Le dépôt légal

Jozef Brock

L'auteur analyse la législation instituant le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique. Après avoir évoqué le cadre historique d'où la nouvelle loi est issue, il s'attache à montrer quelle est la portée de cette réforme. Il publie en annexe le texte de la loi et l'exposé des motifs

La Bibliothèque royale de Belgique, qui, en tant que bibliothèque nationale, a pour mission essentielle de réunir et de conserver la production littéraire et scientifique du pays, vient d'être dotée d'un instrument jugé de plus en plus indispensable pour mener à bien cette tâche, à laquelle est lié l'établissement de la bibliographie nationale courante. Une loi du 8 avril 1965 (Moniteur belge du 18 juin 1965), dont les dispositions entrent en vigueur le Ier janvier 1966, institue en effet le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique. Le texte de la loi, reproduit en annexe et accompagné de l'exposé des motifs, est complété par un arrêté royal qui détermine les conditions du dépôt et les autres modalités d'exécution de la loi. Par une analyse de ces textes, nous nous proposons ici de dégager l'esprit et les lignes essentielles de la nouvelle législation. Par la même occasion nous nous efforcerons de montrer quelle est la portée de cette réforme, qui est une date importante pour la Bibliothèque royale autant que pour l'édition belge, dont elle fixera les relations mutuelles sur une nouvelle base. Pour la bonne compréhension de ces nouvelles dispositions légales, il nous a paru utile d'en relater brièvement la genèse et par là d'évoquer le cadre historique d'où elles sont issues.

Point n'est besoin ici d'illustrer pour nos collègues français la valeur de l'institution du dépôt légal, qui a vu le jour pour la première fois en France même, pays où le maintien fidèle du principe du dépôt obligatoire à travers les siècles est à la base de la richesse et de la réputation mondiale de la première bibliothèque française. A cet égard, la Belgique a été beaucoup moins favorisée. Le dépôt légal fut instauré dans les Pays-Bas espagnols en 1594 au profit de la Bibliothèque royale que Philippe II avait créée à Bruxelles en 1559. Rattaché au système des privilèges, lui-même d'une application défectueuse, ce dépôt obligatoire des livres n'a fonctionné dans nos contrées que très imparfaitement pendant tout l'Ancien Régime. Durant la période révolutionnaire, l'idée de la protection des droits d'auteur surbordonnée à la formalité du dépôt, que la législation sur les privilèges contenait déjà en germe, prend une importance primordiale. C'est elle qui inspira la loi française du 19 juillet 1793 rendant obligatoire le dépôt à la Bibliothèque nationale de deux exemplaires de tout ouvrage, « faute de quoi l'auteur ne pouvait être admis en justice pour la poursuite des contrefacteurs ». Cette loi fut appliquée en Belgique dès le rattachement de notre pays à la France. Au XIXe siècle, la conception de la propriété littéraire garantie par le dépôt s'étendit dans tous les pays qui s'inspirèrent du Code civil napoléonien et elle se trouva être à la base du grand essor qu'a pris la législation sur le dépôt légal à partir de cette époque. Lors de la réunion de la Belgique à la Hollande, une nouvelle loi empruntant à la loi française ses dispositions essentielles, régla, en 1817, la matière de la propriété littéraire et artistique dans le nouveau Royaume. Elle assura la propriété des ouvrages moyennant le dépôt de trois exemplaires au Département de l'Intérieur. Pas plus que sous le régime français, la Bibliothèque royale, intégrée entre-temps à la Bibliothèque de la ville de Bruxelles, ne jouit des avantages résultant du dépôt littéraire. De 1817 à 1830, ce fut la Bibliothèque royale de La Haye qui fut enrichie des exemplaires déposés dans les provinces méridionales. La loi de 1817 fut maintenue après 1830 par le Gouvernement provisoire de la Belgique indépendante et resta en vigueur chez nous jusqu'en 1886. A cette date le Parlement dissocia la protection des droits d'auteur du dépôt et supprima ce dernier.

