Le système BBR et les nouvelles applications des machines à calculer électroniques en imprimerie et en documentation

Louis Chereau

Le système BBR de composition automatique en imprimerie comportant la coupure des mots suivant les règles typographiques est décrit et on rappelle une démonstration expérimentale du fonctionnement du système BBR. Après avoir examiné les avantages du système BBR, on expose quelques variantes connues

« Il paraît nécessaire d'envisager 'des transformations assez radicales du mode de communication inauguré par

Gutenberg, c'est-à-dire celui du texte imprimé déposé dans une bibliothèque ».

PIERRE AUGER,

[In : Tendances actuelles de la recherche scientifique (ONU et Unesco, 196I)]

Introduction

On sait que Gutenberg et Schœffer sont généralement désignés comme les inventeurs des caractères mobiles en relief qui donnèrent à l'imprimerie l'essor que l'on connaît.

Pendant longtemps on a constitué au moyen de « caractères mobiles » des textes destinés à être reproduits après encrage en de nombreux exemplaires.

Ce sont les habiles artisans qui « composèrent » ces textes, qui imaginèrent ce que l'on appelle « la justification », c'est-à-dire l'alignement des lettres dans le sens vertical tant sur la droite que sur la gauche du texte. Ainsi, le texte apparaît comme un ensemble ordonné sur la feuille ou support sur lequel il est écrit.

C'est à des notions analogues qu'il convient de rattacher l'introduction du « trait d'union » et des « règles de coupure » des mots.

C'est seulement à la fin du XIXe siècle que les inventions de Mergenthaler et de Lanston introduisent la « composition mécanique » en imprimerie.

Mergenthaler, horloger allemand, émigra à Baltimore où il inventa et réalisa la première « usine automatique », la « linotype ». Cette composeuse mécanique fut suivie par beaucoup d'autres machines telles que la Monotype de Lanston, l'Inter-type, la Teletype setter, etc.

Toutes ces machines fabriquent automatiquement un caractère d'imprimerie en plomb (ou une ligne de tels caractères) en réponse à l'enfoncement d'une touche (ou de plusieurs touches).

Le principe de base de ces machines demeura stable jusqu'à la fin de la dernière guerre mondiale. C'est alors que MM. R. A. Higonnet et L. Moyrout, qui travaillaient comme ingénieurs dans un service de brevets et de documentation dirigé par l'auteur, proposèrent à Lyon en 1944 et finalement réalisèrent aux États-Unis à Boston la première machine à composer photographique, la LUMITYPE qui, entre autres avantages, élimina l'emploi du plomb coûteux et encombrant. Les mêmes inventeurs viennent de réaliser une nouvelle composeuse la ZIP-500 qui compose et justifie un texte à la vitesse commerciale de 500 caractères par seconde. Évidemment ces machines ne sont pas actionnées à la main mais au moyen d'une « bande » portant les différents signaux de lettres et de composition.

La « bande » commandant une LUMITYPE ou une ZIP est préparée d'autre part au moyen d'un ou de plusieurs claviers spéciaux. Remarquons qu'actuellement la plupart des machines à composer sont adaptées pour être commandées par « bandes ».

Première partie : le système BBR de composition automatique en imprimerie

Origine du système BBR de composition automatique.

Pour préciser les origines du système BBR nous croyons bon de citer ici un écrit remontant au 20 novembre 1953 :

« Mr Chereau est entré en relations avec Mr Bafour dans le but de promouvoir certaines inventions de Mr Bafour et, à cet effet, une série de réunions, à l'initiative de Mr Chereau, ont eu lieu...

De ces réunions, il est résulté qu'un ou plusieurs brevets seraient déposés en France aux noms de MM. Bafour, Raymond et André Blanchard 1... »

Les brevets envisagés ont été déposés, en particulier le brevet français n° 1 103 ooo, déposé le 24 mars 1954 et délivré le 18 mai 1955.

En quoi consiste le système BBR.

Le système BBR se propose de prévoir un moyen nouveau de composition pour l'impression de textes, visant de façon générale à accélérer cette composition, tout au moins à la rendre en majeure partie automatique, et, de ce fait, à réduire les frais de ladite composition.

La description qui suit est basée sur le texte dudit brevet n° 1 103 000.

Ce nouveau système fait appel aux possibilités actuelles d'automatisation d'opérations, et il réduit de ce fait l'intervention humaine en cette composition au petit nombre seulement d'actions intelligentes concernant la compréhension des textes et leur présentation esthétique et, à cet effet, le système BBR entraîne l'automatisation des opérations de coupure et justification, usuelles dans la composition et qui nécessitaient jusqu'à présent l'intervention d'opérateurs spécialisés.

