Les règles de catalogage des collectivités auteurs en U.R.S.S.
Mme Ossorguine, bibliothécaire contractuelle à la Bibliothèque nationale, s'est livrée à une étude très approfondie des règles de catalogage soviétiques, étude portant sur les ouvrages - plus spécialement les ouvrages en langue russe - ayant pour auteurs des collectivités, en prenant pour base trois codes de catalogage récents 1 ; le plus détaillé est celui publié en 1949 pour les grandes bibliothèques ; il y a toutefois intérêt à le compléter par celui de 1956, plus sommaire mais apportant quelques éléments nouveaux. Le code de 1953 est destiné aux petites bibliothèques et aux bibliographies ; il comporte donc quelques simplifications.
La longueur de cette étude et son caractère très technique en rendaient difficile, à notre vif regret, la publication in extenso dans le Bulletin. Aussi avons-nous demandé à Mme Honoré, qui dirige à la Bibliothèque nationale le service des publications officielles, d'en tirer les éléments d'une brève comparaison entre les principes des codes soviétiques et ceux qui ont inspiré la norme française en la matière 2.
Les vedettes de collectivités auteurs ne sont pas en U.R.S.S. d'un usage nouveau ; elles ont fait leur apparition au cours du xixe siècle, plus ou moins sporadiquement, pour regrouper dans certains catalogues les publications des académies et sociétés savantes, et vers 1860 pour les publications des administrations appelées « zemstvos ». Mais c'est en 1923 que leur emploi fit l'objet de règles, consacrées par leur apparition dans la « Kniznaja letopis' »... Cependant, après maintes discussions, les bibliothécaires convinrent d'en restreindre l'application de façon assez considérable; mais d'autre part, l'usage en fut adopté même dans les bibliothèques de lecture publique.
La principale différence avec nos règles nous semble être celle-ci : le champ d'application des vedettes de collectivités-auteurs est beaucoup plus restreint dans le code russe. En effet, l'on y précise nettement quelles sont les publications qui doivent être cataloguées sous une telle vedette. Ce sont tout d'abord les publications de l'U.R.S.S., des républiques fédérées et autonomes, des autres États étrangers, des organisations internationales; celles des partis politiques, des syndicats, des sociétés et institutions de toute nature. Mais il ne faut pas espérer trouver sous ces vedettes l'ensemble des publications d'une même institution; en effet, sont exclus de ce traitement les statistiques, les circulaires de caractère général, les règlements quand l'autorité dont ils émanent ne figure pas expressément sur la page de titre, et enfin les œuvres dont une collectivité est à la fois l'objet et le sujet. Il semble d'ailleurs que, si les règles conseillent en plusieurs endroits l'établissement de fiches secondaires au nom de la collectivité, l'on n'ait pas nettement formulé le fait que dans certains cas la collectivité peut ne pas être l'auteur, mais simplement l'éditeur ou le traducteur d'un ouvrage.
Il faut en outre préciser - et cette précision est indispensable pour l'U.R.S.S., où l'édition est entièrement aux mains de l'État - que la mention d'une collectivité à l'adresse, ou à la suite des mots « édition » ou « imprimerie », ne donne lieu à aucune vedette, ce qui paraît fort sage.
Si donc le champ d'application restreint de façon considérable l'emploi des normes, dans ces normes elles-mêmes les principes de base semblent moins clairement explicités que dans nos propres règles. Nous allons toutefois essayer de les dégager, en suivant l'ordre de la norme française.
L'on a pu remarquer que les règles françaises dérivent d'un principe fondamental : chaque collectivité est représentée par une seule vedette, les règles de catalogage étant dans la mesure du possible calquées sur les règles en usage pour les individus auteurs.
Il semble que l'unité de la vedette soit aussi de règle en U.R.S.S., dans la forme de la langue originale : ainsi une collectivité géorgienne, par exemple, aura une vedette établie dans cette langue, avec un renvoi de la forme russe à la forme géorgienne. Mais d'une façon générale la vedette est dans la langue de l'ouvrage, ce qui ne va pas sans disparate. L'on trouvera ainsi les publications de la Société des nations à la fois sous la forme russe et sous la forme anglaise du nom. Et les publications du Ministère des affaires étrangères de Suède peuvent se trouver à la fois à : Suède, Ministère des affaires étrangères (pour l'édition française) et à : Sverige. Utrikesdepartementet (pour l'édition suédoise).
Pour les changements de nom, la règle est la même que la nôtre; on regroupe toutes les fiches au dernier nom, bien entendu quand il s'agit d'une même institution. Ainsi, l'Académie K. A. Timirjazev de la grande culture, qui est devenue en 1933 l'Académie K. A. Timirjazev d'agriculture, est prise sous la dernière forme :
Moskovskaja s. kh. Akademija im. K. A. Timirjazeva,
avec renvoi de la forme précédente.
Cependant, dans certains cas, une sensibilité particulière au régime a fait faire des exceptions pour des institutions pourtant demeurées les mêmes, et qui sont prises à leur ancien nom pour la période antérieure à la Révolution, et au nouveau pour la période postérieure. Ainsi, les publications du parti communiste avant le 19e Congrès sont traitées successivement sous les formes abrégées suivantes :
RSDRP;
RSDRP, b;
VKP, b;
depuis on emploie le titre non abrégé :
Kommunisticeskaja partija Sovetskogo Sojuza [Parti communiste de l'Union soviétique].