En 1837, le jeune État belge, désireux d'affirmer son indépendance dans les domaines culturel et scientifique, décida la création d'une bibliothèque nationale. La célèbre collection encyclopédique Van Hulthem, particulièrement intéressante pour notre histoire nationale, en forma le noyau. On doit constater cependant que, si la portée nationale de cette collection a été déterminante pour en assurer son achat par l'État, c'est son caractère encyclopédique et scientifique qui pesa sur la politique d'acquisition de la nouvelle Bibliothèque royale. Celle-ci eut pour mission d'acquérir « les livres importants anciens et modernes », sans être plus spécialement chargée de rassembler d'une manière complète les publications belges. En ce qui concerne ces dernières, son seul rôle, au terme du règlement organique, fut de recevoir et de conserver les exemplaires des ouvrages déposés en vertu de la loi de 1817 sur les droits d'auteur. Mais ce dépôt, essentiellement facultatif, n'était obligatoire que dans le cas où l'auteur voulait voir protéger ses droits de propriété littéraire en justice. Le faible rendement du dépôt d'auteur ainsi que l'absence d'une bibliographie courante valable engendrèrent dès lors de regrettables lacunes dans l'acquisition des livres belges.

Peu à peu on commença à chercher remède à une situation qui risquait de nuire aux intérêts des sciences et des lettres ainsi qu'au commerce de la librairie en Belgique. Au moment où les autorités officielles prirent conscience de leurs responsabilités envers le patrimoine intellectuel de la nation et où les contacts internationaux se multiplièrent dans tous les domaines, le problème de disposer d'une bibliographie nationale courante et complète se posa d'une manière de plus en plus urgente. C'est du secteur privé que vint l'initiative de la création de ce répertoire périodique. En 1869, dans une requête adressée au gouvernement belge, l'éditeur bruxellois Merzbach proposa en effet de se charger, moyennant un prix forfaitaire, d'acquérir un exemplaire des publications belges, de les recenser dans un bulletin bibliographique mensuel et de les transmettre ensuite à la Bibliothèque royale. Celle-ci émit un avis favorable en insistant sur le fait que la publication de la liste des ouvrages parus en Belgique était inséparable de l'achat de ces mêmes ouvrages et de leur remise à la Bibliothèque royale, le seul dépôt central du pays. Entre temps, conséquence de la Convention des Princes de 1867, qui donnait une nouvelle impulsion au développement des relations culturelles internationales, le gouvernement créa, en 1871, une Commission belge d'échanges artistiques et littéraires. L'établissement d'une bibliographie nationale complète étant une condition essentielle pour assurer le succès des échanges internationaux, la Commission engagea le gouvernement à poursuivre les négociations, qui aboutirent en 1874 à la conclusion d'un contrat relatif à la publication de la Bibliographie de Belgique.

Sous sa première forme, notre répertoire national de bibliographie courante était dès lors une entreprise privée, subventionnée et contrôlée par l'État. L'éditeur, chargé de rédiger ce bulletin d'après les ouvrages mêmes, devait les remettre, après usage, à la Bibliothèque royale. Il s'agissait donc d'une variante du dépôt volontaire à titre onéreux, système que les responsables de la Bibliothèque préféraient au dépôt légal forcé et gratuit, qu'ils considéraient comme incompatible avec notre mentalité et dès lors inefficace.

Des arguments analogues furent invoqués quelques années plus tard pour supprimer la formalité du dépôt dans le projet de loi relatif au droit d'auteur qui fut présenté à la Chambre belge en 1886. Cette disposition du projet rencontra la plus vive opposition auprès des représentants, qui ne voulurent pas que la jouissance et l'exercice du droit de l'auteur fussent subordonnés à une quelconque démarche. D'autre part, ils ne se reconnurent pas le droit d'imposer aux auteurs et aux éditeurs une charge vexatoire en sanctionnant l'omission du dépôt par une simple amende, d'autant plus que dans un pays où la liberté de la presse était garantie, le dépôt obligatoire deviendrait une mesure de police et un moyen d'exercer la censure. Cette prescription fut dès lors supprimée dans le projet sans qu'on ait pris soin de maintenir le dépôt au profit des bibliothèques, lui reconnaissant uniquement une fin culturelle comme dans d'autres pays lorsqu'il y fut aboli en tant que garantie des droits d'auteur.

La convention relative à la publication de la Bibliographie de Belgique, par laquelle on espérait remplacer avantageusement l'absence d'un dépôt obligatoire, ne donna pas tous les résultats qu'on était en droit d'en attendre. Les éditeurs, qui furent pourtant les premiers intéressés au bon fonctionnement de cette entreprise, mirent en effet peu d'empressement à faire connaître leurs publications à leur collègue, l'administrateur de la Bibliographie de Belgique. Ce dernier fut par conséquent obligé de rechercher lui-même et d'acquérir un exemplaire de la plupart des nouveautés belges. La publication n'était donc pas sans lacunes, souvent d'autant plus graves que les adjudicataires successifs de cette bibliographie n'eurent ni le temps, ni la compétence de suivre le mouvement de la production scientifique belge dans tous les domaines. En plus, la valeur scientifique de la publication fut compromise dès le début, parce que les notices bibliographiques des ouvrages reçus n'étaient pas rédigées par des bibliographes de métier. Ainsi, ce journal officiel de la librairie belge prit peu à peu le caractère d'une bibliographie commerciale qui, tout en ne donnant que des informations bibliographiques sommaires sur les ouvrages annoncés, se préoccupait, avant tout, de signaler aux libraires les nouveautés qui pouvaient les intéresser.

