Quels enjeux éditoriaux pour un carnet de recherche ?

 

Le carnet de recherche DLIS [1], dédié aux débats communs entre bibliothécaires et chercheurs dans le champ des digital humanities et des sciences de l’information et de la communication (SIC), a été ouvert en 2016 sur le portail d’Hypothèses. Il est le fruit d’une collaboration entre deux chercheurs en SIC et une conservatrice des bibliothèques en poste à l’Enssib et d’une réflexion sur l’intérêt de partager un espace éditorial commun. L’idée de partager un carnet de recherche entre bibliothécaires et chercheurs n’est pas si récente. Elle est née de rencontres déterminantes…

 

Naissance d’un carnet de recherche :
l’implication d’une conservatrice des bibliothèques

par Catherine Muller

L’idée du carnet de recherche DLIS n’est pas si récente au regard de mon parcours professionnel et des questionnements scientifiques sur l’évolution de mon métier qui l’ont nourri. Il est aussi le fruit de rencontres déterminantes et fortuites avec certains chercheurs ou ingénieurs de recherche confrontés à des interrogations sur les liens qu’ils ont, ou souhaitent développer, avec le monde des professionnels de l’information dans un contexte d’économie numérique et de transformation des rapports au savoir.
L’intuition d’un rapprochement possible et d’une convergence d’analyse des effets de la transition numérique sur des écosystèmes de travail distincts s’est produite lors du ThatCamp [2] de Saint-Malo de 2013. Cette édition, consacrée aux relations entre humanités numériques et bibliothèques, a constitué un tournant historique dans ma réflexion professionnelle parce qu’elle posait d’emblée des questions qui m’interpellaient à l’époque : quelles pratiques informationnelles pour les chercheurs ? Quelles compétences en jeu ? Quid des évolutions des profils et du dialogue des bibliothèques avec la recherche ?
Je connaissais déjà le Manifeste des Digital Humanities, publié à l’issue du ThatCamp de 2010 qui était organisé par Marin Dacos sur les Digital Humanities. Ce texte fondateur appelle à réunir les communautés de recherche et tous ceux qui participent à la création, l’édition, la valorisation et la conservation des savoirs autour des pratiques et des valeurs communes de l’open access.
Je fais partie des générations de bibliothécaires qui ont commencé leur parcours dans les années 2000 à l’époque du web 2.0. Nous étions aux débuts des négociations des bibliothèques orchestrées par le consortium Couperin avec les éditeurs de la documentation numérique, laquelle était plutôt qualifiée à l’époque de documentation électronique en écho à l’édition électronique. J’avais de ce fait été sensibilisée dès mon entrée dans le monde des bibliothèques à l’Appel de Budapest, lancé en 2001 par les chercheurs en faveur de l’Open Archives Initiative et du libre accès aux publications scientifiques. Dans mon travail de signalement de ressources, je connaissais bien les plateformes d’édition ouverte telles que Revues.org du Cléo, Érudit au Canada, ou encore le DOAJ, et j’adhérais déjà à cette vision aussi bien culturelle que politique des modèles de publication scientifique alternatifs.
Pour revenir au ThatCamp de 2013, j’y ai participé à un atelier, animé par Olivier Le Deuff, qui s’interrogeait sur le rôle et la place des bibliothèques dans les activités de recherche. Après de fructueux échanges avec des chercheurs qui menaient des projets de recherche mobilisant les savoir-faire des bibliothèques et inversement, j’en suis sortie avec l’intime conviction que le métier de bibliothécaire a toute sa place dans l’écosystème de travail du chercheur, non seulement dans un rôle d’accompagnement, ce qui reste assez classique, mais aussi dans un rôle d’acteur, de moteur, de fédérateur. Un point de vue partagé par l’ADBU, dont le thème du congrès 2017, Les bibliothèques, acteurs de la recherche, est significatif à mon avis du ralliement actuel fort de la profession sur ce positionnement. Au niveau international, LIBER, la ligue des bibliothèques européennes de recherche, a d’ailleurs engagé depuis quelques années un groupe de travail dirigé par Kirsty Lingstadt sur le rôle des bibliothèques dans les humanités numériques, qui préconise un certain nombre de recommandations pour interagir activement avec le monde de la recherche.
Une autre question, non moins essentielle, soulevée au ThatCamp de 2013 par le responsable du pôle numérique du Campus Condorcet, ­Johann Holland [3], était de savoir si la bibliothèque peut servir d’espace physique pour fédérer des réalisations d’équipe scientifique, ou plutôt d’espace virtuel de diffusion et de médiation des résultats de la recherche sur le modèle outre-Atlantique des Digital Humanities Center. Bien entendu, en 2013, je n’étais pas seule au sein des bibliothèques à porter ce type de discours ; de jeunes professionnels sortis de la formation des conservateurs, comme Benjamin Caraco, prônaient également un partenariat naturel entre les digital humanities et les bibliothèques. Et assez vite, en 2015, la publication d’un mémoire de conservateur, Quel rôle pour les bibliothèques dans les humanités numériques ? d’Élydia Barret, est venue en quelque sorte donner ses lettres de noblesse et toute sa légitimité à ce positionnement de la profession. C’est la raison pour laquelle je lui avais demandé d’exposer les problématiques de son mémoire dans les billets d’EnssibLab.

