La boîte à outils aux Presses de l’Enssib : « 30 ans de contribution à la fabrique des bibliothèques »
Entretien avec Catherine Jackson, directrice de la collection
La rédaction du BBF
La collection « La Boîte à outils », créée en 1995 par l’Institut de formation des bibliothécaires (IFB) dirigé par Bertrand Calenge, compte aujourd’hui plus de 50 titres de référence pour la littérature professionnelle des bibliothèques. Elle est désormais disponible dans son intégralité en version numérique sur OpenEdition Books 1
. Les ouvrages de cette collection, écrits à plusieurs mains par des professionnel·les des bibliothèques, sont des outils de travail pour conduire des projets bibliothéconomiques d’actualité concernant aussi bien les bibliothèques publiques que les bibliothèques universitaires ou de recherche.
Figure 1. Salon de la bibliothèque de l’Enssib lors de la méridienne consacrée aux 30 ans de La Boîte à outils, le 3 juin 2025
BBF : La collection La Boîte à outils fête ses 30 ans cette année. Pouvez-vous nous rappeler ses origines et son ambition initiale ?
Catherine Jackson : Tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement Jérôme Demolin et Noëlle Drognat-Landré, pour leur invitation à parler dans le Bulletin des bibliothèques de France (BBF) de notre collection professionnelle, à l’occasion de son anniversaire.
Effectivement, il faut rappeler que c’est Bertrand Calenge, qui a créé cette collection. Le premier titre, paru en 1995, était consacré au libre accès, le dernier de cette première série, en 2001, coordonné par Alain Caraco traitait des ressources internet et des collections.
Bertrand Calenge était le directeur, depuis deux ans de l’IFB, ce qui permet de comprendre le lien étroit et fondateur entre son projet éditorial pour La Boîte à outils et les questions de formation. La pertinence de son projet, soit considérer la formation tout au long de la vie (FTLV) comme un moteur pour la pratique professionnelle, et le cadre éditorial spécifique qu’il a défini demeurent remarquablement opératoires 2
Pour situer le contexte éditorial de l’époque, on observe que l’emblématique collection Bibliothèques, du Cercle de la Librairie, existait depuis 1992. Elle a été pilotée par Martine Poulain pendant 27 ans, jusqu’à la décision du P.-D. G. d’Electre d’y mettre un terme en 2019. On peut écouter avec profit la synthèse d’une journée consacrée à l’édition professionnelle dont Martine Poulain était le Grand témoin : voir l’enregistrement de la journée « Publier le métier, quelles perspectives ? ». Avec : Yves Alix, Alice Bernard, Claire Bouchard, Thomas Chaimbault-Petitjean, Christophe Evans, Nicolas Gary, Françoise Hecquard, Charlotte Hénard, Catherine Jackson, Pierre-Marie Labriet, Dominique Lahary, Hervé Le Crosnier, Béatrice Michel, Jérôme Pouchol, Martine Poulain, André-Pierre Syren, Clotilde Vaissaire-Agard. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/68837-publier-le-metier-quelles-perspectives
Pour rendre compte de « Bertrand, l’homme au travail » (titre de la Préface de Martine Poulain), on peut se reporter à l’ebook édité aux Presses de l’Enssib, en 2018, par Muriel Amar dans la collection La Numérique et coordonné par Jérôme Pouchol : Calenge par Bertrand, parcours de lecture dans le Carnet d’un bibliothécaire. Du blog au book. Avec les participations de Renaud Aïoutz, Alain Caraco, Xavier Galaup, Aline Goussard, Dominique Lahary, Bernard Majour, Silvère Mercier, Véronique Mesguich, Joëlle Muller, Martine Poulain, Jean-Michel Salaün. En ligne : https://books.openedition.org/pressesenssib/2178
En retrouvant les premiers volumes de la collection, j’ai découvert que figurait en ouverture de chacun d’eux une note d’intention de son fondateur, qui en définissait les contours et l’ambition. Ce document permet d’estimer la permanence du format de la collection, et de mesurer certaines de ses évolutions.
