La bibliothèque de l’Insee

Une institution unique en son genre

Laure Collignon

Véronique Ardouin

Article publié dans le BBF n° 12 de juillet 2017

En 1951, Adrien Caro, chef du service central de la Documentation à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pointe les missions et l’efficacité du service nouvellement créé dans les locaux du quai Branly, arguant que la documentation « est une matière première pour l’étude et c’est dans cet ordre d’idée qu’à l’Institut elle est prospectée, commandée, reçue, dépouillée, cotée, fichée, répartie et enfin classée. [Le service central est] une plate-forme de départ de la chaîne des travaux des secteurs d’études  1 ». Il décrit un point névralgique, bouillonnant au cœur de l’Institut.

En 1979, le visiteur des magasins de la bibliothèque de l’Insee, au deuxième sous-sol du site de la porte de Vanves, est accueilli par le ballet des magasiniers, des chariots et des fiches entre les sous-sols et la salle de lecture, mais aussi par le chant des oiseaux dont la cage est installée à l’entrée des lieux, sous un puits de lumière  2. L’équipe s’active pour servir les lecteurs tout en assurant la mise en place des premiers rudiments de préservation d’une collection multiforme.

En 1994, dans les pages du BBF, Michel Yvon, responsable de la bibliothèque, rappelle l’entrée précoce de l’institution dans l’univers des technologies alors nouvelles, informatisation (base SCRIB dès 1982, lancement de la rétroconversion) et services qui en découlent  3.

En 2015, l’exposition « Edmond Malinvaud, portrait d’un économiste d’exception », directeur général de l’Insee de 1974 à 1987, marque l’entrée de la bibliothèque personnelle de l’économiste  4 dans les collections. Le don de cet ensemble de près de 600 ouvrages, dont certains dédicacés ou annotés, ouvre la voie à une politique de valorisation active du patrimoine exceptionnel de la bibliothèque.

Organisation, conservation, innovation et valorisation ? Quatre facettes d’une même institution, quatre étapes d’une histoire, celle de la bibliothèque de l’Insee, qu’il est bon de rappeler alors qu’elle se prépare à un bouleversement majeur : le déménagement, courant 2018, du site de la porte de Vanves, dont l’Insee avait pris possession en 1975, vers Montrouge et un bâtiment entièrement neuf.

Organisation : structuration et missions

Fondé en 1946 sous le nom d’« Institut national de la statistique et des études économiques pour la métropole et la France d’outre-mer », l’Insee est issu de la fusion du Service national des statistiques (SNS) avec les services d’études économiques et de documentation du ministère de l’Économie nationale.

Le SNS, créé en 1941, était lui-même issu de la fusion de l’ancienne Statistique générale de la France (SGF) avec le Service d’observation économique (1937), l’Institut de conjoncture (1938) et le Service de la démographie (1940).

L’histoire de la SGF, quant à elle, remonte à 1800, lorsqu’un bureau de statistique a été créé au ministère de l’Intérieur ; ce bureau, devenu direction en 1806, est supprimé en 1812, mais un bureau de statistique générale est créé au ministère du commerce en 1833, bureau qui a pris en 1840 le nom qu’il gardera pendant un siècle : « Statistique générale de la France ». Le service est rattaché en 1906 au ministère du Travail, puis à la présidence du Conseil de 1930 à 1936, avant de devenir un service du ministère de l’Économie nationale.

L’Insee a été créé par la loi de finances du 27 avril 1946. Direction du ministère de l’Économie et des Finances implantée sur l’ensemble du territoire français, son indépendance professionnelle est inscrite dans le droit : la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a créé l’Autorité de la statistique publique, qui doit veiller au respect du principe d’indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion des statistiques publiques. Ces informations intéressent les pouvoirs publics, les administrations, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les entreprises, les médias, les chercheurs, les enseignants, les étudiants et les particuliers. Elles leur permettent d’enrichir leurs connaissances, d’effectuer des études, de faire des prévisions et de prendre des décisions. Pour satisfaire ses utilisateurs, l’Insee est à l’écoute de leurs besoins et oriente ses travaux en conséquence.