Les prémices du carnet DLIS : les Billets d’EnssibLab

Il paraît difficile de parler du travail de conception éditoriale du carnet sans évoquer ce qui en a constitué les prémices, les billets d’­EnssibLab, dont j’étais responsable avant d’ouvrir le carnet DLIS. Avec le carnet, nous ne sommes pas partis de rien, loin de là. Grâce à l’expérience de trois ans d’édition des billets, nous avons pu acquérir un savoir-faire dans l’éditorialisation de formats de publication relativement brefs et nous nous sommes confrontés aux contraintes de l’exercice éditorial.
La forme de publication du billet de blog est propice à l’esprit de synthèse, elle est apparue rapidement comme un outil adapté pour identifier les acteurs, baliser les problématiques et analyser les enjeux des innovations numériques en bibliothèques. Un grand nombre de publications préparait déjà le champ de réflexion du carnet.
Par ailleurs, l’investigation de toutes ces interrogations sur l’évolution du métier de bibliothécaire dans le contexte numérique, nous a montré, après plus de deux années de publications, qu’elle trouvait – nous l’espérions – un écho auprès de la communauté professionnelle, et qu’elle recoupait très souvent des questionnements et des objets d’étude investis par les sciences de l’information et les humanités numériques. À partir de là, en 2016, il nous a semblé nécessaire d’élargir, au-delà de la pure question de l’innovation et des bibliothèques, le périmètre d’exploration des transformations numériques qui agitent les sciences de l’information ; et surtout de nous ouvrir à un espace d’expression et de réflexion partagées, plus neutre, moins institutionnel, qui dépasse largement l’horizon des bibliothèques pour s’inscrire dans un réseau plus vaste de convergences. C’est pourquoi nous avons eu envie de tenter une aventure éditoriale pour matérialiser ces passerelles en nous associant autour d’un carnet de recherche collaboratif.

Le carnet DLIS : un espace éditorial de rencontre
entre bibliothécaires et chercheurs à l’âge du numérique

