Journées d'étude des bibliothèques centrales de prêt (7 et 8 décembre 1973)

Deux journées d'étude ont réuni en décembre 1973 les directeurs des 63 bibliothèques centrales de prêt métropolitaines. Deux enquêtes avaient été menées préalablement à ces journées. La première portant sur le fonctionnement général de ces établissements fit l'objet des débats de la première journée. La seconde concernant l'action des bibliothèques centrales de prêt auprès des établissements scolaires a nourri les discussions de la deuxième journée où fut en outre présenté un rapport sur l'expérience de prêt direct scolaire dans six départements.

Deux journées d'étude, organisées par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique (D.B.L.P.), se sont tenues sous la présidence de M. E. Dennery, directeur chargé des bibliothèques et de la lecture publique, les 7 et 8 décembre 1973, dans la grande salle des commissions de la Bibliothèque nationale. Elles ont réuni les directeurs des 63 bibliothèques centrales de prêt (B.C.P.) métropolitaines 1, en présence des Inspecteurs généraux, des responsables des services de la D.B.L.P., et du Conservateur en chef chargé de la direction de l'École nationale supérieure de bibliothécaires (E.N.S.B.).

Préalablement à ces deux journées d'étude, deux enquêtes avaient été menées auprès des directeurs de B.C.P. L'une avait pour but de dégager les problèmes essentiels qui les préoccupent quant au fonctionnement de leurs établissements. Les points les plus souvent retenus ont nourri les débats de la première journée.

La seconde enquête se présentait sous la forme d'un questionnaire concernant le service des B.C.P. auprès des élèves et des maîtres des établissements de l'enseignement primaire et du Ier cycle de l'enseignement secondaire, service le plus souvent pratiqué sous la forme de dépôts de livres. Parallèlement à cette enquête, un questionnaire détaillé était envoyé aux « B.C.P. pilotes » pratiquant le prêt direct dans les établissements scolaires (Aube, Cantal, Doubs et Territoire de Belfort, Indre-et-Loire, Haut-Rhin, Seine-et-Marne, Tarn) qui fut dépouillé par Mme Lévy, directrice de la B.C.P. du Haut-Rhin. Les réponses à ces questionnaires ont servi de thème de discussion au cours de la deuxième journée, consacrée à « l'action des B.C.P. dans les établissements scolaires ».

Dans l'exposé qu'il fit la première matinée, M. Dennery, tout en se déclarant conscient des efforts considérables qui restaient à entreprendre, souligna que les moyens, les possibilités d'action et le service des B.C.P. avaient augmenté de façon appréciable au cours des dix années passées. En effet, de 1963 à 1973, 42 B.C.P. ont été créés (leur nombre était de 24 en 1963, 66 en 1973). Les crédits de fonctionnement (livres, matériel, entretien) ont été multipliés par 9 (en francs courants), les bibliobus par 5 (leur nombre était de 27 en 1963, de 140 en 1973), les collections d'ouvrages par 5 (I million de volumes en 1963, plus de 5 millions en 1973), le personnel par 5,5 (97 postes d'État en 1963, 552 en 1973) et, en ce qui concerne les bâtiments, une seule B.C.P. disposait d'un bâtiment construit pour elle en 1963 alors qu'en 1973, il y en a 23. Il est à noter aussi qu'entre ces deux dates, 6 fois plus de livres ont été déposés et prêtés par les B.C.P.

Ce rythme de croissance, ainsi que l'évolution accélérée de la société qui transforme les conditions de vie de la population à desservir, ne sont pas sans soumettre les B.C.P. et leurs directeurs, souvent jeunes fonctionnaires débutants, à des difficultés et à des incertitudes qu'ils ressentent d'autant plus fortement que leur désir d'efficacité est grand et leur impatience à répondre aux besoins pressants du public vive. L'isolement où ils se trouvent dans leur département les amène à souhaiter très fortement des informations, des conseils et des échanges sur toutes les questions administratives ou techniques que leur posent leur métier et leur responsabilité de chef de service. Les sujets abordés au cours de cette première journée furent très variés. A la demande générale, des informations furent données sur l'évolution du problème du statut des conducteurs de bibliobus, sur les règles d'utilisation des véhicules, sur la franchise postale, la régie d'avance, le fonds de concours, le marché centralisé de livres. Une certaine hésitation sur le statut de la B.C.P. dans le cadre départemental, sur le mode de relation à suivre, notamment avec le Préfet, le Conseil général, l'Inspecteur d'académie, s'exprima également. Sur tous ces points, ainsi que sur le choix à faire soit entre les communications écrites soit entre les communications téléphoniques avec les divers services de la D.B.L.P. et les formes qui y président, un court document sera élaboré et diffusé précisant les réponses qui ont été données oralement. A échéance la rédaction d'un « vade mecum » est envisagé.