Depuis 1992, l’Institut de formation des bibliothécaires a en charge les programmes nationaux de formation continue élaborés tant par le ministère de la Culture que par le ministère de l’Enseignement supérieur.
Attentif à l’évolution des métiers et des établissements, l’IFB a voulu accompagner les innovations les plus porteuses d’avenir, en programmant des stages sur des sujets encore mal défrichés, mais susceptibles de se développer rapidement. Certains de ces stages ont rencontré des demandes tellement pressantes, que l’Institut ne pouvait laisser ces besoins en l’attente d’un stage ponctuel.
Par ailleurs, les rapports professionnels (Projets professionnels personnels) des bibliothécaires en formation initiale à l’IFB révèlent des préoccupations majeures dans les évolutions des établissements, avec une demande forte d’outils opératoires.
La conjonction des besoins découverts en formation continue, et des projets révélés en formation initiale, pousse l’IFB à poursuivre ses modules de formation sous une forme différente, accessible à tous ceux que préoccupent ces questions. La collection « La Boîte à outils » est organisée comme un stage de formation : le responsable pédagogique devient coordinateur du volume, les intervenants se transforment en contributeurs. Les stagiaires deviendront-ils lecteurs et acteurs ?
L’objectif de cette collection est tout entier dans son titre : nous ne vous proposerons ni état exhaustif d’une question, ni synthèse d’une recherche. Ces petits manuels ont la modeste ambition d’offrir un cadre de réflexion, une méthodologie étayée par quelques analyses, procédures, avertissements, témoignages, échéancier. Nous espérons qu’ils seront manipulés, annotés, confrontés aux réalités des projets que vous menez dans vos bibliothèques.
Bertrand Calenge, directeur de l’IFB
Une collection éditoriale, c’est une idée, de préférence une bonne idée, c’est-à-dire qui va permettre d’éditer plusieurs livres, de durer, c’est-à-dire de vendre, de suffisamment vendre pour durer, et d’installer la collection dans le paysage éditorial de son domaine. Même pour un éditeur institutionnel public, même pour une collection singulière comme celle-ci, de littérature professionnelle, destinée en priorité aux bibliothécaires et leur entourage, la longévité ne va pas de soi.
Outre la précision du projet initial de Bertrand Calenge, sa clairvoyance sur les besoins réguliers de formation des bibliothécaires, via des stages de FTLV et des livres spécialisés, il a d’emblée établi un format pour chaque opus. C’est aussi ce format qui fait collection, et dans lequel nos ouvrages se sont glissés, tout en le faisant évoluer.
Quelques traits structurants des opus de la collection :
- des ouvrages collectifs, dont la coordination est confiée à un ou une professionnelle des bibliothèques ;
- des ouvrages thématiques ;
- une visée didactique ;
- un périmètre : toutes les bibliothèques, de lecture publique comme de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) ;
- un lexique du faire, de la pratique : boîte à outils, mode d’emploi, mémento, verbes d’action dans les titres, et des annexes « outils » : un glossaire et une « bibliographie sommaire » ;
- un nom de collection adapté et marquant ;
- un format de titre : chaque titre commence par un verbe d’action à l’infinitif – Organiser, Offrir, Créer, Gérer, Contribuer, Former, Développer, Connaître, Concevoir… ;
- la présence d’éléments récurrents pour chaque volume : un Mode d’emploi (de quoi ça parle, qui parle, comment est composé cet ouvrage), pour ouvrir le livre, et un Mémento en clôture (rappel des grandes étapes présentes dans les contributions, entre synthèse des exposés et dynamique de projet pour mettre en œuvre son projet), un Glossaire qui renvoie aux termes significatifs de la thématique traitée et présents dans les contributions, et une bibliographie « sommaire » ;
- des ouvrages de pagination moyenne ;
- une numérotation 4.
Tous ces éléments, de nature différente, permettent de construire un livre et de faire collection. Trente ans après, ils forment toujours une partie du cahier des charges de la collection.
Ce n’est que tardivement que j’ai mesuré l’importance de l’héritage de Bertrand Calenge. Je pense que nous sommes tous redevables à Bertrand Calenge d’une certaine idée de l’institution bibliothèque.