À ce titre, l’ancrage du carnet DLIS au sein du réseau des carnets de recherche académiques en SHS d’Hypothèses a été une belle opportunité pour tisser et consolider les liens entre professionnels de l’information, de la documentation et de l’édition avec les chercheurs des SHS aguerris aux pratiques du blogging scientifique, en particulier dans les champs des SIC et des DH. Je crois que la formulation de Gildas ­Illien, énoncée dans un tout autre contexte, à propos de « l’agilité [qui] rapproche […] bibliothécaires et informaticiens […] génère de l’acculturation, de la porosité entre ces communautés métiers […] conforte des polyvalences [4] » résume bien l’enjeu stratégique du carnet.
La possibilité de proposer un espace éditorial mixte sur des problématiques et démarches communes a permis de concrétiser deux postulats des digital humanities qui me tiennent à cœur : d’une part, placer les publications sous les auspices d’une identité professionnelle hybride pour témoigner de l’intérêt pour le bibliothécaire et le chercheur de travailler ensemble et de conjuguer leurs objectifs et, d’autre part, élément clé d’une approche renouvelée des méthodes de travail, inscrire cette initiative éditoriale dans le champ de l’expérimentation. Le carnet de recherche est un outil de blogging scientifique qui a pour vocation d’offrir aux contributeurs un espace d’expérimentation d’écriture numérique. Le cycle de l’expérimentation va de pair avec l’innovation, certes – on ne manque jamais de le clamer –, mais aussi, et c’est tout son intérêt, il ne va pas sans des moments d’incertitude, de crise, voire d’échec. Le principe du « bac à sable » est exigeant et n’est jamais définitif, il repose tout autant sur l’enthousiasme de la découverte que sur la remise en cause de nos certitudes, professionnelles, techniques, etc. La ligne éditoriale du carnet s’inscrit dans la lignée et la philosophie des humanités numériques : il ne s’agit pas seulement de comprendre comment le tournant numérique de nos sociétés modifie et interroge les conditions de production et de diffusion des savoirs, car « le numérique ne peut se réduire à un simple outil ou à un objet d’étude, il renouvelle en profondeur les structures de la culture et produit une nouvelle civilisation [5] ».
La mutation numérique, ainsi que l’envisage l’approche de l’humanisme numérique par Milad Doueihi, va plus loin et engage une vision philosophique du monde dont les implications ne sont pas circonscrites au seul domaine des technologies de l’information. L’enjeu, ici, est de saisir ce que les humanités pensent de la technique, et non l’inverse. Je souscris totalement de ce point de vue aux positions de chercheurs et philosophes, comme Éric Guichard ou Marcello Vitali-Rosati, qui nous alertent sur les dangers de l’illettrisme numérique et de l’absence de pensée critique sur la technique. Nous devons être capables de penser la technique au risque de la laisser penser à notre place et par défaut. Ce débat n’est pas neuf dans notre histoire. De par ma formation littéraire et philosophique, mais aussi à l’aune de mon expérience professionnelle, je suis parfaitement en accord avec la position de Marcello Vitali-Rosati : « On ne peut pas séparer le travail de structuration de celui de conception car la structuration implique la conception. Si l’on délègue, c’est la pensée qu’on délègue. Les informaticiens deviennent les véritables chercheurs, ceux qui [...] produisent le savoir [6]. »

DLIS : quelle place dans le paysage des carnets
de recherche et de bibliothèques ?