Comment on procède traditionnellement.

Le processus traditionnel de préparation et de composition d'un texte peut se résumer comme suit :

Un manuscrit d'auteur, éventuellement modifié, donne lieu à l'établissement de copies multiples dactylographiées. Il s'agit là d'une opération de mise au net.

Sur une de ces copies dactylographiées travaille alors un préparateur de composition. Ce travail, outre les corrections évidentes des fautes de frappe et de syntaxe qui ont pu subsister malgré les corrections antérieurement apportées sur les copies, consiste essentiellement dans le report sur ladite copie des indications ou informations de service suivantes :
a) indication du format et éventuellement des marges;
b) détermination de la justification;
c) détermination des polices, variétés et corps de caractère des lettres, chiffres et signes, de façon générale, des éléments du texte à composer;
d) indications éventuelles de modifications d'alinéas dans la copie dactylographiée ;
e) indications des réserves pour impression des clichés;

f) indications éventuelles de mise en page des tableaux qui peuvent être incorporés au texte;
g) indications éventuelles des emplacements des notes de bas de page dans la composition, etc.

La copie ainsi préparée est alors remise à un imprimeur qui, disposant du texte et de ses indications de service, doit assurer la commande d'une machine de composition, tout en assurant, en outre, deux opérations distinctes et essentielles : la coupure en fin de ligne et la justification. Il importe peu d'ailleurs, au point de vue auquel se place la présente invention, que le résultat immédiat de l'intervention d'un opérateur chez l'imprimeur réside dans l'obtention définitive d'une composition en alliage plombé ou d'un film photographique impressionné, ou simplement dans l'impression (le plus souvent par perforations d'un ruban) d'un support qui servira ensuite à commander une machine de composition semi-automatique ou automatique. Il convient seulement de rappeler que de telles machines de composition à commande automatique ou semi-automatique sont connues mais qu'en un tel cas, jusqu'à présent, la préparation du ruban de commande devait être assurée par l'intervention d'un opérateur spécialisé.

Comment on procède suivant le système BBR.

Le système BBR élimine dans la composition d'un texte à imprimer toute intervention chez l'imprimeur d'un opérateur spécialisé pour décider des opérations de coupure et de justification de lignes de composition.

Le système BBR permet d'éviter toute opération de mise au net d'un manuscrit, préalablement à la composition, pour autant toutefois que ce manuscrit se présente au préparateur de composition sous la forme d'une copie lisible, de préférence dactylographiée.

Le procédé de composition système BBR comporte essentiellement les stades opératoires suivants, tant manuels qu'automatiques :
a) établissement d'au moins un enregistrement codé des éléments d'information d'un texte et des informations élémentaires de service les accompagnant, ce stade opératoire pouvant comporter une période ou phase d'établissement de cet ou de ces enregistrements qui soit unique ou pouvant en comporter plusieurs indifféremment, et pouvant donner lieu tant à l'établissement d'un enregistrement mixte, texte et service, qu'à des enregistrements distincts de texte d'une part, de service de l'autre;
b) conversion progressive de cet ou de ces enregistrements codés en autant d'ensembles de signaux électriques, ce second stade pouvant aussi comporter soit une phase unique, soit autant de phases alternées que de besoin, indifféremment ;
c) transposition de ces ensembles de signaux électriques en au moins un ensemble de signaux, ou plusieurs si de besoin, définissant ou décrivant alors la composition typographique complète du texte telle qu'elle devra être réalisée par une machine de composition, manuelle ou automatique;
d) établissement d'enregistrements du ou des ensembles de signaux délivrés en résultat du stade opératoire c, que ces derniers enregistrements soient codés en vue d'une commande semi-automatique ou automatique d'une machine de composition mécanique, ou soient en clair en vue d'une commande manuelle d'une telle machine.

Complémentairement, le système BBR peut comporter les principales variantes suivantes qui peuvent être introduites en ses stades de développement :
I° au cours du stade a, et quand de besoin, établissement d'au moins un enregistrement codé de correction du texte et (ou) des informations de service y relatives, au cours du stade b alors, conversion de cet enregistrement codé de corrections en un ensemble de signaux électriques pour annulation et substitution aux signaux provenant du premier enregistrement, en vue du stade c;
2° au cours du stade a, établissement d'autant d'enregistrements en clair, au moins, que d'enregistrements codés;
3° au cours du stade d, établissement simultané d'au moins un enregistrement codé et d'un enregistrement en clair, ces variantes pouvant être séparément ou simultanément introduites dans le procédé sus-défini.

