* Les références bibliographiques mentionnées entre crochets sont regroupées en fin d’article.
À l’université de Bourgogne, la formation des étudiants aux outils documentaires est proposée sous différentes formules : des formations formelles en groupe via des ateliers spécifiques, des formations programmées avec les enseignants, un programme tutoré mis en place en septembre, des rendez-vous individuels, ainsi que des tutoriels (animations et vidéos) disponibles sur le portail du Pôle documentation. Elle concerne aussi bien les outils spécifiques de l’établissement que des outils génériques utiles pour la recherche documentaire (logiciels de gestion bibliographique, portails des BU, structuration de documents longs sur un traitement de texte, etc.) et des enseignements de recherche documentaire, dont des actions de sensibilisation au plagiat. Accessible à tous les étudiants, les formations sont réalisées dans les locaux du Pôle documentation des différents sites territoriaux de l’université de Bourgogne. Ainsi à titre d’exemple, durant l’année 2015-2016, 4 769 étudiants ont bénéficié des formations organisées par le Pôle documentation (dont 2 188 dans le cadre du tutorat de rentrée contenant une première prise de contact avec les services des bibliothèques, et certains dans le cadre de formations programmées par les enseignants ou les diplômes en étant parfois adossées à un dispositif pérenne comme l’UE Initiation à la recherche).
Dans le cadre d’une enquête de l’université de Bourgogne réalisée en 2016 sur les usages du numérique 1, 1 955 étudiants ont répondu à de multiples questionnements dont certains portaient sur les formations offertes par le Pôle documentation de l’établissement 2. À partir de ces informations, il est possible d’étudier si le recours à ces formations diffère selon la nature des études universitaires, le genre ou encore le travail salarié en cours d’études. Les résultats bruts de l’enquête utilisés dans cet article doivent être lus avec prudence compte tenu des biais de représentativité (surreprésentation des femmes parmi les répondants, sous-représentation du site dijonnais et surreprésentativité de certaines filières). Mais surtout, il est nécessaire de recourir à l’analyse multivariée 3 pour dégager des facteurs explicatifs concernant le recours aux formations du SCD par les étudiants. En effet, ce type d’analyse permet d’apprécier le poids respectif de chacun de ces facteurs de manière simultanée. Les effets nets de chacune des caractéristiques étudiantes – « les autres caractéristiques étant égales par ailleurs » – sont ainsi estimés à partir de régressions logistiques 4, qui expriment les probabilités du recours aux formations du SCD selon le genre, le statut de l’étudiant, la filière et le niveau de formation. Ainsi on détermine par exemple le pourcentage de possibilités qu’un étudiant s’inscrive aux formations du SCD, selon qu’il est une femme ou un homme, quelles que soient son origine sociale et sa filière de formation. Cette perspective ne s’inscrit pas dans une logique de production d’indicateurs sur la fréquentation étudiante. Elle permet même de dépasser une vision s’appuyant sur l’utilisation des taux de recours des étudiants aux formations du SCD (exemple : pourcentage d’étudiants s’inscrivant en formation). En fait, adopter une telle démarche d’analyse permet de mieux étudier les profils des étudiants par rapport aux formations offertes par le SCD en apportant un éclairage sur leurs pratiques.
Dans cette enquête, 86 % des étudiants se déclarent satisfaits des formations documentaires proposées par les BU de l’université de Bourgogne. Ce fort taux de satisfaction renvoie aux constats établis en interne par le Pôle documentation à travers les enquêtes de satisfaction réalisées à l’issue de chaque formation, puisque 98 % des étudiants répondants se déclarent satisfaits. Il s’explique notamment par le format des formations : courtes et très personnalisées (groupes restreints à huit personnes, ou formation individuelle en lien avec le sujet de l’étudiant). Mais ce fort taux de satisfaction ne doit pas faire oublier l’un des enseignements de cette enquête, à savoir la faible connaissance des étudiants de ces formations aux outils documentaires combinée à une faible inscription même lorsqu’ils savent qu’elles existent. En effet, seuls 26 % des étudiants connaissent ces formations et parmi ces derniers seuls 27 % en ont déjà bénéficié, si bien qu’il est possible d’estimer à 7 % la proportion d’étudiants impactés parmi l’ensemble des répondants à cette enquête.