En 19II, devant les exigences du public et dans l'intérêt de nos collections nationales, le gouvernement jugea qu'il ne pouvait pas laisser subsister plus longtemps une entreprise privée, onéreuse pour l'État, et qui ne convenait qu'incomplètement aux besoins des chercheurs. Il comprit aussi qu'il devait réorganiser l'information bibliographique belge pour la mettre au niveau des entreprises analogues étrangères et pour répondre aux exigences de la recherche scientifique. Dès lors, il créa à la Bibliothèque royale, en 1912, un service officiel de la Bibliographie de Belgique dont la mission était de rechercher et d'acquérir toutes les publications belges ou relatives à la Belgique et de les annoncer dans un bulletin bibliographique rédigé d'une façon scientifique. En confiant cette double tâche à la Bibliothèque royale, on déterminait ainsi les responsabilités de cette institution comme Bibliothèque nationale. Depuis lors, celle-ci s'est attachée à développer la part importante qu'elle venait de prendre dans l'organisation de la documentation nationale. Il est évident que son activité dans ce domaine s'est concentrée en premier lieu sur un meilleur rendement du système d'acquisition des publications belges ainsi que sur l'amélioration, quantitative et qualitative, de la bibliographie nationale. Cependant, l'espoir d'obtenir le concours nécessaire des éditeurs pour cette entreprise en leur demandant une collaboration loyale et librement acceptée a été déçu. Constamment aux prises avec l'indifférence et parfois la mauvaise volonté d'une partie de l'édition et de la librairie belges, c'est au prix d'un travail considérable et minutieux que la Bibliothèque royale s'efforça de réunir le fonds national des imprimés. Malgré des lacunes et des retards inévitables dans le signalement des ouvrages, la Bibliographie de Belgique faisait ainsi fonction de feuille d'annonce pour les éditeurs belges, auxquels l'État, tout en payant les livres recensés, assurait une excellente publicité gratuite. L'établissement du dépôt légal semblait bien être le seul moyen de redresser cette situation inégale, qui risquait de détourner l'État d'une entreprise utile, mais trop onéreuse pour le Trésor. C'était aussi le seul remède à un mal qui privait nos chercheurs de maintes sources d'information et qui empêchait la publication d'une bibliographie complète et à jour.

En Belgique, les premières tentatives d'introduction du dépôt légal remontent aux années 20 quand l'institution du dépôt connut un regain d'actualité, non seulement sur le plan européen et national mais encore sur celui de la coopération mondiale. Dans l'Europe nouvelle, la plupart des jeunes États instituèrent alors cette mesure et d'autres pays adaptèrent la législation existante. Déjà en 1920, le Ministre belge des Sciences et des Arts, Jules Destrée, voulut organiser le dépôt légal, mais il en fut dissuadé par son administration, qui fit état des nombreux articles et projets réclamant alors une réforme de l'organisation du dépôt légal en France. La promulgation de la nouvelle loi française de 1925 donna une nouvelle impulsion à nos tentatives et, à la fin de 1926, le ministre Camille Huysmans présenta à la Chambre belge le premier projet de loi sur le dépôt légal. Celui-ci prévoyait le dépôt obligatoire et gratuit d'un seul exemplaire par l'éditeur ou, à son défaut, par l'imprimeur, de tous les livres, brochures et périodiques édités ou imprimés en Belgique. Les estampes, les gravures, les cartes, ainsi que les œuvres musicales, photographiques, cinématographiques et phonographiques étaient exclues du dépôt. Les ouvrages de luxe devaient être déposés contre paiement de la moitié de leur prix de vente. Il précisait enfin que les ouvrages et les nouveaux périodiques déposés seraient décrits dans la Bibliographie de Belgique et conservés à la Bibliothèque royale.

