Les dépôts institutionnels et les archives ouvertes dans les universités et centres de recherche algériens

État des lieux et recommandations

Hakim Benoumelghar

Depuis la création de la première archive ouverte aux États-Unis en 1991 dans le domaine de la physique (arxiv.org), un foisonnement de ce type d’expériences est remarqué à travers les établissements scientifiques de tous les pays, soutenu par les partisans et les fervents défenseurs du libre accès aux publications scientifique tels Steven Arnad. Les pays du Sud ont rallié ce mouvement y compris les pays du monde arabe tels que l’Algérie. Cet article dresse un état des lieux des archives ouvertes et dépôts institutionnels mis en place dans les universités et centres de recherche algériens et les perspectives de leur développement.

Le lancement, en 1999, de l’Open Access Initiative (OAI) et du protocole de partage des métadonnées, OAI-PMH, ainsi que parallèlement la mise à disposition des plateformes de dépôt, des logiciels open source, tels que DSpace en 2002, ont permis aux bibliothèques de développer des réservoirs numériques et de jouer un rôle prépondérant dans le mouvement du libre accès, et ce, en mettant en place des archives ouvertes institutionnelles aux côtés des archives thématiques proposées par les communautés scientifiques. Durant la même année, ce sont les bibliothèques de l’université du Michigan (États-Unis) qui mettent en place OAIster, un moteur de recherche permettant d’interroger la quasi-totalité des archives actives de par le monde. En 2003, ce sont les bibliothèques de l’université de Lund, en Suède, qui ouvrent le Directory of Open Access Journals (DOAJ) suivi du Directory of Open Access Books (DOAB) et du Directory of Open Access Repositories (DOAR). L’accès libre aux publications et travaux de recherche ne cesse de s’accroître et se répandre à travers le monde.

Cet article a comme objectif de mettre la lumière sur les archives ouvertes et les dépôts institutionnels mis en place par les universités et centres de recherche algériens. Pour donner une définition au terme « archive ouverte », nous avons retenu celle de l’Inist (France) : « Le terme archive ouverte désigne un réservoir où sont déposées des données issues de la recherche scientifique et de l’enseignement et dont l’accès se veut ouvert, c’est-à-dire sans barrière. Cette ouverture est rendue possible par l’utilisation de protocoles communs qui facilitent l’accessibilité de contenus provenant de plusieurs entrepôts maintenus par différents fournisseurs de données. » 1

Pour le dépôt institutionnel, nous citerons la définition de la Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition (SPARC) formulée par Raym Crow, en 2002, comme suit : « collection numérique capturant et préservant le capital intellectuel d’une ou de plusieurs institutions universitaires » 2
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Raym CROW. « The Case for Institutional Repositories: A SPARC Position Paper », The Association of Research Libraries (ARL). 2002. En ligne : https://www.researchgate.net/publication/215993546_The_Case_for_Institutional_Repositories_A_SPARC_Position_Paper

, ajoutant qu’elle est institutionnelle et à teneur académique. Elle doit également être cumulative et perpétuelle. Enfin, les dépôts (et la collection) doivent être interopérables entre eux et ouverts aux membres de la communauté scientifique.

Cette contribution poursuit aussi le but de faire le bilan du projet ISTeMag 3

, Optimisation de l’accès à l’information scientifique et technique dans les universités du Maghreb, qui s’adresse à des institutions d’enseignement supérieur. L’objectif du projet est d’arriver, entre autres, à « définir et mettre en place une politique institutionnelle d’archives ouvertes ».

Nous nous limiterons aux établissements algériens concernés par ce projet qui sont au nombre de quatre, situés dans les villes d’Alger, Boumerdès, Batna et Tlemcen. Dans ce contexte, nos principaux objectifs sont de :

  • faire un état des lieux des archives ouvertes et des dépôts institutionnels mis en place en Algérie ;
  • relever les caractéristiques des archives ouvertes et des dépôts institutionnels algériens ;
  • proposer des stratégies de développement des dépôts institutionnels dans les universités et centres de recherche algériens.

Pour atteindre ces différents objectifs, nous nous proposons de répondre aux questions de recherche suivantes :

  • quels sont les établissements impliqués dans le processus d’implantation et de gestion des dépôts institutionnels et d’archives ouvertes en Algérie ?
  • quelles sont les principales caractéristiques des archives ouvertes et dépôts institutionnels algériens ?
  • comment les universités et centres de recherche en Algérie peuvent tirer profit de la mise en place de réservoirs numériques institutionnels ?

Afin de répondre à ces questions, nous analyserons les sites web des établissements algériens de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans l’objectif de repérer les expériences menées dans le domaine de l’accès libre aux travaux académiques produits par les communautés de ces établissements. Enfin, nous terminerons cet article par quelques réflexions et propositions pour la généralisation et la bonne gestion des dépôts institutionnels dans les universités algériennes.

Évaluation des archives ouvertes des établissements d’enseignement supérieur et de la recherche scientifique algériens

Présentation de la grille d’évaluation

Chacune de ces archives ouvertes a été étudiée selon 15 critères d’une grille d’analyse regroupés en cinq catégories comme suit :

  • information générale : 3 critères (nom, URL, pays) ;
  • information institutionnelle : 2 critères (nom de l’établissement, type de l’établissement) ;
  • identification de l’archive ouverte : 2 critères (type d’archive, nombre de documents) ;
  • Contenu et fonctionnalité : 5 critères (type de documents, spécialité couverte, langue des documents, format des documents, mode d’accès) ;
  • Politique éditoriale : 3 critères (langue de l’interface, accessibilité, logiciel utilisé).