Il est intéressant de replacer la démarche éditoriale du carnet DLIS dans le paysage des carnets de recherche et des projets de recherche auxquels participent les bibliothèques. Sur Hypothèses, il existe de nombreux carnets de chercheurs, collaboratifs ou non, souvent liés aux séminaires d’une équipe de recherche, ou d’un projet de recherche en cours, qui traitent de questions proches des thématiques de DLIS. On pourrait citer, par exemple, un carnet qui réunit une équipe de recherche pluridisciplinaire, le blog du projet Web90 – ­Patrimoine, Mémoires et Histoire du Web porté par Valérie Schafer [7] et soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Ce carnet de chercheurs pourrait d’ailleurs être rapproché à bien des égards du blog de la BnF Web Corpora qui porte également sur les archives de l’internet. Dans la grande majorité des cas, ces carnets de chercheurs s’inscrivent dans une perspective multidisciplinaire avec une forte dominante historique, par exemple Philologie à venir, le carnet d’Aurélien Berra, Histoire et humanités numériques, le carnet du séminaire « Histoire et humanités numériques » de l’université de Toulouse II – Le Mirail, L’histoire contemporaine à l’ère numérique, le carnet de Frédéric Clavert, ou encore Modéliser et virtualiser. Il n’est pas rare d’y voir traitées des questions propres aux sciences de l’information et des bibliothèques.
D’un autre côté, Hypothèses héberge également un petit nombre de carnets de bibliothèques valorisant les interactions avec la communauté de chercheurs qui leur est propre : citons entre autres le Carnet de l’Inathèque, Colligere, le carnet des bibliothèques et archives du Collège de France, Convergences, le carnet du centre de documentation de la Maison des sciences de l’homme de Clermont-Ferrand, ou encore le Carreau de la Bulac qui figure parmi les premiers carnets de recherche de bibliothèques à proposer des regards croisés entre bibliothécaires et chercheurs sur les collections.
Mais souvent, on constate que la forme éditoriale du carnet de recherche sert plus d’outil de valorisation du service rendu par la bibliothèque que d’expression d’un réel partenariat éditorial entre les deux communautés. En définitive, les carnets de recherche faits par et pour des bibliothécaires et des chercheurs, autour des questions de travail communes sur le renouvellement des pratiques documentaires, restent assez rares en France. Ce clivage relatif entre identités professionnelles ne doit pas pour autant occulter les initiatives éditoriales de qualité qui se positionnent sur cette ligne de partage. Contre toute attente, un espace éditorial collaboratif à la croisée des bibliothèques et de la recherche autour des questions numériques, dans lequel le carnet DLIS pourrait se reconnaître, est à chercher en dehors de ce format éditorial et du réseau de blogging scientifique d’Hypothèses, sur le site de l’InSHS du CNRS. Il s’agit de CORIST, le site collaboratif proposé par les correspondants Information scientifique et technique (IST) qui, en plus de réaliser un travail de veille rigoureux dans le domaine, met en avant – sans les dissocier – les convergences professionnelles en recensant les projets de recherche et les initiatives de tous les acteurs de l’IST confrontés aux problématiques numériques de l’édition, la documentation, l’information, l’archivage, les données, les catalogues de bibliothèques, etc.

On pourrait s’étonner de cette partition clivée alors qu’il y a de plus en plus, en France comme à l’international, des projets de recherche, des initiatives ou des collectifs qui réunissent bibliothécaires, informaticiens et chercheurs.
Ces rapprochements se sont produits, historiquement, autour de la documentation électronique, qui scelle le regroupement d’intérêts, avec des acteurs nationaux comme le consortium Couperin, l’Abes, l’Inist ou la BSN. Et plus généralement, il y a entre ces professions des lignes de partage évidentes autour de l’IST et des humanités numériques – avec des infrastructures nationales comme Huma-Num [8] – sans oublier toutes les problématiques numériques communes liées au droit de propriété intellectuelle et de protection des données personnelles.
Des collectifs militants en faveur du logiciel libre, comme Framasoft, ou de l’accès aux biens communs de la connaissance, comme ­SavoirsCom1, regroupent tout autant des bibliothécaires que des chercheurs, des informaticiens ou des ingénieurs. Le propos n’est pas ici de tenter un catalogue des projets de recherche auxquels participent la communauté des bibliothécaires, qu’ils exercent en lecture publique ou à l’université, et qu’ils soient mobilisés dans le projet au titre de leur institution ou pour la spécificité de leurs compétences. Parmi tant de réalisations qui attestent d’une complémentarité des approches métiers entre chercheurs, ingénieurs, informaticiens et bibliothécaires et de l’intérêt stratégique d’une telle alliance, je retiendrai l’exemple du prototype Prévu de Paris 8, le projet de visualisation des prêts de bibliothèque. Né en 2013 d’une collaboration [9] entre chercheur, informaticien, designer et bibliothécaire, le projet est emblématique du partage de moyens et de problématiques à partir du même terrain, de la même question de recherche : « Ouvrir et exploiter les données d’usage des bibliothèques : pour quoi faire ? »
En définitive, au-delà de l’intérêt scientifique et stratégique d’ouvrir un espace éditorial partagé entre bibliothécaires et chercheurs, l’enjeu est de positionner le bibliothécaire comme un acteur essentiel de l’information et de la recherche et de le former en conséquence. Mais aussi de faire de la bibliothèque un lieu fédérateur et expérimental conçu sur un nouveau modèle d’organisation et de mutualisation des compétences entre communautés d’apprentissage, à l’instar du projet de grand équipement documentaire du Campus Condorcet qui ouvrira ses portes en 2019.

