De l'installation d'un système de détection des vols d'ouvrages dans une bibliothèque
L'installation de tout système de détection des vols pose un certain nombre de problèmes. Une rapide synthèse de ces problèmes a été dressée : problèmes de coût, d'installation matérielle, d'organisation interne, psychologiques. L'efficacité est enfin comparée au coût du système.
L'installation d'un système de détection des vols dans une bibliothèque pose, indépendamment du système choisi 1, un certain nombre de problèmes. Certains ne se révèlent qu'à l'usage; c'est pourquoi, après cinq mois d'expérience, nous pensons faire œuvre utile en essayant d'en faire une courte synthèse.
Lorsque l'on envisage l'achat d'un tel système, les avantages en paraissent évidents : arrêt de l'hémorragie d'ouvrages qui va grandissant, fiabilité des systèmes garantie à 90 %, amélioration psychologique du contrôle, à caractère moins vexatoire que l'ouverture des porte-documents, par exemple. Un rapide calcul permet d'établir qu'à première vue l'opération est rentable, et que, vu le coût des ouvrages, l'achat sera amorti, selon la bonne règle, en moins de cinq ans. Voilà le premier stade.
Mais il s'agit maintenant d'aller un peu plus loin dans l'analyse. En effet, il serait dangereux de croire qu'il suffit d'acheter et d'installer l'appareil, pour que tout soit résolu. En fait, cette installation va soulever des problèmes de coût, des problèmes d'installation matérielle, d'organisation interne, et des problèmes psychologiques.
Les problèmes de coût
Il y a d'abord ceux afférents à l'achat lui-même, bien entendu. Mais ce prix d'achat peut varier en fonction du type d'appareil retenu. En effet, pour être en conformité avec les règlements de sécurité actuels, le « calibre » du système doit être choisi en fonction de la fréquentation de la bibliothèque. Au-delà d'un certain seuil (à étudier avec la commission de sécurité dont ressortit la bibliothèque), il faut prévoir un système à double entrée, et le prix d'achat s'en trouve très fortement augmenté.
Vient ensuite le coût de l'installation proprement dite. Il faut réaliser le plus souvent :
- Une arrivée d'électricité nouvelle, parfois dans des conditions difficiles (au milieu d'un hall, avec arrivée sous un sol dallé, par exemple).
- La pose de barrières, de part et d'autre de l'appareil, pour obliger les lecteurs à emprunter le passage contrôlé. Ceci, suivant la configuration des lieux, peut être bon marché, ou revenir fort cher. Entre là en ligne de compte l'étude des flux de circulation que nous verrons plus loin.
- La pose éventuelle de tourniquets pour assurer un flux régulier de passages à travers le système. Il est, en effet, le plus souvent indispensable de faire passer les lecteurs un par un pour assurer un contrôle efficace.
- L'installation d'un poste de surveillance. C'est là que sont installés les appareils de contrôle du système. Il faut donc prévoir un meuble spécial, à moins qu'une banque d'accueil ou un standard n'existe à proximité.
- La fermeture de toutes les ouvertures (fenêtres, vasistas) par lesquelles les lecteurs pourraient jeter des ouvrages à l'extérieur. D'où de difficiles problèmes d'aération à résoudre et, lorsqu'il s'agit de bibliothèques construites dans les dix dernières années, un nombre très élevé d'ouvertures à neutraliser (à Bordeaux, à titre d'exemple, 88 ouvertures pour lesquelles il a fallu autant d'entre-bailleurs). La note peut s'élever très vite...
Il faut enfin ajouter à tout ceci le coût des aménagements effectués au cours de la réorganisation quasi-inévitable des services intérieurs, qui sera évoqué plus loin.
Problèmes d'installation matérielle
Le premier, et le plus évident, c'est le choix de l'emplacement. Il est parfois très facile, dans le cas de passage unique et étroit, par exemple, mais il l'est quelquefois faussement, car tel emplacement qui paraissait s'imposer devient incertain si l'on étudie attentivement les flux de circulation.
Le flux peut être :
- simple : accès direct à une seule entrée ou à une salle située au même niveau,
- double : accès à une salle de même niveau, et à un escalier.
