Le printemps des métiers « 1, 2, 3… IA ! Intelligence artificielle, métiers et compétences, une journée pour explorer les liens de l’IA avec le monde des bibliothèques »

Villeurbanne, Enssib – 11 mai 2023

Maryline Devidal

Yves Goubatian

Hélène Guillemin

Stéphanie Jaunault

Virginie Justin-Labonne

Anne-Laure Pierre

Claudine Quillivic

Pascale Solon

Stéphane Tonon

Anne-Marie Vaillant

Stéphanie Vincent

Le Printemps des métiers, organisé par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), s’est tenu le 11 mai dernier à Villeurbanne. Cette deuxième édition du programme « phare », prospective métiers et compétences a été présentée par Nathalie Marcerou-Ramel, directrice de l’Enssib, et Odile Contat, cheffe du département Diffusion des connaissances et documentation au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en rappelant les définitions de l’intelligence artificielle (IA), notamment celle du Parlement européen : « [...] désigne la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. »

Cette intelligence s’introduit de plus en plus dans le quotidien des professionnels et bouleverse l’accès au savoir. Face à la puissance de l’IA, les bibliothécaires s’interrogent sur leur rôle, sur le rôle de l’IA dans le monde des bibliothèques et sur la notion de collections dans ce nouvel environnement technologique.

Pour la profession, l’IA implique un changement dans ses missions de médiation et de nouvelles compétences :

  • suppose une connaissance en matière de recherche, gestion, conservation ;
  • génère des informations, textes ou images, qui doivent être vérifiées et validées, elle demande donc des compétences en analyse des données, savoir détecter des œuvres ou des auteurs créés par une IA ;
  • demande une expertise en utilisation de ces outils, comme le prompt ingénieur, expert dans l’utilisation des chatbots IA comme ChatGPT.

Mais l’IA peut aussi être une aide aux bibliothécaires dans l’analyse et l’exploitation de masse de données.

Afin de vérifier la qualité des données, il faudra repenser les compétences à enseigner, l’IA est un nouveau défi qui appelle au changement comme ce fut le cas à l’arrivée d’Internet, puis des réseaux sociaux.

L’IA, une approche globale

Depuis 15 ans, le développement de l’IA connaît de grands succès, à l’exemple des automates conversationnels basés sur le traitement automatique du langage naturel. Mathieu Guillermin 1

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Physicien et philosophe spécialiste de l’éthique des sciences et des technologies.

, maître de conférences à l’Institut catholique de Lyon nous permet de déplier les éléments essentiels. ChatGPT apparu en 2018, en est l’une des illustrations les plus connues. « ChatGPT fait tout » dixit Sam Altman co-fondateur d’Open AI. Assistons-nous donc aujourd’hui avec les notions de BIG DATA, de machine learning, de deep learning à la vraie révolution de l’intelligence artificielle générale (IAG) ?

L’ambiance est propre aux fantasmes mais elle est discutable. Aux discours concevant l’IAG comme inévitable, souhaitable et contre laquelle toute réflexion éthique serait une obstruction déplacée, on peut opposer le besoin d’une réflexion collective pour comprendre ces technologies, et permettre une délibération éclairée. Nous avons cette chance dans les pays démocratiques.

Mais au fait, l’IA c’est quoi ? Avant tout un domaine scientifique, technologique et d’ingénierie. Il s’agit d’élaborer des programmes à partir de données, de transformer des données en d’autres données (par exemple une image devient une description), de modéliser, reproduire des processus cognitifs. À la base, on peut écrire un programme à partir d’un ensemble de données (architecture de calcul) mais désormais, on peut favoriser l’apprentissage automatique à partir d’une base d’exemples. On utilise des réseaux de neurones artificiels (il s’agit là de représentations mathématiques) pour encoder et décoder les informations. Il faut toutefois une intelligence humaine pour automatiser ce processus. Avec ChatGPT et les autres robots conversationnels, nous avons dépassé le modèle des réseaux de neurones récurrents (ou RNN pour Recurrent Neural Networks) pour aller vers celui des « Transformers » qui sont des modèles d’apprentissage profonds. Pour générer du texte automatiquement, le principe sous-jacent est en réalité « la prédiction » du mot suivant. GPT-4 (en 2023) aura la possibilité de traiter simultanément 24 000 mots (soit 1 000 milliards de paramètres).