 

 

Un carnet de recherche pour décloisonner
les pratiques professionnelles et de recherche
en sciences de l’information

par Hans Dillaerts

Comme son nom l’indique (Digital Libraries & Information Sciences), l’objectif de DLIS est de valoriser les recherches en cours en sciences de l’information et de la communication (SIC) en lien avec des questionnements numériques, et plus largement les humanités numériques.
Cet espace éditorial est le fruit d’une rencontre et d’un travail réflexif commun entre une conservatrice des bibliothèques et deux enseignants-chercheurs en sciences de l’information et de la communication. La composition même de ce comité éditorial illustre et explique en grande partie sa vocation.
Il s’agit d’un dispositif d’échange et de discussion, véritable carnet de recherche. Mélodie Faury a proposé une définition du terme « carnet » qui nous semble particulièrement approprié pour DLIS : « […] le terme de “carnet” induit une utilisation, des intentions dans l’écriture, qui me paraissent différentes d’un blog “classique” : il ne s’agit pas de parler de soi, mais bien de ce qui accompagne sa recherche, ce qui en fait partie, sans avoir nécessairement de place visible dans d’autres cadres, ni même de légitimité a priori. Ainsi, selon les carnets, des cours, des échanges entre pairs, des échanges interdisciplinaires, des hypothèses en construction, des idées saisies au vol trouvent toute leur place [10]. »
Dans le cadre de ce carnet, l’objectif est de faire parler l’autre, de mettre en avant les réflexions, les questionnements et les problématiques que nos contributeurs rencontrent au cours de leurs recherches et/ou pratiques professionnelles. Les SIC étant par nature une « interdiscipline plurielle [11] » par la « pluralité, d’objets, d’objectifs théoriques, de finalités professionnelles [12] », nous accordons une importance particulière à des échanges décloisonnés et ouverts mêlant des chercheurs d’autres disciplines et des praticiens en information-documentation.
DLIS est également porté par un collectif et a pour vocation d’être animé en partie par une communauté de contributeurs extérieurs provenant d’horizons scientifiques et professionnels divers qui sont concernés et intéressés par les objets de recherche et les problématiques qui nous préoccupent.
Ce choix a eu un impact important sur la stratégie éditoriale et communicationnelle du carnet de recherche. La notion même d’« animation » prend tout son sens ici :
Repérage et sélection : un travail important de repérage de textes, de projets de recherche et de contributeurs potentiels est nécessaire, de même que les activités liées à la sollicitation (réseautage) et de relance.
Évaluation et accompagnement des auteurs : DLIS n’est pas une revue scientifique et, à ce titre, il ne fait pas appel à un dispositif d’évaluation par les pairs. Toutefois, un important travail d’évaluation et de relecture est fait par l’équipe éditoriale avant la publication des billets. La mise en ligne des contenus est également assurée par l’équipe éditoriale, de même que les activités liées à la publicisation et à la diffusion desdits billets.
La diffusion des billets se fait par des canaux divers et notamment à travers les réseaux sociaux. Le compte Twitter @carnetdlis, depuis son lancement en mars 2016, comptabilise aujourd’hui plus de 7 500 tweets et plus de 900 abonnés.

Collaborer à un carnet de recherche :
quelle apport pour l’évaluation d’un chercheur ?

