La reliure française
Ce que l'on sait. Ce que l'on ignore
D'importants travaux de synthèse sont venus, au cours de ces dernières années, faire le point de nos connaissances actuelles dans le domaine de l'histoire de la reliure ancienne. Le plus vaste et le plus récent de ces ouvrages est sans conteste celui d'Hellmuth Helwig, Handbuch der Einbandskunde, dont les trois volumes in-4° ont paru à Hambourg de 1953 à 1955 (B. N. 4° Q 4716, usuels de la Réserve AA 314). Le troisième volume d'Helwig n'est qu'une table générale, le second est un riche répertoire de tous les relieurs occidentaux connus des origines au milieu du XIXe siècle, classés par pays et par siècles. Dans son premier volume, consacré aux divers aspects de l'histoire de la reliure ancienne, l'auteur, avec un apparat scientifique presque exagéré, donne à la fin de chaque chapitre une bibliographie très détaillée qui complète la Bibliographie der Buchbinderei Literatur de Wolfgang Meier parue à Leipzig en 1925 (B. N. 4° Q 1795, usuels de la Réserve D 154) et sa suite de 1924 à 1932, publiée en 1933 par Hermann Herbst (B. N. 4° Q 1795 bis, usuels de la Réserve D 154 bis).
Si l'on rapproche l'ouvrage d'Helwig d'autres contributions apportées récemment par les érudits allemands sur le même sujet, en particulier du chapitre : Geschichte des Bucheinbandes donné par Fr. A. Schmidt-Künsemuller dans la seconde édition du Handbuch der Bibliothekswissenschaft de Milkau (1950-1952) 1, on peut affirmer que, dans ce domaine, les Allemands se classent par la valeur de leurs travaux au tout premier rang.
Sans vouloir ici dresser un palmarès, disons encore que l'école allemande, avec la méthode parfaite, le sérieux et la conscience qui la caractérisent, a non seulement réussi d'excellentes synthèses, mais a su aussi oeuvrer en profondeur. Des ouvrages comme ceux d'Ernst Kyriss, Verzierte gotische Einbände im altem deutschen Sprachgebiet (1951) ou d'Ilse Schunke sur le grand relieur saxon du XVIIIe siècle Jacob Krause, (Leipzig, 1943) peuvent être considérés comme définitifs 2.
Portés normalement à étudier de préférence les problèmes que posent les reliures allemandes, ces érudits ont jusqu'à présent consacré le meilleur de leur temps aux oeuvres de haute époque qui sont si nombreuses dans les bibliothèques d'Europe centrale.
Mais leurs travaux mêmes les ont amenés à faire une constatation qu'Helwig exprime de la façon suivante : « In der Tat erreichte die französische Einbandkunst im 16. Jahrhundert ihre schönste Blüte, hielt sich durch das ganze 17. und 18. Jahrhundert auf der Höhe und wirkte als technisches und kunstlerisches Vorbild in ganz Europa ».
Si, quittant maintenant l'Allemagne, nous cherchons à caractériser l'apport des Anglais dans le domaine qui nous intéresse, nous remarquerons qu'un nom domine toute la période de l'entre deux guerres, celui de mon regretté ami G. D. Hobson.
Grâce à une documentation immense, réunie au cours d'une vie toute entière consacrée à l'étude du livre ancien, G. D. Hobson a renouvelé sur bien des points essentiels tout ce que nous croyions savoir de l'histoire de la reliure. Il fut, lui aussi, attiré naturellement par l'art de son pays (Bindings in Cambridge libraries, 1929, English bindings before 1500, 1929... etc.), mais la partie de son œuvre qui doit surtout nous retenir a trait au XVIe siècle français (Monographs of book bindings : Maïoli, Canevari and others, 1926; Notes on Grolier, 1929, reprises en allemand dans le Jahrbuch der Einbandkunst, III, 1929-30; Les reliures à la fanfare; Le problème de l'S fermé, 1935... etc.). Grâce à lui, avec ce qu'il a appelé (du reste à tort) « Romanesque bindings », a été indiqué pour la première fois le rôle des relieurs de l'Université de Paris au Moyen âge (XIIe et XIIIe siècles); c'est lui qui a attiré l'attention sur les reliures italiennes faites pour Grolier avant 1525, si différentes des reliures parisiennes de la seconde partie de la vie du grand bibliophile; on lui doit aussi l'identification de l'amateur francisé Thomas Mahieu, secrétaire de la reine Catherine de Médicis, venu peut-être d'Italie en France avec la souveraine, mais dont les livres furent reliés à Paris par les meilleurs artisans de la capitale.