Pour ma part, il s’est agi d’un héritage très concret : je le connaissais comme théoricien des bibliothèques, à travers ses ouvrages publiés au Cercle de la Librairie, et comme rédacteur en chef du BBF, auteur de nombreux articles, puis créateur de son blog. Et rétrospectivement, je m’aperçois que je trouvais tout à fait « normal » que notre métier, de bibliothécaire au sens large, soit pensé, discuté, analysé, fasse l’objet de collections spécialisées, de revues spécialisées, ambitieuses.
En m’attachant aux Presses de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), au tournant des années 2010, j’ai progressivement compris que la pérennité de ce petit domaine éditorial n’avait rien d’évident. Je croyais que la collection Bibliothèques (Cercle de la Librairie), les Médiathèmes (Association des bibliothécaires de France - ABF), les éditions de la Bibliothèque publique d’information, en particulier sa collection Études et recherche, la revue imprimée du BBF, la revue Bibliothèque(s) étaient… immortelles. Tous ces écrits faisaient mémoire pour se situer dans son activité professionnelle, mieux comprendre le monde des bibliothèques.
Voilà pourquoi je n’oublie jamais de rappeler que si l’Enssib porte une fonction d’éditeur, au-delà de sa mission de formation, de recherche, et de diffusion des savoirs, en particulier pour ses collections imprimées et commercialisées, c’est par un véritable choix des directrices et directeurs successifs de l’école. Une démarche volontariste et des arbitrages de moyens, défendus ces dernières années par Anne-Marie Bertrand, Yves Alix et aujourd’hui Nathalie Marcerou-Ramel.
BBF : Vous dirigez la collection La Boîte à outils depuis 2010. Quelle a été votre vision pour cette collection et comment avez-vous accompagné son évolution ?
Catherine Jackson : J’ai toujours eu une curiosité pour l’édition, la vie des collections, comment elles marchent. Les librairies et les bibliothèques sont les maisons vivantes des collections éditoriales, elles contribuent à leur circulation. J’ai choisi les bibliothèques. Ce goût pour l’édition et pour la bibliothèque, comme lieu public de partages de savoir privilégié, a trouvé une place, rare, dans cette collection de littérature professionnelle. Une rencontre inespérée. J’ai tout de suite été à l’aise avec l’esprit de la collection, intuitivement.
Toutefois, La Boîte à outils n’est pas seule, encore une chance. Les Presses articulent trois collections, très différentes les unes des autres et complémentaires (la collection Papiers, depuis 2008, et sa section Papiers-Bpi et depuis 2016 la collection La Numérique), un fabuleux trépied 5
Dans un éditorial au Catalogue général des Presses de l’Enssib de 2015, Anne-Marie Bertrand répondait à la question Pourquoi l’Enssib est-elle éditeur ? après huit années de parutions en évoquant un bilan sous forme de « triptyque : curiosité, liberté, utilité ». L’année suivante, elle décidait de créer une nouvelle collection, exclusivement numérique et gratuite : La Numérique.
Pour revenir à l’évolution de la Boîte à outils, l’idée a été, au fil des ans, et des projets, d’élargir les cercles d’intérêts de la collection. La programmation se construit selon quatre axes principaux :
- revisiter les fondamentaux de la bibliothéconomie (le plan de classement, la politique documentaire, le désherbage…) ;
- documenter les tendances structurantes des bibliothèques (ouvrir plus, ouvrir mieux, faire vivre un projet d’établissement, l’éducation artistique et culturelle, le management, la communication, l’évaluation, le numérique, l’accueil…) ;
- prospecter des sujets sociétaux qui impactent les bibliothèques (les publics migrants, l’égalité femme/homme, les fausses nouvelles, les pratiques participatives, la transition écologique…) ;
- explorer les médiations (disciplinaires ou thématiques – le patrimoine, la science, les arts numériques, la bande dessinée, etc.).