- triple : accès à une salle de même niveau, à un escalier, à un ascenseur.
S'y ajoutent des contraintes particulières à chaque bibliothèque. Par exemple :
- l'emplacement des photocopieurs qu'il faut ramener à l'intérieur de l'enceinte protégée, sous peine de créer un passage intense.
- l'existence d'une banque d'accueil, dont les lecteurs s'approchent pour demander des renseignement ou de la monnaie.
On pourrait, bien sûr, trouver d'autres cas, correspondant tous à un flux de circulation qui s'entrecroise avec le précédent.
Ce flux est double (entrée-sortie). Il faudra donc, par rapport à lui, déterminer de quel côté placer l'entrée, et de quel côté la sortie. Sans cela, on s'expose à voir les lecteurs buter sur un portillon mal placé, et quelquefois l'enjamber (cela s'est vu!).
Le poste de surveillance est là pour éviter un incident de ce genre. Son emplacement sera choisi de façon qu'il puisse permettre de voir la totalité du passage, et non seulement l'appareil lui-même. Quoi de plus facile que de passer un livre au-dessus des barrières à un camarade prévenu ?
Enfin des éléments matériels peuvent peser sur le choix d'un emplacement. De tels systèmes peuvent être gênés dans leur fonctionnement par la présence de certains photocopieurs, de tubes de néon, ou la proximité immédiate d'un mur de béton à armatures métalliques. S'il est possible d'envisager le déplacement ou la neutralisation d'un photocopieur, ou d'un appareil d'éclairage, rien à faire avec un mur...
Deuxième changement matériel à prévoir : le regroupement du service du prêt. Il est absolument nécessaire que soient concentrées en un seul endroit les opérations de prêt et de retour des ouvrages. En effet, il ne peut être question de disséminer à travers les locaux le ou les appareils qui assurent le codage ou le décodage des ouvrages; en cas de contestation, il faut pouvoir se reporter rapidement à un seul fichier, et qu'il soit proche. Tout comme il n'y a qu'un seul passage pour le lecteur, à la sortie, il ne doit y avoir pour le livre qu'une seule issue.
On peut, bien sûr, doubler les unités de codage-décodage, si les moyens financiers le permettent, mais il faut vraiment un seuil élevé de prêts pour que cela soit rentable (au-dessus d'un prêt / minute). Ceci, notons-le, ne va pas automatiquement de pair avec le doublage du corridor entrée-sortie. Une bibliothèque peut avoir une forte fréquentation et un faible prêt.
Ajoutons que le regroupement doit s'accompagner souvent d'une nouvelle installation matérielle (banques rectifiées, etc.) Il conduit aussi à une refonte du système de prêt lui-même, comme nous allons le voir plus loin.
Problèmes d'organisation interne
- Le prêt : ses méthodes devront être allégées le plus possible. Il faut en effet bien se rendre compte que le prêt ou le retour des ouvrages est allongé par une opération supplémentaire (codage ou décodage). Il faut compter 15 à 30 secondes, selon la rapidité de l'exécutant. Si l'on compte au plus bas (15 s), cela donne un allongement de 25 minutes pour 100 prêts. Cet allongement, négligeable quand il s'agit de prêts étalés, s'avère très gênant si un afflux massif intervient (sortie de cours d'étudiants, par exemple).
- Le circuit du livre : il est influencé lui aussi par l'équipement des ouvrages. Il faut les munir de l'élément qui permettra le fonctionnement du système. Ceci ne peut être fait en public, et exclut donc la possibilité de faire réaliser ce travail par un gardien de service dans une salle de lecture. C'est également un travail que l'expérience a montré délicat : si certaines précautions ne sont pas observées l'équipement est défectueux, donc inefficace et l'on peut très bien ne pas s'en rendre compte. Il faut absolument contrôler sur l'unité de codage-décodage tout ouvrage venant d'être équipé. Faute de cette précaution, l'ouvrage peut passer sans être détecté à la sortie.