Comment quantifier et promouvoir ces activités ? Comment démontrer la valeur ajoutée de ce travail et la faire valoir ? Comment les mettre en avant dans le cadre des rapports d’évaluation de la recherche ? Si la pratique du blogging scientifique n’est pas ou peu prise en compte dans les politiques d’évaluation de la recherche académique, elle peut toutefois apporter une certaine reconnaissance symbolique, même si cette dernière est toujours difficile à mesurer. Dans le cadre de l’animation d’un carnet de recherche dont l’objectif premier est de valoriser l’autre, ce questionnement lié à l’évaluation est entièrement renouvelé. Comment en effet prendre en compte les activités d’animation d’un carnet de recherche lorsqu’on n’est pas l’auteur principal des billets qui sont publiés ? Comment rendre compte et faire reconnaître le travail que cela engendre ? À titre plus personnel, ces questionnements émergent à travers notre implication dans DLIS, mais également à travers notre site InfoDoc MicroVeille, qui est un projet de veille scientifique dédié aux sciences de l’information et des bibliothèques, et dont l’objectif est de mettre en avant des publications scientifiques en accès gratuit ou libre, en lien avec les thématiques de recherche qui nous préoccupent : la communication scientifique, le libre accès, les pratiques et usages de l’interdisciplinarité, les bibliothèques et les politiques documentaires à l’heure du numérique.
Animer un carnet de recherche, et DLIS plus particulièrement, est un choix engagé et délibéré qui s’inscrit à notre sens à la fois dans une démarche de science ouverte et d’ouverture (openness) : science ouverte parce que « les mouvements de science ouverte véhiculent un certain nombre d’aspirations scientifiques parmi lesquelles l’inter et la transdisciplinarité, une science plus citoyenne et des modes de communication scientifique alternatifs qui s’affranchissent des publications scientifiques traditionnelles [13] » ; ouverture parce que ce concept véhicule « une démarche intellectuelle et scientifique plus ouverte [14] » qui doit favoriser le décloisonnement des pratiques professionnelles et les recherches en sciences de l’information en lien avec le numérique.

 

 

Coopérer à la production d’espaces éditoriaux
des bibliothécaires pour un chercheur :
pour quoi faire ?