Au-delà des aspects liés à la communication de l’information sur ces formations, la faible participation des étudiants ne peut pas être imputée à des capacités d’accueil insuffisantes, étant adaptées en fonction de la demande étudiante (thématiques et nombre de formations et groupes). C’est sans doute bien plus la forte conviction des étudiants concernant leurs compétences documentaires, et leur faible adhésion sur l’utilité des formations à la recherche documentaire pour leur réussite académique [Perret, 2013] qui doivent être questionnées, alors même que la capacité à se documenter de manière autonome apparaît importante pour réussir [Coulon, 1999], et qu’elle peut même être présentée par les enseignants comme une condition pour réussir [Boyer et Coridian, 2002]. Nombre de travaux soulignent la faiblesse des compétences des étudiants en termes de méthodologie documentaire lors de l’entrée à l’université [Mittermeyer et Quirion, 2003 ; Thirion et Pochet, 2008 ; Perret, 2013], mais qu’en est-il actuellement avec les réformes initiées au collège et au lycée pour les nouveaux publics ? Quels sont les outils déjà familiers aux étudiants avant leur entrée à l’université ? Soulignons que 98 % des étudiants de l’enquête estiment ne pas avoir de besoins en formations documentaires lorsqu’ils sont interrogés dans l’optique de formations non actuellement proposées. Mais encore quel rôle dédier aux enseignants pour inciter les étudiants en carence de compétences à s’engager dans des formations aux outils documentaires ? En effet, n’oublions pas qu’au-delà du « flou pédagogique » [Oberti, 1995] pouvant être entretenu par les enseignants peu explicites quant aux pratiques de travail à mettre en œuvre pour réussir [Boyer et Coridian, 2002], les pratiques pédagogiques des étudiants peuvent exercer une influence sur les motivations des étudiants et sur les manières d’étudier [Duguet, 2014]. Dans ce cadre, les sollicitations diverses des enseignants via des devoirs ou des travaux ont des effets sur la nature du recours aux services des bibliothèques universitaires [Maresca et al., 2005 ; Perret, 2013]. Ne pourraient-elles pas aussi être un facteur incitatif de l’inscription en formation documentaire des étudiants ?
Au-delà de ce constat général, les étudiants en formation continue apparaissent peu informés des formations aux outils documentaires, puisque seulement 12 % savent qu’elles existent au sein de l’université de Bourgogne. Que dire alors pour les étudiants qui occupent un emploi rémunéré, sachant que depuis deux décennies environ un jeune sur deux travaille durant ses études, même si ces emplois recouvrent des réalités très différentes notamment selon l’âge et les filières [Gruel et Tiphaine, 2004] ? En effet, le temps que ces étudiants peuvent consacrer à leur travail personnel autonome apparaît d’emblée restreint par le travail salarié [Béduwé et Giret, 2016]. En fait, les résultats de notre enquête montrent que les étudiants salariés sont plus informés des formations aux outils numériques que les étudiants non salariés (31 % versus 25 %) et y ont également plus participé (29 % versus 26 %), si bien que l’estimation de la proportion de ces étudiants touchés par les formations du SCD s’élève à 9 %, contre 6 % pour les autres étudiants. Alors que les travaux sur la réussite étudiante montrent le risque d’échec important lorsque l’activité rémunérée entre en concurrence avec les études [Gruel, 2002 ; Michaut, 2012], les différentes disponibilités des étudiants entrant en concurrence, les spécificités des étudiants salariés dans cette enquête tendent à suggérer des pratiques différentes. Ce constat apparaît en adéquation avec les récents travaux de Béduwé, Berthaud et Giret (2016) qui soulignent l’existence de pratiques d’études plus autonomes pour les étudiants salariés.
