La bibliothèque publique d'information du Centre Beaubourg

Jean-Pierre Seguin

Il n'existe pas à Paris de grande bibliothèque publique accessible à tous dans des conditions normales. Le seul établissement qui en tienne lieu, la Bibliothèque Sainte-Geneviève, reçoit environ 4 ooo lecteurs chaque jour, dont une grande majorité d'étudiants, pour 735 places. La Bibliothèque nationale, qui n'est pas publique, reçoit cependant, elle aussi, plus de lecteurs qu'elle n'en peut accueillir : près de 1 ooo chaque jour, au Département des Imprimés, pour 380 places. Ses collections, entrées par Dépôt légal et qui ne devraient être communiquées que dans la mesure où ce n'est pas préjudiciable à leur conservation, s'usent d'une manière très alarmante. Quelles que soient l'importance et la variété des collections des autres bibliothèques parisiennes, aucune n'est vraiment en mesure, à elle seule, de répondre à l'ensemble des besoins du grand public.

Depuis longtemps sérieuse, la situation s'est considérablement aggravée ces vingt dernières années. Les progrès démographiques et ceux de l'enseignement ont créé des besoins imprévus en matière d'information. Cette poussée ne peut que s'accentuer, le besoin d'information et de formation permanente devenant une absolue nécessité pour l'ensemble de la nation. Le public, à bon droit de plus en plus exigeant, est attentif aux conditions de l'accueil, à la facilité des moyens de recherche, à la rapidité et à l'efficacité des services demandés, soucieux aussi de disposer de salles de réunions et de conférences, de voir enfin l'actualité littéraire, scientifique, graphique, illustrée par des expositions.

Il s'est trouvé que, grâce à la rénovation du quartier des Halles, l'occasion s'est offerte d'ouvrir, en plein centre de Paris, une bibliothèque répondant à ces besoins. Le projet d'une bibliothèque publique dans le quartier des Halles avait été inscrit au Ve plan et fixé dans le début le II décembre 1967. Le II décembre 1969, le Président de la République proposait d'intégrer cette bibliothèque, devenue Bibliothèque publique d'information (B.P.L), dans le Centre Beaubourg où se trouvera ainsi constitué un ensemble de bibliothèques, de musées, de galeries d'exposition, de salles de spectacles et de réunions et de centres de recherche.

Dans un souci légitime de bonne économie et de facilité de gestion, certains services administratifs, les services et les locaux techniques, l'essentiel des lieux de réunions, les accès principaux et les halls, etc., seront à l'usage de l'ensemble des participants du Centre. Par contre, pour les besoins qui lui sont propres, la B.P.I. disposera de locaux spécialement affectés. Ce sont essentiellement :
- au rez-de-chaussée du bâtiment, donnant sur la piazza, une salle « d'actualité » de 1 300 m2 comportant une bibliothèque enfantine. Cette salle pourra s'ouvrir également sur le grand hall intérieur du Centre beaubourg.
- aux Ier, 2e et 3e niveaux, sur 8 travées et sur toute la largeur du bâtiment, trois surfaces de quelque 5 000 m2 l'une, ainsi réparties : aux Ier et 3e niveaux, les ensembles de lecture, au 2e niveau des services d'orientation et d'information générale, des services de traitement, des magasins de livres, un service iconographique, une salle de réunions. L'accès à la bibliothèque et la sortie se feront en un même point, au 2e niveau. La circulation intérieure se fera essentiellement au moyen d'escalators.
- au 5e niveau, la B.P.I. disposera, dans un grand ensemble, de quelque 1 000 m2 réservés aux expositions temporaires, pour ses propres manifestations. Il va de soi que cette attribution particulière n'empêchera pas qu'en certaines circonstances l'ensemble des 4 000 m2 d'expositions puisse être utilisé pour des expositions exceptionnelles, auxquelles la bibliothèque participera.

Ainsi, les surfaces dont disposera la B.P.I. sont caractérisées par un maximum d'occupation au sol, entraînant un minimum de dénivellations, et par une grande simplicité de formes. En outre, dans le souci d'obtenir la flexibilité nécessaire pour une certaine évolution, les cloisons et les équipements fixes ont été proscrits partout où cela était possible.

La Bibliothèque, encyclopédie vivante du monde moderne.

La bibliothèque sera ouverte à tous, aux membres des professions libérales, aux ingénieurs, aux techniciens, aux professeurs, aux étudiants, aux érudits, aux journalistes, aux documentalistes, aux chercheurs et aux citoyens de toutes catégories. Sa vocation de bibliothèque d'information et la composition de ses fonds, orientés vers l'étude générale et non spécialisée, dans tous les domaines, doivent déterminer, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des pressions administratives, un choix parmi la foule des candidats à la lecture. On évitera ainsi que la bibliothèque ne devienne essentiellement un établissement à l'usage des étudiants et des chercheurs. Elle ne sera pas non plus une bibliothèque de prêt à domicile, cette importante activité étant de la vocation des bibliothèques municipales d'arrondissement.

Une salle sera réservée à l'actualité : quotidiens, périodiques, livres, gravures, disques, moyens audiovisuels les plus récents et les plus représentatifs. Cette salle comportera une importante section pour les enfants. Au total, 1 500 places, minimum, seront offertes. On peut penser qu'elles accueilleront 3 000 à 4 ooo usagers par jour. La bibliothèque sera ouverte 12 heures par jour, y compris dimanches et jours de fête, et en particulier dans la soirée, jusqu'à 22 heures. Les collections intéresseront toutes les disciplines : histoire, littérature, philosophie, arts, mais aussi sciences, techniques, économie, industrie, etc. Elles concerneront aussi bien les périodiques que les livres à proprement parler, français et étrangers. Elles seront toujours « actuelles », c'est-à-dire que l'on s'attachera notamment à posséder l'ouvrage donnant le dernier état d'une question, l'édition d'un texte la plus récente et dans sa présentation la plus soignée. Les livres périmés ne seront pas conservés et n'encombreront pas les magasins.