Face à l'exercice de leurs responsabilités, les directeurs de B.C.P., au moins les plus jeunes, sont tentés de mettre en cause l'inadaptation de la formation qu'ils ont reçue à l'E.N.S.B. Ils notent l'insuffisance de leurs connaissances administratives et s'étonnent aussi que l'image de la B.C.P., telle qu'elle est perçue au cours de la scolarité, apparaisse sous un jour peu favorable et réponde mal à la réalité. M. Richter, directeur de l'E.N.S.B., souligne la difficulté d'intéresser des élèves qui ne sont pas encore « en situation » aux problèmes administratifs et rappelle l'importance primordiale du stage en ce domaine. Le besoin de formation continue est également ressenti et exprimé.

La 2e journée d'étude devait être entièrement consacrée au thème : Bibliothèques centrales de prêt et écoles. Elle commença par un rapport de Mlle Garrigoux qui, après avoir fait remarquer combien les différences de développement des B.C.P. rendent toute généralisation impossible, commenta les résultats de l'enquête menée préalablement auprès des B.C.P. sur leur action à l'égard des établissements scolaires.

Il ressort de cette enquête que les établissements du Ier cycle de l'enseignement secondaire sont mieux desservis qu'on ne pouvait le penser. En effet, presque tous les C.E.S., C.E.G. et C.E.T. des départements pourvus d'une B.C.P. bénéficient soit d'un dépôt de livres soit du prêt direct, cela grâce au nombre limité d'établissements et à leur forte concentration. Les écoles primaires sont plus difficiles à desservir car les communes où se trouvent ces écoles sont très dispersées.

Si l'accueil des enfants semble presque toujours favorable, c'est une œuvre plus longue et ardue que de susciter l'intérêt des enseignants. Une nette évolution est cependant enregistrée : les instituteurs viennent de plus en plus nombreux chercher des thèmes d'études, des informations, une documentation au siège de la B.C.P.; par ailleurs, à l'occasion des stages de recyclage dans les écoles normales, beaucoup d'instituteurs sont amenés à écouter un exposé sur les activités de la B.C.P. fait par son directeur. Ces conférences sont, souvent, accompagnées d'expositions de livres. L'accueil réservé par les Inspecteurs d'académie et les Inspecteurs départementaux de l'Éducation nationale est généralement des plus encourageants.

Mais de nombreuses questions se posent. Jusqu'à quel point lier lecture et vie scolaire ? Les demandes des écoles sont parfois très importantes; comment y répondre d'une façon pleinement satisfaisante ? Doit-on fournir des mêmes titres en grand nombre d'exemplaires pour l'usage collectif en classe ? prêter des ouvrages à caractère pédagogique ? Doit-on approvisionner les classes en matériel audiovisuel (disques, diapositives, matériel pédagogique) surtout lorsqu'il n'y a pas de Centre départemental de documentation pédagogique (C.D.D.P.) dans le département ? Jusqu'où pousser la participation aux expériences de pédagogie de la lecture faites en classe ?

Les interventions, assez souvent, font état de changements fondamentaux au cours de ces dernières années : regroupement d'écoles, rénovation de la pédagogie, ouverture de l'école vers l'extérieur. Le système de prêt par caisses tend à disparaître au profit du prêt avec choix fait sur les rayons, soit par le maître, soit par les élèves eux-mêmes. La mise en place progressive de la rénovation pédagogique, faisant appel à la recherche personnelle sur les documents, met en valeur le rôle nouveau du livre et les B.C.P. essaient, dans la mesure de leurs moyens, de répondre à de nouvelles exigences. L'existence des bibliothèques d'établissements (service de documentation et d'information - S.D.I.) dans les établissements secondaires apparaît à beaucoup comme nécessaire pour compléter et prolonger l'action de la B.C.P. Certains craignent que cette évolution ne limite leur rôle à la seule fourniture de livres, laissant la part essentielle de leur métier à des « bibliothécaires-documentalistes » dont la formation professionnelle n'est pas assurée.