En résumé, l’IA c’est de l’algorithmique de pointe mais il n’y a pas d’IA sans intelligence humaine. Toutefois, si les jugements et les arbitrages sont humains, ils sont faillibles par nature. Toute l’IA générative peut être un fantastique outil d’exploration du champ des possibles mais il est nécessaire de mettre en œuvre une large réflexion sociétale. Pour quels usages ? À quels coûts humains et énergétiques ? Quel statut pour les données personnelles ?

Usages, outils et compétences, quelles déclinaisons en bibliothèque ?

Lors de la rencontre « Point de vue croisé sur les usages et outils de l’IA », entre Malcolm Walsby, directeur de recherche Enssib et du Centre Gabriel Naudé (CGN) et Emmanuelle Bermès, maîtresse de conférences en ingénierie de la donnée et du document et responsable du master « Technologies numériques appliquées à l’histoire » à l’École nationale des chartes (EnC), cette dernière rappelle que l’une des toutes premières applications de l’IA aux données de masse produites par les bibliothèques est la reconnaissance optique de caractères (OCR pour Optical Character Recognition) qui permet d’extraire le contenu de textes numérisés. Cette utilisation s’est industrialisée au milieu du XXe siècle et a ouvert la voie aux techniques de reconnaissance optique de mise en page (OLR pour Optical Layout Recognition) permettant de reconnaître dans des documents complexes comme la presse, la mise en page en colonnes, ainsi qu’aux techniques de reconnaissance de l’écriture manuscrite (HTR) ou d’analyse de la parole enregistrée pour générer du texte. Aujourd’hui, les technologies IA, prédictives et génératives, vont plus loin en comparant les images, en les classant et en les étiquetant, ou encore en générant des notices à partir d’un texte (aide au catalogage). L’IA trouve aussi son utilité dans la médiation, l’éditorialisation, la valorisation des collections.

Prédictive, elle intervient comme aide à la décision et au pilotage, en comparant et observant les répétitions d’informations, comme les données de conservation afin d’anticiper la dégradation de certains documents. Emmanuelle Bermès recommande d’envisager les projets sous l’angle des usages plutôt que des outils, afin d’offrir des services combinant plusieurs approches de l’IA comme l’a fait l’Institut national de l’audiovisuel (INA) avec son interface qui catalogue le programme TV en segmentant les sujets, en détectant les personnes et en extrayant la parole ; il génère des résumés et mots-clés vérifiés par le documentaliste.

Autre problématique très prégnante posée par l’IA, l’exemple des algorithmes utilisés dans les moteurs de recherche ; celui de Gallica passe outre la prédictibilité du parcours usager. Loin des stratégies économiques développées par les acteurs privés, ce parti pris évite de l’enfermer dans des recommandations en l’orientant uniquement selon ses points d’intérêt. Fondés sur des critères et des choix non explicités et non neutres, les algorithmes utilisés par les moteurs de recherche restent souvent opaques et offrent des résultats biaisés.

Les autres obstacles liés à l’utilisation de l’IA en bibliothèque relèvent de la difficulté à industrialiser les procédés car ces outils s’intègrent difficilement aux systèmes d’information actuels, indisponibilité et hétérogénéité des données, infrastructures et compétences métier encore trop coûteuses.

