Prévention et lutte contre l’illettrisme en Bretagne

Christine Loquet

Au sein de Livre et lecture en Bretagne, la création d’un poste sur les « publics éloignés du livre » a permis l’accompagnement et le développement de projets, notamment dans le champ de la prévention de l’illettrisme. Depuis quelques années, Livre et lecture en Bretagne porte une démarche singulière, le « facile à lire », qui a pu être déclinée au sein des bibliothèques, mais aussi au sein des établissements pénitentiaires de la région, à travers le projet Quartier Livre. L’article porte sur les actions de prévention et de lutte contre l’illettrisme à l’échelle de la région, et sur le développement de la lecture en prison.

Livre et lecture en Bretagne, structure régionale pour le livre, a fait le choix de créer en 2010 un poste de chargé de mission spécifique, qui se consacre à temps plein à la question des publics éloignés du livre, à travers quatre missions fléchées : la lecture en prison, la lecture à l’hôpital, la question des handicaps et celle de l’illettrisme.

Publics éloignés ? empêchés ? spécifiques ?

Difficile de nommer les personnes qui ne fréquentent pas les lieux du livre, ceux qui ne viennent pas, ceux qui ne peuvent pas venir, les publics spécifiques et autres personnes « fâchées » avec la lecture.

La notion la plus ancienne est celle des publics empêchés, qui caractérise les personnes qui n’ont pas accès aux lieux car elles sont retenues dans des « institutions », ou parce qu’elles sont en situation de handicap.

En Bretagne, nous avons préféré utiliser un terme plus large, un peu moins sombre peut-être, celui de l’éloignement. Être éloigné, c’est ne pas avoir accès aux lieux du livre ou à la lecture parce qu’on est en situation d’empêchement, pour un temps donné (être en institution, être en situation de handicap, être malade), mais on peut être éloigné du livre aussi pour des raisons sociales, géographiques, voire personnelles.

Si les publics des prisons ou ceux des hôpitaux sont les plus évidents, les plus « captifs », il ne faut pas oublier d’autres publics plus « invisibles », comme les personnes en grande précarité, les personnes isolées, les personnes en situation d’illettrisme, les personnes dont la pratique de la lecture est tout simplement fragile.

Prévenir (lutter ?) contre l’illettrisme

Quelques chiffres et définitions : 7 % de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France est en situation d’illettrisme, soit 2 500 000 personnes en métropole.

D’après le site de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) 1, on parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. Il s’agit pour elles de réapprendre, de renouer avec la culture de l’écrit, avec les formations de base, dans le cadre de la politique de lutte contre l’illettrisme.

Il est essentiel de différencier l’illettrisme de l’analphabétisme, qui concerne les personnes qui n’ont jamais été scolarisées, à différencier aussi du français langue étrangère (FLE) qui s’adresse aux personnes dont le français n’est pas la langue maternelle.

Illettrisme et bibliothèques

La problématique de l’illettrisme est transversale et a des conséquences sur tous les aspects de la vie d’une personne (vie quotidienne, travail, culture) ; il s’agit d’une question de société. Parmi d’autres, les acteurs du livre sont eux aussi concernés. Les bibliothèques sont d’abord des acteurs de la prévention de l’illettrisme pour les plus jeunes. Mais celles-ci peuvent aussi devenir des acteurs de la lutte contre l’illettrisme.

La plupart des bibliothécaires sont convaincus qu’elles ont un rôle à tenir, mais comment faire ? Comment toucher des publics qui ont très peu de raisons d’entrer dans une bibliothèque car ils n’en maîtrisent pas les codes ?

La démarche « Facile à lire » tente d’apporter une réponse à ces questionnements, dans la lignée des projets « hors les murs » qui existent depuis de nombreuses années dans les bibliothèques. Car, pour tenter d’ajouter leur pierre à l’édifice de la prévention/lutte contre l’illettrisme, les projets sont à la fois simples et complexes ; il faut aller au-devant des personnes et travailler nécessairement en partenariat avec les organismes du champ social qui ont déjà fait le travail de repérage, et qui accompagnent les personnes en difficulté.

