Nécrologie

André Hahn (1900-1975)

Paule Dumaître

Qui ne se souvient parmi tous les bibliothécaires de la haute silhouette du Dr Hahn, conservateur en chef de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, non seulement à cause de sa taille élevée, de son allure un peu massive, mais aussi à cause de son accueil souriant et du rôle éminent qu'il a joué non seulement dans les bibliothèques médicales, mais aussi dans les bibliothèques de tous ordres, françaises ou étrangères, alors qu'il était président de l'Association des bibliothécaires français ? Le Dr Hahn n'est plus.

La Bibliothèque de l'Ancienne Faculté de médecine de Paris est aujourd'hui en deuil. Bien que le Dr Hahn, conservateur en chef honoraire, nous ait quittés depuis cinq ans, ayant pris sa retraite, atteint par la limite d'âge, en 1970, il continuait souvent à venir nous voir et restait si aimé du personnel que, lorsque sa voix se faisait entendre quelque part, chacun se précipitait pour lui parler. Hélas! cette voix ne s'entendra plus. Le Dr Hahn, qui semblait en pleine santé, avait été terrassé au début de juin par un infarctus. Alors que chacun espérait son rétablissement, il a été de nouveau frappé inexorablement dans la rue à Paris, tout près de son domicile, le dimanche 31 août 1975, un dimanche qu'il avait passé, ainsi qu'il le faisait les autres jours, à faire des fiches pour les travaux bibliographiques dont il continuait à s'occuper. Ainsi jusqu'au bout il se sera consacré à la passion qui fut, après sa famille, la plus chère de sa vie, le travail, sans connaître la diminution de ses activités, ce qu'il redoutait par-dessus tout, et, dans ce sens, on peut dire que cette mort brutale lui a été miséricordieuse.

Né à Paris avec le siècle, le 30 juillet 1900, André Hahn était issu d'une famille où la médecine et l'amour des livres ne se séparaient pas. Ayant quitté l'Alsace après la défaite de 1870, son grand-oncle, le Dr François-Louis Hahn, célèbre par son érudition, était depuis 1885 bibliothécaire en chef de la Faculté de Médecine de Paris, où son père, le Dr Victor-Lucien Hahn, était bibliothécaire adjoint. Celui-ci, remarquable aussi par ses talents et son labeur, devait d'ailleurs succéder à son oncle comme bibliothécaire en chef, en l'année 1920.

En évoquant la jeunesse du Dr Hahn, j'ai toujours envie de lui appliquer ce vers célèbre que Racine a mis dans la bouche d'un des personnages de Bajazet : « Nourri dans le sérail, j'en connais les détours ».

Oui, le sérail pour lui, c'était la Faculté, c'était la Bibliothèque, c'était l'appartement qu'y occupait son grand-oncle, où il vint souvent en visite lorsqu'il était enfant, où il habita avec ses parents de l'année 1920 où son père fut nommé bibliothécaire en chef jusqu'à 1929, date de son départ, où il revint en 1937, lorsqu'il fut à son tour nommé bibliothécaire en chef, et où il resta jusqu'en 1970, année de sa retraite. Guidé par son père, auquel il garda toujours un tendre attachement, André Hahn entreprit ses études de médecine puis passa le concours des bibliothèques, ces bibliothèques qui, disait-il, avaient toujours été l'un des buts de son avenir, car il avait le goût des livres autant que de la médecine. Aussi choisit-il pour sujet de sa thèse passée en 1929 La Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris où il retraçait toute l'histoire de la bibliothèque, de son fonds ancien, de ses collections, thèse si estimée qu'elle lui valut un prix de la Faculté de médecine avec médaille d'argent. Souvent consultée elle demeure l'une des bases du passé et de la constitution de la bibliothèque.

Le premier poste du Dr Hahn l'amena dès 1929 à la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Montpellier, où il resta jusqu'en 193I, année où il fut nommé bibliothécaire en chef à l'Université de Poitiers (193I-1932). Il devint ensuite bibliothécaire en chef à l'Université de Bordeaux (1932-1937), Bordeaux toujours cher à son cœur et qui voulut pour lui le titre de bibliothécaire en chef honoraire dès son départ, l'année 1937, où il succéda à son père, à la tête de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, et je pense qu'il ne se trouve pas d'autre exemple dans nos bibliothèques de trois générations ayant vécu dans les mêmes lieux, fait le même métier, porté le même nom, si bien qu'on disait couramment en parlant de cette famille : la dynastie.

Le temps passe vite et trente-cinq années au service de cette bibliothèque furent trente-cinq années de labeur, de travaux incessants, et seuls ceux qui l'ont bien connu savent quel bibliothécaire infatigable il fut, aimant sa maison et œuvrant, de l'aurore quelquefois jusqu'à minuit passé, pour la mettre en valeur, participant aussi à de nombreux congrès, recevant les visiteurs toujours plus nombreux qui venaient, attirés par le prestige de ce fonds unique et par le nom du Dr Hahn partout connu à l'étranger. Le long de toute sa carrière le Dr Hahn voulut d'ailleurs apporter un souffle nouveau à la bibliothèque en développant ses relations internationales. A plusieurs reprises il fut chargé de mission, en juin 1939, à Londres (Fondation Rockefeller) et seule la guerre put l'empêcher de se rendre aux États-Unis où il était attendu pour un long séjour de trois mois. En 1956 sa haute compétence le fait désigner auprès du Haut Commissariat de la République en Afrique occidentale française pour la création et l'organisation de la Bibliothèque universitaire de Dakar.