Ces axes sont à équilibrer, avec une faisabilité tributaire des opportunités (personnes disponibles, air du temps, maturité du sujet dans nos communautés, etc.). C’est une boussole surtout, qui me permet de vérifier ce qui manque vraiment dans l’un de ces axes par exemple. Sans oublier de suivre ce qui se passe chez d’autres éditeurs, frontaliers, je pense à l’excellent éditeur C&F, comme à Klog, ou aux grandes collections à l’étranger.
Je trouve intéressant aussi de ponctuer le catalogue de la collection avec certains titres qui ont vocation à donner un premier niveau de connaissance sur un domaine pour les bibliothécaires non spécialistes : ce fut le pari, réussi, de Dominique Coq dans Apprendre à gérer des collections patrimoniales en bibliothèque, de Christophe Evans dans Mener l’enquête. Guide des études de publics en bibliothèque, ou encore le formidable Accueillir des publics migrants et immigrés. Interculturalité en bibliothèque, coordonnée par Lucie Daudin en 2017.
L’évolution tient aussi aux échanges avec les coordinatrices et coordinateurs des ouvrages, aux échanges avec l’équipe de rédacteur·ices lors de la réunion de lancement d’un titre, et à ma veille tous azimuts.
Une dimension de la collection concerne aussi le volet de la FTLV de l’Enssib. Assez vite, après ma prise de direction de la collection, nous avons instauré un dialogue régulier avec Armelle de Boisse, responsable de la FTLV, considérant qu’une partie de nos publics, comme des sujets traités par nos services respectifs sont communs. Presque tous les titres publiés dans La Boîte à outils font l’objet de stages, les années qui suivent leur parution, à l’école, avec une partie de l’équipe rédactrice. Une autre manière de partager le travail accompli pour le livre, et de le mettre à l’épreuve. Une forme de « longue traîne » pour la collection.
BBF : En 30 ans, les métiers des bibliothèques et de la documentation ont connu de profondes mutations. Comment sélectionnez-vous les thématiques et les auteurs pour répondre aux besoins des professionnels d’aujourd’hui ?
Catherine Jackson : Concernant le cœur des sujets abordés, notre démarche éditoriale vise à construire un catalogue en phase avec les évolutions et les grandes tendances du monde des bibliothèques. Chaque thématique est soumise et débattue au comité éditorial des Presses de l’Enssib, comme pour les autres collections. Créé en 2008, le comité éditorial se réunit trois fois par an. Comme nos collections, sa composition est représentative des acteurs de l’école, et des terrains de chacune des collections. Bibliothécaires d’horizons variés, enseignant·es-chercheur·es, tous et toutes sont bénévoles. Ce qui témoigne d’un engagement remarquable pour le fait éditorial !
Chaque collection a un mode de programmation spécifique. Pour La Boîte à outils, une partie des projets nous arrive directement par des collègues, à partir d’une idée ou avec une note d’intention, parfois un pré-sommaire. La ou le collègue a en général mené à bien un ou plusieurs projets du domaine, au sein d’un établissement ou d’un réseau et souhaite partager son expérience, rendre compte des processus et des compétences à l’œuvre. Très souvent, il s’agit d’un·e collègue également impliqué·e dans la formation. Dans ces cas-là, je suis toujours ravie, mais cette démarche reste peu courante, car coordonner un ouvrage de cette nature est un gros travail et demande un engagement personnel conséquent.
Le comité éditorial identifie parfois des sujets qui mériteraient de faire l’objet d’un ouvrage. Et en troisième lieu, je soumets des thématiques au comité éditorial. Dans ces cas-là, la démarche est différente, au moins au départ. Pour ces argumentaires, je fais feu de tout bois, avec une veille continue très large – d’informations, de lectures et de discussions professionnelles à l’observation des institutions politiques, culturelles et sociales en passant par les domaines de la recherche et des publications en SIB, et la fréquentation de la création contemporaine. J’essaie d’identifier des sujets qui, soit n’ont pas été réinterrogés dans leur évolution depuis plusieurs années, soit sont présents explicitement dans les pratiques des bibliothécaires et pour lesquels un ouvrage de première synthèse paraît pertinent, soit encore un thème émergent, pour les bibliothèques, mais déjà documenté, saillant à l’échelle de la société.
