La numérisation concertée en littérature pour la jeunesse 2013

Journée des pôles associés et de la coopération – 7 novembre 2013

Bérénice Waty

« La numérisation concertée en littérature pour la jeunesse 2013 », journée d’information et d’échange organisée le 7 novembre 2013 par la BnF (département de la Coopération, département Littérature et arts), le Centre national de la littérature pour la jeunesse et la Médiathèque du carré Saint-Lazare, a permis d’annoncer le lancement très prochain d’un programme national de numérisation et de valorisation concertées portant exclusivement sur la littérature de jeunesse. Le mot d’ordre était l’envie et on soulignait le parti pris jeunesse inédit : « Numérisation, patrimoine, jeunesse : trois termes qu’il y a quelques années personne n’aurait pensé à réunir », lançait Jacqueline Sanson, avant d’être rejointe dans son constat par Viviane Ezratty qui remarquait, non sans émotion, qu’« on ne pensait pas voir arriver ça de notre vivant professionnel […]. On retrouve l’esprit des créatrices de l’Heure joyeuse ».

Appel à projets 2014

Après le patrimoine juridique, l’histoire de l’art, la Grande Guerre qui ont bénéficié d’un programme de numérisation de grande ampleur et rencontré un vrai succès en termes de mutualisation des documents, ce sont les collections jeunesse que le monde des bibliothécaires souhaite mettre à l’honneur, en procédant à un appel à projets au premier semestre 2014. Les raisons en sont multiples : donner accès à ce patrimoine méconnu, parfois minoré, toujours source de découvertes ; proposer un fonds qui, quantitativement, doit représenter une masse cohérente et variée, à l’image de la polysémie créatrice de cette littérature ; dépasser la logique institutionnelle de conservation des documents au profit d’une nécessité documentaire, scientifique et propre aux usagers (quels qu’ils soient… de service public donc) ; mettre à disposition des chercheurs des matériaux nouveaux dans une approche de libre accès et de gratuité ; rendre accessibles des documents fragiles (le papier acide de la bande dessinée, les principes de conservation préventive) ; inventer une nouvelle forme de libre accès pour ces trésors. L’action portant sur la littérature de jeunesse vise des publics diversifiés : famille, éducateur, enfant, mais aussi scientifique, curieux et/ou nostalgique de leur enfance.

Numérisation et dématérialisation

L’état des lieux actuel, retracé permet de constater que si l’offre de littérature jeunesse existe, elle est trop disséminée dans les collections (« il y en a partout, on a du mal à s’y repérer », Martine Planche, BnF), sous différents formats ou types de document (roman, périodique, affiche, partition, etc.), ce qui a pour effet d’invalider une évaluation précise du nombre de volumes concernés. Certaines actions, lancées dès 2007, comme les projets « Abécédaire » ou « Enfantina », ont associé des chercheurs au processus et sont fortes de beaux succès, mais trop sporadiques. Mais surtout, depuis, la technologie de la numérisation offre de nouvelles potentialités d’usages et de procédés (en couleurs, et non simplement en noir et blanc par exemple). Des partenaires privilégiés de la BnF étaient là pour revenir sur d’autres expériences, à l’image de L’Heure joyeuse (Hélène Valloteau). Cette intervention a montré avec justesse la nature des manipulations nombreuses, limites fastidieuses, et très techniques, pour parvenir à préparer des trains de numérisation. Elle a énuméré les principales actions à engager : sélectionner ; faire des listes ; vérifier la problématique de droits (auteurs morts, libres de droit, regarder s’ils figuraient sur Gallica) ; compter les pages (ce qui a un effet sur les vues numérisées ; les serpentes qui protègent les gravures se comptent) ; faire les constats d’état ; caler et mettre en caisses ; constats d’état au retour  1… et même repasser des livrets en tissu ! Son « Retours sur expérience » démontrait que la numérisation et la dématérialisation impliquent avant tout un investissement physique.