Facile à lire : une démarche nordique
adoptée par les Bretons

Depuis 2013, Livre et lecture en Bretagne, sous l’impulsion et avec la structure Bibliopass  2, a développé le concept du « Facile à lire  3 », directement inspiré des démarches des pays de l’Europe du Nord.

La démarche « Facile à lire » consiste à développer des espaces dédiés, dans des mobiliers spécifiques avec présentation des ouvrages de face. Dans ces espaces sont présentés des ouvrages « faciles à lire ». Les mobiliers sont installés au sein de la bibliothèque ou sont mobiles, et susceptibles de sortir des murs. Enfin, les projets sont montés en partenariat avec les représentants du champ social, pour toucher les publics les plus éloignés du livre.

Dans un premier temps, nous avons créé un kit « Facile à lire », regroupant une première liste d’ouvrages sélectionnés par Bibliopass  4, des conseils de mise en place et des critères de sélection des ouvrages. Début 2016, Bibliopass a créé une seconde liste d’ouvrages  5.

Des espaces qui se nomment, ou pas…

Si la dénomination « easy-to-read squares » fait l’unanimité dans les pays du nord de l’Europe, il semble plus difficile pour les bibliothécaires français de nommer ces espaces, par peur de la stigmatisation des publics  6. S’il n’est pas obligatoire de nommer l’espace « facile à lire », il est important de le signaler, pour les publics visés notamment, et pour toutes les personnes qui ont envie de lectures faciles plus largement.

Afin de labelliser les espaces créés dans la région, un logo « Facile à lire » a été réalisé et pourra être adapté à toute région souhaitant créer son propre label « Facile à lire ».

Le dispositif nécessite un aménagement particulier. Pour créer un espace « Facile à lire », on recommande de choisir un mobilier repérable, coloré, transportable si possible car le « facile à lire » doit pouvoir sortir des murs de la bibliothèque, au plus près des publics concernés. Sur le meuble choisi, les ouvrages sont présentés de face. Le choix d’emplacement de l’espace FAL est important : il doit être bien situé, visible tout de suite depuis l’entrée de la bibliothèque.

Une fois en place, comment faire vivre un espace « facile à lire » ? Si on veut toucher les publics les plus éloignés, notamment tous ceux que la bibliothèque impressionne et qui en franchissent difficilement la porte, le maître mot du projet sera le partenariat. Les partenaires seront propres à chaque structure, selon le tissu associatif et/ou social de la collectivité : les missions locales, les organismes de formation, les associations… tous ceux qui pourront aider la bibliothèque à repérer les personnes les plus éloignées de la lecture et les motiver à entrer en contact avec celle-ci par le biais d’un atelier, d’un projet ou simplement d’une visite. On peut aussi faire appel à une compagnie de théâtre, qui viendra par exemple inaugurer les espaces, lire à voix haute des textes extraits des ouvrages sélectionnés. L’essentiel de la démarche est ici de désacraliser le livre, de le rendre accessible et sympathique.

Prix « Facile à lire » Bretagne : une première édition en 2017

Pour poursuivre la dynamique bretonne autour des espaces « Facile à lire » mis en place par les bibliothèques de la région, l’établissement public de coopération culturelle Livre et lecture en Bretagne [1] et l’association Les Chemins de lecture  [2] lancent, en 2017, un nouveau prix littéraire : le prix « Facile à lire » Bretagne.

Ce nouveau prix est soutenu par la direction régionale des affaires culturelles de Bretagne, la Sofia, les bibliothèques départementales de prêt. Radio Rennes est également partenaire de cette première édition.

