Journée professionnelle « La carte postale : petits mots, grandes collections ! »
Bibliothèque municipale de Lyon, département de la Documentation régionale et du Dépôt légal – Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture – 19 novembre 2024
Le 19 novembre 2024 s’est tenue à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu la journée professionnelle « La carte postale : petits mots, grandes collections ! », organisée par le département de la Documentation régionale et du Dépôt légal et Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture (ARALL). Plus de quatre-vingts personnes sont venues assister et réagir aux interventions et tables rondes proposées. Succédant à deux journées consacrées aux fonds photographiques, « Les photothèques numériques : collecte, diffusion et partage des mémoires locales » en 2022 et « Données à voir : les fonds photographiques au défi de la description » en 2023, cette troisième rencontre s’intéresse à un médium ambivalent : support modeste mais figurant des lieux et des objets valorisés, non cacheté et pourtant intime, issu d’une production standardisée mais ayant une forte résonance affective… Toutes choses qui font de ce petit carton annoté un objet patrimonial, où l’individu et la communauté se rejoignent. Cette journée a mis en exergue les contraintes de traitement pour les professionnels du patrimoine de cet objet de masse longtemps dédaigné et considéré comme une « non-collection » 1
Elizabeth Edwards, « Thoughts on the “Non-Collections” of the Archival Ecosystem », dans Photo-Objects, 2019, citée par Marie-Ève Bouillon lors de sa conférence.
Elle s’est ouverte par un mot d’accueil de Christelle Petit, responsable du département de la Documentation régionale et du Dépôt légal, et de Laurent Bonzon, directeur d’Auvergne-Rhône-Alpes Livres et Lecture, suivi d’une table ronde autour de la gestion, du signalement et de la diffusion des cartes postales. Animée par Emmanuelle Royon, chargée de mission Patrimoine de l’ARALL, elle rassemblait Émilie Dreyfus, responsable du service Conservation et Patrimoine à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Chambéry, Isabelle Caron, responsable du Dépôt légal imprimeur Rhône-Alpes à la Bibliothèque municipale de Lyon (BmL), Dominique Vergeade, dirigeante des éditions Pastre et Jean-François Lafay, responsable de l’iconothèque aux archives départementales de la Loire. Elle a mis en évidence la diversité des typologies de cartes postales (documentaires, touristiques, humoristiques ou encore artistiques), de leur mode d’entrée dans les collections publiques (dons, acquisitions onéreuses, collecte concertée, dépôt légal) et des pratiques de signalement et de mise en ligne, avant d’ouvrir sur les actions de valorisation auprès des publics de ce support ayant une forte dimension émotionnelle.
La matinée s’est poursuivie par une conférence de Marie-Ève Bouillon, chargée de mission photographie aux Archives nationales de France et autrice d’une thèse intitulée Naissance de l’industrie photographique. Les Neurdein, éditeurs d’imaginaires (1863-1918). Collectionnée dès son apparition, la carte postale, objet populaire, stéréotypé et industrialisé, n’a pas un unique inventeur contrairement aux mythes entourant sa naissance ; son essor simultané en divers endroits du globe répond au besoin de populations en migration à la fin du XIXe siècle. L’intervention a mis en évidence la diversité des acteurs de cette industrie, des imprimeurs de métier qui produisent des cartes de vœux en masse aux photographes adaptant leurs clichés en cartes postales, en passant par les industriels du tourisme, la production et la technique étant adaptée à la demande. L’essor de la carte postale a conduit à l’éclosion de très riches formes de sociabilité par l’image au début du XXe siècle.
