Services innovants en bibliothèque : retours d’expériences, épisode 3

Journée d’étude ABF PACA – 25 novembre 2013

Laurence Tornato

C’est la troisième journée d’étude que le groupe ABF-PACA propose sur cette thématique. L’intérêt des bibliothécaires pour la question de l’innovation étant important, et ce sujet étant par essence un « work in progress », il est toujours bon de voir ce que nos collègues peuvent inventer pour renouveler leurs pratiques, attirer ou fidéliser le public…

La journée s’est partagée entre retours d’expériences de bibliothécaires et interventions de fournisseurs avec des offres commerciales « innovantes ».

Retours d’expériences : le champ des possibles

De nombreuses pistes pour innover

Christelle Di Pietro (Enssib) a débuté la journée par le « comment s’y prendre » pour réinventer la bibliothèque, une sorte d’introduction balayant les nombreux dispositifs existants pour créer. Car il s’agit bien de cela au fond : innover pour se réinventer. Elle nous a donné des pistes en rappelant qu’innover ce n’est pas (que) mettre des tablettes et des liseuses partout dans nos structures ! L’innovation se niche aussi dans les services proposés aux usagers, la relation à l’usager étant au cœur du fonctionnement de nos établissements. Quelques chiffres pour rappeler la baisse des inscrits (13,5 % en moyenne), la tendance à l’hyperconnexion des publics... et un tour d’horizon rapide du concept de troisième lieu en Europe (Idea Stores, Learning centers, Discovery centers, Library concept centers), concept que l’on commence à bien connaître notamment grâce au travail de Mathilde Servet.

Alors, quelles sont ces pistes pour innover ? Elles se trouvent à la fois du côté de la médiation (faciliter l’accès, orienter, et accueillir) et de la nature des services. Par exemple un bibliothécaire peut se déplacer dans les rayonnages avec une tablette pour informer les usagers.

L’innovation peut être également dans le renseignement et l’information donnés à l’usager : services de questions/réponses (BiblioSésame à la BPI, le Guichet du Savoir à Lyon...), opération « emprunter un bibliothécaire » (pendant une heure, un bibliothécaire se met à la disposition d’un usager pour l’accompagner dans une recherche).

L’innovation dans le service peut être aussi technologique (mise en place d’une plateforme SMS pour répondre très rapidement et simplement à des questions courtes par exemple) et dans les services à distance : innovation dans la simplification des accès aux catalogues et aux collections à distance, ou dans l’enrichissement de l’offre numérique à distance.

Enfin, on peut aussi innover en matière de formation et de création (autoformation, ateliers multimédias, salles de répétitions pour les groupes…), mais aussi en éditorialisant nos collections, leurs contenus : le bibliothécaire devient alors journaliste de ses collections.

Droits d’auteurs et dissémination des savoirs en bibliothèque : faire sauter les verrous

Thomas Fourmeux nous a présenté le principe de dissémination appliqué aux bibliothèques : rendre la bibliothèque présente là où elle ne l’est généralement pas (du côté des jeux vidéos), mais aussi du prêt de liseuses ou de tablettes… et ce, malgré une législation pas toujours arrêtée ou favorable à ces usages collectifs.

Les obstacles

S’agissant des jeux vidéos, l’intervenant a soulevé la question du droit, préférant le terme de « flou juridique » à celui de « vide juridique ». Est-il légal de proposer du jeu vidéo dans nos structures ? Il n’y a en effet pas de cadre légal pour un usage collectif, le jeu vidéo étant en général réservé à un usage personnel non commercial.

Quant aux livres numériques, des plateformes existent, accessibles aux bibliothèques mais les fameux DRM (Digital Rights Management, verrous empêchant la copie ou le partage) limitent notre marge de manœuvre. Les divers formats non compatibles avec toutes les machines (problème d’interopérabilité) freinent également l’expansion de ces usages dans nos structures. En outre, les formules proposées aux bibliothèques ne permettent pas d’être propriétaire des fichiers, les fournisseurs ne nous donnant que des licences d’accès aux fichiers (généralement limitées). La question des DRM est épineuse : pour preuve, le courageux amendement Attard qui préconisait une TVA plus forte sur les livres numériques avec DRM (19,5 % contre 5,5 %) a été finalement retiré par le gouvernement.