Malcolm Walsby, quant à lui, soulève une autre problématique induite par l’IA impactant la recherche : soumis à l’injonction de plus en plus forte du Publish or Perish, les chercheurs sont tentés d’utiliser l’IA afin de générer leurs articles. Ceux-ci, non détectés par les comités de relecture peuvent être publiés mettant en danger la réputation d’éditeurs. Les rappels d’ouvrages et les rétractations d’articles sont appelés à devenir plus fréquents. Les bibliothèques ont donc un rôle de veille et de vérification de métadonnées à jouer. De la même façon, l’IA, ne citant pas ses sources, n’hésite pas à recycler des contenus préexistants afin d’en produire de nouveaux. De plus, de nombreux outils utilisent l’IA à l’insu de leurs utilisateurs façonnant les résultats et donc notre vision de la connaissance et du monde.

Pour conclure, plusieurs points de vigilance émergent quant à l’utilisation de l’IA en bibliothèque. Il est important qu’elle demeure un ensemble d’outils au service des humains ; la sensibilisation des professionnels et des publics doit se faire dans ce sens. Leur développement nécessite non seulement des compétences métiers et informatiques encore rares mais aussi une réflexion longue et une consultation large des professionnels. En effet, leur développement et évolution restent très complexes. Enfin, les questions d’éthique s’invitent largement dans le débat sachant que les IA sont entraînées par les populations les plus pauvres du monde et qu’elles demeurent très consommatrices d’énergie carbonée car nécessitant des infrastructures énergivores.

La rencontre « Montée en compétences et accompagnements des professionnels aux enjeux de l’IA » entre Luc Bellier, directeur adjoint du service commun de documentation (SCD) de l’université Paris-Saclay et membre du Chapitre francophone AI4LAM et Isabelle Blanc, chargée de la politique des données au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), était modérée par Véronique Stoll, directrice de la Bibliothèque de l’Observatoire.

Peu de bibliothécaires semblent aujourd’hui directement concernés par des projets IA, hormis les collègues de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Or l’actualité liée à ChatGPT met l’IA à la portée du grand public et ouvre un nouveau paradigme d’accélération technologique. Une crainte semble poindre, répétant celle qu’avait provoquée l’arrivée d’Internet et des moteurs de recherche : l’IA pourrait-elle remplacer les bibliothécaires ? Si l’hypothèse est peu probable, l’humain étant nécessaire au déploiement de l’IA, une grosse acculturation s’avère nécessaire de la part des professionnels de l’information et des bibliothécaires pour prendre en compte ce qui ne relève plus seulement d’un petit cercle d’initiés. Les bibliothécaires gardent certains atouts : la relation humaine, l’expertise, la capacité de jugement, la médiation.

Cette nouvelle révolution du traitement des données nous concerne directement, et nous impose de renforcer nos parcours de formation. Le métier de bibliothécaire doit valoriser deux voies dans cette mise à niveau : on produit dans nos métiers des informations structurées, ce qui suppose d’être formé aux différentes normes, mais aussi à ce qu’on doit décrire, et donc développer une expertise, des vocabulaires communs ; on doit être capable de qualifier, de sourcer et de mesurer l’information.

La question de la fiabilité de la donnée va devenir primordiale, préoccupation qui rejoint les considérations éthiques pour la construction de regards critiques dans l’éducation à la citoyenneté et l’approche des médias et informations. Repérer les plagiats, construire les indicateurs, cartographier l’information : autant d’activités qui positionnent les bibliothécaires non plus comme des seuls pourvoyeurs de contenus mais aussi comme des valideurs, ou même des experts de certains domaines.

Le développement des technologies IA met ainsi les professionnels de la donnée dans une position intéressante, mais il va nous obliger à repenser les interactions avec le monde de la recherche.

D’une part, on peut craindre que les montants d’investissements mettent les institutions publiques hors scène face à la concurrence redoublée des GAFAM (acronyme des géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Certains métiers de la donnée sont-ils devenus invisibles, les activités de vérification et validation étant tenues par des sous-emplois dispersés dans le monde, comme c’était déjà le cas pour la saisie ou rétroconversion de données ? D’autre part, dans un métier par tradition plutôt littéraire, comment va-t-on pouvoir dialoguer avec les informaticiens, par exemple pour améliorer les algorithmes, si l’on admet qu’il va falloir essayer de comprendre leur fonctionnement ? Les profils capables de collaborer avec les métiers de l’ingénierie et d’établir des vocabulaires communs seront de plus en plus appréciés, dans un paysage professionnel concurrentiel. Rappelons que le rapport Villani de 2018 2

préconisait par exemple des formations à double compétence, et de multiplier le nombre de personnes formées à l’IA par trois, ce qui n’a pas eu lieu.