L’un des enseignements de cette enquête concerne les différences entre les sites territoriaux puisque dans les sites délocalisés, les étudiants sont moins informés des formations aux outils documentaires (13 % des étudiants contre 29 %). En revanche, lorsqu’ils les connaissent, ils ont plus fréquemment eu l’occasion d’en bénéficier (37 % versus 25 %). Ces différences territoriales font écho à des différences selon les types et filières de formations, les formations universitaires professionnelles courtes ou les écoles étant plus massivement implantées dans ces sites délocalisés que les formations universitaires généralistes de niveau licence et les masters. En effet, ce sont les étudiants des filières professionnelles courtes et ceux des écoles et instituts qui sont le moins fréquemment informés de l’existence de ces formations aux outils documentaires (respectivement 21 % et 17 %) contrairement aux étudiants de doctorat (53 %), de licences généralistes (45 %) et de masters (39 %). Concernant les filières, relevons des différences marquées entre les composantes, les étudiants des UFR étant plus fréquemment informés de telles formations (excepté en sciences et techniques) que ceux des instituts et écoles (59 % versus 17 %). S’intégrant pleinement dans le travail autonome des étudiants (hors participation aux cours), le recours à ces formations par les étudiants ne peut-il pas être lui aussi mis en regard avec certains constats sur le travail personnel des étudiants pour leurs études, en dehors du travail académique proprement dit ? Le caractère genré des pratiques étudiantes n’est plus à démontrer, les filles ayant des pratiques plus studieuses. Elles se traduisent dans cette enquête par une meilleure information concernant les formations aux outils documentaires (28 % pour 23 % des hommes) et par une adhésion importante (28 % pour 25 % des hommes). Mais en fait, ces différences entre femmes et hommes sont avant tout liées à des pratiques différentes selon les filières de formation, sachant que certaines filières/composantes sont plus féminines que d’autres (les résultats des modélisations économétriques ne mettant pas en évidence des effets liés au genre).
Le recours à l’analyse multivariée à l’aide d’une modélisation de type logistique permet de mieux cerner les effets de chacune des dimensions en éliminant les aspects liés aux répartitions différenciés des étudiants. Ainsi, la connaissance des formations aux aides documentaires est 2,7 fois plus importante en doctorat qu’en licence, 1,5 fois plus importante dans les formations professionnelles courtes et 1,3 fois plus importante en master. Si les étudiants en formation initiale sont 2,1 fois mieux informés que les étudiants en formation continue, les étudiants exerçant une activité salariée durant leurs études sont également 1,3 fois mieux informés que les non salariés. Les effets des contextes d’études sont confirmés : ceux liés aux sites territoriaux sont importants (les étudiants du site dijonnais étant 1,7 fois mieux informés que les autres), comme ceux ayant trait aux composantes (les étudiants des UFR ayant 3,3 fois plus de chances que ceux des instituts et écoles de connaître les formations du SCD).
En suivant cette même logique de modélisation, cette fois-ci appliquée au fait de suivre des formations proposées par le SCD, un nouvel éclairage est établi, puisque les effets liés au contexte d’études sont différents. En effet, lorsqu’ils sont informés de l’existence de ces formations, les étudiants des sites délocalisés ont 2,3 fois plus de chances de les suivre que les étudiants du site dijonnais. Cet effet territorial est à rapprocher du fait que les enseignants sont souvent associés à la création des formations ou des ateliers, en lien avec les enseignements que ceux-ci dispensent. Les enseignants en informent directement les étudiants, ce qui apparaît comme le meilleur moyen de faire venir les étudiants à la bibliothèque. Peu d’autres différences transparaissent entre les étudiants quant à leur probabilité de suivre ces formations lorsqu’ils en connaissent l’existence, exception faite du recours plus fréquent des doctorants (4,3 fois plus bénéficiaires que les autres étudiants, à caractéristiques égales par ailleurs).