Le système BBR doit donc comprendre, en combinaison opérative, au moins des moyens pour établir les enregistrements codés sus-définis, des moyens pour traduire ces enregistrements codés en signaux électriques, des moyens pour transposer ces signaux en au moins un ensemble de signaux décrivant la composition typographique complète du texte, et des moyens pour enregistrer ces derniers signaux.

La mise en exploitation pratique du système BBR maintenant pourrait bien évidemment recourir à une réalisation unitaire, plus exactement localisée, mais alors la cadence d'opération globale serait tout aussi clairement conditionnée par l'élaboration de l'enregistrement codé d'informations de service et ces informations nécessitent l'intervention d'un facteur humain. En conséquence, et pour assurer à l'exploitation pratique de l'invention, la pleine utilisation des qualités de rapidité et de souplesse intrinsèques dudit procédé et dudit système, l'invention prévoit de recourir à un fractionnement rationnel des moyens de mise en oeuvre susvisés, à savoir :

d'une part, les moyens propres à l'établissement des divers enregistrements codés définis dans le stade opératoire a;

d'autre part, les moyens propres au dépouillement des informations de ces enregistrements, à leur conversion et transposition électriques et à l'enregistrement des informations ainsi transposées.

En conséquence, le système BBR comprend au moins un appareil d'élaboration d'enregistrements codés, et de préférence une pluralité de ces appareils, et au moins un appareil alimenté par les enregistrements provenant du ou des premiers et établi pour former, à partir du dépouillement automatique de ces enregistrements, le ou les enregistrements de composition typographique complète du texte pour commande d'une machine de composition.

Tout appareil pour l'élaboration des enregistrements de textes, informations de service et corrections, peut avantageusement comprendre une machine imprimante à commande manuelle par clavier.

Tout appareil d'élaboration du ou des enregistrements finalement désirés pourra avantageusement comporter une machine à calculer électrique ou électronique, du genre des calculatrices à programme. Il est toutefois bien connu que de telles calculatrices sont directement adaptées à l'introduction de données sous forme de bandes d'enregistrements codés et à la délivrance de résultats également sous forme de bandes enregistrées, codées ou en clair. En outre, toute calculatrice du type dit universel peut, sans modification de ses organes internes et par la seule modification de sa mémoire de programme, voir son fonctionnement adapté à la résolution automatique de tout problème concernant les données introduites, et par suite à tout problème entrant dans la catégorie des opérations de coupure, justification et indication de la composition typographique d'un texte, ces dernières étant essentiellement basées sur des comptages de signes et de blancs et des comparaisons à des références prédéterminées.

Modalités d'établissement d'enregistrements codés.

Au cas où l'éditeur ne dispose que d'un manuscrit impropre à l'établissement direct d'un enregistrement codé de texte, et donc conjointement d'un enregistrement codé d'informations de service, la mise au net de ce manuscrit doit être effectuée. Il est alors loisible de procéder, simultanément à cette mise au net, à l'établissement de l'enregistrement codé des informations de service, de préférence.

Deux cas peuvent se présenter : celui où le préparateur de composition peut travailler sur le manuscrit avant sa mise au net; celui où la mise au net doit précéder le travail du préparateur de composition.

Dans le premier cas, il paraît plus avantageux de procéder à une mise au net simultanée du texte et des informations de service ajoutées à ce texte par simple ou double piste, qui réside dans le fait que le synchronisme d'avancement des deux groupes d'informations, texte et service, sera automatiquement assuré pour leur introduction dans une calculatrice, sans nécessiter de prévisions spéciales concernant le synchronisme de plusieurs rubans devant défiler en phase relative constante, pour cette introduction de données.

En préparant au contraire les données sur deux rubans seulement, l'un de première frappe de mise au net, l'autre de corrections, seul demeure en jeu, à l'entrée de la calculatrice, le problème plus simple de l'arrêt d'un ruban pour entraînement du second et vice versa.

Quelle que soit la solution adoptée, il est bien évident que son choix est dicté par des considérations d'ordre surtout extérieur au développement propre du procédé et du système BBR : organisation et économie du travail de préparation et d'élaboration des enregistrements.