Le projet, qui imposait aux éditeurs et subsidiairement aux imprimeurs un sacrifice minime et compensé par les avantages de la publicité et de la conservation, ne put aboutir parce qu'il se heurta à la double opposition des éditeurs, qui y virent un impôt d'exception, et des imprimeurs qui étaient obligés, dans un but de contrôle du dépôt, de déclarer ce qu'ils imprimaient. A cet égard, il est significatif de mentionner qu'un autre projet conçu par la Bibliothèque royale en 193I et prévoyant l'obligation pour les éditeurs de déposer leur production contre paiement du prix de vente diminué de 30% - pourcentage équivalent à la remise consentie par eux aux libraires et aux distributeurs - fut rejeté par l'Administration à la suite d'une intervention parlementaire. On doit en conclure qu'il y avait d'autres raisons que celles invoquées par ceux qui refusaient le dépôt : c'était la répugnance à y être astreint et à effectuer des formalités s'ajoutant, dans leur esprit, à toutes celles imposées par l'État aux commerçants.

Ce manque de maturité professionnelle fit place à une attitude plus constructive de la part des éditeurs en 1945, quand fut déposé un nouveau projet de loi qui reprenait avec quelques modifications de détail celui rejeté en 1926. En effet, si d'une part les éditeurs restaient résolument hostiles au principe du dépôt gratuit, ils semblaient d'autre part disposés maintenant à accepter l'obligation du dépôt moyennant rétribution. Le projet de loi étant devenu caduc par suite de la dissolution des Chambres, la Bibliothèque royale saisit cette occasion pour préparer un texte qui tiendrait compte de l'objection principale des éditeurs. Elle engagea à cette fin des pourparlers avec le Cercle belge de la Librairie et le Syndicat des éditeurs belges, qui donnèrent leur accord de principe pour un dépôt légal payé à concurrence de 75 % du prix de vente des ouvrages. Le Syndicat proposa en plus de prendre entièrement à sa charge l'impression et la diffusion des bulletins de la Bibliographie de Belgique sous condition d'en percevoir le montant des abonnements et d'y faire de la publicité. Mais cette tentative de rapprocher les points de vue resta sans suite. La Belgique demeura ainsi un des derniers pays d'Europe qui ne pratiquait pas le dépôt légal et le seul dont la bibliothèque nationale dut établir la bibliographie courante officielle sans l'aide efficace d'un dépôt obligatoire ou volontaire.

L'édification d'une nouvelle bibliothèque nationale, dont la première pierre fut posée en 1954, permit à la Bibliothèque royale de rénover ses structures et de prendre les initiatives nécessaires pour développer sa double tâche d'institution nationale et scientifique centrale. Dans le cadre de cette activité élargie, la réalisation de certains désiderata, parmi lesquels l'instauration du dépôt légal, s'imposa. L'utilité, voire la nécessité de cette dernière mesure, était incontestable. Imposé, par une loi spéciale, dans un but éminemment culturel et bibliographique, le dépôt légal améliorerait sensiblement la fonction nationale de la Bibliothèque royale, en même temps qu'il contribuerait à augmenter le prestige de cette institution. Sur le plan international d'ailleurs, la question du dépôt légal avait acquis une réelle actualité à cause du progrès constant du dépôt légal dans le monde et par l'action de l'Unesco et de la F.I.A.B. tendant à obtenir une amélioration des services nationaux de bibliographie, et en premier lieu de la bibliographie nationale, par l'instauration d'une législation satisfaisante concernant le dépôt légal. Si ces raisons étaient convaincantes pour justifier l'institution de cette mesure, l'expérience du passé avait suffisamment démontré qu'un tel projet n'avait aucune chance d'aboutir sans l'accord préalable des intéressés sur l'essentiel de ses dispositions. Pour éviter un nouvel échec, il fut décidé de défendre un dépôt légal à tendance minimale mais basé sur le principe de la gratuité. Pour le même motif, on renonça à l'idée d'un dépôt légal associant les imprimeurs à l'exécution de la loi sous une forme contraignante. La Bibliothèque royale, dans la personne de son Conservateur en chef, entreprit dès lors à la fin de 1960 des pourparlers avec les éditeurs afin de confronter les points de vue et de se concerter éventuellement sur un projet de texte. Les éditeurs témoignèrent d'un sens éclairé des intérêts supérieurs de leur profession en admettant la thèse de la Bibliothèque royale, qui invoqua comme premier et principal argument l'avis judicieux des experts de l'Unesco, à savoir que le dépôt légal constituait la base la plus sûre pour l'établissement d'une bibliographie nationale de qualité. La Bibliothèque royale s'engagea d'autre part à donner une publication accélérée dans la Bibliographie de Belgique aux notices signalétiques des ouvrages déposés et à prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation permanente des livres belges. L'exposé des motifs reproduit ci-dessous montre en détail toutes les raisons alléguées par la Bibliothèque en faveur de la création d'un dépôt légal inspiré par une large compréhension des intérêts réciproques des deux parties.