Le fils de G. D. Hobson, suivant les traces de son père, a publié lui aussi récemment plusieurs ouvrages sur la reliure 3 qui le classent, comme M. Nixon 4 du British Museum, parmi les meilleurs connaisseurs d'aujourd'hui. C'est lui qui, dans un article non signé du Times literary supplement du 11 janvier 1952, considé rait la reliure comme « one of the minor arts in which the craftsmen of Paris for centuries indisputably have lad the world ».
Si nous souscrivons volontiers au jugement des spécialistes étrangers sur cet art qui pendant tant de siècles a contribué, dans son domaine, à la gloire de la France, nous devons modestement reconnaître que les érudits français sont pour relativement peu de chose dans la connaissance que nous en avons aujourd'hui.
Pendant tout le cours du XIXe siècle, l'histoire de la reliure est demeurée le domaine des amateurs et des techniciens. Marius Michel en 1880 5, Léon Gruel en 1887 et en 1905 6 ont donné des ouvrages certes estimables, mais qui, aujourd'hui, sont dépassés. Seul l'excellent travail d'Ernest Thoinan, les Relieurs français (1500-1800), biographie critique et anecdotique, paru en 1893 reste valable par la quantité considérable de documents qu'il donne sur la biographie des principaux relieurs français. Le second volume du Handbuch d'Hellmuth Helwig lui apporte des compléments non négligeables pour la France même et lui donne un pendant pour les autres pays. Mais des recherches poursuivies aux Archives nationales et spécialement dans les archives notariales sont susceptibles d'accroître encore beaucoup nos connaissances dans le domaine des documents.
Tous les historiens de la reliure s'accordent pour reconnaître que le premier ouvrage véritablement scientifique paru dans le monde sur l'histoire de la reliure a été celui de Th. Gottlieb, K. K. Hofbibliothek Bucheinbände, paru à Vienne en 1910 in-folio. Comme le disait plaisamment G. D. Hobson : « Here at last was a man who knew what he was talking about; who knew what he knew and what he did not know; who could see what the problems were and could discuss them rationally » 7.
Il fallut attendre 1930 pour que cet ouvrage magistral ait une réplique en France avec Les plus belles reliures de la Réunion des bibliothèques nationales, album in-folio publié avec des notices par Emile Dacier 8. Malheureusement il ne s'agit là que d'un choix et il n'entrait pas dans les intentions de l'auteur de donner une histoire suivie de la reliure française. Au moins, pour reprendre le mot dur mais juste d'A. R. A. Hobson, les Français sortaient-ils de leur « insularité » et prenaient-ils conscience des travaux étrangers dans leur propre domaine.
Quelques années auparavant, en 1926, une découverte fortuite, faite sur les rayons de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, devait orienter les recherches du jeune bibliothécaire que j'étais alors. C'était au moment où venait de paraître le Maïoli, Canevari and others de G. D. Hobson dont un des principaux chapitres traitait des reliures à « plaquettes » de Grolier 9. Ma découverte permettait d'ajouter deux numéros à la liste d'Hobson. Avec une outrecuidance que la jeunesse excusait seule, je fis sur le sujet une communication à l'Académie des Inscriptions que je complétai par un article paru dans Byblis en été 1927. Je me lançai plus tard dans une étude plus ambitieuse sur Grolier qui fit l'objet d'un autre article dans Byblis en été 1928. Pour la grande exposition de reliures organisée à la Bibliothèque nationale en 1929 (dont l'album d'Émile Dacier devait être la suite logique) je fus chargé du chapitre consacré à Grolier ce qui m'amena à continuer à m'intéresser à l'âge d'or de la reliure française. Mon ami Robert Brun, au contraire, attiré vers de plus hautes époques, donnait de 1935 à 1937 dans le Bulletin du bibliophile son Guide de l'amateur de reliures anciennes si riche en exemples nouveaux pour les reliures estampées à froid de la fin du xve et du début du XVIe siècle. Des articles dans des revues spécialisées, en particulier ceux d'Émile Dacier, Autour de Le Gascon et de Florimond Badier (Trésors des bibliothèques de France, 1930 et 1931) ou L'Atelier des « reliures Louis XII » (ibid., 1933 et 1935), nous permirent de commenter certaines pièces inédites, de proposer des groupements d'œuvres sorties d'un même atelier, bref d'apporter quelques pierres à une histoire qui attendait encore son historien.