13 communes participantes

Les bibliothèques de 13 communes bretonnes, déjà engagées dans le « Facile à lire », participent à ce prix. En lien avec des partenaires sociaux et du domaine de la santé, elles organisent des temps de médiation spécifiques, à l’attention de publics plutôt éloignés du livre et de la lecture, autour de la sélection de 8 ouvrages.

Ces 13 communes sont réparties géographiquement en Bretagne : en Ille-et-Vilaine (Betton, La Chapelle-de-Brain, Renac, Saint-Didier, Sixt-sur-Aff, Thorigné-Fouillard),

en Finistère (Lampaul-Guimiliau, Landerneau, Lesneven), en Morbihan (Allaire, Carnac, Muzillac, Saint-Jacut-les-Pins).

Un kit de communication a été remis aux bibliothèques participantes : marque-pages des ouvrages sélectionnés, affiche, livret de présentation de la sélection à destination des professionnels des bibliothèques, livret de présentation de la sélection à destination des publics.

8 ouvrages en compétition

8 ouvrages ont été retenus dans la sélection pour cette première édition :

  • L’ABC…Z des Héroïnes de Marilyn Degrenne et de Florette Benoit (éd. La Balade des livres)
  • Un autre choix de Frédérique Dolphijn (éd. Weyrich, collection « La traversée »)
  • La masure de ma mère de Jeanine Ogor et Jean Rohou (éd. Dialogues)
  • La nappe blanche de Françoise Legendre (éd. Thierry Magnier)
  • Un océan d’amour de Grégory Panaccione et Wilfrid Lupano (éd. Delcourt)
  • Peau d’âne d’Hélène Druvert (éd. Gautier-Languereau)
  • Roméo et Juliette de Valérie de La Rochefoucauld (éd. Didier Jeunesse)
  • La vie des gens de François Morel et Martin Jarrie (éd. Les Fourmis rouges)

Le Prix « Facile à lire » Bretagne

Le prix « Facile à lire » Bretagne comporte deux volets :

– Un prix « Lecteurs » parmi les 8 ouvrages en compétition. Les publics des bibliothèques des 13 communes participantes sont invités à voter entre janvier et août 2017 pour l’un des 8 ouvrages de la sélection.

– Un prix « Bibliothèques » récompense également l’une des 13 bibliothèques participantes pour les actions de médiation mises en place à l’occasion de ce prix : rencontre avec les auteurs, lectures d’extraits, lectures-spectacles avec musique, débats sur les thèmes des livres…

Les objectifs :

– Créer des rencontres humaines riches avec les habitants, les publics.

– (Re)donner l’envie de lire par l’échange et la convivialité en faisant collaborer différents acteurs du champ culturel, social…

Pour accompagner ces bibliothèques et animer ces espaces « Facile à lire » dans le cadre de ce prix, l’association Les Chemins de lecture a lancé un appel au financement participatif via la plate-forme Kengo [3].

Le blog « Facile à lire » Bretagne

Pour poursuivre la dynamique bretonne autour du « Facile à lire », il est apparu nécessaire de recenser l’ensemble des projets existants via un blog [4], permettant ainsi le partage d’expériences et la mise en réseau de professionnels. Une partie de ce nouveau blog, créé en janvier 2017, est consacrée au prix « Facile à lire ».

Florence Le Pichon

Chargée de l’animation des réseaux de bibliothèques, Livre et lecture en Bretagne

[1] http://www.livrelecturebretagne.fr

[2] https://lescheminsdelecture.wordpress.com/

[3] https://www.kengo.bzh/projet/animations-espaces-facile-a-lire-bretagne

[4] http://facilealirebretagne.wordpress.com

    « La traversée », une collection « facile à lire »

    À l’initiative de Lire et Écrire Luxembourg, des écrivains belges ont accepté d’écrire des romans pour tous, avec une attention particulière pour les adultes débutant en lecture. La collection « La traversée », publiée aux éditions Weyrich depuis 2012, permet notamment aux lecteurs débutants de prendre du plaisir à lire autrement qu’à travers des ouvrages pour enfants ou des romans ados.