Pour conclure, il n’est pas inutile de préciser que cette étude comporte des limites, puisqu’elle s’appuie sur les déclarations des étudiants et sur un échantillon non exhaustif. Mais notre approche souligne des pratiques différenciées dans le recours aux formations du SCD selon le contexte d’enseignement, et en pointant des différences selon le niveau de formation à l’image des travaux sur les fréquentations des bibliothèques universitaires de Paivendi (2011). Les constats sur les différences de comportement des étudiants entre sites et plus précisément pour les sites délocalisés ne sont pas à négliger. Ils interrogent autant sur l’existence des pratiques d’étude des étudiants, différentes entre sites, que sur l’existence de pratiques d’enseignement variées entre les enseignants et enseignants-chercheurs eu égard au site dans lesquels ils enseignent. Retenons qu’en pointant une homogénéité du recours aux formations documentaires par les étudiants et les étudiantes, les résultats de cette étude viennent ici à l’encontre des résultats mettant en avant des pratiques différenciées selon le genre, alors même qu’il existe des pratiques différenciées dans l’utilisation des services numériques offerts par le SCD par ces mêmes étudiants. C’est ici un constat qui vient interroger sur les facteurs expliquant l’investissement des étudiants dans leurs études via la formation documentaire. Retenons également que cette étude montre un nouvel aspect des spécificités des pratiques des étudiants exerçant un travail salarié. En effet, ces derniers accèdent non seulement de manière plus importante aux services numériques offerts par le Pôle documentation, mais ils sont également plus informés de l’existence des formations offertes par le SCD.
Bibliographie
Béduwé C., Berthaud J., Giret J.-F. et Solaux G. (2016). « Travailler tout au long de ses études : comment l’activité salariée structure-t-elle les parcours d’études dans l’enseignement supérieur ? », in M. Baslé, N. Beaupère, C. Guéguen, S. Issehnane, F. Moizeau et al. (dir.), Les transitions professionnelles tout au long de la vie. Nouveaux regards, nouveaux sens, nouvelles temporalités ?, Céreq Échanges, n° 1, p. 333-345.
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Maresca B., Dupuy C. et Cazenave A. (2005), Enquête sur les pratiques documentaires des étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) et de l’Université Denis Diderot (Paris 7), Paris : Crédoc, http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R238.pdf (consultation : 6 janvier 2012).
Michaut C. et Roche M., 2017, « L’influence des usages numériques des étudiants sur la réussite universitaire », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [en ligne], 33-1 | 2017, mis en ligne le 6 mars 2017. http://ripes.revues.org/1171
Michaut C. (2012), « Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur français : quarante ans de recherche », in M. Romainville et C. Michaut (éd.), Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur, Bruxelles : De Boeck, p. 53-68.
Mittermeyer D. et Quirion D. (2003), Étude sur les connaissances en recherche documentaire des étudiants entrant au 1er cycle dans les universités québécoises, Montréal : Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec.
Oberti M. (1995), « Les étudiants et leurs études », in O. Galland (éd.), Le monde des étudiants, Paris : PUF, p. 23-54.
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Notes
1. 1. Voir la contribution de Cathy Perret et Alexandre Fournier, « Le recours aux services numériques du SCD par les étudiants. Le cas de l’université de Bourgogne », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 13 juillet 2018. En ligne : http://bbf.enssib.fr/contributions/le-recours-aux-services-numeriques-du-scd-par-les-etudiants
2.2. Le taux de réponse à cette enquête s’élève à près de 7 %, ce qui peut apparaître a priori faible, mais il apparaît relativement conforme à d’autres enquêtes menées auprès des étudiants sur cette thématique [Michaud et Roche, 2017 ; Sylvestre, 2008].
3. 3. Les analyses multivariées regroupent un ensemble de méthodes statistiques permettant l’analyse d’un phénomène par l’étude des relations entre deux et plusieurs variables.
4. 4. Ces types de modélisations statistiques sont utilisés pour comprendre des phénomènes mesurés par des réponses non numériques (c’est-à-dire qualitatives) lors de réponses à une enquête, par exemple lorsque les enquêtés répondent oui ou non à une question.