Les grandes opérations de l’Insee sont :

  • la mesure du chômage, de la croissance et de l’évolution des prix ;
  • la réalisation du recensement de la population ;
  • la réalisation d’enquêtes auprès des ménages et des entreprises ;
  • l’exploitation de fichiers administratifs ;
  • la gestion de grands répertoires.

La constitution de la collection de la bibliothèque a accompagné l’histoire de l’Insee. Créée pour accueillir et conserver les publications du nouvel institut, elle a aussi réuni sous sa seule responsabilité entre 1946 et 1951 les fonds documentaires des trois services sus-cités (SGF, SNS, Service des économies étrangères du ministère de l’Économie nationale), mais aussi celui du centre de documentation économique de la Bibliothèque nationale. Officiellement fondé en avril 1951, le « Service central de la documentation » relevait alors directement de Francis-Louis Closon (1910–1998), compagnon de la Libération et directeur de l’Insee jusqu’en 1961. À l’issue de cette décennie fondatrice, le Service a été intégré à la direction de l’Insee chargée de la « diffusion », au vu de ses missions transverses et de son rôle de tête de réseau auprès des centres de documentation régionaux de l’Institut. Le Service, devenu division Documentation, est actuellement rattaché à l’Unité ressources documentaires et archivage (URDA) au sein de la Direction de la diffusion et de l’action régionale (DDAR) et chargé d’animer le réseau documentaire de l’Insee.

En effet, la division Documentation est progressivement devenue la « bibliothèque centrale » de la Direction générale de l’Insee (DG), pour les relais documentaires présents dans chacune des directions de la DG, mais aussi les Cellules Documentation des directions régionales, qui ont souvent fait appel à l’expertise et aux ressources de la bibliothèque.

À l’origine, le Service central de la documentation était structuré en trois sections (Acquisitions / Bibliothèque / Dossiers [de presse] ) et un bureau (Information du public). Cette répartition n’a que légèrement varié au fil des années, seuls les dossiers de presse ne sont plus suivis à la bibliothèque.

Après avoir compté jusqu’à six sections au début des années 1980, la division Documentation affiche de nouveau trois sections depuis octobre 2016 :

  • Bibliothèques : Aladin, Epsilon ;
  • Identification et description des documents ;
  • Service public, valorisation et veille.

La direction en est assurée par un conservateur des bibliothèques, un des rares membres de l’Institut qui ne soit pas issu des filières internes.

L’équipe de la division reste d’ailleurs un exemple de rencontres professionnelles, où se croisent l’univers des agents des bibliothèques et celui des personnels de l’Insee. En janvier 2017, la division compte 25 agents, dont 7 issus des filières bibliothèques (1 conservateur, 1 bibliothécaire, 2 bibliothécaires assistants spécialisés, 3 magasiniers). Certains, en poste depuis de nombreuses années, ont été intégrés administrativement au personnel de l’Insee. L’organigramme compte 4 cadres A, 12 B et 9 C ; des effectifs comparables à ceux de 1994 (29 agents).

Dans le cadre contemporain de restrictions budgétaires globales, les moyens financiers mis à disposition de la division ont été réduits en vingt ans, passant de 3,40 MF en 1994 (hors échanges, matériels informatiques, équipements) à 255 000 € pour 2017, dont la moitié consacrée aux abonnements à des titres de périodiques physiques ou dématérialisés.

Enfin, si la division a eu longtemps pour mission d’animer le réseau documentaire de l’Insee, son rôle a été resserré ces dernières années avec les réformes territoriales et la disparition progressive des relais et autres cellules documentaires régionales. On peut dès lors parler de trois missions majeures :

Acquérir les ressources documentaires pour :

• maintenir le niveau d’excellence de la collection dans le domaine de la statistique ;

• accompagner les agents de l’Insee dans la production de leurs travaux ;

• servir un public extérieur spécialisé.