L’IA pose encore des questions éthiques ou juridiques. Les bibliothécaires devront se former sur toutes les questions liées au droit d’auteur, aux droits voisins, au traitement et à l’exploitation des données personnelles. Ils doivent investir le nouveau cadre juridique en construction. Par leur veille, ils auront aussi un positionnement critique sur les impacts climatiques (empreinte carbone de l’IA) et la gestion des ressources humaines dans ce domaine.

Luc Bellier soulève l’enjeu majeur de la mutualisation des moyens. Les instruments de l’IA sont coûteux en termes de matériel : stockage des données, puissances de calcul, cartes graphiques. Pour les projets de recherche, il faudra développer davantage de plateformes partagées. Dans le domaine des humanités numériques, des infrastructures existent mais elles sont sous-dimensionnées par rapport aux besoins.

Le bibliothécaire peut jouer son rôle en valorisant ce qui est déjà dans son ADN professionnel : la mobilisation des communs, la culture d’un service public de l’échange gratuit de biens et de données. Il ne pourra cependant pas agir seul : la réglementation devra l’aider à affirmer ce rôle, et les instances de gouvernance françaises, qui pour le moment restent encore trop cloisonnées entre Culture, Enseignement supérieur et Éducation, doivent mobiliser des financements, et organiser le partage des ressources métiers.

L’IA en bibliothèque, perspectives et applications

David Lankes, Professeur de bibliothéconomie à Texas iSchool, Université du Texas (États-Unis), insiste dans sa contribution « IA inspiring libraries / L’IA qui inspire les bibliothèques », sur le fait que l’IA s’impose comme un sujet de premier plan aux bibliothécaires. Plutôt que de parler d’intelligence artificielle, il préfère le terme d’intelligence augmentée, et invite à envisager comment les différentes technologies de l’IA pourraient servir les bibliothèques et leurs missions, au vu de la capacité des IA à traiter des données massives et à exécuter certaines tâches, plus vite, et mieux qu’un humain.

David Lankes développe ensuite les défis posés à la profession par la poussée technologique des derniers mois autour des IA dites génératives, telles que ChatGPT. Il fait valoir que les collections des bibliothèques ne resteront pas étanches aux produits des IA génératives. Décrivant l’image d’un « bibliothécaire scolaire du futur » généré par l’IA, il pointe les biais de genre, de race, de stéréotypes métiers, l’inconsistance et l’incohérence des « réponses » fournies par l’IA, ainsi que les questions juridiques que posent ces œuvres, notamment en termes d’auctorialité et de propriété intellectuelle. Faire de la médiation au sujet de l’IA et de ses limites, pour accompagner les communautés d’usagers dans leur utilisation des outils IA grand public, dans la recherche d’information et la création de contenus par exemple, apparaît comme une évidence. C’est toutefois insuffisant. Au regard de la mission de service public des bibliothèques, et de leur engagement pour le bien commun, David Lankes plaide pour une posture active des bibliothécaires face à l’IA, et énonce trois domaines interconnectés dans lesquels ils doivent développer leurs compétences : les données, les algorithmes et l’apprentissage automatique. La littératie des données, des ontologies et taxonomies, la compréhension approfondie des algorithmes inductifs, la capacité à évaluer et à gérer des processus d’apprentissage automatique, l’analyse des enjeux juridiques et politiques permettront aux professionnels des bibliothèques de prendre directement part aux processus de développement et de régulation de l’écosystème IA. Ils y assumeront – au bénéfice des usagers – un rôle d’advocacy pour une IA interprétable respectueuse de principes éthiques, d’équité et de représentativité, et garante de la loyauté et de la transparence des modèles algorithmiques, des données publiques et privées utilisées et des contenus produits.