Cette distinction est de règle pour les noms des États. Ainsi la vedette : Russie sert à cataloguer les publications officielles du pouvoir central d'avant 1917; celle : SSSR, les publications d'après cette date. Si cette solution paraît s'imposer dans ce cas précis, la structure étant profondément différente, elle est peut-être plus discutable pour certaines républiques de l'U.R.S.S. Par exemple, l'Estonie figure dans les catalogues russes à la vedette : Estonija, pour les publications entre 1919 et 1939, et sous la forme : Estonskaja SSR, après 1939. Toutefois, ce sont là de légères variantes; l'on notera en effet que dans les règles américaines, sous la vedette générale : France, il est fait une distinction entre parenthèses selon les régimes, ce qui revient à établir des tranches par ordre chronologique; mais nous préférerions les établir, comme aux États-Unis, sous la même vedette, et non sous des vedettes différentes.
Pour la question des abréviations par initiales, le code soviétique, tout en conseillant de prendre les formes développées officielles, admet cependant les initiales pour les institutions les plus connues, comme on l'a déjà noté pour l'U.R.S.S. ou pour les noms des partis.
Les adjectifs initiaux abrégés en tête du titre, et souvent honorifiques, comme « gosudarstvennyj » [d'État], « imperatorskij » [impérial], sont généralement supprimés, comme dans notre norme; sauf bien évidemment, et dans les mêmes cas que chez nous, quand ils servent seuls à distinguer la collectivité ou à la mieux caractériser. On prendra : Bol'soj teatr SSSR, au lieu de : Gosudarstvennyj akademiceskij Bol'soj teatr SSSR. [Grand Théâtre d'état académique de l'U.R.S.S.] Mais on garde : Gosudarstvennaja biblioteka SSSR im. V.I. Lenina. [Bibliothèque d'Etat V.I. Lénine].
On gardera également « Vsesojuznyj » [de l'Union soviétique], par exemple dans le nom de collectivité suivant :
Vsesojuznoe obščestvo izobretatelej [Société des inventeurs de l'Union soviétique].
Comme le nôtre également, le code soviétique ajoute le nom de la ville siège de la collectivité après la vedette, quand ce nom ne figure pas dans le titre officiel. Ex. :
Krymskij dramaticeskij teatr im. M. Gor'kogo. Simferopol'. [Théâtre dramatique de Crimée M. Gorki. Simferopol.]
Les Russes ne font donc pas plus que nous la distinction que font les règles américaines entre institutions et sociétés, les premières étant cataloguées sous une vedette géographique, les secondes à leur nom. Toutefois, le génie de la langue russe leur vient puissamment en aide car, dans cette langue, les adjectifs ethniques ou géographiques viennent avant le nom, et généralement en tête de la vedette.
Si nous examinons maintenant le cas des collectivités publiques de caractère territorial, elles figurent sous le nom de l'État ou du territoire, dans les mêmes conditions que dans nos catalogues. Cependant, la langue russe plaçant le nom de lieu, sous forme adjective, en tête du nom du territoire ou de la ville, la vedette peut commencer par cet adjectif de lieu, et non par le nom géographique à l'état pur. La ville de Moscou se dira : Moskva. Mais la région d'Orel aura la forme : Orlovskaja oblast. Ce qui revient au même dans la pratique.
Les administrations d'une même circonscription territoriale figurent, comme dans les règles américaines, en sous-vedette, sans rejet du terme purement administratif. Ex. :
Kitajskaja Narodnaja Respublika. Narodnyj političeskij konsul'tativnyj sovet. [République populaire de Chine. Conseil consultatif politique populaire.]
Rossija. Ministerstvo finansov. [Russie. Ministère des finances.]
Il faut noter toutefois qu'il peut arriver qu'une commission ou un organisme suffisamment identifié par son seul nom figure directement à ce nom. Ex. :
Komissija po izuceniju estestvennykh proizvoditel'nykh sil SSSR. [Commission pour l'étude des forces productrices de la nature de l'U.R.S.S.] qui fonctionne en réalité auprès de l'Académie des sciences.
Quant aux Congrès, nos règles sont identiques, que ce soit pour les congrès internationaux, nationaux, ou pour les congrès d'associations.
Les constitutions, codes, etc., que nous cataloguons (quand il s'agit des textes eux-mêmes, et non de commentaires ou d'études sur les textes) sous la vedette de l'État considéré, sont traités différemment selon qu'il s'agit de grandes ou de petites bibliothèques. D'une façon générale, les règles pour les petites bibliothèques recommandent plus souvent le catalogage au premier mot du titre. De même, il est admis que l'on ne ramène pas obligatoirement au dernier nom les fiches d'une institution donnée; les différentes publications sont alors cataloguées sous les titres successifs de l'institution, en faisant évidemment toutes les fiches d'orientation nécessaires.
En conclusion, plusieurs remarques s'imposent : tout d'abord, les bibliothècaires soviétiques ont un code bien à eux, qui ne se contente pas, comme il semblait de règle dans d'autres pays, de démarquer le code de l'American library association, en usage dans tout le continent américain. Ce code ne cherche pas - et c'est, à notre avis, une faiblesse - à dégager des principes de base dont les applications se déduisent ensuite selon les différents cas; sa logique est parfois déconcertante pour un esprit français. Il prévoit, très sagement, des règles plus simples et plus souples pour les petites bibliothèques, dont les catalogues n'ont pas à avoir de prétentions scientifiques. Mais dans ses grandes lignes, il rejoint largement notre propre code de catalogage. Il y a là un heureux symptôme. En effet, dans la recherche qui se fait actuellement sur le plan international de principes pouvant être admis par tous, ce qu'il faut essayer de dégager, ce sont les points d'accord. Il est consolant de constater que deux pays comme l'U.R.S.S. et la France, sans s'être le moins du monde concertés, en arrivent cependant à des solutions très proches, dont la plupart relèvent du simple bon sens.