Où placer ces opérations dans le circuit du livre? Cela dépendra bien sûr de l'organisation de chaque bibliothèque. Mais le fait de ne pouvoir les coupler avec le timbrage et l'étiquetage, qui se font souvent en public, rend les choses peu commodes. On peut en tout cas essayer de chiffrer le temps moyen nécessaire pour l'équipement proprement dit : 1 mn 30 par livre, ou bien 40 livres à l'heure. S'y ajoute évidemment le temps de contrôle final. On peut globalement évaluer l'équipement et le contrôle de 1 000 volumes à 35 heures. Nous retrouverons ces chiffres tout à l'heure.
Problèmes psychologiques
Ils concernent deux groupes très différents : les lecteurs et le personnel.
L'accueil fait par les lecteurs au système de détection suscite en général, au départ, des réserves, voire une ou deux manifestations nettement réprobatrices, mais tout se calme si le chiffre des disparitions, le montant des pertes et la facilité du système sont publiés, affichés, communiqués par tous les moyens. Il s'agit là d'une campagne psychologique à mener par des moyens simples et connus. Citons à Bordeaux l'insertion de notes dans les « Flash » des universités, l'appui du quotidien local, l'envoi d'une lettre à chacun des enseignants et bien entendu des affiches. Les présidents d'universités ont donné totalement leur appui, au niveau des sanctions, notamment. Reste la psychologie du lecteur de tous les jours, et nous la retrouverons au moment d'étudier l'efficacité du système.
L'état d'esprit du personnel, et particulièrement du personnel de service, chargé de la surveillance, peut poser des problèmes plus délicats. Le fait de ne plus avoir à assurer le contrôle des sacs et porte-documents est bien accueilli. Celui de rester à surveiller l'appareil l'est beaucoup moins bien, car on a le sentiment de perdre son temps. Une surveillance efficace est celle qui assure le bon fonctionnement du système, c'est-à-dire oblige les lecteurs à sortir un par un, à passer dans le champs de l'appareil sacs et porte-documents; etc. Elle demande une attention constante, même s'il ne se passe rien. Et le fait qu'il ne se passe rien est très mal supporté. Le remède : des roulements fréquents peu faciles à établir quand le personnel est restreint. D'autant que la surveillance doit s'exercer sans discontinuer, même aux heures de faible fréquentation. D'où un alourdissement du service, certains magasiniers assurant jusqu'alors, à ces heures-là, à la fois le contrôle et le prêt. Nous retrouvons là aussi un problème de coût en temps qui va venir s'ajouter à tous les autres coûts déjà signalés.
Évaluation globale des coûts
Si nous reprenons tous les problèmes successivement étudiés, nous constatons qu'il faut tenir compte :
- des coûts afférents à l'achat et à l'installation assez simples à évaluer d'après ce qui précède.
- des coûts de fonctionnement en temps / personnel :
à savoir :
- l'allongement du prêt : à titre d'exemple, dans une bibliothèque qui prête 200 ouvrages par jour et qui en récupère le même chiffre pendant un mois (27 jours ouvrables), le temps passé au codage et décodage sera de 45 heures.
- l'équipement et le contrôle de l'équipement des ouvrages. La même bibliothèque, achetant 300 volumes par mois, y consacrera 12 heures. - la surveillance : à évaluer différemment selon les heures d'ouverture. On peut compter un allongement de 3 heures par jour, selon les raisons exposées plus loin, soit, dans le cas de la bibliothèque ci-dessus, 81 h par mois.
Le coût global en temps/personnel serait donc de 138 h par mois pour cette bibliothèque.
- des coûts de fonctionnement en dépenses annuelles :
à savoir :
- le contrat d'entretien;
- le prix d'achat des éléments nécessaires pour équiper les nouveaux ouvrages, et remplacer les éléments usagés.
Les éléments de calcul à retenir au plan bibliothèque seront donc finalement :
- le chiffre des disparitions, qui est corollaire de la fréquentation (ne pas oublier les prévisions);
- le nombre de prêts effectués, pour le calcul de l'allongement du prêt;
- le volume d'achats annuel pour l'équipement;
- le rapport heures d'ouverture / personnel, pour la surveillance.