Malgré tous ces obstacles, l’intervenant nous a incité à aller au-delà et à prêter des livres numériques, et à proposer du jeu vidéo, en essayant de concilier droits d’auteur et diffusion de l’information. De fait, de nombreux établissements développent actuellement des pratiques en dehors d’un cadre légal (absent ou contourné), dans un flou juridique.

Enclosure et copy party

Thomas Fourmeux est aussi membre de SavoirsCom1, un collectif dénonçant les phénomènes d’enclosure, et visant à défendre le domaine public. À ce titre il a abordé le phénomène de la prolongation de la durée des droits d’auteur au-delà du cadre prévu par le législateur, alors que les œuvres sont tombées dans le domaine public. Il a incité l’auditoire à organiser des copy parties en bibliothèques : copier des œuvres tombées dans le domaine public, ce que le code de la propriété intellectuelle permet à partir d’un service licite, la copie devant être à l’usage unique du copiste.

Pour en apprendre d’avantage sur la question, on peut consulter le site biblionumericus.

L’expérience d’un « applithécaire »

Dans une deuxième intervention, il nous a fait partager son expérience d’applithécaire à Aulnay-sous-Bois. Cette bibliothèque a choisi de s’équiper en iPad, support prisé par les jeunes et qui permet d’accéder à un vaste choix d’applications. Il préconise de prendre le temps de tester les applis avant de les faire découvrir aux collègues, puis de les proposer aux usagers lors d’ateliers. Il nous a donné des outils pour nous guider dans le choix des applis et partager nos expériences : veille de Diigo, Scoop-it spécial tablettes et liseuses, blog, forum Agorabib…

La piratebox

Enfin, il nous a présenté une étonnante petite boîte : la piratebox. Le principe est assez simple : il s’agit d’un dispositif électronique nomade, comprenant un routeur wifi et une clef USB ou un disque dur externe. Le tout génère son propre réseau sans fil à travers lequel on dépose ou récupère des fichiers de manière anonyme et gratuite. Couplée à un cloud type dropbox, elle permet de stocker de nombreux fichiers. Ce dispositif permet de partager librement des œuvres du domaine public, logiciels libres, documents libres (Creative Commons, art libre), des fichiers nous appartenant… Ainsi, livres numériques, images, musique, vidéos, documents… – le tout libre de droits bien sûr – peuvent se partager. Mise en scène dans une structure, la piratebox participe à renouveler l’image de la bibliothèque et à enrichir son offre. En sélectionnant le contenu de cette boîte, le bibliothécaire est dans son rôle de passeur de culture.

Jeux vidéos

Dernier intervenant pour les bibliothèques, Julien Devriendt, de la médiathèque de la ville des Ulis, est venu défendre les jeux vidéos en bibliothèque dans un plaidoyer pour le gaming qui a sans doute convaincu les derniers réfractaires à l’entrée du jeu vidéo dans les bibliothèques.

Non, le jeu vidéo n’est pas l’apanage d’un joueur type qui serait ado, masculin, monomaniaque et compulsif. La moyenne d’âge du joueur est de 35 ans, et 42 % des femmes jouent ! De plus, le joueur s’intéresse aussi à tout ce qui découle du video game : comics, romans, musique…

Sur la question du prêt, Julien Devriendt partage le point de vue de Thomas Fourmeux : c’est le flou juridique, il faut donc l’accord des éditeurs, et mieux vaut passer par les fournisseurs spécialisés (CVS, Circle, Colaco…). Pour mettre en place du jeu en bibliothèque, il faut comme pour tout projet définir des objectifs, bien choisir le type de jeu proposé (narration, stratégie, interraction), et cibler le jeu le plus adapté à son projet. Enfin, il est impératif de jouer, former ses collègues, et tester les jeux ; car on ne transmet bien que ce que l’on connaît bien.