Suite à cet accord, qui est à la base de la présente législation, le Syndicat des éditeurs belges établit un projet de texte et le transmit, en mars 196I, à la Bibliothèque royale pour qu'elle l'examine et le transforme en projet de loi. Ce texte, dont les points essentiels furent repris dans la loi définitive, y fit l'objet d'un examen approfondi, portant à la fois sur le fond et sur la forme. L'insuffisance du projet au point de vue de la réglementation du dépôt légal, qui comporte des dispositions nombreuses et nuancées, nécessita un long travail de mise au point. Le nouveau texte, scindé en un projet de loi et en un projet d'arrêté d'exécution, fut approuvé par le Syndicat en février 1962. Les projets entrèrent ensuite dans leur phase administrative par leur transmission au Ministre de l'Éducation nationale et de la Culture. En août 1962, le Ministre réunit les délégués des associations d'éditeurs afin de les informer sur la portée des projets et d'entendre leurs observations éventuelles. Les éditeurs, et en particulier les représentants de la presse périodique, émirent le vœu de voir alléger leurs obligations par l'instauration d'un dépôt sélectif pour la presse périodique et les petits imprimés en général, dont la grande masse risquait d'ailleurs d'encombrer la Bibliothèque. A la suite de ces discussions, il fut décidé d'introduire dans le projet une distinction entre les publications qui doivent être déposées d'office et celles qui ne doivent être déposées que sur décision spéciale du Conservateur en chef de la Bibliothèque royale. En plus de cette modification fondamentale du projet, plusieurs de ses articles firent l'objet d'une révision de forme et subirent des amendements importants. On exclut aussi les oeuvres phonographiques et cinématographiques du dépôt, une institution propre devant être prévue pour leur conservation.

L'adoption des textes par le Conseil des ministres, en novembre 1963, fit entrer le projet dans sa phase législative. Celui-ci fut dès lors soumis au Conseil d'État, qui hésita longtemps avant de donner un avis de droit favorable. En effet, le dépôt obligatoire et gratuit ne semblait guère s'accorder avec l'article II de la Constitution belge, qui protège la propriété individuelle contre le pouvoir en proclamant que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. Sans vouloir se prononcer sur la nature juridique du dépôt légal gratuit, l'avis rendu par le Conseil d'État en septembre 1964 conclut à la légalité du projet eu égard au coût minime de l'exemplaire supplémentaire destiné au dépôt et à l'usage de distribuer un certain nombre d'exemplaires au titre d'hommage de l'auteur. La présentation du projet de loi devant les deux Chambres fut retardée une dernière fois par l'introduction d'un nouvel amendement, dont l'opportunité était déjà apparue lors de la discussion du projet au Conseil des ministres. Il s'agissait d'étendre l'obligation du dépôt aux publications éditées à l'étranger dont l'auteur est belge et domicilié en Belgique. Il serait tenu compte ainsi de la situation très particulière de la Belgique, dont les auteurs, aussi bien francophones que d'expression néerlandaise, ont tendance à recourir à des éditeurs étrangers. Cet amendement permettrait aussi à la Bibliothèque royale de tenir mieux à jour la liste des publications d'auteurs belges à l'étranger, publiée annuellement dans la Bibliographie de Belgique. En février 1965, les délégués des associations d'éditeurs et d'écrivains marquèrent leur accord sur l'ensemble des projets. Le 8 avril 1965, en fin de législature, la loi fut votée par les deux Chambres sans débat.

Le système belge du dépôt légal, tel que l'organisent la présente loi et les dispositions de l'arrêté d'application qui la complètent, s'inspirent largement de l'expérience étrangère et en particulier de l'exemple français. Son but et ses principes essentiels ne diffèrent d'ailleurs guère de ceux des autres législations modernes, dans lesquelles le dépôt légal trouve de plus en plus sa justification principale par le fait qu'il constitue une mesure indispensable pour recueillir la littérature nationale et pour faire face à des nécessités bibliographiques. Cependant, la diversité étonnante de toutes ces lois, qui se retrouve dans la législation belge du dépôt légal, tient à la nature de cette institution, dont l'organisation est propre à chaque pays.