Quel que soit le mode d'entraînement adopté, l'inscription définit sur le ruban des colonnes espacées d'un intervalle marqué o, prédéterminé, qui, une fois converti en intervalle de temps par la lecture, définira la durée d'un « moment de code » de la calculatrice, les huit lignes étant lues en parallèle, de la même façon qu'elles sont impressionnées en parallèle à l'inscription.

Cette impression est prise ici perforée. Ceci non plus n'est pas limitatif et toute autre modalité d'impression bien connue par encrage, brûlage, électrolyse, enregistrement magnétique, photographie, etc., peut être utilisée. Il ne s'agit que de varier la nature du support en certains cas et de substituer aux têtes d'inscription et de lecture pour perforations les têtes de constitution appropriée à la nature de l'impression désirée. Les unes et les autres sont d'ailleurs bien connues dans la technique.

Avançant de la droite vers la gauche, le ruban doit se lire de la gauche vers la droite. Il montre un début de ruban, bout d'amorce coupé, à partir d'un moment où une information de justification doit être donnée. La justification s'exprime par une valeur numérique définissant la longueur de la ligne du texte à imprimer finalement.

Dans la forme représentée, les indications d'annonce utilisées sont les suivantes :
J : annonce du code de justification;
N : annonce du code de numéro de ligne du texte dactylographié (en utilisant ce terme générique de dactylographie pour tout genre de frappe);
V : annonce du code numérique définissant la variété des signes, tant la police et le corps des caractères que les groupes qui peuvent être définis pour les caractères dans les différents corps et polices;
T : annonce des codes numériques de caractères en leurs significations alphabétiques ou symboliques propres;
B : annonce d'un code de blanc ou espace entre mots dans le texte dactylographié ; une indication de fin de ligne dactylographiée sera aussi donnée comme un blanc, à moins que la ligne dactylographiée ne se termine par un trait d'union pour coupure d'un mot, à la frappe, d'une ligne à la suivante, auquel cas le blanc de fin de ligne sera supprimé à la frappe même.

On peut évidemment varier les codes utilisés et prévoir d'autres signaux d'annonces pour d'autres fonctions.

De la constitution de ruban qui vient d'être décrite, peut se déduire directement toute constitution de rubans séparés ou tout au moins à pistes séparées pour les informations de texte et de service. Bien entendu, les informations relatives au numérotage des lignes du texte dactylographié seront reportées tant sur l'un que sur l'autre des rubans séparés.

En variante, sur un support et une piste unique sur ce support, peuvent alterner les informations de texte et les informations de service, ligne par ligne du texte dactylographié, les informations de numérotage des lignes de ce texte étant par exemple répétées pour les informations d'une ligne du texte puis pour les informations d'une ligne de service, afin de permettre à la calculatrice d'établir une correspondance définie entre ces fragments alternés d'informations.

Le ruban porteur d'enregistrements codés ayant été élaboré, il est introduit dans une tête de lecture incluse dans l'équipement d'entrée d'une calculatrice électrique. Cette tête de lecture comporte :

I° Un débiteur pour l'entraînement du ruban perforé, commandé par le rochet placé sous la commande d'actionnement d'un électro-aimant. Cet électro-aimant porte un enroulement d'excitation et un enroulement de blocage (rendant inefficace, lorsque alimenté, toute impulsion de commande d'avance qui peut être appliquée) ;

2° Une tête de lecture proprement dite, constituée par huit lampes, logées dans une platine sur laquelle est appliqué le ruban entraîné par le débiteur, et huit cellules photoélectriques, en regard des ouvertures établies dans la platine; ainsi, toute perforation du ruban donnera lieu à la génération, par voie photoélectrique, d'un signal à la sortie de la cellule correspondant à son emplacement de ligne sur le ruban.

Selon la routine normale des calculatrices du genre considéré, un équipement de programme est utilisé. Il incorpore toutefois et bien évidemment des organes d'ordres conditionnés, d'ordres fixes, des répertoires de valeurs numériques, des commandes de sous-programmes pour l'opérateur arithmétique, etc.

De ce schéma, il ressort clairement que la calculatrice à inclure dans un système mettant en oeuvre le procédé BBR peut effectivement consister en une machine du type universel, puisqu'une machine de ce type incorpore nécessairement les divers équipements et organes exposés. S'agissant toutefois d'un programme quasi fixe ici, une machine spécialisée peut être également établie sans passer par l'organisation d'une machine de type universel. C'est sur une telle machine spécialisée que va maintenant porter l'exposé et sa constitution et son fonctionnement confirmeront bien qu'à sa place peut être utilisée une machine de type universel. Pour clarifier toutefois ledit exposé, on considérera surtout le cas de machines travaillant en numération binaire parallèle. Au point de vue du système BBR, on doit comprendre que ceci n'exclut nullement toute application du calcul à une machine travaillant en numération binaire série, le passage de l'une à l'autre étant évident pour le spécialiste.

