossière, à la limite de la magie: devant l'hologramme, certains visiteurs n'osaient pas s'approcher et, en général, étaient persuadés que le vrai trombone devait se trouver caché quelque part.

Si l'on mêle le didactique au spectacle, sans rupture, c'est-à-dire si l'on veut faire passer l'idée par la belle image fascinante, on risque l'incompréhension. Dans ce cas, les ambitions ne peuvent qu'être très modestes et parfaitement délimitées et on risque de se contenter du pittoresque, de l'anecdotique. Si l'on veut, malgré tout, introduire un concept, une abstraction, il nous paraît indispensable de rompre avec la fascination du spectacle, d'introduire une distanciation. Introduire une distanciation, une rupture ne signifie pas cesser de montrer du beau : ce n'est pas avec le plaisir esthétique qu'il faut rompre mais avec le spectacle du réel, le pittoresque du phénomène. C'est dire que la beauté de l'idée, du concept, de l'abstraction doit remplacer celle du phénomène. Par ailleurs, il faut en même temps rompre avec le rythme du spectacle et passer à celui de l'abstraction.

Le choix du support et ses conséquences

Nous allons à présent aborder les enseignements que l'exploitation de Janus a permis de tirer sur la question du rapport entre certains supports et le propos.

Le support-décor qui n'intervient pas dans la « manipulation »

Janus présentait deux cas de ce type : l'orgue du parfumeur 3 et la présentation roulette et martingales 4. Dans les deux cas, on avait un support-prétexte, destiné à créer une atmosphère. Ni la table de jeu, ni la table de travail du parfumeur n'intervenaient réellement dans la « manipulation 5 ». Il y a cependant une différence très importante entre les deux :
- dans ce cas, le support était réduit à un décor symbolique factice, ses fonctions spécifiques étaient neutralisées. Ainsi, les bouteilles de parfum, les lunettes, etc. étaient des moulages et cela de façon immédiatement visible puisque l'ensemble de la table était de couleur unie;
- dans l'autre cas, le support était un décor magnifique suscitant l'admiration pour lui-même : la table de roulette était authentique, superbe et surtout ses fonctions spécifiques n'étaient pas neutralisées. Contrairement aux bouteilles de parfum, la roulette elle-même était en état de fonctionner, on pouvait la faire tourner, les visiteurs au demeurant ne s'en privaient pas.

Nous avons constaté un sentiment de frustration chez les visiteurs. Assez faible et peu fréquent dans le premier cas, puissant et très courant dans le second. Nous avons observé des visiteurs qui essayaient d'ouvrir les bouteilles de parfum et qui se plaignaient qu'on ne puisse le faire. Surtout, nous avons souvent été assaillis de remarques à propos de la roulette: « A quoi sert-elle ? », « Pourquoi ne peut-on jouer avec? », et encore plus souvent « Mais il n'y a aucun rapport entre les ordinateurs et la roulette ! » (sur un ton exprimant la déception).

De toute évidence, les visiteurs étaient mécontents d'avoir été appâtés par la superbe table et de ne pas pouvoir s'en servir, de voir qu'elle n'intervenait pas dans le programme proposé. Cette frustration peut d'ailleurs conduire à des attitudes de vandalisme, ainsi les lunettes de l'orgue ont-elles été cassées (elles étaient, il est vrai, fragiles !).

C'est pourquoi nous pensons qu'il convient de se méfier a priori de ce type de support-décor, d'utiliser plutôt des supports ayant une fonction réelle dans la présentation. Si l'on doit, malgré le danger de voir naître le sentiment de frustration, utiliser ce type de support, il nous semble préférable d'avoir recours à la solution de décor symbolique à fonctions neutralisées comme dans le cas de l'orgue, les sentiments de frustration étant ici nettement moins forts.

Le support fonctionnel en utilisation détournée

Nous désignons par cette expression un objet qui, dans la présentation, est en fonctionnement, mais dont la fonction est différente de celle à laquelle on est habitué. Deux exemples :
- les casques dans le petit théâtre de la sidérurgie 6. Ils servaient effectivement (la visière munie de lunettes permet de voir le relief), mais cette fonction était différente de la fonction normale (protection);
- les néons dans la maquette du corps 7. Ils symbolisaient l'appareil circulatoire. Ici, le « détournement de fonction » est moins net puisque les néons peuvent avoir de multiples usages, y compris des usages graphiques assez proches du cas de notre maquette. Cependant, l'effet de surprise jouait quand même de façon nette.