Ainsi, la loi belge sur le dépôt légal est le résultat d'un long travail et de laborieuses négociations. Texte de compromis, il consacre l'accord entre éditeurs, auteurs et État, condition essentielle d'ailleurs pour garantir la bonne exécution de la loi. La volonté du législateur de concilier les aspirations des différents intéressés a donc eu pour conséquence un texte à tendance minimale. Il n'y est question que du dépôt d'un seul exemplaire et de son achat dès que le prix de vente dépasse un montant de mille francs belges. Les éditeurs ont invoqué comme argument le fait que les tirages des livres belges sont beaucoup plus restreints qu'ailleurs... Dans un petit pays comme le nôtre, le dépôt légal représente une charge financière non négligeable pour l'État, qui doit en plus continuer à acheter des livres étrangers pour la Bibliothèque royale, afin qu'elle puisse remplir sa mission de bibliothèque scientifique. Si, au point de vue de l'utilisation et de la conservation des livres belges, un dépôt en deux exemplaires eût été souhaitable, des raisons d'ordre pratique et financier s'opposent à ce que la Bibliothèque royale recueille et conserve la totalité de la production belge. Le système du dépôt légal tel qu'il est conçu dans la présente loi n'exclut à priori aucune publication mais, pour ne pas surcharger excessivement la Bibliothèque, il instaure un double régime de dépôt - l'un d'office, l'autre à l'initiative du Conservateur en chef de la Bibliothèque royale. Le dépôt d'office, qui comprend toutes les publications non périodiques d'au moins cinq pages, ainsi que les périodiques paraissant moins d'une fois par semaine, assure ainsi la présence à la Bibliothèque royale de l'immense majorité des publications les plus intéressantes, le Conservateur en chef ne devant plus se soucier que de la sélection des documents qui ne sont pas déposés d'office. Dans ce système, le risque de voir certaines publications importantes échapper au dépôt peut donc être considéré comme négligeable.

Un des grands résultats de la loi doit être le perfectionnement de la Bibliographie de Belgique, dont l'évolution historique reflète l'importance croissante donnée à l'acquisition des livres belges. La préoccupation d'établir une bibliographie complète, qui est à l'origine même de l'actuelle législation sur le dépôt légal, apparaît dans différentes dispositions de la loi et de l'arrêté royal. Elles prévoient le repérage rapide des nouvelles publications belges, qui doivent être déposées dans les quinze jours qui suivent leur publication. Le dépôt est accompagné d'une déclaration portant les indications nécessaires à l'établissement de l'état civil de chaque publication. La liste des ouvrages déposés par les éditeurs devra être publiée par la Bibliothèque royale dans le mois qui suit celui du dépôt. La bibliographie nationale, témoin de notre patrimoine littéraire, doit nécessairement tenir compte de la situation spéciale de notre pays et comprendre les œuvres belges éditées à l'étranger. Malgré les difficultés que poseront leur dépôt obligatoire, ces publications, qui comprennent aussi les traductions, doivent être déposées par les auteurs belges domiciliés en Belgique, dans un délai de deux mois et publiés dans une liste annuelle. La loi tend ainsi à constituer une bibliographie nationale aussi complète que possible et, en particulier, à améliorer l'image bibliographique de l'édition belge.

Afin de pouvoir contrôler l'exécution du dépôt, le législateur a chargé les éditeurs de tenir un registre spécial et de demander à la Bibliothèque royale un numéro d'inscription, qui devra figurer dans tous les exemplaires de chaque ouvrage soumis au dépôt d'office. La loi prévoit enfin des sanctions civiles et pénales en cas d'inexécution ou d'exécution défectueuse du dépôt légal. Cependant c'est un fait que le bon fonctionnement du dépôt légal dépendra essentiellement de la collaboration loyale des déposants, qui sont d'ailleurs les premiers intéressés.

La nouvelle loi sur le dépôt légal contribuera certainement à la conservation et à la diffusion du livre belge. Elle jouera ainsi un rôle capital en faveur du développement culturel du pays. Son organisation pratique imposera une refonte des services bibliographiques belges au sein de la Bibliothèque royale et donnera un nouvel essor à la fonction nationale de cette institution. Cette réforme profitera également à l'édition belge pour laquelle la Bibliothèque royale pourra étendre ses activités bibliographiques.

Annexe

Loi instituant le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique

Exposé des motifs.

Le projet de loi que nous avons l'honneur de soumettre aux délibérations du Parlement tend à établir le dépôt obligatoire, à la Bibliothèque royale de Belgique, d'un exemplaire de leurs publications par les éditeurs d'une part ainsi que par les auteurs belges domiciliés en Belgique dont les ouvrages sont édités à l'étranger d'autre part. Le terme « publication » doit être pris dans un sens large et comprend non seulement les publications imprimées, mais généralement toutes les productions des arts graphiques y compris les œuvres photographiques, ces dernières étant traditionnellement assimilées aux imprimés parce qu'elles peuvent être reproduites en de multiples exemplaires et vu leur grande importance au point de vue documentaire, scientifique ou culturel.