Efficacité du système
Il ne s'agit pas ici d'évaluer la fiabilité de tel ou tel système. Nous considérons leur bon fonctionnement comme acquis. Mais nous cherchons à évaluer les économies réelles, et donc l'efficacité et l'intérêt de tels systèmes en général.
Économies en personnel? A première vue, on pourrait l'espérer. Le contrôle existant à l'entrée d'une ou plusieurs salles est en effet transformé en un poste unique de surveillance à la sortie, près de l'appareil. En réalité, il était rare que le contrôle d'une salle soit fait de façon continue : aux heures creuses le même personnel assurait à la fois le prêt et le contrôle, ce qui devient pratiquement impossible, à moins de disposition très condensée des locaux. Il faut donc ajouter un certain nombre d'heures / personnel.
Le bénéfice pourrait être plus net quand existe une deuxième salle de lecture. Mais il s'agit souvent de salles réservées à certaines catégories d'utilisateurs, ou à certains documents (salle de 3e cycle, salle de périodiques, etc.) où un filtrage reste nécessaire à l'entrée.
L'économie en personnel n'existe donc guère, et disparaît si on la met en balance avec les coûts évalués plus haut.
Reste l'économie fondamentale à réaliser : la suppression des vols. Le simple fonctionnement de l'appareil l'assure-t-elle? Certainement non. En fait, l'efficacité du système dépend autant du plan psychologique que du plan simplement technique. C'est ce qui ne ressort pas toujours assez des présentations de systèmes, qui s'attachent surtout à en décrire le fonctionnement matériel. Il convient à ce propos de noter une certaine inadaptation au marché français de procédés conçus pour un matériel différent (ouvrages sur papier épais, et cartonnés, alors que la majorité des ouvrages publiés en France sont brochés et imprimés sur papier plus léger).
L'efficacité sur le plan psychologique dépendrait à la fois du secret du procédé et de l'effet de dissuasion : on sait qu'il y a un risque, donc on n'essaie pas. Faut-il compter sur le secret du procédé? Pas beaucoup, en vérité. Trop de monde est au courant sur place, généralement. De plus des articles ont paru sur ce sujet dans les revues professionnelles, et on a vu tel hebdomadaire à fort tirage expliquer en détail ce qui se passe. Mais ceci n'a pas grande importance en soi.
En revanche, ce sont les parades, trouvées par des lecteurs impénitents, qui sont dangereuses. Or, elles existent et nous pourrions en énumérer un certain nombre. Il en est même d'absolues... On nous pardonnera de ne pas en dire plus, et on comprendra facilement pourquoi.
Alors, que faut-il faire ? Considérer que tous les procédés sont connus un jour ou l'autre, et qu'ils sont tous condamnés ? Nous ne le pensons pas. Il faut distinguer entre plusieurs catégories d'usagers : celui qui est, si l'on peut dire, honnête, et se laissera prendre; celui (et c'est la majorité) qui voudrait bien, mais a peur de se faire prendre. C'est là que la dissuasion intervient. Enfin, l'irréductible, le Français amateur de système D, qui s'ingéniera à trouver, et qui trouvera, c'est à peu près sûr. Mais heureusement, ils ne sont pas, et de beaucoup, les plus nombreux.
Pour conclure, on peut se demander si de tels systèmes sont valables pour tous les types de bibliothèques, indistinctement. On est tenté de répondre que non, ou que les résultats seront au moins inégaux. Le meilleur cas semble être celui d'une bibliothèque située dans des locaux sur un seul niveau, avec un public nombreux, mais aux besoins identiques (étudiants de Ire cycle, section de prêt de lecture publique). Dès que les problèmes se multiplient (niveaux différents, circulations très larges, public aux besoins divers, les solutions se contrarient, le coût général s'élève considérablement. Ceci ne veut pas dire qu'il faut abandonner l'installation d'un tel système, puisque c'est là précisément que le plus grand nombre de disparitions se produit, mais il coûtera plus d'études, plus d'argent et plus de personnel. Il y a là peut-être un seuil de coût à déterminer, opération qui ne pourra se faire que lorsqu'un plus grand nombre de bibliothèques utilisatrices pourront confronter leur expérience.