Laissons ici de côté les problèmes posés par le fonctionnement quelque peu défectueux de nos deux exemples. Ce qui nous intéresse ici, c'est l'effet qu'a produit sur les visiteurs l'utilisation inhabituelle proposée. Dans les deux cas, on observait des visiteurs un peu surpris, quelque peu amusés, mais aussi déconcertés. Ce qui nous paraît important ici, c'est la tendance à la résurgence des images induites par l'utilisation d'origine ou habituelle de l'objet. La maquette du corps a ainsi suscité des remarques assez fréquentes comme: « Tiens, c'est Pigalle » ou « C'est une pub »; malgré l'évidence du symbolisme, il y a eu sans cesse incompréhension: on percevait difficilement les néons comme représentant l'appareil circulatoire : la fonction habituelle masquait la signification de l'objet dans la présentation.

Quant aux casques de sidérurgistes, les visiteurs (en particulier les enfants, mais pas seulement eux) les utilisaient pour « jouer au sidérurgiste » (ou aux travailleurs de chantier), oubliant, voire ne comprenant pas la fonction des lunettes, en particulier quand ils entraient dans le petit théâtre en cours de présentation.

Ainsi, il faut se méfier de cette résurgence de la fonction d'origine, car elle risque de masquer la fonction qu'on a donnée à l'objet dans la présentation. Cela ne signifie pas qu'il faille abandonner le principe, mais une grande prudence s'impose. Cela implique notamment qu'il convient de rendre évidente la fonction assignée à l'objet dans la présentation : certains ont exprimé le souhait qu'on leur explique clairement pourquoi ils doivent mettre le casque. Dans le cas de la maquette du corps, il faut indiquer expressément que les néons représentent l'appareil circulatoire.

Le support fonctionnel en situation normale

L'objet est utilisé sous une forme habituelle, qu'elle soit familière ou non. C'est le cas des mouillettes de l'orgue du parfumeur, du micro de la vitesse du son 8.

Les difficultés d'utilisation sont alors beaucoup moins grandes et l'efficacité de la présentation est renforcée (même si d'autres obstacles peuvent, comme dans le cas de la vitesse du son, annuler cet avantage). Cette efficacité atteint, nous semble-t-il, son maximum lorsque l'objet lui-même est proposé à la découverte. La distinction entre support et message disparaît alors quasiment, comme dans le cas de l'endoscope 9. A condition qu'on permette au public de toucher, d'explorer, d'utiliser (à la différence de la méridienne 10), on obtient un succès à la fois pédagogique et ludique : on comprend beaucoup mieux les fibres optiques et on prend grand plaisir à explorer avec l'endoscope, y compris de façon imprévue.

On peut rattacher à la même catégorie le mur anti-bruit 11. L'objet était certes présent sous forme de maquette (l'immeuble, le mur), mais là également les fonctions étaient conformes à la situation normale. A condition que le mode d'emploi soit compris, on a là aussi une grande efficacité et un plaisir évident. La même présentation contenait d'ailleurs un contre-exemple : le rideau d'arbres. Comme sa représentation n'était pas réaliste, les visiteurs refusaient souvent la démonstration.

Le support spécifique

Ici, l'objet est conçu et réalisé pour la présentation et n'a pas son équivalent ailleurs. C'était, à Janus, le cas des structures utilisées dans l'espace Bulles et fabules 12, ainsi que du support illustrant le phénomène de réflexion et réfraction (guide d'ondes 13).

Nous avons, là aussi, constaté une grande efficacité. A ce sujet Bachelard écrit : « La science réalise ses objets: la phénoménotechnique étend la phénoménologie. Un concept est devenu scientifique dans la proportion où il est devenu technique, où il est accompagné d'une technique de réalisation » (La Formation de l'esprit scientifique).

Ainsi les concepts de tension superficielle, de distance minimale deviennent, pour les visiteurs, scientifiques dans la proportion où ils sont accompagnés de ces réalisations bricolées, surtout si on leur permet de les réaliser eux-mêmes.