Kim Timby, historienne de la photographie et enseignante à l’École du Louvre, est ensuite intervenue sur les débuts de la vente de cartes postales dans les musées français, dans les années 1900-1914. En France, les œuvres d’art comptent parmi les premiers sujets figurés sur ce support. En 1904, le catalogue de la société Neurdein propose ainsi la représentation de 600 tableaux du musée du Louvre, une variété plus étendue qu’aujourd’hui. Les éditeurs de cartes postales ont initié leur commercialisation dans les musées en obtenant l’appui du personnel en contact avec le public, les gardiens s’occupant souvent de la transaction sur laquelle ils perçoivent un pourcentage. Pour autant, en 1905, le Louvre ne propose pas de point de vente de cartes postales ; la société Braun a alors un monopole sur les reproductions photographiques des œuvres du musée et considère les cartes postales comme un médium de moindre qualité. Cette même année, le syndicat des négociants en cartes postales illustrées écrit au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts pour demander l’interdiction de la vente de cartes postales dans les musées, dénonçant notamment le rôle des gardiens, qui tiendrait de la concurrence déloyale. Mais cela n’a pas l’effet escompté, le ministère prenant la défense de ce commerce, de même que Léonce Bénédicte, conservateur en chef au musée du Luxembourg, qui y voit un vecteur de la démocratisation de l’art. En 1912, l’État confie à la société Braun l’exclusivité de la vente de cartes postales dans tous les musées nationaux, avec un personnel dédié. Ce médium bon marché, prisé par le grand public comme par les historiens de l’art, contribue à inscrire les œuvres dans la conscience collective.
Après la pause déjeuner, Bruno Mayorgas, responsable du fonds patrimonial à la médiathèque le Trente de Vienne, Lionel Mancier, administrateur de la bibliothèque numérique à la médiathèque de Tarentaize à Saint-Étienne et Mireille Servettaz, archiviste-iconographe aux archives municipales d’Annecy, ont présenté les médiations mises en œuvre autour des fonds de cartes postales qu’ils conservent. Le « quiz du patrimoine viennois » met en valeur le fonds numérisé auprès de publics ciblés, par exemple les seniors, tandis que la toute récente bibliothèque numérique patrimoniale de Vienne comprend une rubrique « la carte postale de la semaine » et des cartes postales géolocalisées sur un plan. Selon Lionel Mancier, la carte postale est une véritable passerelle intergénérationnelle, exploitable via de nombreuses médiations : puzzles, jeux des sept erreurs, avant-après juxtaposant des cartes postales anciennes et des photographies contemporaines de quartiers de Saint-Étienne… Mireille Servettaz a, quant à elle, évoqué l’exposition « Drôles de cartes postales, Annecy, les années 20-30 s’animent », portant sur les cartes à systèmes apparues au début du XXe siècle.
Puis ce fut au tour de Pauline Basso, doctorante en littérature française, et d’Adèle Godefroy, photographe, enseignante et chercheuse, d’entamer un dialogue animé par Joël Bouvier, chargé de mission à l’ARALL, sur les cartes postales réalisées par Michel Butor à partir des années 1960, à une période charnière coïncidant avec une trêve dans son activité romanesque et photographique. L’écrivain les confectionne avec des matériaux pauvres, issus de ce qu’il nomme les « poubelles de l’Occident » 2
Michel Butor, Entretiens avec Mireille Calle-Gruber, dans Les Métamorphoses Butor, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble ; Sainte-Foy, Le Griffon d’argile, 1991, p. 18.
Enfin, Renaud Epstein, professeur de sociologie à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, a évoqué les cartes postales des grands ensembles, en s’appuyant sur sa collection personnelle de 4 000 pièces, dont certaines sont publiées dans son ouvrage On est bien arrivés. Un tour de France des grands ensembles 3
Renaud Epstein, On est bien arrivés. Un tour de France des grands ensembles, Paris, Le Nouvel Attila, 2022.
David Cizeron, du département de la Documentation régionale et du Dépôt légal à la BmL, a proposé une synthèse de la journée. Les cartes postales ont souvent été considérées pour leur intérêt purement documentaire par les professionnels du patrimoine, et leurs versos longtemps négligés. La problématique « Que nous disent les cartes postales ? » pourrait elle aussi avoir un verso : « Que nous font dire les cartes postales ? ». L’histoire des individus et de leur for intérieur à laquelle s’intéressent les historiens depuis l’école des Annales nous fait regarder sous un nouveau jour cet objet de masse. Son caractère intime et sa résonance affective lui permettent de toucher tous les publics. Sa faible valeur marchande autorise une certaine irrévérence de la part des producteurs et des institutions patrimoniales, ce qui contribue à en faire des objets vivants. Si, par certains aspects, les réseaux sociaux peuvent aujourd’hui jouer le rôle qui était dévolu hier aux cartes postales, comme vecteurs d’une sociabilité rapide et accessible, une question reste en suspens : « Quels objets demain pour dire et faire dire comme les cartes postales aujourd’hui ? »