Vint la guerre et le silence forcé, puis l'après-guerre dont, il faut bien en convenir, les conditions économiques ne sont pas, en France, favorables à des travaux du genre de ceux que nous menons. Les revues spécialisées qui avaient eu, entre les deux guerres, une existence difficile et souvent éphémère, Byblis, le Bibliophile, même les somptueux Trésors des bibliothèques de France maintenus longtemps contre vents et marées par l'ardeur magnifique d'Émile Dacier, ont disparu. Seul a échappé au naufrage le courageux petit Bulletin du bibliophile que son absence d'illustrations rend peu adapté à des études sur la reliure. Pour ma part, espérant des jours meilleurs, j'avais continué d'accumuler des matériaux en parcourant force bibliothèques de province, réunissant des milliers de frottis de reliures. Ce qui, à l'origine, aurait pu être une thèse de doctorat ou, si les temps s'y étaient prêtés, un somptueux volume de grand format avec des centaines de planches, prit finalement l'apparence d'un chétif petit in-12 paru en 1951 sous le titre : La Reliure française dans la collection Arts, styles et techniques, dirigée, chez Larousse, par mon ami Norbert Dufourcq.
Certains érudits étrangers, comme Fr. A. Schmidt-Kunsemüller par exemple, rebutés vraisemblablement par la pauvreté extérieure de l'ouvrage, n'accordèrent pas d'attention à ce petit livre qui pesait de peu de poids à côté des coûteux volumes magnifiquement illustrés d'avant la guerre 10. Ernst Kyriss, cependant, en comprit l'intérêt puisqu'il termine son compte rendu dans l'Allgemeiner Anzeiger für Buchbindereien de juin 1952 par ces mots : « Meines Wissens gibt es kein Land, das ein ähnlich grundlegendes Werk über die Geschichte seiner Einbände aufweisen kann ».
Est-ce à dire, après ce jugement trop bienveillant, qu'il n'y a plus rien à ajouter à nos connaissances sur la reliure française : assurément non. Bien au contraire, il faut que l'on comprenne qu'il ne s'agissait nullement là d'un point final, mais d'un point de départ. Il était important de dresser le bilan de nos connaissances; cela nous a permis surtout de marquer les lacunes de notre information. Elles sont considérables. Je souhaiterais que cet article fût compris comme un appel à nos jeunes collègues, presque comme un cri d'alarme.
L'équipe enthousiaste formée jadis autour d'Émile Dacier, merveilleux animateur, était peu nombreuse. La mort de notre maître, les responsabilités administratives qui pèsent maintenant sur les épaules de son successeur à l'Inspection générale, le souci, pour moi, de la direction d'un département spécialisé de la Bibliothèque nationale qui m'éloigne de l'histoire du livre, ont presque tari les travaux français sur la reliure ancienne. Il y a dans ce domaine des places à prendre. Jacques Guignard qui s'est affirmé et s'affirme tous les jours à la tête de la Réserve de la Bibliothèque nationale, est un de nos successeurs désignés, mais d'autres doivent aussi reprendre le flambeau.