Espérer répondre à des besoins professionnels, forcément plus ou moins bien identifiés, et proposer des titres plus exploratoires est un exercice qui me plaît, c’est toute la tension d’un catalogue d’éditeur.
BBF : Parmi les nombreux ouvrages publiés, certains ont marqué leur époque. Y a-t-il des titres emblématiques ou des sujets qui ont particulièrement résonné auprès des professionnel·les ?
Catherine Jackson : Il faudrait demander aux professionnel·les. Nous n’avons pas énormément de retours des usages de la collection, des modes de lecture des titres, de son utilisation par les enseignant·es et formateur·ices. Nous savons que les exemplaires de La Boîte à outils se vendent bien, en général un titre tiré à 900/1 000 exemplaires est épuisé au bout de six ans. Je vois dans les bibliographies des travaux des élèves de l’école, et ailleurs, les références de certains titres, de nombreuses Journées professionnelles et formations réunissent des auteur·ices de nos publications, mais c’est difficile de savoir si un titre a plus été lu qu’un autre.
Il y a peut-être des titres emblématiques d’une période, qui paraissent à un moment de forte actualité pour nos communautés : ce fut le cas par exemple pour Ouvrir plus, ouvrir mieux. Un défi pour les bibliothèques, en 2014, Personnaliser la bibliothèque. Construire une stratégie de marque et augmenter sa réputation, 2018 ou Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque, en 2020, ou plus récemment avec Engager les bibliothèques dans la transition écologique. D’autres titres infusent à bas bruit.
Les deux seuls ouvrages sur la quarantaine de titres que j’ai édités qui, a mon sens, n’ont pas eu l’écho qu’ils méritaient sont Favoriser l’insertion professionnelle et l’accès à l’emploi. Les atouts des bibliothèques, coordonné par Georges Perrin, en 2013, et Connaître et valoriser la création littéraire numérique en bibliothèque, en 2019, coordonné par Franck Queyraud. Deux très bons livres par ailleurs.
Il demeure toujours une part de surprise dans la réception d’un livre, une part de risque aussi, à prendre. La baisse chronique des budgets d’acquisition des bibliothèques est une variable importante pour ce genre de production. Récemment, une collègue, dans un réseau de lecture publique important, me disait qu’ils n’avaient pas de budget fléché « fonds pro. », aussi si elle achète un titre de La Boîte à outils, c’est un roman par exemple qui ne sera pas acheté.
BBF : Entre 2003 et 2008, la collection a connu une interruption de ses publications. Quelles en étaient les raisons et qu’est-ce qui a motivé sa relance ?
Catherine Jackson : Effectivement, après le départ de Bertrand Calenge pour la Bibliothèque municipale de Lyon, trois titres de la collection sont parus en 2002, sous la direction du directeur des études d’alors, Raymond Bérard, et en coédition avec la collection Tec & Doc des éditions Lavoisier. Il y a eu ensuite une pause de six années.
Et en 2008, Anne-Marie Bertrand, directrice de l’école depuis 2005, a fait le choix de réactiver les Presses de l’Enssib : soit de relancer la collection La Boîte à outils, confiée à Livia Rapatel 6
Pour la reprise de la production de la collection, avec Livia Rapatel, nous avons invité Bertrand Calenge à coordonner une Boîte à outils, en manière d’hommage et de transition. Il avait carte blanche, et a choisi de travailler le plan de classement : Mettre en œuvre un plan de classement (2009). En ligne : https://books.openedition.org/pressesenssib/285
La collection Papiers est toujours bien vivante, avec un nombre de titres au catalogue majoritaire. Elle connaît aussi des évolutions. Au départ à la retraite du dernier directeur de collection, André-Pierre Syren (conservateur des bibliothèques), en 2023, une nouvelle orientation pour cette collection a été prise par la direction, en la confiant à une enseignante-chercheuse, Susan Kovacs, professeure des universités, enseignante à l’Enssib. Nous revenons ainsi à une collection orientée recherche, plus classique du point de vue éditorial, à la manière des Presses universitaires en termes de modèle. Sans oublier, depuis 2016 un partenariat avec la Bibliothèque publique d’information, qui donne lieu à une édition imprimée par an, Papiers-Bpi, qui restitue les résultats d’une recherche en sociologie des publics et de la culture, pilotée par le service Études et recherche.