par Benoît Epron

En 2010 avait lieu à l’Enssib un colloque intitulé « Bibliothèques et sciences de l’information, quel dialogue ? [15] ». Ce colloque se déroulait dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier et était co-organisé par l’Enssib et la School of ­Information Sciences de l’université McGill à Montréal. Il a donné lieu à des interventions et échanges sur la place des sciences de l’information et des bibliothèques, et notamment sur le sens d’une discipline qui convoque, dans son intitulé même, un objet d’étude central, la bibliothèque. En effet, les contours disciplinaires des sciences de l’information et des bibliothèques sont délicats à définir. Un numéro de la Revue de l’Enssib abordait cette problématique en janvier 2013. Anne-Marie Bertrand, parmi d’autres, interrogeait cette identité complexe d’une discipline qui n’en est pas vraiment une. Elle s’interrogeait en conclusion : « […] ne faut-il pas se réjouir qu’avec la bibliothèque nous ayons trouvé un objet scientifique qu’une seule discipline ne saurait épuiser ? N’est-ce pas une chance pour les chercheurs qui s’y attachent ? N’est-ce pas une chance pour les praticiens que de disposer de tant de voisins éminents pour nouer dialogue [16] ? »
Ainsi, cette discipline si complexe à définir se trouverait face à la nécessité d’un dialogue double : interdisciplinaire, d’une part, pour échanger avec les autres approches sur cet objet d’étude que sont les bibliothèques, et professionnel, d’autre part, avec une bibliothèque à la fois objet d’étude, terrain d’observations et d’expériences et interlocuteur qui permet de forger des problématiques scientifiques.
C’est plus précisément la nécessité et le sens d’un dialogue à nouer entre une (presque) discipline académique – les sciences de l’information et des bibliothèques – et un objet politique, pour citer à nouveau Anne-Marie Bertrand, qui constitue le point de départ de notre réflexion.
Nous considérons ici que cette double problématique peut trouver une réponse possible dans des espaces éditoriaux partagés entre chercheurs et bibliothécaires. Ces espaces éditoriaux permettent potentiellement une forme réinventée de coopération offrant un équilibre entre les attentes respectives des deux communautés, scientifiques et bibliothécaires.
Sur cette problématique précise, l’objectif d’une forme éditoriale telle que le carnet DLIS a d’abord été de proposer un espace de publication qui tienne compte des attentes des deux lectorats visés, universitaires et professionnels des bibliothèques. Pour cela, nous avons souhaité proposer des articles de fond, rendant compte de projets de recherche ou de manifestations scientifiques, mais également de réalisations ou de projets menés dans des bibliothèques, avec le souhait de pouvoir associer aux descriptions de ces projets numériques une explicitation de l’intention, des enjeux pour l’établissement et les personnels, ainsi que les difficultés rencontrées ou les évolutions par rapport à l’idée initiale.
Cette déclinaison des formats utilisés dans le carnet renvoie encore une fois à la question du dialogue entre les deux communautés. Elle réfère à un constat, sans cesse renouvelé lors des manifestations auxquelles j’ai pu assister depuis plusieurs années : les chercheurs ne fréquentent que peu les événements professionnels, quand bien même les questionnements abordés pourraient être éclairés par leurs travaux de recherche. A contrario, les professionnels des bibliothèques ne s’adressent que peu aux enseignants-chercheurs pour alimenter leur réflexion sur leurs problématiques professionnelles.
Cette absence relative d’échanges s’explique en grande partie par les contraintes, institutionnelles et professionnelles, auxquelles ces deux types de professionnels sont confrontés aujourd’hui.
Un premier frein est lié à l’économie symbolique de la publication académique qui amène les chercheurs à privilégier, presque exclusivement, les formes de publication reconnues dans leur discipline, à savoir les revues académiques habilitées par leurs instances d’évaluation. En France, il s’agit de revues dites « qualifiantes », qui sont définies par chaque discipline [17]. Parallèlement, les bibliothécaires disposent d’une offre de revues dites « professionnelles » dans lesquelles les articles portent sur des pratiques, des réflexions et analyses de professionnels concernant les enjeux de leur activité et ses perspectives. De ce fait, les lectorats ne se croisent que trop peu et les différentes productions ne permettent que rarement d’amorcer des réflexions personnelles ou partagées. Pourtant, dans d’autres pays, et notamment dans le monde anglo-saxon, la publication scientifique fait partie intégrante des critères d’évaluation et de progression des carrières des conservateurs des bibliothèques.
Ce premier frein au dialogue entre les deux communautés en entraîne un second.
Suivant la même logique, les événements pouvant donner lieu à des échanges entre chercheurs et professionnels des bibliothèques sont peu nombreux. Comme pour les publications, l’obligation de reconnaissance académique contraint les chercheurs à privilégier des conférences et des colloques académiques pour lesquels il existe un processus de sélection.
Ces contraintes ne doivent pas pour autant occulter les réalisations qui participent déjà à ce dialogue entre chercheurs et bibliothécaires. Le BBF ou la revue I2D [18], (anciennement Documentaliste – Sciences de l’Information), le congrès de l’ABF ou le projet Prévu [19] sont des exemples significatifs d’espaces partagés entre chercheurs et professionnels des bibliothèques.

C’est en partant de ces constats que nous avons souhaité proposer un espace de dialogue partagé entre chercheurs et bibliothécaires. Cette volonté était déjà présente dans l’organisation de la Biennale du numérique [20], avec l’objectif de construire un point de contact entre chercheurs, professionnels de l’édition et des bibliothèques. Le succès de cette manifestation (140 participants environ à chaque édition) nous conforte dans la nécessité d’un lieu d’échange entre les différentes communautés travaillant autour de la bibliothèque, du livre ou de la transmission du savoir.
Pour le carnet DLIS, ce point de contact s’inscrit dans la durée. Son installation sur le long terme doit permettre de concilier le temps de la recherche et celui de la bibliothèque, de prendre un recul critique et réflexif sur les problématiques de terrain. L’espace éditorial participe à estomper ces différentes temporalités.
Son objectif, son ambition peut-être, est de devenir un objet éditorial partagé entre ces communautés.