Conserver :

• l’ensemble des publications du système statistique public ;

• des collections patrimoniales françaises et étrangères dans les domaines de la statistique, de la démographie et de l’économie.

Rendre accessible ce patrimoine et offrir les services et produits documentaires associés (catalogue, bibliothèque numérique, portail documentaire…).

Ce tableau rapide retrace dans les grandes lignes l’origine et les contours organisationnels de la bibliothèque de l’Insee, dont les modifications ont finalement été mineures depuis sa création. Les notions de conservation surtout, ont fait leur apparition, orientant la « bibliothèque d’exploitation » d’A. Caro  5 vers une bibliothèque patrimoniale.

Conservation : une collection, un lieu, une politique

Au 1er janvier 2017, la bibliothèque de l’Insee, compte près de 100 000 ouvrages, et 13 000 périodiques et séries statistiques, mais aussi quelques milliers de CD-ROM et microformes soit 8 km linéaires (6 km linéaires dans les sous-sols de la DG, les 2 km linéaires restant à Étouvie, en banlieue d’Amiens) 6. L’intérêt de la collection a été reconnu par la signature en 1998 d’une convention de pôle associé avec la BnF, sur le domaine des statistiques. Les axes thématiques forts sont :

  • les collections du système statistique public français : la bibliothèque de l’Insee conserve toutes les publications de l’Insee, recensements compris, mais aussi de tous les services statistiques ministériels (SSM). Cette conservation s’effectue sans limite de profondeur historique, et quel que soit le support de diffusion en complément du papier, pour assurer la pérennité et l’exhaustivité des collections conservées ;
  • les séries statistiques étrangères : une longue tradition d’échanges de publications a lié et lie encore la bibliothèque avec des partenaires dans le monde entier, notamment avec les instituts nationaux de statistique étrangers (INS). Les séries statistiques étrangères constituées depuis le milieu du XIXe siècle couvrent tous les domaines : annuaires statistiques, recensements de la population, rapports annuels de la banque centrale, statistiques du commerce extérieur, mais aussi statistiques agricoles, de production, d’entreprises, de la santé, du système éducatif, des transports, etc. Elles constituent une des grandes richesses de la collection, à la fois pour leur complétude, et pour leur réunion, unique en Europe. Certains documents conservés à la bibliothèque sont introuvables ailleurs en Europe, comme la collection complète des recensements de population des États-Unis de la fin XIXe siècle) ou restent les seuls témoins de pays secoués par les guerres au cours du XXe siècle (Afrique, Asie…).

À ces séries longues qui retracent toute l’évolution chiffrée des grands domaines économiques, il faut ajouter les grandes sommes publiées par les organismes internationaux, quelques pièces uniques comme des pyramides des âges tracées à la main, des ouvrages précieux parce qu’annotés ou dédicacés par de grands noms de l’économie et des livres rares dont le plus ancien date de 1720  7, tous documents qui ont permis de définir au sein de la collection un « fonds ancien » qui couvre la période de 1720 à 1946  8, et compte au moins 4 000 ouvrages répertoriés et plusieurs milliers de périodiques.

Ce fonds permet aussi de rappeler qu’à l’origine la collection avait une vocation nécessairement encyclopédique où, pour nourrir la réflexion autour du recensement et de la statistique, on s’informait sur la formation des bouchers dans les années 1950 (planches de découpes de la viande à l’appui) 9, l’histoire des colonies 10, ou les stratégies bancaires dans le Dakota dans les années 1920 11.