L'accès aux livres sera facilité par l'aménagement des collections et des places de travail en quelque 10 ensembles de lecture, intéressant chacun une ou plusieurs matières ayant les unes avec les autres des affinités. Chaque ensemble comportera ses collections en libre-accès, ses places de lecture normales et spéciales (pupitres dans les rayons en libre-accès, places pour la dactylographie, pour la lecture des microcopies, pour des recherches de longue durée, etc.) et ses lieux de rencontre. Dans les ensembles de lecture, le personnel de la bibliothèque sera placé directement au contact des lecteurs et à leur service.

Les livres les moins demandés ou devant faire l'objet d'une surveillance particulière seront entreposés dans des magasins spéciaux et communiqués à la demande. L'emplacement choisi pour ces magasins, à côté du service d'information générale et des services de catalogage, entre les deux étages des ensembles de lecture, permettra de servir très vite les livres par des monte-charges qui aboutiront auprès des postes de personnel, dans les ensembles de lecture.

La diffusion grandissante des documents-images va de pair avec l'importance croissante de l'information. L'accès à de tels documents sera offert dans les ensembles de lecture et dans le service iconographique. L'activité de ce service sera double : il offrira la consultation aisée de dossiers d'images sur un sujet, il permettra une recherche rapide d'une ou plusieurs images. En outre, l'usager pourra acquérir sur place des reproductions de documents consultés. Le service disposera d'un fonds international d'information générale. Les documents rétrospectifs proviendront des collections publiques (Département des Estampes de la Bibliothèque nationale, archives photographiques, musées nationaux, etc.). Ainsi sera diffusée une documentation de très haut niveau et souvent très peu accessible à un large public. Les documents récents seront acquis auprès d'agences et de photographes.

Ce fonds sera constitué de diapositives en noir et en couleur. Pour l'ouverture de la bibliothèque, cette encyclopédie par l'image comportera 200 ooo reproductions offrant une documentation de base dans un certain nombre de domaines : peinture, sculpture, et objets d'art, histoire de France, histoire des pays étrangers, monde animal, végétal, personnalités, géographie et tourisme, modes de transport.

Une conception nouvelle de la documentation générale.

L'accès direct à 500 000 documents au moins, qui constitue une nouveauté pour la France, la consultation facile et rapide des catalogues bien à jour, grâce à leur automatisation, la possibilité offerte d'une orientation vers les autres bibliothèques et centres de documentation, font déjà de la B.P.I. un outil efficace d'information et de formation permanente. L'automatisation permet d'aller plus avant. L'ordinateur enregistre toutes les informations relatives aux caractéristiques des documents acquis et à leur contenu. Il permet d'accéder soit directement, par des écrans cathodiques, soit indirectement, par des impressions automatiques, à ces informations. On pourra ainsi, en interrogeant l'ordinateur par un ou des mots, pris dans le « dictionnaire » des mots d'indexation de la B.P.I. savoir quels documents celle-ci peut offrir sur n'importe quel sujet. On obtiendra de cette manière une bibliographie choisie indiquant ce qu'il convient de consulter pour connaître l'essentiel de ce sujet. Ces informations ne seront pas réservées aux seuls usagers de la bibliothèque. Elles permettront de répondre aux questions posées par téléphone, de diffuser à la demande ou par abonnement des listes bibliographiques; éventuellement, de transmettre des informations à l'extérieur par des écrans cathodiques. La B.P.I. devant être intégrée à un réseau regroupant notamment les autres grandes bibliothèques d'information générale, on voit quelle importance elle peut prendre dans l'avenir, sur le plan documentaire.

Les buts à atteindre, à plus ou moins long terme, dans l'utilisation des fichiers de la B.P.I. sont les suivants :
- Traiter une information encyclopédique se situant à des niveaux d'indexation n'exigeant pas, dans chaque discipline, un langage extrêmement approfondi.
- Permettre une utilisation très souple, débouchant aussi bien sur des recherches en conversationnel que sur des éditions régulières de catalogues cumulatifs ou de listes sélectives à la demande.
- Laisser si possible le public accéder à une manipulation directe des terminaux d'interrogation, lorsque le coût d'utilisation et le degré de familiarisation des lecteurs avec de tels procédés le permettront. Les différentes étapes de cette réalisation s'échelonneront dans le temps, bien après l'ouverture de la bibliothèque.

Un lieu de rencontres à la disposition de tous.

La lecture et la documentation sont les deux services essentiels que doit apporter une grande bibliothèque publique, mais celle-ci ne remplirait pas pleinement sa mission si elle n'offrait pas également à ses usagers ces activités d'animation que permettent des salles de réunions et de rencontre et des salles d'exposition.

Un lieu de réunions sera aménagé dans la bibliothèque elle-même, pour ses lecteurs, mais surtout, ceux-ci pourront avoir accès aux salles de travail, de rencontres et de spectacles mises à la disposition des divers organismes constituant le Centre Beaubourg et dont la surface totale est de 1 300 m2 + 500 m2 (cinéma).

On compte beaucoup sur les usagers eux-mêmes et sur leurs initiatives pour faire en sorte que ces salles, dont la « flexibilité » architecturale permet l'utilisation à des fins très diverses, accueillent un public nombreux et varié et permettent les enseignements et les confrontations indispensables entre les travailleurs de toutes disciplines qui fréquenteront la bibliothèque.