Le traitement catalographique du livre ancien en Belgique
Trois bibliothèques belges sont centrées sur le livre ancien : la bibliothèque du Musée de Mariemont, celle du Musée Plantin-Moretus et la Réserve précieuse de la Bibliothèque royale. L'une de leurs tâches consiste à rédiger des catalogues spécialisés, tant pour les fonds anciens que pour les usuels. En outre, parmi d'autres travaux, le Centre national de l'archéologie et de l'histoire du livre prépare un répertoire des catalogues de ventes de livres conservés dans les bibliothèques belges; d'autre part, il rassemble la documentation iconographique des livres imprimés
Quel que soit le prestige du livre ancien et des travaux historiques qui s'y rapportent, le bibliothécaire d'une réserve assume, comme n'importe lequel de ses collègues, d'humbles tâches bibliothéconomiques. C'est de la manière dont ces tâches sont remplies en Belgique que nous nous proposons de traiter ici. Le sujet est sans gloire : nous réclamons d'avance l'indulgence du lecteur.
La nomenclature des bibliothèques qui ont participé en 1963 à l'exposition Treasures of Belgian libraries 1, à Édimbourg, montre que les collections de livres anciens sont nombreuses en Belgique. Mais une mission précise en matière d'enseignement ou de lecture publique ne permet pas, à la plupart d'entre elles, de consacrer leur temps exclusif à la mise en valeur de leur fonds ancien. En revanche, trois collections publiques sont centrées sur le livre précieux. Ce sont le Musée de Mariemont, le Musée Plantin-Moretus et la Réserve précieuse de la Bibliothèque royale.
Le Musée de Mariemont a été légué à l'État par Raoul Warocqué. Depuis la mort de ce collectionneur, survenue en 1917, les différents départements du musée ont continué à s'enrichir. Parmi eux, la bibliothèque joue un double rôle. Elle met à la disposition des érudits et des étudiants quelque 30 000 volumes qui favorisent l'étude des classiques grecs, latins et français, de l'histoire, de l'histoire de l'art et de l'archéologie. Elle offre en outre à l'intérêt des bibliophiles près de 20 ooo volumes précieux. On y remarque surtout une riche collection de reliures de toutes les époques et un choix étendu d'éditions originales françaises du XIXe siècle. En outre quelque 5 000 autographes sont conservés à Mariemont.
Un incendie a gravement endommagé le musée, le jour de Noël 1960. Le sinistre a épargné les collections précieuses, mais les catalogues ont été complètement détruits. Seuls ont subsisté l'inventaire alphabétique des autographes 2 et un inventaire partiel, sommaire, vieilli, mais tel quel extrêmement utile, des reliures. Depuis l'incendie, le bibliothécaire, aidé d'une collaboratrice scientifique et, au début, d'aides bénévoles, s'est employé à dresser un fichier onomastique sommaire. Ce fichier est aujourd'hui terminé.
On conçoit que, dans de telles circonstances, Mariemont ne puisse servir d'exemple, si ce n'est aux bibliothèques sinistrées! A cet égard, on retiendra de l'expérience de son bibliothécaire que les aides bénévoles ne sont pas souhaitables. Le catalogage des livres anciens est une besogne trop délicate. La bonne volonté ne peut suppléer à l'ignorance des règles.
Le Musée Plantin-Moretus a été acquis en 1876 par la Ville d'Anvers. Il offre à l'historien du livre, outre les archives plantiniennes et une collection de caractères, de matrices et de poinçons qui font sa gloire, une bibliothèque de 500 manuscrits et de 20 ooo livres imprimés avant 1800. Une grande partie de ces livres proviennent de la bibliothèque particulière de Plantin et des Moretus. Le Musée continue à acheter des ouvrages anciens, et s'efforce particulièrement de compléter sa collection des produits de l'officine plantinienne et des presses anversoises. Il y est aidé par un « fonds permanent de dotation » qui, alimenté par des mécènes locaux, met des crédits à la disposition du Musée, de la Bibliothèque de la Ville et du Cabinet des estampes, pour les acquisitions importantes.
Les livres anciens font l'objet d'un catalogue onomastique et d'un catalogue par imprimeurs. En outre, un fichier des provenances (ex-libris, supra-libros, et notes manuscrites) est en cours d'élaboration.
Depuis la transformation de la demeure des Moretus en musée public, une collection d'usuels a été formée par les conservateurs qui se sont succédé. Elle comporte aujourd'hui quelque 10 ooo ouvrages, relatifs surtout à l'histoire du livre, à l'humanisme, à la Renaissance. Seuls 169 de ces usuels sont placés dans la salle, où ils forment quelques groupes, selon les matières. Le reste de la collection est réparti dans divers bureaux, faute de place.