Mais surtout la bibliothèque s’incarne dans un lieu de conservation, le magasin, soit 1 288 m² aménagés dans un parking au deuxième sous-sol du bâtiment de la Direction générale sur le site de la porte de Vanves. Cette surface couvre en fait sept « espaces » ouverts et cinq mezzanines, elle est équipée en étagères fixes, compactus et meubles à plans. Jusqu’au début des années 2000, l’équipe de magasiniers, soit quatre personnes, y avait ses bureaux.

La première visite des magasins est marquante : on peut s’enthousiasmer pour les canalisations multicolores, la « pièce noire », les pyramides des âges aquarellées à la main, la chasse au trésor des fascicules égarés ; on peut surtout écouter l’eau qui coule dans les canalisations, voir voler les morceaux de papier au moindre mouvement de livres, repérer les hors formats forcés dans les étagères, penser amiante, moisissures ou poussière.

Déjà en 1994, Michel Yvon signalait  12 une série d’inondations, le développement de champignons et le traitement nécessaire d’au moins 20 000 ouvrages par les services de la Bibliothèque nationale. Depuis, d’autres inondations ont eu lieu, qui n’ont pas toujours pu être traitées dans les mêmes conditions, parfois tout simplement car l’infiltration n’a pas été repérée et n’est découverte qu’aujourd’hui, à l’occasion des travaux de refoulement préalables au déménagement.

Ce constat appelle plusieurs actions :

  • la mise en place d’une politique de conservation pérenne : analyses biologiques et traitements adéquats (2016-), prestations de dépoussiérage et de reliure (2016-), lancement d’un marché de restauration et acquisitions de conditionnements sur mesure (2017-) ;
  • la rédaction d’un plan d’urgence à appliquer en cas de sinistre, à l’horizon 2018, pour l’installation dans le nouveau bâtiment ;
  • le suivi attentif du futur magasin du site de Montrouge : le magasin de la bibliothèque sera là encore implanté au sous-sol, dans un espace de parking réaménagé ; d’un seul tenant (894 m²), il sera entièrement équipé en compactus et quelques meubles à plans, et offrira aussi un vaste espace de travail. Les travaux doivent démarrer courant 2017.

Innovation : des outils, des pratiques
et des services

La bibliothèque de l’Insee a, dès l’origine, été une institution originale, qui a dû, pour répondre aux besoins spécifiques de ses utilisateurs, proposer une offre de services adaptée, sur place et plus récemment à distance, mais aussi créer ses propres outils.

Dès 1950 et la création du Service central de documentation, la bibliothèque publie des outils qui lui sont propres, pour faciliter les recherches de ses lecteurs  13, entre autres le Plan de classification [décimale] de la documentation statistique et économique (1950, VIII, 135 p.). Régulièrement révisé, il a connu plusieurs versions jusqu’en 1981 et a fondé le catalogue matière des collections antérieures à 1982, jusqu’au lancement de la rétroconversion du fonds ancien.

À partir de 1982, date de la première informatisation, la réflexion s’est ouverte à l’indexation, avec la rédaction d’un thésaurus adapté aux besoins et aux attentes de l’Insee. Ce thésaurus est l’unique instrument d’indexation du système documentaire de l’Insee. Il a été revu une première fois en 1991, puis en 2011. Une troisième révision est en cours.

Des supports papier, fiches et listes, on est progressivement passé à l’informatisation des catalogues, avec la constitution d’Aladin, catalogue de la bibliothèque, qui a été ouvert à l’ensemble des internautes sur le portail documentaire de la bibliothèque de l’Insee, bibliotheque.insee.net, lancé au printemps 2014.

La bibliothèque de l’Insee fait partie des pionniers de l’informatisation puisque son premier SIGB, SCRIB, a été mis en place dès 1982. Après avoir opté pour RSD à partir de 2000, elle utilise PMB depuis octobre 2013. La société PMB Services a accompagné la bibliothèque pour la migration des données, le paramétrage des différents modules, la formation, et la création de son portail documentaire. Actuellement, elle assure l’hébergement et la hotline à la fois pour le SIGB et le portail. Elle a également réalisé des développements payants, comme l’adaptation du portail aux tablettes et smartphones pour obtenir une application « responsive ».