Puisque aussi bien les documents de base ne sont pas tous encore connus, ce qui semble aujourd'hui le plus urgent, c'est de constituer un corpus des reliures anciennes des bibliothèques publiques. En ce qui concerne les bibliothèques de Paris autres que la Bibliothèque nationale, l'impression d'un catalogue collectif illustré pourrait être assez rapidement mise au point. Les éléments d'un tel catalogue ont déjà été réunis par moi il y a longtemps en ce qui concerne Sainte-Geneviève. Le manuscrit n'aurait besoin que de quelques compléments pour pouvoir être publié. Des fiches existent également pour la Bibliothèque Mazarine. A l'exemple de celle qui a travaillé de façon si efficace pour le Répertoire français des sources musicales, une équipe volante de bibliothécaires, patronnée soit par la Direction des bibliothèques soit par le Centre national de la recherche scientifique, ne pourrait-elle pas être constituée pour ce travail de base. Elle ne devrait pas négliger, naturellement, les petits fonds anciens encore mal connus, comme ceux des bibliothèques du Muséum ou de l'École polytechnique,les réserves (à la vérité assez pauvres) des bibliothèques universitaires, les collections bibliophiliques comme la collection Dutuit au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris ou les reliures du Musée des Arts décoratifs.
Malgré les enquêtes qui ont abouti à la publication des Richesses des bibliothèques provinciales par Pol Neveux et Émile Dacier (Paris, 1932, 2 vol. in-4°), les reliures des bibliothèques des départements sont encore mal connues. Certaines pièces qui sont d'incontestables chefs-d'œuvre ne sont pas mentionnées et surtout les « incunables » de la reliure de cuir, sur lesquels l'attention des bibliothécaires n'avait pas été attirée, sont le plus souvent passés sous silence. Or ces incunables sont d'un très grand intérêt historique. Des travaux récents, comme ceux de Mlle B. Van Regemorter montrent tout ce que nous pourrions attendre d'une étude sérieuse de la technique des reliures du Moyen âge pour la localisation et la datation des principaux ateliers monastiques aux hautes époques, même lorsque les reliures sont sans décor 11. Nul doute qu'une enquête méthodique n'apporte aussi bien des clartés nouvelles sur les reliures ornées des XIIe et XIIIe siècles malgré les travaux de G. D. Hobson 12 et de moi-même 13. On notera à ce propos que les bibliothèques provinciales héritières des grandes abbayes doivent être plus riches dans ce domaine que la Bibliothèque nationale, du fait même de l'origine de leurs collections.
Pour le XIVe siècle, c'est un dépouillement rapide des tables du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques qui m'a permis de découvrir les cent et quelques manuscrits légués au chapitre de sa cathédrale par Guy de Roye, archevêque de Reims, qui ont pour la plupart conservé leurs reliures d'origine, souvent du reste sans décor, et qui sont réunis actuellement sur les rayons de la Bibliothèque municipale 14. Un travail plus approfondi révélerait sans doute des fonds homogènes analogues dans d'autres bibliothèques.
Je n'ai pu citer que quelques exemples d'ateliers provinciaux (probablement monastiques) du xve et du début du XVIe siècle, à Alençon, à Rodez, à Vendôme en particulier 15. D'autres apparaîtraient à coup sûr si on se livrait à un inventaire complet. Notre connaissance de la reliure estampée serait entièrement renouvelée si l'on pouvait dresser le catalogue des fers du xve siècle. Ce serait un travail de longue haleine, analogue à celui qu'a donné Haebler pour les reliures allemandes du XVIe siècle 16.
Le XVIe siècle a été de tout temps considéré à juste titre comme l'âge d'or de la reliure française. De très bonne heure d'importants travaux lui ont été consacrés. Dès le milieu du siècle dernier on étudia les grands bibliophiles humanistes dont les livres passaient souvent en vente publique et tout spécialement les plus célèbres d'entre eux, Jean Grolier 17 et Thomas Mahieu 18. Témoignage de cet engouement, une société américaine de bibliophiles adopta le nom de Grolier-club. Cette mode a totalement faussé les données d'une étude scientifique des reliures de luxe de la Renaissance en rejetant dans l'ombre les reliures royales plus nombreuses et souvent plus belles que celles qui furent faites pour des particuliers. Presque toutes les reliures royales sont actuellement conservées à la Bibliothèque nationale, tant au Cabinet des manuscrits qu'au Département des imprimés. La publication de l'inventaire de ces reliures trop peu connues, serait pour beaucoup d'amateurs et même de spécialistes une véritable révélation 19. Il permettrait de souligner l'importance primordiale, dans l'histoire de la reliure en Europe, de l'atelier d'Étienne Roffet qui travailla pour François Ier et fut imité aussi bien en Angleterre qu'en Allemagne. Les quelques pages que j'ai consacrées à Étienne Roffet ne sont que le schéma d'une étude qui reste à faire 20.