Comprendre

Un besoin immense

Les attentes des publics à l'égard du futur musée sont multiples et parfois contradictoires. Mais au-delà des contradictions, des variables, un désir s'exprime avec force : comprendre. Que ce soit sous forme de « pédagogie simple », d'« initiation », de « tremplin vers... », on veut accéder aux sciences et aux techniques, comprendre le « monde moderne », etc., et c'est pour réaliser ces désirs qu'on « vient au musée » (Janus est souvent vécu comme si c'était déjà le musée). Nous avons retrouvé cette constatation sous deux formes :
- les louanges : « Là, on comprend », « Ça, c'est instructif... »
- les critiques : « On ne comprend pas », « A quoi cela sert-il ? », « Qu'est-ce qu'il y a à comprendre ? »

En réalité, la majeure partie des critiques porte sur cet aspect. Lorsqu'on a été déçu, c'est presque toujours parce que l'on n'a pas su utiliser une présentation, qu'on n'en a pas compris le message ou, critique suprême, qu'on estime qu'elle n'en contient pas.

Dans ce cas, la déception s'exprime par un terme ambigü, mais au fond assez méprisant : « C'est un gadget » (très souvent entendu). Certes, cette avidité de connaissances n'est pas sans limites :
- d'une part, beaucoup veulent apprendre, mais bien souvent ont du mal à faire l'effort nécessaire,
- d'autre part, on se plaint qu'à Janus il y a trop à voir, trop à faire : la faculté de comprendre comme celle d'admirer s'émousse rapidement.

Ces contradictions sont bien sûr à l'origine d'une des principales difficultés auxquelles nous avons à faire face.

Comprendre le fonctionnement d'une présentation

Partons d'un exemple :

La gerbe laser 14: un bel objet. Excluons le public informé (scientifiques bien sûr, mais aussi tous ceux qui savent ce qu'est un laser, ce qu'est une lame séparatrice, ce qu'est la lumière). Que voient les autres ? Un objet constitué de colonnes de verre dans lesquelles circule un liquide : c'est la description qui revient le plus souvent, avec des variantes. Lorsqu'ils savent qu'il y a quelque part des lasers, ils s'imaginent souvent les voir à l'endroit des cibles.

Ces erreurs viennent d'abord d'une faible capacité d'observation. Il serait faux d'affirmer que « les gens ne voient rien ». La vision est sans doute le sens le plus exercé en moyenne. Encore faut-il, pour voir réellement, que deux conditions soient remplies :
- regarder avec attention: c'est le cas lorsqu'on fait un test de reconnaissance des formes, mais pas lorsqu'on est devant une présentation de laquelle on attend, a priori, qu'elle soit parfaitement lisible;
- connaître ce que l'on regarde : voir, c'est établir un rapport entre un objet et des connaissances, des concepts; voir c'est reconnaître ; on voit comme on pense... ; ainsi, quand on ne sait pas ce qu'est une lumière cohérente, directionnelle, prend-on les rayons laser pour des colonnes matérielles.

Dans la pratique, il est extrêmement difficile de tenir compte efficacement de ces difficultés. On peut toutefois :
- amener le visiteur à fixer son attention, à exercer ses facultés d'observation; nous avons pu réaliser cela par le biais de l'animation, en particulier sur l'exemple de la gerbe laser; en laissant au visiteur le temps de regarder, d'accommoder, de se faire une première idée, même fausse, puis en guidant son regard, en décrivant ce qui se passe, on arrive à faire comprendre la présentation, du moins dans le sens où les gens en voient alors le mécanisme;
- donner au visiteur les moyens de voir par lui-même. Même si la présence d'un guide, d'un démonstrateur semble être la meilleure réponse possible à ces difficultés, il sera impossible et, au demeurant non souhaitable, de guider la totalité des visiteurs. Il faudra donc donner aux autres la possibilité de voir - au sens où nous l'entendons ici - les présentations. Cela pose deux problèmes : le contenu du commentaire et son support.

Le contenu

Nous pensons qu'il sera souvent nécessaire d'accompagner les présentations d'un message qui en décrive le fonctionnement. Dans le cas de la gerbe laser, cela signifie indiquer où se trouvent les lasers, quelle est la direction prise par la lumière, ce que font les lames séparatrices, le rôle de l'aérosol, le rôle des cibles.