Mme Lévy, directrice de la B.C.P. du Haut-Rhin, exposa ensuite le bilan de l'action des 6 B.C.P. chargées d'expérimenter suivant les suggestions du Rapport du Groupe d'étude sur la lecture publique en France et les instructions de la circulaire du 22 janvier 1968 2, le système de prêt direct dans les établissements primaires et du Ier cycle de l'enseignement secondaire, système qui permet à tous les élèves, conduits par leurs professeurs, d'avoir accès, classe par classe, au bibliobus et de procéder eux-mêmes sur les rayons au choix des ouvrages qu'ils désirent lire, à l'instar de ce qui était pratiqué depuis 1960 dans le département d'Indre-et-Loire.

Six départements, Cantal, Doubs, Seine-et-Marne en 1968, Tarn et Haut-Rhin en 1969, Aube en 1973, ont été chargés d'expérimenter ce système de prêt. Le rapport de ces expériences est publié en annexe.

Après cet exposé, dont les éléments avaient été fournis par les 6 B.C.P., les directeurs de ces B.C.P. pilotes ont apportés des précisions complémentaires sur leur propre action.

M. Fillet, directeur de la B.C.P. d'Indre-et-Loire et de la Bibliothèque municipale de Tours, prit ensuite la parole pour exposer l'évolution d'une action de prêt direct dans les écoles qui commença dès octobre 1956 avec la mise en service du premier bibliobus scolaire à Tours et qui se poursuit actuellement dans l'ensemble des établissements scolaires du département. Depuis 1967, les classes viennent à la bibliothèque municipale (B.M.) étudier un thème et consulter fichiers, documents et ouvrages. 275 thèmes ont ainsi été constitués à la B.M. sur divers sujets. Depuis 1969 cette méthode, « rôdée » à la B.M., est étendue à deux (Sainte-Maure et Vouvray), puis à quatre collèges d'enseignement secondaire du département. Dans chaque établissement, la B.C.P. apporte un fonds de livres (une « banque d'outils »); une sous-bibliothécaire disposant d'un véhicule de liaison assure le travail d'initiation à l'usage de la documentation consacrant trois après-midi par semaine dans les C.E.S. Cette expérience de « promotion de la lecture en milieu scolaire » est destinée à donner aux élèves le goût et la possibilité de lire et de se documenter sur place. Les documents fournis par la B.C.P. sont en rapport avec les thèmes étudiés et les élèves effectuent leurs recherches avec l'aide de la sous-bibliothécaire.

Cette expérience s'est poursuivie malgré des embarras financiers et des difficultés dues à l'intervention de deux administrations différentes. Le problème est, en effet, posé de savoir si la bibliothèque centrale de prêt doit s'introduire dans les établissements scolaires en y amenant non seulement ses livres mais aussi son propre personnel. Des non-enseignants sont ainsi amenés à jouer un rôle pédagogique à l'intérieur de l'école. L'aide au jeune lecteur scolaire doit-elle être faite par l'enseignant, pédagogue mais non spécialiste du document ou par le bibliothécaire, technicien des média ? La colloboration des deux est souhaitable, les bibliothèques centrales de prêt doivent être complémentaires des bibliothèques d'établissement dont le nombre va s'accroître (400 S.D.I. sont prévus en 1974) et qui ne peuvent se développer en vase clos. Mais quel rôle attribuer à l'une et à l'autre ? Une discussion passionnée s'engagea à la suite de ces propos sur une expérience novatrice qui met en évidence les problèmes essentiels et toujours difficiles de la coopération. Une concertation au sein du Ministère de l'Éducation nationale entre les directions intéressées est souhaitée.

Le problème de la bibliothèque scolaire qui serait ouverte à la population de la commune est également évoqué. M. Poindron précise qu'une bibliothèque d'établissement scolaire n'est pas apte à bien desservir la population adulte. Dans les équipements dits « intégrés » (Yerres, Istres, Grenoble), il s'agit de bibliothèques municipales installées près d'une école intégrée elle-même à d'autres services ouverts à la population (cinéma, théâtre, salle de sport, maison de jeunes, etc...). Dans ce cas la bibliothèque municipale est en mesure de pourvoir aux besoins de l'école.