Cette informatisation précoce puis la perspective de l’ouverture du catalogue au public ont permis un avancement de la rétroconversion des monographies selon deux axes distincts : les collections des années 1946-1982 dont la rétroconversion devrait se terminer à la fin 2017, et le fonds ancien dont le plan d’action permet d’espérer la fin du traitement avant le déménagement de l’Insee.

La bibliothèque a dû faire face au développement exponentiel du numérique entraînant des changements de pratiques de son lectorat traditionnel, agents de l’Insee comme chercheurs extérieurs. Les ressources en ligne sont devenues de plus en plus nombreuses sans que la bibliothèque ait de vitrine sur le Net. Les chercheurs ont alors perdu le réflexe de venir ou de se renseigner sur ses ressources, et celles-ci, malgré leur profondeur historique et géographique ont été peu à peu oubliées. L’ouverture du portail a permis au public d’y avoir à nouveau accès à la fois en s’appuyant sur le fonds patrimonial, mais également en proposant des outils plus modernes, comme un service de questions/réponses aux internautes, ainsi que des lettres de veille thématiques hebdomadaires, et plusieurs bouquets d’abonnements (JSTOR, ECONLIT, etc., réservés aux agents de l’Insee). La possibilité de créer son propre compte permet de sauvegarder son panier ou ses recherches, les impressions des résultats de recherche se font sous un format « Bibliographie » qui permet de les publier rapidement et facilement. À terme, d’autres fonctionnalités pourraient être mises en place comme la possibilité de partager (et d’alimenter) des bibliographies entre chercheurs ou encore une diffusion sélective d’informations permettant d’être averti en cas d’arrivée à la bibliothèque de documents répondants aux critères choisis (auteur, matière…).

L’ouverture du portail a aussi rendu possible la consultation du catalogue Aladin de la bibliothèque par de nouveaux publics, souvent étrangers. Quant à la consultation du portail elle s’établit pour l’instant à une moyenne d’un millier de sessions par semaine 14.

Dès 2010, la bibliothèque a également eu le souci de la conservation pérenne des publications nationales et régionales de l’Insee, mais aussi des services statistiques qui le souhaitaient, d’où l’idée d’un entrepôt de publications. C’est ainsi qu’est né le projet qui a permis d’ouvrir Epsilon, la bibliothèque numérique de la statistique publique, en mars 2011. Epsilon permet une conservation pérenne des documents, à la fois grâce à ses liens, mais aussi au format PDF/a plus pérenne que le format PDF standard. Dans l’année qui a suivi son ouverture, deux services statistiques ministériels (SSM) ont commencé à participer à l’aventure : la Dares (service statistique ministériel de l’Emploi) et la Drees (service statistique ministériel des Affaires sociales et de la Santé). Depuis, régulièrement, de nouveaux SSM ont rejoint Epsilon : on en compte huit en janvier 2017.

Le projet avait également l’ambition de mettre à disposition l’ensemble des publications des organismes en faisant partie. Ainsi toutes les publications nées numériques ont été intégrées via des « chargements par lots », mais l’Insee a également souhaité mettre à disposition ses publications papier. Pour ce faire, la bibliothèque a acquis fin 2011 un numériseur semi-professionnel qui permet à ses propres équipes de numériser des collections publiées par l’Insee, et de les océriser avant mise en ligne. Ainsi, les collections Archives et documents, Tendances de la conjoncture, Premières informations, entre autres, ont été intégralement numérisées. La bibliothèque a également bénéficié de deux autres filières pour numériser ses collections : Persée pour Études et conjoncture et Économie et statistique, mais surtout Gallica. En effet, en tant que pôle associé de la BnF, la bibliothèque a bénéficié des programmes de numérisation de celle-ci, qui lui ont permis de numériser la publication emblématique de l’Insee, l’Annuaire statistique de la France, mais aussi des publications régionales ou de son fonds ancien. La BnF a également réalisé un film sur la bibliothèque de l’Insee et sur ce partenariat : « L’aventure de la numérisation », en ligne sur le portail de la bibliothèque  15.