Les fiches onomastiques et systématiques des usuels étant incomplètes et non conformes aux règles modernes, il a été procédé à un recatalogage en 1963 et 1964. Pour le systématique, le catalogue de la Vereniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels, à Amsterdam, a servi de modèle. Le système comporte huit classes principales : généralités, technique du livre, histoire du livre, bibliographie, bibliothèques et bibliophilie, législation du livre, la presse, ouvrages concernant les diverses disciplines. Ce n'est pas le lieu de reproduire toutes les divisions : il y faudrait plusieurs pages. A titre d'exemple, voici comment se présente la classe III, histoire du livre 3 :
I. Généralités
2. Le manuscrit. Miniatures
a) Généralités
b) Paléographie
c) Bibliographies, répertoires
d) Études de détails
e) Albums et reproductions
3. Livres xylographiques
4. Invention de l'imprimerie
5. Histoire de l'imprimerie et de la librairie
a) Généralités
b) Pays-Bas
I. Généralités
2. Albums
3. Division par Villes
4. Division par ateliers
c) Allemagne et Autriche
d) France
e) Grande-Bretagne et Irlande
f) Suisse
g) Italie
h) Espagne
i) Pays scandinaves et Finlande
j) Europe centrale et orientale
k) Amérique
l) Autres parties du monde.
En 1837, l'État belge achetait la bibliothèque de Charles Van Hulthem et fondait la Bibliothèque royale. En 1840, celle-ci recueillait la librairie des ducs de Bourgogne, la bibliothèque « royale », centralisée à Bruxelles depuis 1559, et les collections des couvents sécularisés. La richesse de ce premier noyau allait inévitablement obliger la Bibliothèque à créer une réserve de livres rares. Les manuscrits furent conservés, dès l'ouverture, dans une section spéciale. En outre des registres rédigés vers le milieu du XIXe siècle permettent de conjecturer que, dès cette époque, les incunables avaient été classés à part. Après la première guerre mondiale, 1635 imprimés rares furent placés, avec les incunables, dans une salle spéciale. Ce fut le noyau de la Réserve précieuse qui allait être créée en 1945 en tant que section dotée d'une salle de lecture et d'un personnel spécialisé, et qui allait être enrichie de quelque 30 000 imprimés entreposés dans les caves pendant la seconde guerre mondiale. Les nécessités d'une mise à l'abri rapide, en 1940, d'imprimés précieux toujours conservés dans les collections générales ont créé des conditions défavorables du point de vue bibliothéconomique. Il en est résulté en effet que la Réserve s'est constituée d'un coup et qu'il n'a pas été possible de modifier en conséquence les fiches des catalogues généraux. Ce n'est que petit à petit que se recatalogue, depuis lors, le fonds précieux. Cette besogne, conçue à l'origine uniquement pour les besoins du service même de la Réserve, a été étendue depuis 1958 au profit des catalogues généraux de la Bibliothèque. C'est en 1958 en effet qu'il a été décidé de doter la Réserve d'un budget, qu'elle administre elle-même, et de lui confier l'inventaire et le catalogage des acquisitions précieuses. Un jeu de fiches est transmis au Service des imprimés pour ses divers catalogues. Il en est de même des fiches refaites pour les fonds anciens : les fiches anciennes des catalogues généraux de la Bibliothèque sont remplacées par des fiches neuves qui répondent généralement mieux aux exigences de la catalographie moderne et qui portent, sous la cote, le sigle de la Réserve.
En 1945, des usuels prélevés dans les collections générales de la Bibliothèque avaient été placés dans la salle de lecture de la Réserve selon le numerus currens. C'était un moyen simple de savoir rapidement ce qui avait été enlevé aux Imprimés. Pour allier la simplicité du numerus currens, qui permet de ne pas modifier les cotes des livres, à un classement plus fructueux pour la connaissance des bibliographies, les usuels ont été répartis, en 1963, en douze classes :
A. Ouvrages généraux, qui n'intéressent pas directement l'histoire du livre.
B. Dictionnaires, y compris les vocabulaires techniques et professionnels.
C. Collections et revues.
D. Bibliographies générales.
E. Catalogues de ventes.
F. Bibliographies spéciales.
G. Publications relatives aux incunables.
H. Bio-bibliographies des imprimeurs.
I. Histoire du livre.
J. L'illustration.
K. La reliure.
L. Les provenances (recueils d'ex-libris; reliures armoriées; histoire de la bibliophilie).
Dans chaque classe, les ouvrages sont placés selon le numerus currens. Ce compromis a évité la création d'un système de cotation compliqué, tout en rendant la consultation des usuels suffisamment commode.
