Les héros de l'Histoire de France
recherche iconographique sur le Panthéon scolaire de la IIIe République
Christian Amalvi
L'iconographie des manuels d'histoire de la IIIe République n'avait été, jusqu'ici, que très partiellement étudiée, c'est dire l'intérêt que présente cette synthèse qui pourrait porter en sous-titre « comment nos grands-parents ont appris l'Histoire ».
Négligée pendant tout le début du XIXe siècle, l'Histoire à l'école primaire prend, après la guerre de 1870, une grande importance dans les programmes. Son enseignement répond à un double but : exalter le patriotisme en vue d'une « revanche » tenue pour assurée, et enseigner la morale à travers l'exemple laissé par les grands hommes.
C'est dire que l'Histoire, qu'elle soit « laïque » ou « confessionnelle » - d'inspiration catholique - est fortement orientée, et que les manuels ne peuvent être qu'un reflet des grandes luttes d'opinion qui divisent les Français.
Les tirages sont considérables. D'après les seules archives des éditions Hachette, le livre de Gauthier-Deschamps : Petits tableaux d'histoire de France par l'image, publié pour la première fois en 1904 et réédité jusqu'en 1936, dépasse le million d'exemplaires. Trente ans pour un livre de classe... les programmes variaient peu alors, et le même livre servait à deux générations.
L'illustration des manuels est soignée, et fait appel à ces mêmes artistes qui travaillent à la fois pour l'enseignement primaire et pour les somptueux livres donnés en prix, qui en sont les compléments, et demeurent dans les familles.
L'Histoire élémentaire ne serait-elle qu'une galerie de grands hommes ? On est tenté de le croire en voyant défiler sous nos yeux, grâce à une iconographie particulièrement réussie, Clovis (et bien entendu le vase de Soissons), Charlemagne et les bons écoliers, Jeanne d'Arc (manuels laïques et manuels catholiques se la disputent mais ils se réconcilient à son sujet sur le thème du patriotisme), l'héroïque chevalier d'Assas, Bonaparte au pont d'Arcole, Gambetta quittant Paris en ballon.
Quant aux rois, on les range alors en trois catégories : les bons - Louis XII, Henri IV - les mauvais - Henri III, Louis XV - et les grands - Louis XIV.
Les auteurs des manuels rivaux se jettent à la tête un certain nombre de crimes ; citons pêle-mêle la croisade des Albigeois, la Saint-Barthélémy, les dragonnades, les massacres de septembre 1792, la terreur blanche, enfin la Commune. Ils s'unissent toutefois pour raconter en des termes semblables les batailles de la guerre de 1870 et pour faire espérer le retour de l'Alsace-Lorraine dans le sein de la mère-patrie. A l'exaltation des vertus patriotiques de Gambetta et surtout de Jules Ferry dans certains ouvrages, correspond celle « du cardinal Lavigerie, débonnaire et souriant vieillard à barbe blanche, devisant familièrement avec de petits Noirs et celle du désintéressé Brazza, délivrant les esclaves (qui) témoignent des intentions pacifiques et bienfaisantes de la France ».
La guerre de 1914 et le sacrifice des « poilus de Verdun » mettent provisoirement terme aux querelles des livres scolaires.
Mais les vieilles gloires nationales ont ceci de bon que tout le monde peut les utiliser. En 1940 les héros confinés en une semi-retraite « pour cause de victoire » reprennent pourtant le service actif. Vichy cherche en effet à exploiter pour la plus grande gloire du Maréchal les figures légendaires ou charismatiques de l'histoire de France. Et, à la Libération « ces héros ambivalents retournent une nouvelle fois leur veste pour endosser la casaque de la Résistance. Le geste de Jeanne d'Arc par exemple, jusque là habilement exploité par la propagande de Vichy contre l'Angleterre, contribue désormais à justifier et à rehausser l'action du général De Gaulle, tandis que l'épopée du général Leclerc perpétue dans le Walhalla scolaire le cycle chevaleresque de Bayard, Hoche, Guynemer... ».
Maintenant, on étudie, au lycée, l'histoire sous forme de tableaux statistiques et de données économiques - ce qui est beaucoup moins amusant -et on laisse aux auteurs de bandes dessinées Vercingétorix - pardon, Astérix ! -, Pépin le Bref ou bien Louis XI. Quant à la morale civique, il y a longtemps qu'on n'en parle plus !