Pour David Lankes, il s’agit pour la profession surtout de ne pas se contenter de réagir à l’IA, mais de s’en saisir en tant qu’objet de politique publique.

Célia Cabane, conservatrice cheffe de projet « Données utiles à la conservation », présentait un retour d’expérience avec un outil développé grâce à un programme de recherche en IA capable de prédire les besoins en traitement des documents : Dalgocol 3

(Fouille de Données et ALGOrithmes de prédiction de l’état des COLlections). Lancé en 2018 par Alaa Zreik dans le cadre de sa thèse de doctorat 4
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Alaa ZREIK, Analyse de trajectoires sémantiques pour la prédiction de l’état physique des collections à la BnF, thèse de doctorat en informatique, sous la direction et Zoubida Kedad, Université Paris-Saclay, 16 janvier 2023. En ligne : https://theses.hal.science/tel-03992800.

, ce projet de recherche a été rendu possible grâce à un partenariat entre la BnF et l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Il s’agit d’expérimenter comment l’IA peut aider au pilotage de la conservation en s’appuyant sur un catalogue de plus de 15 millions de notices pour plus de 40 millions de documents. L’objectif n’est pas de remplacer la connaissance empirique des agents mais de la compléter en analysant cette masse de données. Ce travail a mobilisé sur trois ans des compétences techniques en IA et l’expertise des professionnels de la BnF 5

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Philippe VALLAS, « Prédire l’état matériel des documents : Dalgocol, un programme de recherche en intelligence artificielle à la BnF : entretien avec Philippe Vallas », Bulletin des bibliothèques de France, 2022, n° 1. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2022-00-0000-008.

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Une IA travaille à partir de données pour calculer de nouvelles données. La première phase du projet a donc consisté à identifier quelles seraient les données pertinentes, qualitatives, pérennes, qui allaient pouvoir être utilisées. Quatre ont été sélectionnées : la première concerne la « communicabilité » du document ; les trois suivantes concernent les événements survenus dans la vie du document : dégradations constatées, traitements de conservation, communications. Un corpus de 100 000 documents a été constitué (principalement des monographies imprimées ainsi que quelques périodiques), et un algorithme a produit la trajectoire sémantique, ou trajectoire de vie de chaque document à partir de ces données.

Les vocables différents utilisés dans les constats d’état empêchaient d’opérer des regroupements, étape nécessaire pour créer un modèle prédictif. Une ontologie a donc été produite afin de rassembler les événements de même nature. Un autre algorithme de comparaison a ensuite permis d’identifier des groupes de trajectoires similaires, et en a extrapolé un nombre restreint de trajectoires-types. Puis, pour chaque trajectoire-type, on a calculé un pourcentage de chance pour les documents d’être incommunicables et de devoir être pris en charge dans une filière de conservation. Différents algorithmes de prédiction ont été testés jusqu’à trouver un modèle qui fonctionne : les derniers tests révèlent un taux d’erreur de 7 %, ce qui est un résultat encourageant. D’autres tests sont prévus.

Ce projet a d’ores et déjà des retombées très positives pour la BnF qui veut se positionner comme un acteur central de la conservation préventive, et conjointement mettre en œuvre un projet de recherche sous l’étiquette Intelligence artificielle, une des missions déclinées dans sa feuille de route 2021-2026.

Cependant, le groupe de données isolées pour ce prototype n’est-il pas trop précis, et susceptible de comporter des biais ? Et comment évaluer la part des choix initiaux faits par les bibliothécaires dans ce pourcentage ? Actuellement, seulement 5 % des collections de la BnF ont des données suffisamment bien renseignées, ce qui interroge sur la pertinence du modèle. Célia Cabane souligne l’intérêt d’une prise de conscience collective pour l’amélioration de la qualité des données décrivant les étapes de vie du document. Elle remarque également qu’il faudrait pouvoir ajouter d’autres règles dans le modèle de prédiction – par exemple les caractéristiques techniques du document conjuguées aux dates de production – afin de calculer de nouvelles trajectoires et d’affiner les groupes de documents.