La séance reprit à 14 heures avec la présentation des services que peut apporter le Centre de documentation de « la Joie par les livres » maintenant rattaché à l'E.N.S.B. et installé 4, rue de Louvois - 75002 Paris. Il est à noter que la grande majorité des bibliothèques centrales de prêt sont abonnées au Bulletin d'analyses de livres pour enfants, malgré certaines critiques émises par des directeurs qui le trouvent trop sélectif. A ce sujet, il est signalé que le Centre de documentation de « la Joie par les livres » envisage la réalisation d'un catalogue d'ouvrages pour enfants comportant de nombreux titres, classés par catégories et analysés.

M. Dennery donna ensuite la parole à quelques directeurs qui ont orienté plus particulièrement l'activité de leur service vers des secteurs privilégiés, afin qu'ils puissent faire connaître à leurs collègues le bilan de leur action et les raisons qui les ont conduits à développer ces secteurs. C'est ainsi que l'aide aux petites bibliothèques municipales fut abordée par M. Demezières, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt des Vosges et Mlle Laporte, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt d'Ille-et-Vilaine. Cette aide, pratiquée par toutes les bibliothèques centrales de prêt à la demande des communes, se traduit matériellement, par un apport non négligeable de livres laissés gratuitement en dépôt et renouvelés périodiquement et aussi par des informations et des conseils sur l'organisation, sur les techniques bibliothéconomiques et l'aide que peut apporter la D.B.L.P. tant au niveau des constructions ou aménagements qu'au niveau du fonctionnement. Dans l'Ille-et-Vilaine, certains gros dépôts de la bibliothèque centrale de prêt ont pu, grâce à la coopération des communes, être transformés en bibliothèques municipales. Les Inspecteurs généraux se félicitent de l'action des B.C.P. auprès des petites bibliothèques municipales. Ils comptent sur elles pour suivre leur évolution, les encourager par des dépôts et demandent aux directeurs de B.C.P. de les tenir informés des problèmes qui pourraient se poser et qui nécessiteraient leur visite sur place.

M. Grosso, directeur de la B.C.P. de la Lozère et Mlle Letellier, directrice de la B.C.P. de la Sarthe présentèrent leurs expériences respectives d'animation et de formation des dépositaires dans ces deux départements.

En conclusion de ces journées d'études, M. Dennery remercia l'assistance de l'intérêt qu'elle a manifesté durant ces deux journées. Il évoqua les problèmes qui se posent à ceux qui ont pour mission d'orienter le développement des B.C.P. sur le plan national. Des choix difficiles s'imposent constamment étant donné les contraintes financières, actuellement existantes. Doit-on donner la priorité à la desserte des enfants ou des adultes ? Doit-on créer le plus rapidement possible des B.C.P. dans tous les départements ou augmenter uniquement les moyens de celles qui existent ? Bien souvent, c'est une solution d'équilibre qui est cherchée. La desserte des enfants, particulièrement dans les écoles, semble prioritaire puisque c'est lorsqu'on est jeune que l'on prend le goût et l'habitude de lire mais, parallèlement, l'action auprès des adultes doit être renforcée et le besoin de lecture satisfait. A ce sujet, M. Dennery formule le souhait que la B.C.P. serve en priorité ceux qui ne liraient pas si la B.C.P. n'existait pas. En ce qui concerne le développement des B.C.P., un équilibre doit être trouvé. Afin que l'institution soit mieux connue et son avenir assuré, il faut l'étendre à un grand nombre de départements. Il a été possible ces dernières années de créer 4 B.C.P. par an, ainsi en sera-t-il en 1974. Mais, il faut aussi ne pas négliger le renforcement des B.C.P. existantes, pour qu'elles soient vivantes et efficaces. Si le rythme de création actuel était maintenu, l'ensemble des départements français, sauf ceux de la petite couronne parisienne fortement urbanisée, soit 93 départements, devrait avoir une B.C.P. d'ici à six ans.

Autre choix difficile, doit-on pratiquer le prêt direct ou le prêt par dépôts ? l'expérience montre que les solutions adoptées varient et doivent varier selon la structure démographique du département, l'ancienneté des B.C.P., les moyens dont elles disposent. Alors qu'en 1968, le prêt direct paraissait s'annoncer comme la relève des dépôts, on tend aujourd'hui à apprécier les deux systèmes, à vrai dire complémentaires. L'importance des dépôts a été proclamée, depuis les dernières journées d'étude, notamment par les lecteurs réunis en 1972 au Festival du livre à Nice, qui ont exprimé le besoin d'avoir dans chaque village ou petite ville un ou plusieurs lieux fixes, faisant office de bibliothèque où ils peuvent non seulement emprunter mais dialoguer, se rencontrer. Cela pose le problème du dépositaire, sur qui repose l'animation de ces « relais » d'où la nécessité qui se fait jour de leur donner une formation par le moyen de stages.