Deux modes de fonctionnement sont à priori possibles, correspondant à deux organisations différentes de cet opérateur; le premier consisterait à introduire en mémoire dans l'opérateur arithmétique un nombre important d'informations, le second, qui paraît ici préférable pour ne pas alourdir la réalisation et au point de vue économique, consiste à introduire les données en mémoire au fur et à mesure des besoins.

La valeur numérique de la justification J devra bien entendu être introduite en premier dans la machine et ceci résultera de la configuration du ruban à laquelle cette valeur apparaît en tête des enregistrements. Dans une machine BBR, elle pourra être modifiée en cours de texte même, automatiquement par apparition d'une nouvelle valeur de J sur le ruban. La valeur J définit de façon évidente quelle devra être la longueur de toute ligne du texte qui peut venir à sa suite tant qu'elle n'est pas modifiée. Cependant il s'agit maintenant d'une ligne du texte à composer et non d'une ligne du manuscrit dactylographié, donc d'une ligne d'enregistrement codé.

Justification et coupures de mots.

S'il n'existait aucune condition ou restriction aux possibilités de coupure des lignes dans le texte à composer, le programme de fonctionnement de la calculatrice serait simplement le suivant :

Un nombre de signes et blancs du manuscrit serait introduit en tant que données initiales, en même temps que leurs valeurs de pondération, codes T, B et codes V respectivement. On entend par valeur de pondération le nombre d'unités typographiques à attribuer à tout signe et à tout blanc. Cette valeur peut dépendre :

d'une part, de la nature de la variété de caractères à laquelle il est fait appel;

d'autre part, de la valeur propre à cette variété qui doit être attribuée à l'unité de base dans laquelle les largeurs de signes et blancs sont exprimées;

enfin du code de correspondance entre la nature des signes et leur nombre d'unités dans la variété considérée; toutes informations transportées ici par les codes numériques V tels que sus-définis.

On doit faire la remarque ici qu'en général la valeur d'un blanc est prise constante dans la typographie usuelle, pour une variété de caractères, mais que l'invention permet sur ce point une plus grande souplesse car une telle valeur de blanc pourra, de plus, être variée à volonté de l'opérateur. Il s'agit bien entendu de la valeur du blanc justifiant correspondant à un blanc de la frappe dactylographiée après qu'il a été pondéré dans la machine.

Disposant alors d'un ensemble de signes et blancs en valeurs pondérées, la calculatrice prendrait dans cet ensemble une suite de longueur suffisante pour être au moins égale par la somme de ses valeurs unitaires à la quantité numérique de justification J, exprimée par définition en cette même unité typographique. L'égalité n'étant en pratique jamais obtenue, la calculatrice prendrait ladite suite en en retranchant alors des signes et blancs jusqu'à obtenir la valeur la plus approchée par défaut de la justification J. Soit L cette valeur.

Elle vérifierait combien, dans la suite retenue, existent de blancs pondérés (ou espaces justifiants). Soit maintenant N ce nombre.

Elle opérerait alors la division (J - L)/N, ce qui donnerait deux valeurs numériques, l'une pour le quotient de la division, soit Q, l'autre pour le reste de la division, soit R.

Reprenant alors la suite L, et en ne considérant aucun mélange de polices de gravure ayant des espaces de base différents, la calculatrice procéderait alors à la justification de cette suite pour qu'elle représente une ligne complète justifiée, en ajoutant à cette fin (Q + I) unités typographiques à R espaces de cette suite et en ajoutant Q unités typographiques à (N - R) espaces de cette suite, soit bien au total : R (Q + I) + (N - R) Q = QN + R = J - L, la dernière égalité de cette expression définissant bien évidemment la division opérée.

Toutefois, la calculatrice ne doit être habilitée à justifier une ligne ainsi coupée dans un ensemble de signes et blancs que si la coupure est licite. Il existe, en effet, certaines prohibitions de coupure en un texte typographique. Ces prohibitions peuvent être de deux natures :
a) elles sont liées aux signes qui suivent ou précèdent une coupure dont la légitimité doit être examinée;
b) elles sont liées au sens des mots ou des propositions qui suivent ou précèdent une coupure.