Au-delà de cet exposé, on espère une communication restituant le déroulé du projet, le détail des critères sélectionnés et leur possible évolution, enfin les écueils et les réussites de cette entreprise. Plusieurs bibliothèques anglo-saxonnes ont déjà signalé leur grand intérêt pour cette démarche, qui gagnera à être partagée. Il est prévu de publier l’ontologie BnF ouvrant ainsi la collaboration avec d’autres institutions.

Les participants à cette journée ont également eu l’opportunité d’assister à une « sensibilisation à l’IA avec la MIAM, Machine Intelligente Apprenant le Morpion » avec Aline Parreau, chargée de recherche au CNRS et Éric Duchêne, professeur des universités à l’université Lyon 1. Ceux-ci proposaient de jouer au morpion contre la MIAM, dont les origines remontent à 1961 lorsque le chercheur britannique Donald Michie inventa le premier prototype de machine à apprendre à jouer au morpion (MENACE : Matchbox Educable Noughts and Crossing Engine).

Le principe est très simple : 304 boîtes représentent les 304 situations possibles lors d’une partie de morpion. À l’intérieur de chaque boîte, des perles de couleurs représentent les coups possibles. Lorsqu’un joueur place son coup sur la grille, on cherche la boîte qui correspond au coup joué et on tire une perle au hasard. Sa couleur correspond au coup joué par la machine. On continue ainsi jusqu’à la fin de la partie.

Il s’agit d’illustrer l’apprentissage par renforcement ; lors de l’atelier, deux versions de la machine sont présentées : une version complètement novice qui n’a pas encore joué contre les humains et une autre version ayant déjà réalisé une trentaine de parties. À la fin de chaque partie, si la machine perd, on la pénalise en retirant toutes les perles qu’elle a jouées durant la partie. Il est alors moins probable qu’elle rejoue de la même façon. Si la machine gagne, on la récompense en lui remettant toutes les perles qu’elle a jouées en lui ajoutant plusieurs perles identiques à chaque fois. La probabilité qu’elle rejoue les mêmes coups est alors plus grande. Au fil des parties, la machine devient donc de plus en plus performante face à l’humain.

L’objectif de ce type d’installation est la médiation informatique sans écran afin de mieux comprendre le fonctionnement d’un algorithme de programme informatique à travers une simulation physique. Cette démarche s’inspire du courant de pensée de l’informatique débranchée (Computer Science Unplugged), né à la fin des années 1990 en Nouvelle Zélande.

Le SWOT (Strengths Weakness Opportunities Threats) de l’IA, ou comment les acronymes prennent le pouvoir : forces, faiblesses, opportunités et menaces de l’intelligence artificielle en bibliothèque

Dans sa conférence de clôture, Jean-Philippe Magué, maître de conférences en sciences du langage et Humanités numériques à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon, directeur adjoint du groupement d’intérêt scientifique IXXI 6

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Institut rhônalpin des systèmes complexes : http://www.ixxi.fr/.

, a mis en lumière, parmi les éléments marquants des interventions précédentes, trois grands écueils liés à l’irruption massive de l’IA : la pollution informationnelle, liée à ce tsunami de documents produits par les machines, le risque de voir disparaître une partie de notre patrimoine culturel, occulté sur l’espace numérique et donc non pris en compte par les IA, et enfin, le risque de fracture, entre ceux qui seront éduqués pour appréhender ces nouvelles ressources (esprit critique, maîtrise des aspects techniques), et les autres.

Malgré tout, évoquant des opportunités à saisir, les professionnels des bibliothèques pourront, selon lui, endosser un rôle central, en tant qu’experts des métiers de la donnée et du savoir, mais également en tant que facilitateurs, à l’interface entre les données et les utilisateurs. Pour ce faire, un temps important doit être accordé à l’identification des besoins et à la construction d’une véritable littératie de l’IA.