Le souhait de l’Insee est que tous ses documents en ligne sur Gallica soient moissonnables et directement accessibles à partir d’Epsilon, mais également du portail qui permet une recherche fédérée sur les catalogues Aladin et sur Epsilon. Par ailleurs, la mise en ligne du nouveau site internet de l’Insee, lancé en novembre 2016, a fait d’Epsilon le complément d’insee.fr pour la diffusion des publications de l’Insee. En effet, d’anciennes publications ne figuraient pas dans insee.fr et l’ouverture de sa nouvelle version a été l’occasion de préciser des durées de conservations par collection. Pour toutes les publications anciennes, un lien est fait vers Epsilon qui devient ainsi une brique de la politique de diffusion de l’Insee. Compte tenu de ce nouveau statut et de l’ergonomie vieillissante d’Epsilon, mais aussi des limites de gestion interne, un projet de refonte d’Epsilon est envisagé.

La bibliothèque de l’Insee se doit de retrouver pleinement son rôle pilote et innovant, et de profiter de son installation dans de nouveaux locaux pour s’ancrer fermement dans le XXIe siècle, en faisant évoluer Epsilon, mais aussi en imaginant d’autres services à la demande. La future salle de lecture sera d’ailleurs totalement aménagée et adaptée à ces nouveaux besoins avec un espace d’exposition, un espace de travail permettant la consultation et le travail dans de meilleures conditions, un espace d’actualités…

Valorisation, « faire voir » l’histoire de la statistique :
des lieux, des actions

Il s’agit sans doute du défi le plus récent pour la bibliothèque de l’Insee qui, au fil du temps et de l’évolution des pratiques mais aussi dans un monde où la sensibilité au patrimoine se développe fortement, a évolué d’un service de documentation à une bibliothèque patrimoniale.

Conçue dès l’origine comme matière première des études, la « documentation » conservée à la bibliothèque a été matière vivante, utile et utilisée, sans précautions particulières de conservation ou de préservation. Elle était un outil efficace et apprécié des agents de l’Insee.

La salle de lecture attribuée à la bibliothèque sur le site de la porte de Vanves est vaste et lumineuse ; elle permet d’accueillir jusqu’à douze personnes (hors expositions et salle d’actualités) et a été réaménagée dans les années 1990 pour y installer une salle d’actualités, aujourd’hui encore très fréquentée par les agents de l’Insee. Les espaces de cette salle étaient largement occupés et, dans les années 1980, on réservait sa place, numérotée pour être sûr de pouvoir s’installer  16. Puis, comme de nombreux établissements, sa fréquentation a baissé, doucement mais systématiquement, pour se stabiliser à une moyenne de 17 visiteurs par jour  17.

Les habitudes des chercheurs et des lecteurs ont changé et, en dix ans, les agents de l’Insee, comme les chercheurs et autres historiens, ont peu à peu désappris le chemin de la bibliothèque et oublié l’ampleur des ressources, pourtant à disposition, qui s’enfoncent dans la méconnaissance.