1. Digital Libraries & Information Sciences.Voir l’article qui lui est consacré dans le BBF n° 15 (2018), « DLIS, carnet de recherche partagé ». En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2018-15-0078-011

2. 2. Définition de Pierre Mounier donnée à l’occasion du ThatCamp 2012 organisé à Paris (https://tcp.hypotheses.org/534) : un ThatCamp – The Humanities and Technology Camp – est une rencontre qui permet aux acteurs de la recherche en sciences humaines et sociales utilisant des technologies numériques de partager informations, idées, solutions et savoir-faire autour de leurs pratiques. Les ThatCamps sont organisés par les participants eux-mêmes. Le programme n’est pas établi à l’avance mais construit directement sur place. Un ThatCamp n’est pas constitué de conférences ex cathedra mais prend la forme d’atelier où tous les participants sont invités à partager leurs connaissances.

3. Voir son intervention récente au colloque sur l’accès libre du CRHIN, « Le Campus Condorcet et les humanités numériques : pour un centre de soutien à la recherche » : https://www.youtube.com/watch?v=hfYVCW9SJEc

4. Gildas Illien, « Une BnF agile ? Quand le développement logiciel fait bouger l’organisation du travail », in Christophe Pérales (dir), Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes, Presse de l’enssib, 2015, coll. « La Boîte à outils », no 32.

5. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.

6. Il s’agit d’un ensemble de réponses que le chercheur a adressées sur son blog à ses lecteurs suite à la parution d’un article polémique, « Les chercheurs en SHS savent-ils écrire ? », et aux commentaires exprimés à cette occasion.

7. Valérie Schafer est chercheuse à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). L’équipe Web90 rassemble chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs de recherche issus de plusieurs disciplines (histoire, SIC, droit, sciences politiques, informatique).

8. Huma-Num est une très grande infrastructure de recherche (TGIR) visant à faciliter le tournant numérique de la recherche en sciences humaines et sociales. Elle a été mise en œuvre par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et est portée par le CNRS, Aix-Marseille Université et le Campus Condorcet.

9. Gaétan Darquié, alors doctorant au laboratoire CiTu (Paragraphe Paris 8), Isabelle Breuil, alors conservatrice à la BU de Paris 8, et Mehdi Bourgeois, chargé de projets numériques au Labex Arts-H2H. La collaboration s’est faite aussi en partenariat avec l’EnsadLab et le Campus Condorcet.

10. http://infusoir.hypotheses.org/1984

11. http://journals.openedition.org/rfsic/1191

12. Idem.

13. Hans Dillaerts, « Ouverture et partage des résultats de la recherche dans l’économie de la connaissance européenne : quelle(s) liberté(s) de circulation pour l’IST ? », Communication & management, vol. 14, no 1, 2017, p. 39-54. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-communication-et-management-2017-1-page-39.htm#no2

14. Idem.

15. http://www.enssib.fr/agenda/bibliotheques-et-sciences-de-linformation-quel-dialogue

16. Anne-Marie Bertrand, « Un anglicisme encombrant », Revue de l’Enssib [en ligne], 2013, n° 1 : http://bbf.enssib.fr/revue-enssib/consulter/revue-2013-01-008

17. Pour les sciences de l’information et de la communication, la liste est disponible à cette adresse : https://www.sfsic.org/index.php/infos/liste-des-revues-qualifiantes-en-71eme-section

18. https://www.adbs.fr/publications-de-ladbs

19. Voir le compte rendu d’une journée d’étude à l’Enssib par Daniele Franco, « Exploiter les données d’usages en bibliothèque : pour quoi faire ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, n° 7. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/exploiter-les-donnees-d-usages-en-bibliotheque-pourquoi-faire_65839

20. http://www.enssib.fr/biennale-du-numerique