Bibliothèques et réseaux sociaux littéraires
Journée d’étude Médiadix – 14 mars 2014
La journée organisée par Médiadix traitait de la problématique de la sociabilité littéraire à l’éclairage des bouleversements inhérents au monde numérique. Les réseaux sociaux renouvellent la forme et l’intérêt des échanges centrés sur le livre. Pour les bibliothèques, c’est un nouveau champ d’action, riche en opportunités, mais aussi une remise en cause de certaines de leurs prérogatives traditionnelles.
Des pratiques en pleine évolution
Nicolas Malais a rappelé, en introduction, que la sociabilité littéraire a existé bien avant l’invention des réseaux sociaux dits littéraires et a, de longue date, représenté un enjeu fort pour les bibliothèques.
Le premier éclairage a été proposé par Walter Galvani, l’auteur d’un mémoire sur l’usage des réseaux sociaux par la BnF. La bibliothèque nationale a des réussites évidentes à présenter, comme par exemple la communauté créée autour de Gallica. Mais aussi des difficultés comme une certaine dispersion sur les réseaux avec une multiplication de comptes pas toujours très actifs. Marc Jahjah s’est ensuite intéressé plus particulièrement à l’intérêt des productions de lecteurs pour les bibliothèques. L’intérêt du grand public pour les réseaux sociaux amène les bibliothécaires à vouloir les investir sans toutefois que le projet de ces professionnels soit toujours très précis. Les enjeux économiques, d’une part, et les motivations des lecteurs producteurs de contenus, d’autre part, doivent être pris en compte par les bibliothèques qui veulent appréhender ces nouveaux terrains. Enfin, les problématiques économiques ont été développées par Louis Wiart, doctorant au LABSIC (Laboratoire des sciences de l’information et de la communication), qui a montré les différentes stratégies mises en œuvres par les réseaux sociaux littéraires, depuis les structures amateurs, pour lesquelles la principale question est la survie, jusqu’aux plateformes commerciales autonomes ou adossées à d’importantes entreprises.
Blogs perso, Libfly, Babelio, « Je ne sais pas quoi lire »
En début d’après-midi, Brigitte Chapelain a insisté sur la prolifération des blogs de lecteurs mais aussi sur leur caractère éphémère. Les intentions des blogueurs sont variables et évoluent dans le temps : depuis le blog destiné à des proches jusqu’à l’outil de recommandation professionnalisé ayant pour but d’amener à l’acte d’achat. Elle a montré comment on passe de logiques communautaires à des logiques de médiation, voire à des intentions plus commerciales.
La suite de la deuxième session a été consacrée à la présentation détaillée de trois réseaux sociaux littéraires. Babelio, présenté par Guillaume Teisseire, revendique 130 000 utilisateurs qui produisent des contenus de natures diverses : coups de cœur, sélections thématiques… Ils sont réutilisés par les 50 bibliothèques partenaires. Les participants producteurs de contenus sont de gros lecteurs qui publient très majoritairement des critiques positives. Babelio propose aux bibliothèques d’enrichir leurs catalogues avec ses contenus.
Libfly est le concurrent de Babelio. Olivier Walbecq, son directeur, a insisté sur leur travail spécifique de couverture d’évènements avec retransmission vidéo ainsi que sur les rencontres originales qu’ils organisent. Le service Libfly Pro Notis, destiné aux bibliothèques, ambitionne de les aider à se doter d’outils pour développer leur visibilité et leur attractivité. Enfin, le troisième exemple, présenté par Magali Haettiger était jenesaispasquoilire.net, le site lancé et créé par la bibliothèque de Lorient. Il est géré en direct par des bibliothécaires. Après une inscription gratuite, l’utilisateur peut interroger les bibliothécaires et obtenir des suggestions de lecture. Le site n’a, pour l’heure, pas fait l’objet d’une trop grande publicité car la nécessité d’un réel travail humain rendrait difficile une montée en charge trop importante. Magali Haettiger a d’ailleurs profité de la journée pour lancer un appel à toutes les bibliothèques qui voudraient collaborer autour du projet jenesaispasquoilire.net.
Quelques exemples en bibliothèques
Enfin la journée s’est conclue par une table ronde animée par Marie-Christine Jacquinet de la BDP 78. Elle a insisté en introduction sur les conséquences du renouvellement des pratiques professionnelles, avec la difficulté de maîtriser à la fois les nouveaux outils et les nouveaux usages en vigueur, afin de pouvoir réaliser une médiation de qualité dans le contexte numérique.
La première intervenante de la table ronde, Sophie Agié, a présenté son usage de Twitter. Elle a évoqué la coexistence de centres d’intérêt personnels et de son travail sur le même compte. Elle a montré comment l’usage de son compte a évolué dans le temps. Élodie Jolly, pour le blog À chacun sa vérité, a témoigné du caractère chronophage de ce travail. L’objectif initial était de rassembler ses critiques de livres pour ne plus recevoir les reproches de son entourage dont elle remplissait les murs Facebook. Pour faire vivre un blog de ce type, l’intérêt pour l’écriture est une nécessité mais il faut aussi consacrer du temps à répondre à des commentaires, à poster des commentaires sur d’autres sites… Elen Le Goux, responsable des services multimédias de la bibliothèque de Viroflay, a présenté l’utilisation de Babelio dans sa structure. Enfin, Quentin Rufin a évoqué l’utilisation de Facebook à la médiathèque de Suresnes. Le travail sur Facebook est particulier car il est nécessaire de produire des billets courts, percutants. La question de la validation des contenus est aussi très importante : le succès rencontré à Suresnes est lié au fait que la direction ne doive pas valider les contenus, ce qui permet aux bibliothécaires en charge du Facebook d’être réactifs. Le problème principal, là aussi, est le caractère chronophage de l’activité. En outre, Quentin Rufin a partagé ses interrogations quant à l’intérêt du grand public pour cette page Facebook. Il soupçonne, en effet que la part des professionnels dans les abonnés est importante.
En conclusion…
Tous les intervenants se sont accordés sur l’intérêt d’un usage « littéraire » des réseaux sociaux, spécialisés ou non. L’enthousiasme est palpable du côté des producteurs de contenus : qu’ils soient professionnels, gérants des plateformes spécialisées, lecteurs blogueurs ou bibliothécaires utilisateurs de Facebook et de Twitter. Pourtant l’appropriation par les bibliothèques de ces outils, plus si nouveaux, ne va pas de soi. Les usages présentés sont, à de rares exceptions près, soit expérimentaux soit limités par les moyens mis en œuvre. Cette journée nous aura laissé imaginer ce que les bibliothèques françaises pourraient faire si elles investissaient les réseaux sociaux encore plus volontairement.