Les attentes de la BnF et de leurs futurs partenaires ont été dessinées par plusieurs contributions : volonté d’être exhaustif et de tout numériser ; nécessité de travailler en concertation ; obligation de profiter des avancées techniques pour offrir une consultation adaptée à tous les formats (tablettes, téléphones intelligents et ordinateurs, en formats Flash, HTML ou XML), avec toutes les potentialités possibles (zoomer, feuilleter, insérer dans un autre cadre, rechercher en plein texte OCR, importer sur les réseaux sociaux, etc.) ; importance de développer des médiations pertinentes, fidèles au (vaste) champ des possibles proposé par le numérique, bien au-delà d’une valorisation trop académique. À ce sujet, retenons l’intervention séduisante de Louis Jaubertie et Hasmig Chahinian : avec les développements offerts par les bornes Pinterest, les blogs, les albums Facebook et, plus globalement, la généralisation des outils de partage et la mobilisation de la communauté des « Gallicanautes », prompts à s’approprier de tels nouveaux outils et matériaux, les médiations pourront se décliner à foison et permettront d’accroître la visibilité de ces fonds.

Fédérer les ressources

Quelques présentations ou échanges avec la salle témoignaient d’attentes réelles, parfois contradictoires, notamment entre les chercheurs et les bibliothécaires : les premiers voudraient accéder à des ouvrages peu connus, mineurs, « même moches » (Cécile Boulaire  2), pour savoir ce que les enfants ont pu lire dans le temps ; les seconds développeraient des considérations divergentes. Autre source d’expectative : quelle mobilisation des bibliothèques ? N’y aura-t-il pas une appréhension, une timidité, à soumettre un projet autour d’un nombre restreint de documents, notamment de la part de petites structures en lecture publique ? L’encouragement pour que ces dernières se manifestent a été très soutenu, à plusieurs moments de la journée : quelle que soit la taille du corpus, l’effet de complémentarité jouera toujours et leur valeur ajoutée sera indéniable. La BnF, avec une dizaine d’intervenants (soit la moitié des contributeurs), issus de services différents, s’est mobilisée fortement pour sensibiliser le public présent  3 (et celui qui aura le relais de l’information) et parer à ces craintes. Les fédérations de ressources permettent d’exister tant dans la densité folle de la Toile que dans la masse des documents numérisés, le tout dans une logique de signalement avec des métadonnées de qualité, ainsi qu’avec une visibilité des critères de sélection. On pourra citer une trentaine de Robinsonades réunies et numérisées à l’Alcazar de Marseille, pour une exposition spécifique, puis utilisées pour des jeux numériques, avant d’être (ré)employées dans le cadre de « Marseille 2013 ».

Valoriser les collections

À plusieurs reprises, contributeurs, modérateurs et/ou public de la salle paraissaient galvanisés par tout ce qu’il sera possible de développer pour montrer et valoriser ce patrimoine, et, en même temps, dans un certain questionnement quant à savoir comment tout cela sera techniquement possible, comment leurs pratiques de professionnels au quotidien vont évoluer (heures du conte numérique, développement du jeu au milieu de la lecture, sonorisation d’albums).

S’ajoute à cela l’enjeu véritable qui réside dans la valorisation : à l’image de la présentation enthousiaste de la bibliothèque municipale de Versailles (Sophie Danis) qui évoquait l’avenir avec des « souhaits… des rêves », alors que la Bibliothèque numérique des enfants ou le service de l’action pédagogique de la BnF (Nathalie Ryser et Lucile Trunel) détaillaient les expositions virtuelles, le « jeu de l’oie des livres », qui existent déjà et qui dépassent les attentes formulées par le personnel versaillais. Il ne s’agit pas tant de numériser… Non : le plus délicat, ce sont l’indexation, la visibilité, l’existence sur la Toile. Il faut penser structuration en fonction des usages et non d’un type de public, et laisser tous les usagers s’approprier ces outils pour devenir les autres partenaires ou acteurs de cet appel à projets.

En conclusion, vous voilà donc prévenu(e)s : sortez de votre réserve pour dénicher quelques chefs-d’œuvre inédits en littérature de jeunesse et misez sur ce programme national de numérisation pour faire découvrir autrement la richesse de vos fonds et de vos métiers. Et comme le souligne Jacques Vidal-Naquet dans ses quelques mots de fin (bel exercice) : « Il n’y a pas de projet plus ou moins intéressant […]. Osez proposer tous les projets quelle que soit leur taille […]. Rêvons ! »