Des recherches dans les dépôts d'archives devraient aussi être faites pour préciser l'activité de Claude de Picques et pour confirmer l'hypothèse suivant laquelle les reliures royales de Henri II sont sorties de son atelier. Une étude des innombrables reliures aux armes de ce roi qui sont sur les rayons de la Bibliothèque nationale permettrait seule des conclusions valables 21.
L'irritante question des reliures lyonnaises du XVIe siècle n'a pas été résolue par les comparaisons auxquelles je me suis livré 22. D'autant moins qu'une découverte récente faite par un érudit allemand nous amène à douter absolument de l'origine lyonnaise que, depuis M. Bouchot, on attribuait à la grande reliure du Bassantin, 1557, au chiffre de Catherine de Médicis, perle des collections de la Bibliothèque nationale 23.
S'il n'y a plus grand chose à dire sur les reliures « à la fanfare » après le livre qui leur a été consacré par G. D. Hobson, par contre personne, sauf Émile Dacier dans quelques études de détail, ne s'est intéressé aux reliures du XVIIe siècle. Pratiquement, ce chapitre est à écrire entièrement. Il serait inconcevable qu'on n'arrive pas, un jour ou l'autre, à percer l'anonymat du mystérieux « Le Gascon ». Si nous considérons comme plausible qu'il soit l'auteur de la reliure à semé dont est revêtu le fameux manuscrit de la Guirlande de Julie, il faut étudier les reliures analogues que l'on connaît sur d'autres manuscrits de Nicolas Jarry (Bibliothèque nationale, Cabinet des manuscrits et Département de la musique, en particulier). Il est certain que l'apport des relieurs du roi semble être moins important sous Louis XIII et sous Louis XIV que sous Henri II et Henri III. On ne pourra sans doute jamais réunir sous le nom des Ruette des reliures égales à celles qui sont sorties des ateliers de Claude de Picques ou des Eves. On reconnaît bien chez Mazarin et chez Colbert un grand amour des livres : il les conduit à constituer des bibliothèques très nombreuses, abondantes en textes rares mais pour lesquels de solides reliures de maroquin rouge à décor très sobre semblent le plus souvent suffisantes. C'est autour du délicat amateur que fut le chancelier Séguier qu'il faudrait mener une enquête pour étudier les reliures de luxe techniquement parfaites du milieu du siècle qui ne sont pas toutes sorties de l'atelier de Florimond Badier. Notre goût leur reproche, peut-être à tort, une ennuyeuse majesté. Ce que nous savons des livres que faisaient relier le chancelier et ses familiers comme Marin Cureau de La Chambre ou Daniel de Priézac, laisse soupçonner qu'on pourrait aisément par une étude sérieuse éclairer d'une nouvelle lumière toute cette période. Quant aux reliures si généreusement attribuées à Boyet par tant de catalogues de vente, disons modestement que nous n'en savons rien.
Parce que les spécimens que nous en connaissons sont souvent plus gracieux et d'un goût plus raffiné (bien que le corps d'ouvrage soit trop souvent médiocre), les reliures du XVIIIe siècle ont été plus étudiées, mais ces études sont restées assez superficielles, au moins pour le décor à dentelle dont nous commençons à peine à imaginer l'évolution. Pour les mosaïques, j'ai eu la bonne fortune de pouvoir l'an dernier leur consacrer un volume d'une présentation luxueuse (avec planches en couleurs) grâce à l'appui de deux sociétés de bibliophiles.
Émile Dacier, après avoir, dans l'introduction de son album Les plus belles reliures de la réunion des bibliothèques nationales, donné en 1930, un aperçu de l'état de nos connaissances à cette époque, ajoute : « Si l'on pouvait convaincre des élèves de l'École des Chartes ou de l'École du Louvre qu'il y a là un domaine, non pas inexploré, mais si mal connu, si insuffisamment jalonné qu'un prospecteur bien outillé peut être certain d'y faire une ample moisson de découvertes!... » Ce voeu de mon maître à vingt-six ans d'intervalle, je le renouvelle.