    La clause de départ imposée à tous les écrivains : se soumettre à l’œil critique d’un comité de lecture composé d’apprenants. Les auteurs ont accepté la contrainte et mis leur liberté d’artiste entre parenthèses au cours de séances de correction orchestrées par leurs futurs lecteurs.

    Les textes sont découpés en chapitres très courts. Toutes les phrases sont simples, toujours au singulier. Chaque chapitre a un titre explicite.

    Quelques exemples de projets « facile à lire » bretons

    Début 2014, Livre et lecture en Bretagne a bénéficié d’une dotation exceptionnelle de la Drac Bretagne, dans le cadre des mesures d’urgence du pacte d’avenir, pour un territoire ciblé dans le nord Finistère, recouvrant sept communes et autant de partenaires. Le projet retenu a été, d’une part, une résidence d’auteur dans les sept lieux  7, d’autre part, l’aménagement d’espaces « Facile à lire » dans chaque bibliothèque.

    Les sept projets sont très différents, à l’image de l’environnement de chaque lieu, des publics et des habitudes de travail des équipes : une bicyclothèque à Landivisiau, une malle « Facile à lire » à la porte de la médiathèque de Lesneven, relookée par un artiste, des chariots « Facile à lire » transportables d’un service à l’autre au centre hospitalier de Lanmeur, un meuble « Facile à lire » au centre de la médiathèque, auquel s’est ajouté un meuble « Facile à lire » en carton à la Maison pour tous de Landerneau, quatre meubles « Facile à lire » chez les deux coiffeuses et deux cabinets de kinésithérapie de Lampaul-Guimiliau.

    Après ces premiers projets, d’autres espaces ont fleuri ailleurs en Bretagne, portés par des communes ou par les bibliothèques départementales.

    « Le facile à lire, c’est facile à faire », dit Hélène Fouéré, directrice de la médiathèque Per-Jakez-Heliaz de Landerneau, l’une des premières à avoir conçu un espace « Facile à lire ».

    Aujourd’hui, la graine du « Facile à lire » a bien germé : une vingtaine d’espaces « Facile à lire » sont nés en Bretagne, d’autres sont en cours de réalisation, dans la région et ailleurs en France.

    Le « Facile à lire » remet en cause certains fondamentaux du métier de bibliothécaire (la manière de présenter les ouvrages, les choix d’ouvrages) ; il révèle aussi une part importante des publics qui ne fréquentent pas les bibliothèques. En démarrant un projet « Facile à lire », on a parfois l’impression qu’il faudrait tout reprendre : refaire toute la signalétique de la bibliothèque, renoncer définitivement aux classements Dewey. Une démarche qui bouscule, mais ces questionnements sont essentiels, pour des bibliothèques accessibles à tous.

    Résidences d’écrivain et personnes en difficulté avec l’écrit

    « Le livre permet de retrouver le sentiment de sa propre continuité et sa capacité d’établir des liens avec le monde. Il est aussi un dépositaire d’énergie et comme tel il peut donner la force de passer à autre chose, de sortir d’où l’on est immobilisé. »

    Michèle Petit, Éloge de la lecture : la construction de soi, éd. Belin, 2002.

    Pourquoi faire intervenir un écrivain ?

    Les personnes en situation d’illettrisme ont bien souvent un rapport difficile avec les institutions qui peuvent s’apparenter à l’école (en particulier les bibliothèques). L’écrivain, parce qu’il n’est pas un pédagogue, parce qu’il a une relation non institutionnelle et non académique avec l’écrit, est le mieux placé pour donner accès à une expérience intime de la lecture et de l’écriture.

    Vivre un texte et en faire un espace à soi est la première étape vers la réappropriation de l’écrit.