La D.B.L.P. n'a pas forcément une politique préétablie, et on le lui reproche parfois. En fait la politique de la D.B.L.P., est un choix constant, réfléchi, entre plusieurs options, qui ont été ou qui sont expérimentées. Il en est ainsi des expériences pour la desserte des établissements scolaires; elles ne sont poursuivies que dans la mesure où elles sont « rentables », c'est-à-dire qu'elles montrent par leur succès qu'elles répondent à un besoin. Ces expériences ne peuvent s'étendre progressivement à d'autres départements que dans la limite des moyens disponibles.

Au cours de cette deuxième journée, M. le Directeur a remarqué qu'une certaine inquiétude se manifestait quant à l'avenir de la desserte scolaire, particulièrement dans les établissements du second degré depuis l'annonce de la mise en place des S.D.I. M. Dennery fait observer à ce propos que cette mise en place, qui est souhaitable, ne concerne pas actuellement l'enseignement primaire et que les bibliothécaires-documentalistes devraient recevoir à échéance une formation spécialisée qui pourrait être par exemple le C.A.F.B. Faisant la preuve de leur efficacité et de leur utilité, les B.C.P. devront collaborer avec ces S.D.I. Qu'elle serve les lecteurs par prêt direct ou par l'intermédiaire de dépositaires, la B.C.P. garde un rôle essentiel d'incitation, d'information et de formation.

Annexe

Rapport sur l'expérience de prêt direct scolaire dans six départements 3.

I. Définition et historique.

La circulaire du 22 février 1968 relative au développement de la lecture publique, adressée par le Directeur des bibliothèques et de la lecture publique aux directeurs des bibliothèques centrales de prêt 4, met en place un secteur nouveau de l'activité des bibliothèques centrales de prêt qui doit s'étendre à l'ensemble du département et couvrir toutes les agglomérations, y compris celles de plus de 20 ooo habitants. - C'est à l'instar de ce qui se faisait avec succès dans le département d'Indre-et-Loire depuis plusieurs années que le groupe de travail chargé en 1967 d'étudier les moyens propres à étendre et renouveler le service public de la lecture, avait préconisé comme une des mesures privilégiées, le prêt direct aux enfants dans les établissements scolaires par les bibliobus dont le fonds est spécialement constitué.

Les conclusions de ce rapport ayant été approuvées par un comité interministériel, un accord réalisé entre le Secrétaire général du Ministère, le Directeur de la pédagogie, des enseignements scolaires et de l'orientation, et le Directeur des bibliothèques confie alors aux B.C.P. la desserte par bibliobus des classes primaires et du Ier cycle de l'enseignement secondaire. Dans ce système, tous les élèves, amenés par leur maître, ont accès au bibliobus, classe par classe, et procèdent eux-mêmes dans les rayons qui contiennent de 2 500 à 3 500 volumes au choix des ouvrages qu'ils désirent lire. Le passage du bibliobus doit se faire à intervalles assez fréquents et, à chaque passage, toutes les classes s'y succèdent.

Six départements, Cantal, Doubs, Seine-et-Marne en 1968, Tarn et Haut-Rhin en 1969, Aube en 1973 ont été chargés d'expérimenter ce système de prêt. Pour les trois premiers, la mise en route s'est faite en 1969, (ils ont donc 5 ans d'expérience), pour le Tarn en 1970 le Haut-Rhin en 197I, l'Aube en mai 1973.

II. Les méthodes

I° Le choix des établissements bénéficiaires a procédé de critères différents selon les départements. Critères d'effectifs, politiques, géographiques, bibliothéconomiques (existence du prêt direct adulte, non existence de bibliothèque municipale enfantine), ou à la demande ou sur prospection.

Dans les six B.C.P. la desserte des villes de plus de 20 000 habitants pose parfois des problèmes avec :
- la bibliothèque municipale, souvent à tort puisque le bibliobus lui draîne des lecteurs ;
- la municipalité qui a tendance à se décharger de toute responsabilité sur la B. C. P. ;
- les établissements secondaires plus importants, car les élèves sont plus blasés, plus mouvants, il y a donc davantage de pertes;
- les enseignants qui sont moins coopératifs (ils n'ont pas été dépositaires auparavant)
- le stationnement qui y est difficile.