Les œuvres phonographiques et cinématographiques sont exclues du dépôt légal tel qu'il est organisé par le présent projet de loi, mais le gouvernement a l'intention de proposer ultérieurement au Parlement l'adoption d'une législation analogue applicable à ces œuvres dont la conservation et l'utilisation, notamment, appellent des solutions spécifiques.

Pour toutes les publications visées par le présent projet, le dépôt en un seul exemplaire est obligatoire dès que la publication est offerte au public, même s'il s'agit d'un public restreint. Cependant pour alléger autant que possible l'obligation incombant aux déposants d'une part, et pour ne pas encombrer les dépôts de la Bibliothèque royale d'autre part, le projet de loi introduit dans son article 2 une distinction entre les publications qui doivent être déposées d'office et celles qui ne doivent être déposées que sur décision spéciale du Conservateur en chef.

Cette disposition vise à permettre à la Bibliothèque royale de ne demander notamment que le dépôt d'une seule édition d'un journal et d'éviter ainsi le dépôt des autres éditions journalières ou régionales. Dans un autre domaine, cette disposition écarterait la grande masse des petits imprimés, relativement peu intéressants, sauf décision spéciale de dépôt.

Le dépôt légal, ainsi défini dans le projet, permettrait à la Bibliothèque royale de réunir une collection représentative de la production nationale et de conserver ce patrimoine culturel pour les générations futures. Cette mission essentielle de cet établissement en tant que Bibliothèque nationale est conforme non seulement à l'intérêt primordial des auteurs des publications mais aussi à l'intérêt direct des éditeurs.

Le dépôt légal permettrait en outre de satisfaire à la nécessité d'établir une liste complète de tout ce qui s'édite dans le Royaume, ou est publié à l'étranger par des auteurs belges domiciliés en Belgique, et de mettre cette liste à la disposition du public. Aucune idée de censure n'est liée à ce dépôt légal : celui-ci est avant tout l'expression de la maturité professionnelle que reflète la qualité de la bibliographie nationale.

D'autre part, constatons qu'en Belgique la publication de la bibliographie nationale est, depuis de très longues années, le fait du secteur public et non de l'édition elle-même comme c'est le cas dans certains pays.

Actuellement, cependant, la section de la Bibliographie de Belgique à la Bibliothèque royale qui est chargée d'établir ce répertoire, malgré tous les soins apportés à l'accomplissement de sa tâche, ne peut arriver à faire œuvre réellement complète, parce que beaucoup de publications qui ne sont mentionnées nulle part échappent aux recherches; d'autres sont acquises avec un retard parfois considérable.

Étant donné que la valeur de toute bibliographie courante est étroitement liée au dépôt rapide et complet des publications, il est évident que la base la plus sûre pour l'établissement d'une bibliographie nationale de qualité est le dépôt légal. Un dépôt analogue est d'ailleurs prescrit dans la plupart des pays. Celui-ci doit permettre de suivre le mouvement de la production nationale dans son exacte continuité par l'annonce des ouvrages déposés dans une bibliographie officielle.

Cette publicité révèlera la parution des ouvrages déposés aux libraires, aux bibliothécaires et aux chercheurs du pays et de l'étranger. L'excellente publicité, gratuite pour les déposants, que constituerait une bibliographie nationale ainsi conçue est indéniable. Il est dès lors normal que l'État attende une contrepartie de la diffusion qu'il assure ainsi aux oeuvres belges. Ici, également, le projet a une tendance minimale : il n'y est question que du dépôt d'un seul exemplaire dont l'achat est imposé dès que le prix de vente atteint un certain montant, sauf le cas spécial de restitution pure et simple de l'ouvrage déposé.

Pour ce qui concerne les éditions belges, ce sont les éditeurs, parmi lesquels il faut comprendre les co-éditeurs, les imprimeurs-éditeurs et les auteurs qui éditent eux-mêmes leurs œuvres, qui assument l'obligation légale.

Quant aux publications faites à l'étranger ce sont leurs auteurs belges domiciliés en Belgique qui sont tenus au dépôt.

L'obligation légale s'applique aux personnes morales (en ce comprises celles de droit public) comme aux personnes physiques agissant à titre individuel ou en tant que membres d'associations non dotées de la personnalité juridique.

Le Roi arrêtera les conditions du dépôt ainsi que toutes autres modalités d'exécution de la présente loi.