Les prohibitions de la première nature sont seules à prendre ici en considération. Les prohibitions de la seconde nature, ou « prohibitions-sens », ne pourraient être traitées, si de besoin, que par une intervention intelligente du préparateur et figurer alors sur le ruban sous la forme d'un code particulier à lire par la machine et à interpréter comme prohibition.

En ce qui concerne les prohibitions-signes, à savoir les prohibitions de la première nature, une liste exhaustive peut en être dressée à l'avance et cette liste introduite dans la mémoire du programme de la machine. Pour mieux fixer les idées sur ce point particulier, on peut considérer le cas suivant, limité aux prohibitions portant sur quatre lettres ou signes seulement.

En désignant par la lettre V les voyelles et par la lettre C les consonnes autres que les lettres T, X et Y, en désignant de plus par 5 tout chiffre arabe et par S tout signe quelconque à l'exclusion d'un blanc, une liste de prohibitions-signes, pour la langue française, serait de la nature suivante :

Dans le fonctionnement exposé plus haut, alors, on devra prévoir pour la machine une étape intercalaire qui consistera, une fois définie la suite susdite donnant la valeur la plus rapprochée de J par défaut, à examiner dans la fin de cette suite s'il existe ou non une prohibition de coupure. Si cette prohibition existait, la suite devrait être raccourcie de la valeur numérique propre aux signes à y supprimer jusqu'à ce que la coupure devienne licite. Soit Lc la valeur de ladite suite ainsi rectifiée, c'est avec cette valeur Lc que devraient être exécutées les opérations suivantes, telles qu'elles ont été définies.

Dans le cas où l'on désirerait aussi tenir compte des prohibitions-sens dans la calculatrice, outre que l'information devrait figurer sur le ruban d'enregistrements codés comme indiqué, il conviendrait alors d'introduire cette information, lors de la lecture de ce ruban, dans la mémoire de programme de la machine et, lors d'une opération de licitation de coupure, de faire intervenir le contenu de cette mémoire dans les tests de licitation, tout comme interviennent les prohibitions-signes qui sont bien évidemment emmagasinées d'avance alors dans la mémoire de programme de la machine.

Le programme général de fonctionnement qui vient d'être défini n'est bien entendu directement applicable que sur un texte continu, ne présentant pas d'alinéas. Il doit, pour la présence d'un alinéa, être modifié de la façon suivante, par exemple :

A la présence d'un signal de fin d'alinéa, le prélèvement de la suite qui a été dite L dans l'ensemble de signes et blancs pondérés doit être interrompu. La valeur alors présentée de L, soit Lf, doit être portée à L uniquement par le moyen de blancs justifiants ajoutés jusqu'à l'obtention de la condition précisée, à savoir Lf + Bf (en désignant par Bf la valeur de cette suite de blancs complémentaires) égale à la valeur la plus approchée par défaut de J.

L'apparition d'un signal de fin d'alinéa devra donc d'autre part commander l'opération de division susdite de manière que cette division s'effectue selon la relation :
J - (Bf + Lf) = QN + R

La justification devra alors avoir lieu en ajoutant (Q + I) unités typographiques à R espaces de la suite Lf et Q unités typographiques aux (N - R) espaces suivants de cette suite, puis en ajoutant ensuite le nombre de blancs complémentaires convenable pour ajouter la valeur totale Bf à la ligne justifiée et coupée. Il est bien évident d'ailleurs que la coupure n'a pas besoin de licitation en un tel cas.

La présence d'un signal de début d'alinéa, devant assurer l'introduction en début de ligne coupée et justifiée d'un nombre prédéterminé de blancs fixes, soit Ba la valeur typographique de cette première suite de blancs de début d'alinéa, l'apparition de ce signal de début d'alinéa devra provoquer l'exécution de la division selon la relation :
J - (Ba + La) = QN + R
La désignant la valeur de la suite prélevée dans l'ensemble signes et blancs disponibles pour que J - (Ba + La) ait la plus petite valeur positive possible.

Après licitation de coupure, la justification devra s'opérer en introduisant d'abord le nombre de blancs complémentaires convenable pour introduire la valeur totale Ba en cette ligne justifiée, puis normalement en ajoutant (Q + I) unités à R espaces de la suite La et Q unités typographiques aux (N - R) espaces suivants.