Dans les années 1980 encore, Emmanuel Le Roy Ladurie et François Furet avaient exploité les données anciennes de la Statistique générale de la France (SGF) 18, avec une équipe d’historiens de l’université Ann-Arbor du Michigan. Les informations recueillies avaient alimenté une énorme base de données, accessible en ligne depuis 2008 : sur le site de l’Insee, des centaines de tableaux ont été rassemblés sur l’état de la population française de 1851 à 1921, le mouvement de cette même population de 1800 à 1925, l’enseignement primaire mais aussi secondaire et même supérieur de 1829 à 1897, le territoire national et la population française de 1800 à 1890. Mais ces données diffusées ne sont qu’une partie du travail de saisie effectué et qui est encore à mettre en ligne. Depuis les années 1990, Béatrice Touchelay s’intéresse à l’histoire même de l’Insee  19 et exploite régulièrement les ressources de la bibliothèque. Enfin, depuis quelques années, des chercheurs du Centre de recherche de Sciences Po exploitent la série dite du « Commerce extérieur » pour un autre projet de base de données.

Pour mieux faire connaître ses fonds et ses activités, valoriser ses missions patrimoniales et sa vocation numérique, la bibliothèque a fait évoluer son offre de services, comme nous l’avons évoqué, mais elle a aussi décidé de profiter du contexte du déménagement et du chantier préalable des collections pour lancer un certain nombre d’actions visant à promouvoir sa collection :

  • La salle de lecture imaginée dans le nouveau bâtiment sera spécifiquement aménagée pour permettre l’accueil des lecteurs habitués, qui viennent emprunter ou simplement consulter le journal, mais aussi le travail de recherche d’historiens spécialisés. Elle offrira un espace dédié aux expositions et à la mise en valeur du patrimoine de l’Insee.
  • La bibliothèque mène une politique active de présentation de ses collections et de son fonctionnement, en interne mais aussi à destination d’institutions potentiellement partenaires, comme la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.
  • Plusieurs actions de communication ont été lancées, dont le film réalisé en partenariat avec la BnF  20.

Enfin, deux expositions organisées dans la salle de lecture : « Edmond Malinvaud, parcours d’un économiste d’exception » (septembre 2015-mars 2016) et « 70 ans de publications à l’Insee » (avril-décembre 2016), préfigurent le début d’une programmation ambitieuse.

En octobre 2015, l’Inspection générale des bibliothèques a produit un rapport, Première évaluation des collections de la bibliothèque de l’Insee. Dans sa synthèse, son rapporteur, Joëlle Claud, pointe que des « chantiers importants restent à conduire, à commencer par la poursuite du chantier de rétroconversion […] et par une clarification de la politique documentaire […]. Une attention particulière devra être portée aux conditions de conservation des collections dans le prochain équipement, avec la constitution d’une réserve pour le fonds patrimonial  21 ».

Dans le cadre du chantier préalable au déménagement, la plupart de ces recommandations ont été initiées. Il faut maintenant veiller à ce qu’elles aboutissent, certaines dès 2018, d’autres dans les années qui suivront, avant de refaire un état des lieux de la bibliothèque de l’Insee.

Nous n’en sommes qu’au début.