Le support

On pense bien sûr tout de suite à des panneaux: de tels panneaux pourraient présenter des croquis, des schémas simples renvoyant à la présentation et accompagnés d'un minimum de texte. Nous ne combattons pas a priori l'existence de panneaux didactiques apportant des compléments d'information, mais il nous semble que la vocation première des panneaux doit être de rendre compréhensible le fonctionnement de la présentation, d'en expliquer en particulier le montage. A cet égard, nous avons observé des visiteurs qui, déconcertés par la gerbe laser, se tournaient vers les panneaux pour chercher à comprendre. Par ailleurs, cette information sur le schéma de la présentation peut être donnée par d'autres moyens :
- indications portées sur la présentation elle-même. On peut imaginer une étiquette sur les lasers indiquant qu'il s'agit de cet appareil;
- indications disponibles, sous forme de feuilles à prendre à côté de la présentation, éventuellement des fiches de niveaux différents ;
- enregistrements explicatifs individuels transportés par le visiteur ou consultés sur place;
- commentaire collectif enregistré et accompagné d'un éclairage directionnel indiquant l'objet du commentaire.

L'envers du décor

Il nous est apparu très vite que l'intérêt pour le fonctionnement technique des présentations, pour ce que nous avons appelé « l'envers du décor », était important. Sans constituer une préoccupation dominante, la demande dans ce domaine est loin d'être négligeable. Prenons l'exemple de la cabine sismique. A cet égard, c'est la présentation la plus accessible et c'est celle pour laquelle nous avons fourni de nous-mêmes le plus de données (transparence des barrières de sécurité permettant de voir les vérins hydrauliques, explications sur leur fonctionnement fournies spontanément). Nous avons observé une grande réceptivité du public à ces aspects.Cet intérêt. pour l'envers du décor nous semble très positif pour deux raisons :
- il correspond parfaitement à la vocation du Musée... des techniques...
- il favorise la compréhension des présentations, donc leur appropriation plus libre et plus responsable par le public.

C'est pourquoi nous proposons de développer cet aspect de façon quasi systématique. Dans bien des cas, lorsqu'on aura permis au visiteur de comprendre le fonctionnement d'une présentation, y compris son fonctionnement technique (l'envers du décor), on aura par là-même transmis l'essentiel du message : c'est le cas, par exemple, de la gerbe laser et de la vitesse du son. Cela laisse cependant non résolus deux problèmes :
- la compréhension du message dans le cas où celui-ci n'est pas lié au fonctionnement de la présentation,
- le désir d'aller au-delà du propos de la présentation. Mais nous touchons ici des questions extrêmement générales qui n'entrent pas dans le propos de cet article.

La plate-forme de Janus a été transformée en atelier permanent de test et d'évaluation. On y expérimente des éléments de présentation à divers stades de leur conception et de leur réalisation. En janvier 1985, nous passerons à une phase différente. Agrandie, la plate-forme va cette fois accueillir des ensembles cohérents (îlots), plus représentatifs de ce que sera réellement le Musée.