Et enfin, une troisième collection a été créée en 2016, La Numérique, une collection ambitieuse, puisque « 100 % numérique et 100 % gratuite » : les titres de cette collection n’ont pas de version imprimée, et sont proposés en accès libre sur la plateforme de diffusion OpenEdition Books. La direction de cette collection a alors été confiée, par la direction de l’école, à une conservatrice des bibliothèques et enseignante-chercheuse, Muriel Amar.
BBF : La collection fait appel à de nombreux auteurs. Comment travaillez-vous avec eux pour garantir la cohérence et la qualité de ces ouvrages collectifs ?
Catherine Jackson : Je travaille en priorité avec la coordination de l’ouvrage. Avec l’intention de construire un opus de la collection qui puisse être utile aux collègues, leur apporter des bases sur le sujet (ce qui suppose une certaine maturité de la thématique dans les pratiques), et leur ouvrir des perspectives (de réflexions et de mises en œuvre). D’où aussi la présence d’autres voix dans nos ouvrages – des acteur·ices du champ de la culture ou du champ social, des spécialistes d’un domaine, des enseignant·es-chercheur·es, des créateur·ices…
Le montage du sommaire permet de repenser concrètement le projet initial, c’est un objet à composer, qui engagera la pertinence du livre. Là aussi, il faut faire des choix, déterminer un fil rouge structurant : qu’est-ce qui sera traité en priorité, qu’est-ce qui ne le sera pas, comment faire apparaître aussi tel et tel aspect de la thématique, sous quelle forme… en prenant en compte la variété des bibliothèques (petites et grandes, pas seulement parisiennes…), et en respectant la jauge des 500 000 signes, et celle d’une équipe d’auteurs et autrices non inflationniste.
Un ouvrage professionnel engage, sur plusieurs années. Il porte aussi des représentations des métiers des bibliothèques, du service public, de leurs points forts et de leurs impasses.
Participer à un livre, même « pratique », de type professionnel, relève du vaste ordre de l’écriture. La relation à l’écriture des collègues est très variable, pour certain·es il y a des craintes à passer à l’acte, d’autres sont plus familier·ères avec l’exercice. J’encourage beaucoup celles et ceux qui ne se « sentent pas capables » à se prêter à cette forme d’écriture, à se lancer, ré-écrire, faire relire, toutes catégories de personnels confondues. En général, l’exercice est profitable, apprécié et permet de prendre du recul sur sa pratique. Et l’aptitude à l’écriture s’acquiert, je l’ai vérifié chez nombre de collègues ou d’auteur·es récidivistes, au fil des ans et des livres. Fabrice Chambon, alors directeur de la bibliothèque de Montreuil, invitait un·e collègue à rédiger la contribution avec lui afin de lui mettre le pied à l’étrier. Je sais que d’autres collègues procèdent de même.
Progressivement, certain·es collègues font des pas de côtés dans la rédaction, explorent des formes d’écritures moins académiques. Au sein d’un volume collectif, il y a beaucoup de latitude pour donner à comprendre une situation, faire percevoir un enjeu. Je me réjouis de voir au programme des Rencontres interprofessionnelles du livre (RIL) 2025 d’Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture (ARALL) un atelier « Écriture d’une écofiction : penser la bibliodiversité dans un monde post-pétrole », animé par Inès Hubert et Zoé Lacornerie, de l’association Pour l’écologie du livre.
BBF : Les titres des ouvrages de la collection sont souvent très directs et pratiques (usage systématique de l’infinitif), avec une formulation qui interpelle immédiatement le lecteur. Comment choisissez-vous ces titres ? Y a-t-il une ligne éditoriale spécifique dans leur conception ?