    Dans la lutte contre l’illettrisme, l’écriture n’est bien souvent considérée que dans son usage « utilitariste ». Pourtant, il faut rappeler que ces personnes ont appris à lire et à écrire, qu’elles ne souffrent d’aucun déficit intellectuel mais que l’écrit est toujours resté à l’extérieur d’elles. Elles n’ont jamais pu intérioriser les textes. Le fait que la lecture contribue à la construction de soi est un élément clé dans la lutte contre l’illettrisme et la prévention de l’illettrisme. Cette construction de soi passe d’abord par le récit. C’est l’accès à des voix singulières qui permet de trouver sa propre voie/x et de se sentir légitime d’exister, c’est-à-dire d’échanger avec les autres.

    L’écrivain n’est pas un magicien

    La présence d’un écrivain n’a pas d’effet magique mais en échangeant d’égal à égal avec des personnes en difficulté avec l’écrit, sur son rapport aux textes, à la création, sur ses interrogations, ses lectures mais aussi ses propres difficultés, il reconnaît leur capacité à accéder à l’écrit.

    Cependant, les effets de la présence d’un écrivain dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme ou de la prévention de l’illettrisme ne peuvent être observables immédiatement, il s’agit d’un pari plus que d’une certitude. Le choix de l’écrivain est déterminant mais la préparation de ses interventions en amont l’est tout autant.

    Le rôle d’un écrivain n’est pas de lutter contre l’illettrisme, il ne pourra donc pas rendre de comptes sur une action qui n’est pas la sienne. C’est aux partenaires à l’initiative du projet de créer les conditions qui potentiellement permettront aux publics visés de « raccrocher avec l’écrit ».

    L’importance de la préparation en amont

    Les projets de résidences d’écrivain que Livre et lecture en Bretagne a accompagnés depuis 2014, en lien avec les publics en difficulté avec l’écrit, nous ont permis de tirer quelques enseignements. Le premier, dans le nord Finistère, était issu d’une commande de la Drac Bretagne qui souhaitait la mise en place d’actions financées dans le cadre des mesures d’urgence du Pacte d’avenir pour la Bretagne. Nous sommes donc convenus de travailler avec des partenaires locaux, cinq bibliothèques et deux établissements de santé, et de leur proposer d’installer des espaces « Facile à lire ». Espaces qui nécessitent d’abord l’identification de ce qui peut rebuter les personnes en difficulté avec l’écrit et qui les empêchent notamment de fréquenter les bibliothèques. La résidence d’écrivain s’inscrivait donc dans un cadre plus large. La rédaction de l’appel à projets a constitué un temps d’échange important entre les partenaires, qui a permis de rappeler l’importance de considérer l’écrivain comme un artiste en création et non comme un médiateur. La sélection de l’auteur par un jury constitué de l’ensemble des partenaires a aussi été un moment essentiel pour que chacun puisse appréhender la manière de travailler avec l’auteur. Cependant, la place de l’écrivain n’a pas été évidente à définir, nous nous sommes aperçus qu’il avait manqué un temps de rencontre avec les partenaires avant sa venue en résidence.

    Le temps de préparation en amont de la résidence est essentiel, il va conditionner sa réussite. L’écrivain doit être informé du projet global, de ce que l’on attend de lui, connaître le rôle et la place des partenaires, tout en lui laissant suffisamment de marge de manœuvre pour qu’il reste dans une démarche de création.

    Il s’agit d’installer ce que l’on pourrait appeler « l’atelier de l’écrivain », dans lequel il va pouvoir inviter les personnes en difficulté avec l’écrit.

    La seconde expérience que nous pouvons citer est celle d’une résidence d’écrivain portée par la bibliothèque de Saint-Brieuc en collaboration avec la maison d’arrêt. Le contexte très particulier de la prison nécessitait une préparation minutieuse qui a démarré presque un an avant la venue de l’auteur. La rédaction de l’appel à projets a, là encore, été un acte important, notamment pour les partenaires pour qui cette résidence constituait une première. Il est apparu évident, au moment de choisir l’auteur, qu’il fallait être attentif à deux choses : la démarche artistique de l’écrivain (donc son œuvre) et ses motivations quant au projet.