Dans le Haut-Rhin, le Tarn, la Seine-et-Marne, l'Aube (pour les premiers établissements desservis), l'inspecteur d'Académie et les inspecteurs départementaux de l'Éducation nationale ont procédé souvent eux-mêmes au choix et à l'information des bénéficiaires. Partout un accueil favorable a été réservé par eux à l'instauration du nouveau système.

2° Le rythme de rotation des bibliobus scolaires est de 3 semaines dans le Doubs, 4 dans le Haut-Rhin et dans l'Aube, 5 dans la Seine-et-Marne, 6 dans le Cantal et le Tarn, à jour et heure fixes dans le Tarn, le Doubs et le Haut-Rhin, à heure fixe en Seine-et-Marne, à jour fixe dans les C.E.S. du Cantal. Cette fréquence semble suffisante telle qu'elle est fixée, bien que certains enseignants demandent un passage encore plus fréquent. Ce qui est beaucoup moins satisfaisant, c'est le rythme de succession des classes dans le bibliobus : en moyenne I/4 d'heure par classe, souvent moins dans le Haut-Rhin, jusqu'à 25 minutes dans le Tarn où ne défilent par heure que 60 à 80 élèves, alors qu'il en passe 100 par heure dans les autres départements. Le nombre moyen d'élèves desservis par un bibliobus au cours d'une rotation complète varie entre 8 000 et 10 200 (il est fonction du rythme de rotation bien sûr).

3° Les chefs d'établissement ou les enseignants eux-mêmes, les documentalistes ou les surveillants généraux dans le secondaire établissent en général un plan pour l'ordre de succession et veillent à son exécution. Ils affichent les dates de passage. Les maîtres participent assez souvent au choix de leurs élèves, ce qui n'est pas toujours heureux. Certains, surtout dans le primaire, assez rarement dans le secondaire, veillent aux échanges de livres entre les élèves d'une même classe, dans l'intervalle de deux passages. De même pour le contrôle et la récupération des livres, dans le primaire la collaboration des enseignants est effectivement profitable, surtout en Seine-et-Marne où les maîtres ont la responsabilité des livres pris par leur classe, mais dans le secondaire les difficultés et les réticences sont générales. On réussit cependant à obtenir les adresses des retardataires ou que ceux-ci rapportent leur livre au secrétariat qui les transmet.

4° Dans le primaire tous les élèves viennent au bibliobus sans exception, celui-ci est de toutes façons une diversion. Parmi les maîtres, 50 % (Cantal) ne viennent pas, 30 % accompagnent et guident, 20 % s'intéressent réellement au choix offert et aux lectures de leurs élèves. Dans les autres départements, les proportions sont plutôt inverses. Certains professeurs de C.E.S. se plaignent d'être dérangés (surtout des professeurs de mathématiques et même des professeurs de français).

Quant aux élèves, au niveau de la 3e surtout et dans les C.E.T., des résistances apparaissent. Ceux-ci ne viennent pas au bibliobus ou en ressortent sans livre. Il arrive aussi qu'ils changent de comportement en cours d'année. Dans le Doubs, par exemple, où arrivent maintenant en 3e des élèves qui ont bénéficié du prêt direct scolaire depuis la 6e, presque tous lisent, et lisent plus et mieux.

5° En ce qui concerne les échanges de livres à l'intérieur d'une même classe dans l'intervalle de deux passages, la différence entre le secondaire et le primaire est également flagrante : les échanges sont plutôt rares dans le secondaire où goûts et niveaux sont très différents, alors que dans certaines classes primaires, quelques élèves lisent tous les livres.

III. Quels sont les services rendus par le bibliobus scolaire ?

a) Il présente d'abord sur les rayons pour le choix de chaque élève les livres les plus variés qui vont de la bande dessinée considérée surtout comme appât, au documentaire le plus « sophistiqué » en passant par les collections classiques pour jeunes, les romans d'aventure, policiers, les grandes œuvres littéraires, les très beaux albums illustrés par les « grands » de l'illustration. En général figure le maximum de titres possible, avec une tendance à un choix selon la qualité, considéré de toutes façons comme souhaitable dans l'avenir. Dans certains départements, un choix est offert aux enseignants en même temps, soit seulement des documentaires, en particulier pédagogiques, soit tous les genres de livres, y compris les romans.