Catherine Jackson : Là encore, j’ai gardé le principe judicieux des débuts de la collection : chaque titre commence par un verbe à l’infinitif, le plus souvent un verbe d’action. C’est une formulation qui dynamise l’ensemble, et contribue à l’identité de la collection. Même si le choix du titre est une prérogative de l’éditeur, nous le travaillons avec la coordination du livre, et démarrer par un verbe représente parfois une contrainte. J’ai progressivement généralisé la présence de « bibliothèque » dans le titre, parfois dans le sous-titre, une autre contrainte ! Le titre le plus court, et qui s’imposa facilement fut Jouer en bibliothèque (2015), l’un des plus difficile à aboutir reste Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque (2020), où chaque terme a été questionné, jusqu’à « son » en place de « l’ » et « avec » en place de « en ». Autre attribut originel pour cette collection, chaque volume porte un numéro d’ordre, que les maquettes utilisent comme marqueur graphique, précédé d’un dièse #16, #17… Lorsqu’un ouvrage de la collection, pour une raison ou une autre, glisse dans le calendrier de production, il ne faut pas oublier de modifier son numéro d’opus !
BBF : L’identité visuelle de la collection a évolué au fil des années (passant des cubes, aux pliages, aux bulles). Ces choix graphiques de couvertures ont-ils accompagné des mutations particulières de la collection ?
Catherine Jackson : La relance des Presses en 2008, par Anne-Marie Bertrand, s’est accompagnée d’une nouvelle maquette, pour chacune des collections. La collection Papiers requérait un design qui signe une collection prestigieuse et de référence tout en demeurant sobre, pour caractériser le champ de la réflexion, et le cahier des charges pour la Boîte à outils mettait en avant son caractère pratique.
C’est l’atelier Perluette 7
qui a créé nos maquettes, de couverture et intérieures.Il me revient que nous avons finalement interverti les propositions retenues : les couvertures avec un origami étaient initialement conçues pour la collection Papiers, et les couvertures avec un à plat de couleur et la reprise de l’initiale du titre, gaufrée, étaient proposées pour la collection de La Boîte à outils. Ces maquettes étaient toutes les deux très réussies, très marquées, imaginées pour des collections d’une grande école dédiée au monde des bibliothèques, de la documentation et de l’histoire du livre.
En 2018, le nouveau directeur du Département de la valorisation, André-Pierre Syren, devenu directeur de la collection Papiers, a souhaité renouveler l’image des Presses, en changeant la maquette des couvertures, en intégrant la nouvelle collection La Numérique, et en faisant évoluer les maquettes intérieures. Cette transformation a également été confiée à l’atelier Perluette. Le format des deux collections s’est aligné, pour des ouvrages de 16 cm x 24 cm.
Depuis, les plus attentifs observeront divers aménagements à ces maquettes, réalisés par l’équipe de production 8
Les éditions de l’Enssib, qui publient les ouvrages des Presses et deux revues en open access disposent d’une équipe de production et de secrétariat d’édition : Celestino Avelar, Véronique Bolinde, Silvia Ceccani, Cédric Vigneault. En ligne : https://presses.enssib.fr/presses-en-quelques-mots
À noter que le prix n’a pas changé depuis 2008, il est toujours à 22 €. Les droits d’auteur des coordinations ont augmenté.
BBF : La collection continue d’évoluer face aux nouveaux défis du secteur. Quels sont vos projets pour La Boîte à outils dans les années à venir ?
Catherine Jackson : Continuer de croire à l’utilité de la littérature professionnelle sous toutes ses formes.
La Boîte à outils est l’une des trois collections des Presses, et l’Enssib est la structure organisationnelle qui gère l’ensemble du processus éditorial et qui porte la fonction éditoriale (orientations générales des éditions de l’école, moyens humains et financiers).
Comme je le disais un peu avant, si l’Enssib porte une fonction d’éditeur, en particulier pour ses collections imprimées et commercialisées, au-delà de sa mission de formation, de recherche, et de diffusion des savoirs, c’est un véritable choix des directrices et directeurs de l’école. Une démarche volontariste, et des arbitrages de moyens. Bien sûr l’édition publique professionnelle (comme de recherche) n’a pas vocation à alimenter les ressources propres d’un établissement. Une collection professionnelle, comme La Boîte à outils, ne bénéficie pas des moyens importants offerts par les différents plans nationaux pour la science ouverte, qui ont permis le développement de plateformes de diffusion, de pépinières de revues scientifiques, d’équipes professionnelles éditoriales et de production, etc. Au service des valeurs du service public et de l’usage raisonné des moyens alloués, le modèle économique mis en place pour la collection La Boîte à outils permet d’éditer à l’équilibre (viser le « point mort » comme on dit en édition), ce qui est une grande chance.