Lors de la mise en oeuvre de ce nouveau classement, les quelque 3 000 usuels ont été recatalogués. Il convenait en effet de saisir cette occasion pour fournir au Service des imprimés un jeu de fiches des usuels conservés à la Réserve, pour remanier le catalogue analytique français en fonction de l'expérience de la Section des catalogues analytiques, et pour créer un catalogue analytique néerlandais. En outre, à la demande du Musée Plantin-Moretus, un catalogue systématique a été dressé selon le plan que l'on a vu plus haut. Comme la Réserve possédait deux catalogues analytiques, l'un français, l'autre néerlandais, un catalogue systématique n'était pas indispensable. On s'est rallié pourtant à cette idée, en considérant l'utilité qu'il y aurait à retrouver un catalogue systématique de même modèle dans plusieurs bibliothèques spécialisées en livres anciens.
Pour le fonds précieux, les catalogues en cours de rédaction sont nombreux : catalogues des auteurs, des sujets, des imprimeurs, des illustrateurs, des relieurs et des types de reliures, des armoiries, des supra-libros, des ex-libris, des notes de provenances manuscrites, des vélins, des particularités curieuses.
En 1958 a été fondé, sous la forme juridique d'une association privée, un Centre national de l'archéologie et de l'histoire du livre, qui a son siège à la Bibliothèque royale et dont le conseil d'administration compte notamment des représentants de celle-ci, des quatre universités et du Musée Plantin. Le Centre est divisé en deux sections : manuscrits et imprimés. Le programme initial de la section des imprimés comportait l'élaboration d'un dictionnaire des imprimeurs belges des xve et XVIe siècles et d'un répertoire des imprimés belges de 154I à 1600. Depuis 1959 paraît une bibliographie annuelle de l'histoire du livre en Belgique 4. Mais nous voudrions parler ici un peu plus longuement de deux travaux qui se sont ajoutés dans la suite : le répertoire des catalogues de ventes et la documentation iconographique des imprimés.
Celui qui se consacre à l'histoire du livre ou qui prépare une bibliographie rétrospective s'aperçoit rapidement que l'une des sources principales de ses travaux réside dans les catalogues des libraires. C'est une vérité reconnue depuis longtemps, puisque dès 1915 le « British Museum » estimait nécessaire de publier sa « List of catalogues of English book sales, 1676-1900, now in the British Museum », qui donne la nomenclature de 8 ooo catalogues. Vingt ans plus tard, le Bulletin of the New York Public Library publiait à son tour un répertoire de 9000 catalogues de ventes américaines, de 1713 à 1934 5.
L'édition de ces répertoires spéciaux ne s'explique pas uniquement par l'intérêt que présentent les catalogues des libraires. Elle résulte aussi de l'extrême difficulté de classer les fiches de ces publications dans les catalogues onomastiques. En effet, bien qu'ils aient en général un auteur ou, du moins, un compilateur (le libraire), les catalogues de ventes sont traités traditionnellement comme des publications anonymes. Les difficultés inhérentes au classement des anonymes sont accentuées souvent par la longueur des titres et par la multiplicité de mots dont on n'a généralement pas tendance à tenir compte pour le sous-classement.
Il est évident que le point de vue du catalographe rejoint ici celui du lecteur. Les difficultés que le premier éprouve lors du classement des fiches, le second les subit lors de ses recherches. Devant les fichiers onomastiques, le lecteur se sent d'autant plus dépourvu que, très souvent, il ne connaît pas le titre exact du catalogue qu'il cherche. Toutes ces difficultés tombent avec une publication imprimée, pourvue d'index et libre des entraves du classement alphabétique.
Le but du Centre national de l'archéologie et de l'histoire du livre est de publier le répertoire général des catalogues de ventes de livres (catalogues de ventes publiques et catalogues à prix marqués) de tous pays, de toutes époques, qui se trouvent dans les bibliothèques belges. But trop ambitieux peut-être et qui ne serait pas atteint si des étapes n'étaient prévues. En effet le répertoire ne sera pas publié en une fois. Tous les deux ou trois ans sera édité un fascicule ou un volume, qui donnera la liste des catalogues de tel pays, voire de telle époque, que possède telle bibliothèque. De cette manière, le travail accompli en deux ou trois ans, si modeste soit-il, portera immédiatement ses fruits. Ces fascicules seront d'ailleurs simplement multicopiés, afin de marquer, par leur présentation modeste, qu'ils sont provisoires et qu'ils devront un jour être refondus en un seul classement.