  1. (retour)↑  Adrien Caro, « La documentation statistique et économique à l’Institut national de la statistique et des études économiques », Journées d’études (25-27 juin 1951) de l’Institut technique des administrations publiques (ITAP). Archives de la bibliothèque de l’Insee, RF B-6.
  2. (retour)↑  Souvenirs d’Hélène Taléomas, entrée en 1979 à l’Insee comme auxiliaire de magasinage, toujours en activité.
  3. (retour)↑  Michel Yvon, « L’institut national de la statistique et des études économiques », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1994, n° 6, p. 71-76. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1994-06-0071-011
  4. (retour)↑  Catalogue de l’exposition sur le portail documentaire de la bibliothèque de l’Insee, onglet « Bibliothèque numérique / Expositions virtuelles » : http://bibliotheque.insee.net/
  5. (retour)↑  Op. cit.
  6. (retour)↑  L’entrepôt d’Étouvie se trouve sous la responsabilité de la Direction régionale des Hauts-de-France de l’Insee. Il est équipé en compactus de grande hauteur. Un projet de dépôt de ces 2 km linéaires au Centre technique du livre de l’Enseignement supérieur (CTLes) est en cours et devrait aboutir d’ici à 2020.
  7. (retour)↑  Claure-Marin Saugrain, Le nouveau dénombrement du royaume, par généralitez, élections, paroisses et feux, où l’on a marqué sur chaque lieu les archevêchez, évêchez, universitez, parlemens, chambres des comptes, cours des aydes, cours et hôtels des monnoyes, bureaux des finances, maîtrises des eaux et forêts, capitaineries des chasses, amirautez, présidiaux, bailliages, sénéchaussées, prévôtez, vicomtez, châtellenies, vigueries, juges-consuls, maréchaussées et autres justices royales ; les bureaux des droits des aydes, gabelles et greniers à sel, douannes et traites foraines ; les lieues de distance de Paris aux autres villes du royaume, Paris : Joseph Saugrain, 1720, 1 vol. (486, 368 p.), 25 cm. Bibliothèque de l’Insee, F11 (1720).
  8. (retour)↑  Plan d’action pour le fonds ancien de la bibliothèque de l’Insee. Archives de la Bibliothèque, juillet 2016.
  9. (retour)↑  Georges Chaudieu, Manuel pratique de la boucherie : dessins anatomiques de G. Géhin, 5e édition, Paris : Éditions Dunod, 1966, 1 vol. (XIV-218 p.) : tabl., fig., 27 cm. Bibliothèque de l’Insee, D 275 (1966).
  10. (retour)↑  Gabriel Hanotaux, Histoire des colonies françaises et de l’expansion de la France dans le monde, tomes I à VI, Paris : Éditions Plon, 1929, 1 vol. (XLVIII-629 p.), cartes, phot., pl. Bibliothèque de l’Insee, B 2946 (I-VI).
  11. (retour)↑  Alvin S. Tostlebe, The bank of North Dakota : an experiment in agrarian banking, New York, London : Columbia University Press, 1924, 1 vol. (211 p.), tabl., 23 cm. Bibliothèque de l’Insee, C 13467.
  12. (retour)↑  Op. cit.
  13. (retour)↑  Adrien Caro, « La documentation statistique », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1956, n° 10, p. 667-676. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1956-10-0667-001
  14. (retour)↑  Chiffres 2016, section « Bibliothèques : Aladin, Epsilon ».
  15. (retour)↑  http://bibliotheque.insee.net/Insee_video.mp4
  16. (retour)↑  Souvenirs d’Hélène Taléomas, op. cit.
  17. (retour)↑  Chiffres 2016, section « Service public, valorisation et veille ».
  18. (retour)↑  Les centaines de milliers de données ainsi agrégées provenaient des résultats des recensements quinquennaux de la population, de la série « Mouvement de la population » publiée par la Statistique générale de la France (SGF), d’un volume de la SGF, « Territoire et population », d’une série de rapports publiés par le ministère de l’Instruction publique sous les titres : « Statistique de l’enseignement primaire », « Statistique de l’enseignement secondaire » ou « Statistique de l’enseignement supérieur », portant sur quelques années comprises entre 1829 et 1906, et enfin d’ouvrages intitulés « Résultats statistiques du recensement des industries et professions » publiés par le « Service du recensement professionnel » pour ce qui concerne les données du recensement des industries. Ces fichiers sont accessibles sur le site du Centre de recherches historiques de l’EHESS (http://acrh.revues.org/2891), mais aussi sur celui de l’Insee (http://www.insee.fr).
  19. (retour)↑  Béatrice Touchelay, L’INSEE des origines à 1961 : évolution et relation avec la réalité économique, politique et sociale, thèse soutenue en 1993.
  20. (retour)↑  http://bibliotheque.insee.net/Insee_video.mp4
  21. (retour)↑  Extrait du Rapport annuel de l’IGB 2015, accessible sur : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid100438/rapport-annuel-de-l-inspection-generale-des-bibliotheques-2015.html