b) En plus de ce choix individuel sur place, tous les bibliobus satisfont « en différé » les demandes de titres précis ou de documentation qu'ils ne peuvent satisfaire tout de suite, ces volumes étant remis soit à l'élève demandeur, soit au maître pour toute la classe, soit à la documentaliste quand elle existe. Nous sommes tous d'avis à ce propos que la bibliothèque d'établissement devrait posséder des usuels et laisser le soin à la B. C. P. de fournir la documentation plus fine et la lecture proprement dite. Certains ont eu l'occasion de faire valoir leur point de vue soit auprès des inspecteurs, soit auprès des documentalistes.

c) On nous demande également de plus en plus souvent de laisser un petit dépôt en plus du prêt direct, soit pour constituer le coin-lecture dans le primaire ou pour compléter le roulement entre deux passages, soit pour alimenter la bibliothèque d'établissement dans le secondaire.

d) Partout, dans le cadre de la rénovation pédagogique, des demandes de livres en série pour la lecture suivie en classe se font jour. Dans le Haut-Rhin, ce service constitue déjà I/5 du travail de prêt et ce n'est qu'un début. Il suppose d'ailleurs des crédits importants et la constitution d'un fonds spécial, puisque les livres sont immobilisés. L'une d'entre nous pense que ce service ne devrait pas incomber à la B. C. P. Il contribue pourtant à l'intégrer dans la vie scolaire et à la rendre indispensable et à faire percevoir à l'enfant l'aspect extra-scolaire de la lecture, même en classe.

e) Le bibliobus offre une information bibliographique aux élèves et aux maîtres, et même indirectement aux libraires des petites villes (Doubs) d'abord par sa seule existence (le choix de livres sur les rayons) mais aussi par des listes, catalogues, circulaires, exposés, participation aux conférences pédagogiques, aux stages de recyclage, rondes des livres et simplement conseils aux lecteurs, là où le temps ne fait pas défaut. Des techniques d'animation sont également pratiquées : expositions itinérantes, films en rapport avec des thèmes pédagogiques, heure du conte, veillée de lecture.

Une contribution a été offerte ou demandée par les enseignants sous des formes diverses pour le nouvel aménagement des horaires du secondaire (10 %) : visites de la B. C. P. avec recherches documentaires, clubs de lecture, films et expositions, ronde des livres, lecture de groupe, initiation à la bibliographie etc...

IV. Comment le bibliobus est-il accueilli ?

La plupart des enseignants sont enthousiastes, surtout dans les départements où ils ont connu auparavant le système des dépôts. Ils communiquent même leur enthousiasme à leurs collègues qui ne bénéficient pas de ce service, ce qui nous vaut des pétitions, lettres, coups de téléphone, etc... Ils apprécient surtout la fréquence et la régularité du passage, l'importance et la variété du choix, la liberté du choix (l'enfant lit le plus souvent le livre qu'il a choisi lui-même), la possibilité d'obtenir rapidement une documentation, le fait que le système, indéniablement, a amené des élèves à la lecture, le fait que l'enfant est responsable de son livre, le fait de connaître le personnel qui vient souvent et de pouvoir confronter leurs expériences. Les critiques négatives sont d'ailleurs exactement l'inverse des éloges. L'une pourtant est à prendre en considération et est amplement justifiée : elle concerne le temps imparti au choix pour chaque classe. Quelques-uns cependant regrettent le dépôt et s'arrangent d'ailleurs pour nous obliger à envisager l'abandon du prêt direct dans leur établissement (exclusivement C. E. S.) en raison du désordre, de la mauvaise volonté et des pertes de livres.

De nombreux maîtres, surtout dans le primaire, font une exploitation pédagogique des livres choisis par leurs élèves au bibliobus (compte rendu, expression orale, journal des bibliobus, unique outil de travail dans les classes de perfectionnement, etc...). Dans les cours préparatoires, l'attrait du bibliobus est utilisé pour inciter les enfants à apprendre à lire. D'une façon générale et sauf exception, le bibliobus scolaire semble intégré à part entière dans la vie scolaire (ce qui ne signifie pas faire partie de l'école), aux yeux de l'Inspecteur d'Académie qui en fait état de son rapport annuel, aux yeux des élèves pour qui le bibliobus est à la fois un outil de travail et un « morceau d'emploi du temps » agréable comme la piscine, le ski etc..., aux yeux des maîtres plus ou moins selon les départements, mais la plupart ne pourraient plus s'en passer et considèrent le personnel comme faisant partie de l'équipe enseignante, ce qui n'était pas le cas auparavant.