Jean-Philippe Magué conclut sur une tension à résoudre entre ce temps nécessairement long (de réflexion, de transformation des institutions et de la législation), et la précipitation des changements actuels. Quoique bousculés, les bibliothécaires seront, selon lui, suffisamment alertes pour ne pas juste prendre le train en marche, mais accompagner cette révolution.

Bibliographie

Ouvrages généraux

  • BONNET, Daniel, et Jean-Jacques PLUCHART (dir.). Intelligence artificielle & intelligence humaine : regards croisés entre des philosophes, des psychanalystes et des gestionnaires sur l’intelligence artificielle. Paris : Éditions Eska, 2022.
  • BORTZMEYER, Stéphane. Cyberstructure : l’Internet, un espace politique. Caen : C & F éditions, 2018.
  • BRAUNSCHWEIG, Bertrand. L’intelligence artificielle : passé, présent et futur. Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, 2019.
  • KRIVINE, Hubert. L’IA peut-elle penser ? : miracle ou mirage de l’intelligence artificielle. Louvain-la-Neuve : De Boeck supérieur, 2021.
  • PIATTI, Marie-Christine, et Mathieu GUILLERMIN (dir.). Intelligence(s) artificielle(s) et vulnérabilité(s) : kaléidoscope : les contreforts de l’éthique et du droit. Paris : Éditions des archives contemporaines, 2020.
  • RUSSELL, Stuart, et Peter NORVIG. Intelligence artificielle : une approche moderne. 4e édition. Traduit par Fabrice POPINEAU, Laurent MICLET et Claire CADET. Paris : Pearson, 2021.

Rapports institutionnels

Articles, contributions

  • BELLIER, Luc, Sophie BERTRAND, et Brigitte BODET. « Collaboration, organisation : l’impact du numérique », Bulletin des bibliothèques de France, 2016, no 4. En ligne : https://bbf.enssib.fr/revue-enssib/consulter/revue-2016-04-009 [consulté le 21 avril 2023].
  • BELLIER, Luc, Brigitte BODET et Louise FAUDUET. « Un observatoire à la BnF : numérique, collections, métiers » in Christophe PÉRALES (dir.), Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes. Villeurbanne, Presse de l’Enssib, 2015 (coll. La Boîte à outils ; 32), p. 132-144.
  • COX, Andrew M., et Suvodeep MAZUMDAR. « Defining artificial intelligence for librarians ». Journal of Librarianship and Information Science, 2022. En ligne : https://doi.org/10.1177/09610006221142029 [consulté le 21 avril 2023].
  • LECLAIRE, Céline, et Mélanie LEROY-TERQUEM. « L’intelligence artificielle au service de la Bibliothèque et de ses usagers », dossier paru dans Chroniques n° 93, janvier-mars 2021. En ligne : https://www.bnf.fr/fr/lintelligence-artificielle-au-service-de-la-bibliotheque-et-de-ses-usagers [consulté le 21 avril 2023].
  • GASPARINI, Andrea, et Heli KAUTONEN. « Understanding Artificial Intelligence in Research Libraries : an Extensive Literature Review ». LIBER Quarterly : The Journal of European Research Libraries, vol. 32 no 1 (2022). En ligne : https://liberquarterly.eu/article/view/10934 [consulté le 21 avril 2023].
  • MOREUX, Jean-Philippe. « Recherche d’images dans les bibliothèques numériques patrimoniales et expérimentation de techniques d’apprentissage profond », Documentation et bibliothèques, avril-juin 2019, Montréal, 2/65. En ligne : https://experts.bnf.fr/sites/default/files/000-moreux-chiron_frfinal.pdf [consulté le 21 avril 2023].
  • « Une feuille de route pour l’intelligence artificielle à la BnF ». Propos recueillis par Mélanie LEROY-TERQUEM. Entretien avec Emmanuelle BERMÈS. Entretien paru dans Chroniques n° 93, janvier-mars 2021. En ligne : https://www.bnf.fr/fr/une-feuille-de-route-pour-lintelligence-artificielle-la-bnf [consulté le 21 avril 2023].

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