Les fiches des catalogues de ventes ne reprennent pas les titres. Cette solution peut sembler révolutionnaire. C'est pourtant celle à laquelle a recouru Frits Lugt, qui s'en est justifié dans la préface de son répertoire 6 : « La description purement bibliographique des catalogues, adoptée par Duplessis et Soullié, reproduisant fidèlement les titres, sans autre détail sur le contenu, ne m'a pas paru la plus utile et je l'ai abandonnée. Elle entraîne un poids mort immense. Il faut, suivant ce système, imprimer des milliers de fois des mots inutiles comme « catalogue », « collection », « amateur », etc., sans parler des termes élogieux qui figurent aux pages de titres ».
Les fiches des catalogues de ventes aux enchères reprennent les éléments suivants : date (élément classeur), libraire, ville, nom du collectionneur, nombre de lots, nombre de pages, présence d'illustrations, annotation des prix et des acheteurs, objets vendus autres que des livres imprimés, présence d'une notice sur le collectionneur, nom du préfacier (sauf s'il s'agit du libraire), cote. Pour les catalogues, à prix marqués : libraire (élément classeur), ville, numéro du catalogue, date, nombre de lots, nombre de pages, présence d'illustrations, objets vendus autres que des livres imprimés, présence d'une notice sur le collectionneur, nom du préfacier, cote.
On aurait peut-être souhaité que le sujet principal de la vente fût indiqué. C'eût été mettre l'entreprise en péril. Conçue simplement, elle peut être confiée à un seul assistant, pourvu d'une bonne formation technique. Vouloir rechercher le sujet - tâche d'ailleurs souvent hypothétique - exigerait plusieurs collaborateurs, de formation scientifique, sachant plusieurs langues étrangères.
Il était en revanche relativement facile de répondre au vœu de certains collègues qui souhaitaient connaître les catalogues où sont décrits des manuscrits, des estampes, des cartes, des médailles. C'est la raison pour laquelle le schéma de description prévoit la mention d'objets autres que des livres imprimés. On s'efforce même d'indiquer à cette place les reliures, lorsqu'il est manifeste que, dans l'esprit du libraire au moins, ce sont elles qui donnent le prix aux ouvrages.
Le Centre d'histoire du livre a entrepris aussi un fichier où est répertoriée la documentation iconographique du livre imprimé. Alors que les cabinets d'estampes décrivent minutieusement la moindre gravure de leurs collections, les riches ensembles iconographiques que constituent les livres illustrés font l'objet, en général, d'un catalogage que l'amateur d'estampes pourrait juger sommaire. Cette lacune de la documentation se fait particulièrement sentir pour les ouvrages anciens, auxquels souvent ont collaboré plusieurs dessinateurs et plusieurs graveurs, dont les noms n'apparaissent pas sur la page de titre. En outre, il n'est pas d'usage de répertorier les thèmes iconographiques.
Le nouveau programme du Centre d'histoire du livre accorde à chaque gravure d'un ouvrage illustré la même importance qu'un cabinet d'estampes accorde à chaque gravure isolée. Le fichier en cours d'élaboration est double : une partie est consacrée aux artistes, l'autre aux sujets des gravures. Les fiches se présentent sous la forme de copies des fiches onomastiques des ouvrages dépouillés. On y ajoute en haut, pour le premier catalogue, à gauche le nom de l'artiste, à droite sa qualification technique (dessinateur, peintre, graveur, éditeur, imprimeur); lorsque le livre est illustré par plusieurs artistes, on indique pour chacun les pages où se trouvent ses gravures; s'il y en a plus de cinq, la mention passim remplace l'indication des pages.
Pour le catalogue des thèmes iconographiques, on ajoute à la copie de la fiche onomastique de l'ouvrage le sujet de la gravure et la page où elle se trouve. Toute gravure ne donne pas nécessairement lieu à une vedette-sujet : lorsque le sujet est difficilement exprimable, au point qu'il n'est pas utilisable pour la documentation iconographique, il n'est pas repris au catalogue. Les titres et souscriptions des gravures font également l'objet de vedettes. Jusqu'à présent, le procédé n'est pas indiqué, mais on étudie l'opportunité de combler cette lacune.
Les pages qui précèdent ne prétendent pas décrire toutes les activités concernant le livre ancien en Belgique. C'est volontairement que l'on s'est contenté d'évoquer quelques problèmes purement bibliothéconomiques et catalographiques. Humbles tâches, disions-nous en commençant cet article, mais dont dépend, dans une large mesure, la réalisation de travaux bibliographiques plus glorieux qui sortent des limites que nous nous sommes tracées.