En examinant maintenant une manière commode dont peut être conduite l'opération d'essai systématique pour licitation de coupure dans une calculatrice automatique, on est amené à constater qu'il peut être avantageux de prévoir, dans la suite L et en fin de cette suite, une certaine réserve, soit kL, correspondant à une valeur entière d'un certain nombre k de signes et blancs. La licitation peut évidemment être directe, et alors la valeur Le être égale en fait à (I - k) L. Or, dans la suite (I - k) L, comme d'ailleurs dans la suite totale L, le nombre de blancs est évidemment variable, et il peut donc être parfois trop faible pour conduire à un résultat satisfaisant. La présentation typographique finale de la ligne justifiée pourrait être défectueuse au point de vue de la largeur de ses blancs.

Pour pallier ce défaut, dans une certaine mesure tout au moins, il est prévu de recourir à une opération intercalaire, avant essai systématique de licitation de coupure. Cette opération aura pour but de contrebalancer la fixité du facteur k dans un sens tel qu'elle réduise toujours au mieux l'importance des espaces vis-à-vis de l'importance des signes dans une ligne finalement justifiée.

A cette fin, non seulement la calculatrice formera le nombre N sus-défini, avec une valeur de pondération moyenne des blancs du texte lu, mais aussi un nombre M qui résultera de la pondération de ces mêmes blancs mais avec une valeur arbitraire plus petite, qui sera considéré comme valeur minimum de pondération.

Avant essai systématique de licitation de coupure, la calculatrice formera la différence :
M - [(J - L) + kL].

Si cette différence a une valeur négative, la réserve est progressivement réduite, signe à signe et blanc à blanc, pour que ladite différence passe par zéro. La réserve aura alors une valeur minimum pour qu'après licitation de coupure, la valeur Lc obtenue assure, pour la justification, une présentation typographique correcte en tous les cas, au point de vue présentation artistique.

Démonstration expérimentale du fonctionnement du Système BBR.

Une démonstration du système BBR a été faite en 1958 et a donné lieu à l'édition de trois notices portant respectivement les références suivantes :
Imprimerie nationale J. U. 804 528
- J. U. 804 528
- sans numéro

Les deux notices J. U. référencées ci-dessus comportent un schéma très clair de l'emploi du système BBR. (Voir. fig. I).

Un schéma simplifié des règles de coupure des mots est également donné dans lesdites notices (voir fig. 2).

Il a été ainsi possible de dactylographier et de reproduire avec diverses justifications, changement de corps et habillages de clichés, des textes ainsi qu'il est indiqué figure 3.

On a ainsi obtenu des rubans de composition qui ont été utilisés dans une composeuse ordinaire à commande par ruban et ont permis d'obtenir les textes reproduits figures 4 et 5. On remarquera qu'avec une même dactylographie de base on peut obtenir diverses justifications, l'insertion de lettres de différents corps et des habillages de clichés ainsi qu'on le verra dans les exemples donnés. On remarquera aussi l'insertion du trait d'union dans les mots coupés dans la justification et cette insertion est faite automatiquement suivant les règles typographiques.

Avantages du système BBR.

Dans la Revue mensuelle des industries graphiques, l'Imprimerie nouvelle, n° 45, décembre 1959, p. 29, on évalue comme suit les économies réalisées par le système BBR, en tenant compte des amortissements à pratiquer. Ces économies pourraient être de l'ordre de :
10 % texte simple sur bonne copie;
15 % texte simple sur mauvaise copie;
30 % en moyenne sur lumitype;
40 % texte assez complexe.

Mais avec l'avènement de la ZIP-500 de la société Photon Inc. qui compose à la vitesse de 500 caractères par seconde, on peut dire qu'en imprimerie classique, le système BBR devient indispensable.

La revue Print in Britain, vol. 8, n° 9, janvier 1961, p. 267, souligne :

« Les instructions concernant les types de caractères, la position des illustrations etc. peuvent être insérées au cours de la première dactylographie du texte, mais la grande attraction du système BBR est que toutes ces instructions peuvent être introduites dans la seconde bande de correction, si bien que l'opérateur effectuant la dactylographie n'a qu'à s'occuper de la correction de son texte.

Variantes du système BBR.

Comme on l'a vu ci-dessus, le système BBR permet pour un texte déjà enregistré sur bande perforée :
- de justifier ce texte à n'importe quelle largeur;
- de couper automatiquement les mots suivant les règles typographiques de la largeur considérée;
- d'introduire des caractères de divers styles, etc.;
- d'habiller les clichés;
- d'insérer des notes en bas de page.