V. Les objectifs

Le principe essentiel du prêt direct scolaire est de toucher toute la population astreinte à l'obligation scolaire sans exception. Mais ce système est-il toujours le meilleur, est-il d'ailleurs toujours possible ? L'expérience semble prouver qu'il convient parfaitement dans le primaire sauf dans les toutes petites écoles mais que souvent dans le secondaire, une bibliothèque fixe avec un dépôt, ou le prêt direct à l'extérieur de l'établissement, seraient plus efficaces. Pourtant la situation apparaîtra peut-être différente quand les premières générations qui auront pratiqué le prêt direct depuis le cours préparatoire entreront en 6e.

Un deuxième principe du prêt direct est la liberté du choix. Pour que celle-ci soit réelle, il faut absolument envisager un temps de stationnement plus long, donc encore plus de moyens, une information des élèves avant et pendant le prêt et aussi une formation des maîtres, qui seraient ainsi à même d'inciter à la lecture de tel ou tel livre.

Enfin le prêt direct scolaire doit donner à l'enfant le goût et l'habitude de la lecture, donc former les futurs lecteurs adultes. Il est donc important de préparer la transition entre le bibliobus et la bibliothèque d'adultes dont l'enfant doit connaître l'existence et il ne faut pas, si tant est que ce soit le cas actuellement, que le bibliobus reste un simple distributeur de livres (les livreurs de l'Éducation nationale). Nous le verrions au contraire prendre place parmi les disciplines d'éveil par exemple, de façon à créer et entretenir la « faim de lire ». Il faut en tout cas, puisque nous sommes déjà des techniciens du livre, que nous devenions également des techniciens de la lecture et que nous soyons reconnus comme tels.

Si ces objectifs devaient être considérés comme valables, il faudrait des moyens correspondants :
- plus de véhicules : le maximum d'élèves à desservir par jour devrait être d'environ 400, donc selon la longueur du cycle, entre 4 000 et 9 000 par bibliobus;
- au départ : 1 ½ à 2 livres par enfant c'est-à-dire 6 000 à 8 000 ou 14 000 à 18 000 volumes par bibliobus;
- du personnel qui soit :
- en nombre suffisant (en moyenne deux sous-bibliothécaires et demi par bibliobus)
- surtout qualifié et spécialisé : à la fois en bibliologie enfantine et en psychologie de l'enfant et pédagogie de la lecture. De même que l'on met dans les cours préparatoires les meilleurs des instituteurs, ce sont les meilleurs sous-bibliothécaires ou bibliothécaires qui devraient être affectés au prêt aux enfants.

VII. Conclusion

De l'avis unanime, l'expérience est concluante, passionnante, voire enthousiasmante. Il faut la perfectionner, l'étendre, l'approfondir car quoi qu'en disent les détracteurs, c'est le seul système qui permette à tous les enfants d'âge scolaire de faire connaissance avec la bibliothèque et le livre, qui leur donne donc les chances égales dont on parle tant. Ce qui doit être révisé, ce sont les moyens et les méthodes, les unes étant fonction des autres, mais le prêt direct scolaire a créé des besoins, s'est fait une place et rend des services qu'aucune autre bibliothèque ne pourrait rendre. En restant un élément extérieur à la classe, tout en s'intégrant à la vie scolaire, en n'étant ni un devoir ni une corvée, mais un endroit où on va avec plaisir, où - et c'est important - tous sont égaux, (il n'y a pas de bons ou de mauvais élèves dans le bibliobus), le prêt direct scolaire a en vérité fait entrer la bibliothèque à l'école, et sous un aspect non rébarbatif, non scolaire. Il a aussi, à l'heure où l'on parle d'ouvrir l'école sur la vie, fait entrer la vie à l'école, la vie et le monde extérieur, à la fois parce que son personnel n'est pas celui qui fait classe et parce que le choix considérable de livres qu'il offre en est le reflet et l'expression. Enfin, et on peut dire que c'est là son image de marque par rapport aux autres services de l'Éducation nationale, le bibliobus est un ami, non un rouage administratif, un ami auquel on a pris l'habitude de demander beaucoup et dont on obtient tous comptes faits, presque tout. La première réaction est l'étonnement, bientôt suivi par la familiarité que l'on a coutume d'avoir avec les gens et les choses dont on ne saurait se passer.