Tel est le projet de loi que, sur l'ordre du Roi, nous avons l'honneur de soumettre aux délibérations du Parlement.

Le Ministre de l'Éducation nationale et de la Culture

H. JANNE

Le Ministre de la Culture, adjoint à l'Éducation nationale

R. VAN ELSLANDE

Texte de la loi 1

BAUDOUIN, Roi des Belges,

A tous, présents et à venir, Salut.

Les Chambres ont adopté et Nous sanctionnons ce qui suit :

Art. Ier. - Aux conditions fixées par la présente loi, dans les limites et suivant les modalités déterminées par le Roi, les publications de toute nature multipliées par le moyen de l'imprimerie ou par tout autre procédé graphique, à l'exception des procédés phonographiques et cinématographiques, doivent être déposés, en un exemplaire, à la Bibliothèque royale de Belgique.

Art. 2. - Le dépôt est obligatoire pour les publications qui sont éditées en Belgique et pour les publications éditées à l'étranger dont l'auteur ou un des auteurs est Belge et est domicilié en Belgique.

L'obligation du dépôt concerne toutes les publications précitées qui sont soit distribuées gratuitement, soit offertes en vente ou en location au public.

Le dépôt s'effectue d'office pour chacune des éditions des livres et brochures, ainsi que pour les périodiques paraissant moins d'une fois par semaine. Toutefois, le dépôt doit être fait du premier numéro de tout périodique paraissant nouvellement ou ayant fait l'objet d'une modification de titre, de format ou de périodicité.

Le dépôt peut être prescrit pour les autres publications par décision spéciale du conservateur en chef de la Bibliothèque royale, sur avis conforme du conseil de cette institution.

Art. 3. - Le dépôt est effectué par les soins des éditeurs pour les publications éditées en Belgique et par les soins des auteurs visés à l'article 2 ci-dessus pour celles qui sont éditées à l'étranger.

Le Roi détermine le délai dans lequel le dépôt doit avoir lieu.

Art. 4. - Par « éditeur » il faut entendre pour l'application de la présente loi, toute personne physique ou morale publiant ou faisant publier à ses frais une des œuvres visées par l'article Ier de la présente loi.

Art. 5. - Sauf pour les ouvrages dont le prix de vente au public dépasse un montant fixé par arrêté royal, le dépôt ne donne pas lieu à paiement.

Parmi les ouvrages donnant lieu à paiement, le conservateur en chef de la Bibliothèque royale désigne ceux dont le dépôt sera provisoire; dans le mois qui suit leur dépôt, il décide soit leur achat définitif, soit leur restitution sans indemnité.

Art. 6. - En cas d'inexécution ou d'éxécution défectueuse du dépôt légal, et trente jours au moins après l'envoi d'un réquisitoire par lettre recommandée à la poste, la Bibliothèque royale peut, aux frais de la personne astreinte à l'obligation du dépôt, procéder à l'achat, dans le commerce de détail, du ou des ouvrages qui n'ont pas été déposés régulièrement.

Le contrevenant qui s'est soustrait à ses obligations est, en outre, sur poursuites judiciaires, passible d'une amende de 26 à 250 francs ou, en cas de récidive, dans l'année qui suit une première condamnation, de 50 à 1 ooo francs.

Toutes les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables aux infractions prévues par le présent article.

Les tribunaux de police connaissent de ces infractions.

Art. 7. - Une liste des ouvrages déposés par les éditeurs belges sera établie et publiée dans le mois qui suit celui du dépôt.

Les ouvrages déposés par les auteurs visés à l'article 2 ci-dessus feront l'objet d'une liste publiée au moins une fois par an.

Art. 8. - La présente loi entre en vigueur le Ier janvier qui suit sa publication au Moniteur belge.

Promulguons la présente loi, ordonnons qu'elle soit revêtue du sceau de l'État et publiée par le Moniteur belge.

Donné à Bruxelles, le 8 avril 1965.

BAUDOUIN

Par le Roi :

Le Ministre de l'Éducation nationale et de la Culture

H. JANNE

Le Ministre de la Culture, adjoint à l'Éducation nationale

R. VAN ELSLANDE

  1. (retour)↑  Session 1964-1965.
    Chambre des représentants.
    Documents parlementaires. - Projet de loi, n° 1039.
    Annales parlementaires. - Discussion et adoption. Séance du 8 avril 1965. Sénat.
    Documents parlementaires. - Projet de loi, n° 190. - Rapport, n° 307.
    Annales parlementaires. - Discussion et adoption. Séance des 7 et 8 avril 1965.