Fan art, ateliers d’écriture, de BD, création de jeux (Gamesalad), films à partir de jeux (machinimas), contribution au Wikipedia des pokemons (Pokepedia), création des mondes avec Minecraft… L’univers du jeu est vaste et permet de mettre en place une grande variété d’ateliers.

Les Fablabs

Enfin, pour aller au-delà des classiques ateliers web, bureautique, courriel… qui sont généralement bien rodés dans nos équipements, il y a le Fablab. Le Fablab (Fabrication Laboratory) repose sur le principe de partage des connaissances et a un fonctionnement de type transversal, contrairement aux ateliers de bureautique ou d’internet classiques où l’information/la formation est donnée de manière verticale. C’est un libre espace de pratiques numériques où l’on peut tester, fabriquer… selon le principe du do it yourself. Il n’y a pas de hiérarchie des usages, on peut se tromper, et l’on y partage (réseau P2P). Il faudra acquérir un peu de matériel pour fabriquer : on peut s’équiper d’une imprimante 3D, d’une découpeuse laser ou vinyle, de cartes de programmation…

Si le concept est américain (le MIT, Massachussets Institute of Technology, en est à l’origine), il se développe en France : à Martigues, ou encore à Quimperlé, où des espaces de pratiques numériques sont proposés aux usagers.

Les services innovants du côté des prestataires

Du côté des fournisseurs, Vincent Marty, DG de la société Dilicom, et Cédric Claquin, chef de projet chez 1DTouch, ont présenté leurs offres de service dématérialisées pour les collectivités.

PNB : prêt numérique en bibliothèque

Dilicom a développé le projet PNB – prêt numérique en bibliothèque –avec le soutien du CNL.

Ce système permet aux bibliothèques de mettre à disposition de leurs usagers des offres de lecture numérique.

Les bibliothèques achètent les livres numériques auprès du libraire de leur choix adhérant au projet PNB. Ces livres sont sous forme de fichiers avec un DRM limitant l’installation du fichier à cinq fois. Le prix est celui de la version brochée du titre, et l’on peut généralement prêter l’ouvrage 50 fois au maximum pour une période de deux ans. Il n’y a pas de bouquet clefs en main, les bibliothèques construisent leur catalogue numérique en sélectionnant les titres dans le catalogue de PNB.

La formule reste coûteuse pour les bibliothèques et les échanges suite à la présentation de PNB ont mis l’accent sur les freins au déploiement des offres numériques en lecture publique : DRM, coût au titre onéreux… Il faut tout de même saluer l’initiative de ce projet permettant d’accéder à plusieurs catalogues d’éditeurs et qui est à suivre de près par les bibliothèques. Le projet était encore dans une phase pilote en novembre dernier avec quelques libraires et institutions affiliés.

1Dtouch

L’autre offre proposée est celle de 1Dtouch présentée sur le programme de la journée comme « la première plateforme de musique en streaming équitable gérée par des producteurs et créateurs indépendants ».

Cette toute jeune société coopérative (elle a démarré en juin 2013) regroupait 250 labels indépendants au départ et 386 aujourd’hui. Elle se veut à la fois site de vente et laboratoire. Selon Vincent Marty, les sites comme Spotify ou Deezer sont des modèles économiques qui conviennent bien aux majors et peu aux petits labels, car il faut atteindre le million d’écoutes pour avoir une rémunération correcte. 1Dtouch se présente comme un modèle économique vertueux (concept de « contribution créative territoriale »), visant à rémunérer correctement les acteurs des petits labels, tout en mettant leurs créations originales en avant.

Outre le soutien à la production des petits labels, le bibliothécaire peut choisir ce qu’il va mettre en avant dans l’offre à ses usagers, par exemple des artistes régionaux.

L’accès à la plateforme se fait depuis tous les supports (PC, smartphone, tablette…, et l’on découvre alors une offre de 40 000 titres, qui reste certes très en deçà de l’offre des grosses plateformes, mais permet le soutien et la valorisation de la production indépendante.

Aujourd’hui, la BM de Lyon et son réseau expérimentent la formule, reste à les inviter lors de la prochaine journée d’étude sur le thème pour avoir un retour d’expérience !