On a vu que, dans le système BBR, il faut établir un catalogue des règles de coupure licite des mots dans une largeur donnée et introduire ces règles dans les mémoires d'un calculateur électronique. Lorsque la justification choisie conduit à la coupure éventuelle d'un mot, alors un test est automatiquement effectué pour déterminer si la coupure proposée est licite ou non. Dans le premier cas, la coupure est effectuée et le trait d'union introduit, et dans l'autre cas, la coupure est refusée.

Diverses variantes du système BBR ont été proposées. Nous mentionnerons ici les suivantes :

a) Simplification du processus.

Au lieu d'enregistrer tous les cas possibles de coupure de mots, le groupe Perry a choisi un « Thesaurus » de mots de 2 ooo mots et a enregistré les règles de coupures typographiques de ces 2 ooo mots. Lorsqu'une coupure doit être faite, la machine à calculer est programmée de façon à comparer la coupure dont la machine vient de détecter l'utilité avec pour les lettres correspondantes, celles enregistrées comme « coupure autorisée ». Si la comparaison est favorable, la coupure est effectuée, et le résultat est une coupure licite du mot; si la comparaison est défavorable, la coupure est néanmoins effectuée mais on a une coupure illicite. La statistique a montré qu'en se basant sur 2 ooo mots de langage courant, environ 94 % des coupures effectuées étaient licites.

b) Procédé Higonnet de trait d'union optionnel.

Le système Higonnet de trait d'union optionnel est exposé comme suit dans The Litho-printer, vol. 5, janvier 1962, p. 11.

Jusqu'à présent, on pensait que la décision en ce qui concerne la fin d'une ligne devait dépendre de la décision de l'opérateur du clavier parce que les différents mots ne peuvent être coupés n'importe comment, et l'opérateur du clavier a souvent à prendre des décisions difficiles telles que celles de choisir des espaces entre mots « très larges » ou « très étroits » ou s'il faut espacer les lettres de chaque mot ou s'il vaut mieux faire une coupure illicite ou parfois même de demander à l'auteur une légère altération de son texte.

Une manière simple de résoudre le problème du trait d'union optionnel serait de dactylographier la première copie du texte à composer sur une machine à écrire munie d'une touche additionnelle qui serait actionnée à chaque position dans chaque mot où un trait d'union serait autorisé si la coupure était nécessaire. Le calculateur électronique ne tient compte de la permission de coupure que si le besoin s'en fait sentir. Diverses critiques ont été faites contre ce procédé.

c) Procédé évitant d'avoir à couper des mots et à inclure un trait d'union.

On a décrit dans un numéro du Ferranti computer world préparé pour une conférence en 1963, au « King's College » de Newcastle-upon-Tyne, le procédé suivant :

« Le calculateur « Pegasus » a été spécialement programmé pour compter le nombre de lettres dans chaque groupe constituant un paragraphe, puis pour calculer le nombre d'espaces requis et pour allouer à chaque ligne le nombre de mots requis, puis pour ré-arranger les espacements entre mots de façon que chaque ligne de caractères ait la longueur correcte spécifiée. De cette manière, les coupures de mots en fin de ligne peuvent être complètement éliminées ou réduites à un minimum parce qu'un calculateur peut retenir dans ses mémoires beaucoup plus de lignes à n'importe quel instant que ne pourrait le faire un esprit humain et il peut ré-arranger les espacements en une fraction de seconde. »

d) Autres procédés

Il est clair que d'autres procédés de coupures des mots suivant les usages typographiques pourraient être utilisés, mais nous croyons que les tendances d'avenir à encourager en imprimerie ne réduisent pas l'intérêt de la coupure des mots. Nous verrons, en effet, plus loin qu'il peut y avoir intérêt à accroître l' « appel » ou la « lisibilité » d'un texte en « jetant du blanc » de façon judicieuse dans la page imprimée. C'est pourquoi nous soulignerons plus loin l'intérêt des présentations dites « explosées », « cadencées », etc.

(A suivre.)

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1er tableau

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Fig. 1 - Schéma d'emploi du système BBR

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Fig. 2 - Exemple simplifié d'application des règles de coupure dans les mots

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Fig. 3 - Specimen de dactylographie de base

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Fig. 4 et 5 - Exemples de textes composés avec le système BBR

  1. (retour)↑  Mr Bafour est ingénieur en chef des Manufactures de l'Etat à l'Imprimerie nationale. Mr Raymond est directeur administrateur de la Société d'électronique et d'automatisme (SEA). Mr Blanchard était à l'époque ingénieur au Cabinet Chereau.