  1. (retour)↑  On voudra bien, pour en prendre connaissance, consulter le n° 5 de la collection « Les Etudes », publiée par la Mission (département liaisons extérieures, Mission du Musée national des sciences, des techniques et des industries, Parc de La Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75019 PARIS. Tél.: 240-27-28).
  2. (retour)↑  La cabine sismique: une cabine métallique d'une surface d'environ 12 m2 était montée sur 6 servo-vérins hydrauliques. Les mouvements de ces vérins étaient commandés par un convertisseur digital-analogique connecté à un mini-ordinateur. Un certain nombre de séismes, ayant réellement eu lieu, pouvaient ainsi être reproduits au bénéfice des visiteurs que l'on avait fait monter dans la cabine. Les programmes enregistrés allaient de la force 4 à la force 8 de l'échelle de Mercali. Les vérins étaient visibles de l'extérieur, car les barrières de protection étaient transparentes et le dessous de la cabine éclairé.
  3. (retour)↑  Le petit théâtre de la sidérurgie: reconstitution d'une salle de contrôle du complexe de la SOLMER à Fos. Un mannequin animé (tête parlante) présentait le processus de fabrication de l'acier. Des images en relief défilaient sur un grand écran, des croquis animés à caractère didactique sur des moniteurs de télévision. Les lunettes des casques permettaient de voir en relief.
  4. (retour)↑  L'orgue du parfumeur : une table de travail de parfumeur était présentée en résine moulée blanche. Le visiteur disposait de mouillettes qu'il introduisait dans une série d'ouvertures. Ainsi, il faisait ou refaisait connaissance avec sept essences ou arômes de base. On lui proposait ensuite de tester sa mémoire olfactive : la machine redonnait les sept odeurs en ordre aléatoire et un pupitre permettait de vérifier et de comptabiliser ses performances.
  5. (retour)↑  Roulette et martingales : une véritable table de casino servait de décor à un jeu informatique sur le hasard. En essayant diverses martingales, le visiteur pouvait constater que « le hasard n'a pas de mémoire ».
  6. (retour)↑  Ce terme de jargon local désigne ici la partie de la présentation qui appelle une activité du visiteur.
  7. (retour)↑  Cf. note 2.
  8. (retour)↑  Le corps, transit et circulation : des films montrant des personnages dans diverses activités de la vie quotidienne étaient présentés sur un moniteur de télévision. Un second montrait des vues de l'intérieur du corps et une maquette illustrait les changements qui s'opèrent dans le système cardio-vasculaire et le système digestif. Un commentaire diffusé par haut-parleur expliquait les relations entre les différents événements.
  9. (retour)↑  La vitesse du son : on pouvait envoyer des tops sonores ou, grâce à un micro, sa propre voix dans un tuyau de 190 m de long. On entendait l'envoi dans l'oreille gauche, l'arrivée dans l'oreille droite. Un bouton permettait d'émettre des tops à intervalles réguliers. On était invité à faire varier la fréquence d'émission jusqu'à ce que le top coïncide avec le retour du précédent : un cadran indiquait la durée de l'intervalle et la vitesse du son correspondant.
  10. (retour)↑  L'endoscope : un câble souple relié à une caméra et à un moniteur de télévision permettait de voir l'intérieur d'un moteur. Le câble pouvait être manipulé par les visiteurs.
  11. (retour)↑  La méridienne : les arpenteurs du ciel : la lunette méridienne de Lyon a été restaurée par la Mission du Musée. Un panneau évoquant Hipparque et une petite maquette de satellite Hipparchos replaçaient la lunette dans l'histoire des techmques de repérage des étoiles.
  12. (retour)↑  Le mur anti-bruit : l'autoroute en sourdine : maquette représentant une autoroute, un mur anti-bruit et un immeuble de dix étages. Le tableau de commande permettait :
    - d'éloigner ou de rapprocher l'immeuble de l'autoroute,
    - de faire monter ou descendre le micro le long de la façade,
    - d'escamoter ou d'élever un mur anti-bruit et un rideau d'arbres,
    - de mesurer la variation du bruit reçu par le micro et que l'on entend dans les casques.
  13. (retour)↑  Bulles et fabules: conçu pour des enfants de 5 à 11 ans, cet espace permettait de faire toute une série d'expériences avec des bulles de savon. Les enfants étaient invités à faire le rapport entre ces expériences et certains phénomènes naturels, certaines lois physiques. Des cadres métalliques permettaient d'illustrer le principe de la distance minimale.
  14. (retour)↑  Le guide d'ondes : présentation à trois éléments illustrant certaines lois de la propagation de la lumière. Trois rayons laser de faible puissance étaient dirigés vers des milieux transparents. L'angle d'incidence était variable. La variation pouvait être, au choix, automatique ou manuelle. Le premier élément comportait une demi-roue surmontée d'un parallélépipède d'indice plus faible; selon l'angle d'incidence, on obtenait, à l'endroit de la surface de contact entre les deux milieux, réflexion totale, réfraction totale ou réflexion partielle. Le second élément était un guide d'ondes à section carrée présentant un coude. Le troisième, un guide d'ondes à section circulaire. Dans les deux cas, on voyait le rayon se propager à l'intérieur du guide par réflexions succéssives sur les parois. Il s'agissait d'illustrer le principe des fibres optiques.
  15. (retour)↑  La gerbe laser: par le jeu d'une série de lames séparatrices, la lumière produite par deux lasers est amenée à construire une sculpture de lumière.