Depuis ma place de directrice de collection, la programmation et le « faire collection » passent toujours par la question comment penser une littérature professionnelle utile, comment faire écrire dans les meilleures conditions possibles les collègues, comment accompagner une écriture réflexive, pour rendre compte des pratiques, de l’inventivité des équipes pour tenir le cap de leurs missions, des évolutions de l’institution.
La question de l’écriture m’intéresse. Un échange avec Jérôme Pouchol, pour son blog Bambou 9
, m’avait confortée dans l’idée que passé les concours, la compétence rédactionnelle est peu valorisée chez les bibliothécaires, et qu’écrire reste un passage à l’acte souvent difficile.Une question importante demeure : comment mieux faire connaître les contenus des ouvrages de cette collection, accompagner leur lecture auprès des bibliothécaires ? Quels seraient les modes d’accompagnements spécifiques à ce type de littérature professionnelle ?
Par ailleurs, pour consolider la fonction éditoriale de l’école, et de ses collections professionnelles, il serait intéressant de disposer de données sur la réception de ces ouvrages, leurs usages, leurs modes d’appropriation, leur place dans l’imaginaire de nos communautés, et dans les fonds des bibliothèques. L’histoire de cette édition professionnelle spécifique – naissance et disparition de collections, de revues, nouveaux éditeurs, complémentarité et concurrence des ressources en ligne et imprimées, personnels écrivant, type de lecture… reste à faire. À ma connaissance, aucun mémoire universitaire ne porte sur cette question.
L’élaboration d’une collection, plus encore pour des ouvrages de commande, s’inscrit dans la durée. Plusieurs projets sont en cours, à des stades différents. Des problématiques nous semblent mériter d’être documentées, et possiblement faire l’objet de Boîtes à outils, elles sont à l’étude, ou en quête de coordinateur ou coordinatrice.
Donner plus de visibilité aux établissements ultramarins me tient à cœur, tout comme prévoir quelques mises à jour ou nouvelle édition d’ouvrages épuisés. Cette année, nous expérimentons, au sein de la collection, une nouvelle forme, sur un sujet socle : Accueillir en bibliothèque. 36 Fiches pratiques, par Héloïse Courty. Un pas de côté anniversaire vis-à-vis de l’ADN de la collection, une seule autrice et des fiches !

Figure 2. Flyer édité à l’occasion des 30 ans de la Boîte à outils
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Remerciements de Catherine Jackson
- J’ai répondu à ces questions avec des dédicaces nombreuses à l’esprit, en premier lieu aux coordinateurs et coordinatrices de nos ouvrages et à tous les auteurs et les autrices des livres de la collection, pour chacun de leur texte, leur manière d’écrire, nos échanges, leur engagement et le temps consacré à participer à un livre collectif dédié aux bibliothèques.
- J’adresse un salut chaleureux à l’ABF pour la renaissance de leur revue Bibliothèque(s), qui reparaît (n° 104, mai 2025), après une pause de quatre ans, et aux éditions de l’ASTED (Québec) qui travaillent à relancer leurs publications imprimées.
- Et des remerciements, aux membres du comité éditorial des Presses qui sont un soutien indispensable pour persévérer dans l’exercice, et aux collègues du service des éditions de l’Enssib dans lequel je travaille, et sa responsable, Noëlle Drognat-Landré, et à Nicolas Gary, fondateur de ActuaLitté 10, le site dédié à l’édition, au livre et à la lecture, qui a découvert la collection, l’a examinée de près puisque c’est lui qui m’avait signalé que la collection fêterait ses 30 ans l’année suivante, en 2025 ! C’est grâce à lui finalement que l’anniversaire de la collection se matérialise par cet entretien.