Devenu conservateur en chef en 1960, désigné aussi comme conservateur du Musée d'histoire de la médecine de la Faculté, parallèlement les honneurs jalonnaient sa route : de 1947 à 1949 il était président de l'Association des bibliothécaires français (ABF), et ce fut lui qui contribua par ses efforts à redonner à l'ABF sa place dans le monde des bibliothèques au lendemain de la guerre, ce qui ne l'empêcha pas de réussir dans le redressement de ses finances. Il eut aussi l'honneur d'être le chef de la délégation française à la première réunion internationale de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires en 1947 dans les Pays scandinaves.

De nouveau président de l'ABF de 195I à 1953, il a été à la même époque pendant quelque temps vice-président de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires. En 196I-62 il devint président de la Société française d'histoire de la médecine, fut lauréat de l'Académie de médecine, de l'Académie des sciences. Chevalier de la Légion d'honneur dès 1948, il était nommé officier en 1957; quatre ans auparavant, en 1953, il avait été fait officier de la Santé publique et en 1966 il obtenait la rare distinction de commandeur dans l'ordre des Palmes Académiques.

Il est impossible de citer ici tous les travaux auxquels participa le Dr Hahn. Ses analyses et travaux scientifiques sont particulièrement connus des lecteurs du Bulletin des Bibliothèques de France et de la Semaine des hôpitaux dont il fut l'un des plus actifs collaborateurs. Il avait la conception qu'à l'occasion de la profession, des travaux collectifs ou personnels dans les bibliothèques sont une source d'énergie et d'élévation intellectuelle pour le bibliothécaire autant qu'ils honorent sa maison. C'est ainsi qu'en province et à Paris il dirigea un certain nombre de catalogues de thèses, de périodiques, de congrès, mis en route une transcription nouvelle des célèbres Commentaires de la Faculté réalisée par M. L. Concasty (Documents inédits, 1964), et signa, avec l'auteur de ces lignes et J. Samion-Contet l'ouvrage consacré aux richesses de notre fonds ancien, jusque-là trop méconnues : L'Histoire de la médecine et du livre médical à la lumière des collections de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris. (Éd. Olivier Perrin, 1962), ouvrage qui est à la base de la bibliophilie médicale et auquel il sut donner l'impulsion sans laquelle rien ne peut aboutir.

Il me paraît aussi important de souligner un des aspects de l'œuvre du Dr Hahn qui n'est pas écrit dans les textes mais qui fut capital pour le développement de sa maison. Ami des nouveautés il crée dès 1947 le service photographique de la bibliothèque. Grand bâtisseur, se rendant compte en 1950 que la bibliothèque étouffait dans ses murs trop étroits, il fait bâtir une salle des périodiques, procède à un aménagement de la grande salle, à un aménagement des combles, et après ces grands travaux qui durèrent deux ans, ayant obtenu des locaux laissés libres côté Hautefeuille, il fait procéder à la création de huit étages de magasins, de nouveaux bureaux, d'une salle de réserve où les livres anciens purent enfin trouver place. On lui doit aussi l'installation de la bibliothèque annexe de la rue des Saints-Pères, d'abord modestement logée en 1962, mais où, depuis 1969, les jeunes étudiants, pour lesquels il avait été impossible d'aménager des locaux rue de l'École de Médecine, disposent de deux grandes salles claires et capables d'accueillir deux mille personnes par jour.

Enfin, à côté de ces travaux scientifiques, matériels, de la lourde charge de la direction de la bibliothèque, le Dr Hahn trouvait néanmoins le temps de se consacrer à un enseignement bibliographique, et de participer aux jurys d'examen; il faisait aussi partie de la Commission des livres de l'Éducation nationale. Aimant la jeunesse et ayant le goût de l'instruire, il guidait lui-même les stagiaires qui défilaient dans son bureau avec un respect mêlé d'un peu de crainte, inspirée surtout par sa haute stature et sa malice souriante, malice qui cachait une grande sensibilité, que ses collaborateurs ont pu connaître et qui le faisait aimer.

Lorsque la limite d'âge atteignit le Dr Hahn, en 1970, un sort favorable voulut qu'il prenne sa retraite l'année même où la Faculté fermait ses portes, huit siècles après sa création. Il fut le dernier conservateur en chef à la Faculté de médecine de Paris, avant que celle-ci n'éclate en dix facultés nouvelles. Il sut partir avec élégance, sans montrer ses regrets et, tel Candide, cultiva son jardin de Videlles, dans l'Essonne, où il passait les beaux jours, mais en hiver il revenait vers sa chère Bibliothèque où il faisait des apparitions fréquentes, quoique trop brèves, tout en continuant chez lui ses travaux personnels. Il est dur de penser que nous ne le verrons plus. Du Dr Hahn on peut dire que désormais la Bibliothèque est un peu orpheline.