Cette grille d’analyse a été est inspirée des études de Joachim Schöpfel et Hélène Prost (2010) sur l’évaluation des archives ouvertes en France, et de Mohamed Ben Romdhane et Tarek Ouerfelli (2012) sur les archives ouvertes dans le monde arabe et elle a ensuite été adaptée à notre corpus constitué des archives ouvertes repérées dans le portail OpenDOAR 4

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Directory of Open Access Repositories : http://www.opendoar.org/ [consulté le 17 septembre 2015].

.

Avant de rendre compte des observations relevées sur les réservoirs numériques étudiés, il y a lieu de faire la distinction entre une archive ouverte et un dépôt institutionnel, appelé également archive ouverte institutionnelle. Hélène Bosc définit une archive ouverte comme étant « un serveur dont le contenu (documents scientifiques et techniques) est accessible en ligne, librement sur le web » 5

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Hélène BOSC. « Archives ouvertes : quinze ans d’histoire », in Les Archives Ouvertes : enjeux et pratiques. Guide à l’usage des professionnels de l’information, sous la direction de Christine AUBRY et Joanna JANIK. Paris : ADBS. 2005. p. 2.

. Elle comprend « deux types de publications : des prépublications et post-publications […] Les prépublications sont des articles qui n’ont pas encore été soumis au contrôle des pairs (ou des experts). Les post-publications sont des articles qui ont été certifiés par les pairs » 6
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Ibid., p. 33.

. Quant aux dépôts institutionnels, il s’agit de « projets relevant d’universités, de grandes écoles, d’organismes de recherche, d’associations professionnelles », souligne Gabriel Gallezot 7
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Gabriel GALLEZOT. « Archives ouvertes : quinze ans d’histoire », in Les Archives Ouvertes : enjeux et pratiques. Guide à l’usage des professionnels de l’information, op. cit. p. 101.

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Résultats de l’étude

Il ressort de notre étude qu’il y a 8 archives ouvertes et 4 dépôts institutionnels (voir tableau annexe en fin d’article) mis en place dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique en Algérie appartenant à 9 universités et 3 centres de recherche (y compris les établissements pilotes du projet ISTeMag évoqué plus haut) :

  • Archives ouvertes : Université de Bouira, Université de Souk Ahras, Centre de développement des énergies renouvelables (CDER).
  • Dépôts institutionnels : Université de Boumerdès, Université de Batna, Université d’Alger, Université de Tlemcen, Université de Chlef, Université de Biskra, Centre de recherche scientifique et technique en soudage et contrôle (CSC), Centre de recherche sur l’information scientifique et technique (CERIST).

S’agissant des archives ouvertes, elles sont pluridisciplinaires dans la majorité des établissements. Concernant les dépôts institutionnels, ils regroupent une multitude de documents (communications et publications scientifiques, mémoires et thèses de postgraduation, ouvrages scientifiques et parfois revues éditées par l’établissement) dans diverses langues, en accès libre dans 9 cas, et par identification et mot de passe dans 3 cas. Les interfaces de recherche des plateformes logicielles (DSpace, WordPress ou Eprint) sur lesquelles sont mis les documents sont soit en arabe, soit en français soit en anglais. Concernant les paramètres de recherche, ils sont les suivants : collection (il s’agit du type de document : article, thèse…) ; date de parution ; auteur ; sujet.

Les documents mis en ligne sont en format PDF. L’accès à ces réservoirs est offert généralement à travers la page web de la bibliothèque principale de l’établissement ou directement sur la page d’accueil du site web de celui-ci.

À signaler que certaines plateformes d’archivage numérique demeurent vides de documents puisqu’elles ne sont pas alimentées par leurs établissements, comme celle de l’Université de Bouira.

Nos tentatives d’accéder aux sites web des établissements, objets de la présente étude, ont été vaines pour 16 établissements.

Conclusion

Nous pouvons conclure que les dépôts institutionnels et les archives ouvertes sont rares dans les institutions scientifiques algériennes puisque uniquement 8 institutions sur 86 établissements d’enseignement supérieur et 3 centres sur 15 centres et unités de recherche ont mis en place un dépôt institutionnel ou une archive ouverte, et l’accès n’est pas permis pour chacun. Pour faire la promotion du libre accès à l’information scientifique et technique, il devrait y avoir une politique nationale s’articulant sur les actions suivantes :

  • amener les établissements scientifiques algériens à suivre le mouvement général pour le libre accès en mettant en place des plateformes de dépôts et d’archivage numériques et en incitant et sensibilisant leurs communautés respectives à y contribuer et à en faire usage ;
  • multiplier les espaces de discussion tels que les colloques et les journées de vulgarisation et de promotion du libre accès, ainsi qu’un soutien technique pour la mise en place de ces réservoirs par les bibliothèques universitaires et les bibliothèques des établissements de recherche scientifique ;
  • créer des archives ouvertes disciplinaires dans tous les domaines de la science pour drainer les travaux de recherche de la communauté universitaire algérienne et les rendre visibles sur le plan international.

Bibliographie

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  • AUBRY, Christine, et Joanna JANIK. Les Archives Ouvertes : enjeux et pratiques. Guide à l’usage des professionnels de l’information. Paris : ADBS. 2005.
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Annexe

Illustration
Dépôts institutionnels et archives ouvertes dans le secteur de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique algériens en 2015 • partie 1
Illustration
Dépôts institutionnels et archives ouvertes dans le secteur de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique algériens en 2015 • partie 2