    Dans les deux cas, il s’agissait de résidences de création, cependant le fait de s’impliquer dans un projet en lien avec des personnes en difficulté avec l’écrit n’a laissé que peu (voire pas) de temps aux écrivains pour leur création personnelle. Ils ont témoigné s’être enrichis humainement de cette expérience sans pour autant savoir comment elle allait nourrir leur travail d’écriture.

    Le troisième cas que nous pourrions citer, qui concerne une résidence menée à Lorient, en 2016 également, contredit ce constat. En effet, l’auteur a pu mener de front création personnelle et interventions auprès des publics. Il n’y a donc pas de règles en la matière, mais il est important que l’écrivain sache lui aussi se situer à cet égard afin qu’il ne sorte pas « abîmé » par l’expérience mais au contraire plein d’une énergie favorable à la pratique de son art.

    Christian Ryo

    Directeur de Livre et lecture en Bretagne

    Pour en savoir plus sur les résidences, vous pouvez consulter le document « Pourquoi et comment recevoir un auteur ? » réalisé par Livre et lecture en Bretagne et accessible sur son site : http://www.livrelecturebretagne.fr/pourquoi-et-comment-accueillir-un-auteur/

    Pour en savoir plus sur quelques résidences accompagnées par Livre et lecture en Bretagne : https:/residence2014.wordpress.com/

    https://quartierlivreblog.wordpress.com/la-residence-decrivain/

    https://bortnikovlorient.wordpress.com/

      Lire en prison : un droit !

      Il existe une bibliothèque dans chaque prison. D’après les Règles pénitentiaires européennes notamment, « chaque établissement doit disposer d’une bibliothèque destinée à tous les détenus, disposant d’un fonds satisfaisant de ressources variées, à la fois récréatives et éducatives, de livres et d’autres supports ».

      Si les bibliothèques sont présentes dans tous les établissements pénitentiaires, la plupart du temps ce sont des lieux modestes, de petites bibliothèques qui mériteraient plus d’espace, plus de moyens.

      On compte sept établissements pénitentiaires en Bretagne (entre 2 200 et 2 500 détenus), qui tous hébergent au moins une bibliothèque. Livre et lecture en Bretagne a pour mission d’aider au développement de ces bibliothèques, et plus largement d’impulser des actions autour du livre et de la lecture dans ce milieu, en lien avec un tissu dense de partenaires culturels et d’acteurs du livre.

      Les bibliothèques publiques et les prisons

      Les bibliothèques publiques sont des partenaires importants des bibliothèques en détention, gérées au quotidien par des personnes détenues, les auxi-bibliothécaires.

      Les bibliothèques municipales des communes sur lesquelles sont implantées les prisons sont en général partenaires des prisons, et dans une moindre mesure les BDP, qui interviennent en particulier pour la formation des auxi-bibliothécaires.

      Prêt de livres en gros, prêt de livres à la demande, permanences à la bibliothèque, formation des auxi-bibliothécaires sont les tâches les plus courantes prises en charge par les partenaires. Les bibliothèques proposent aussi des actions de médiation en prison, comme des rencontres d’auteurs ou d’autres animations en lien avec la programmation de leur bibliothèque.

      Il arrive que la bibliothèque partenaire aille encore plus loin. En 2016 par exemple, la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc a porté une résidence d’écrivain qui s’est tenue à la maison d’arrêt, dans le cadre du projet régional Quartier Livre.

      D’autres acteurs du livre peuvent-ils intervenir en prison ? Oui : de nombreuses rencontres d’auteurs, ateliers d’écriture ou ateliers de bande dessinée sont organisés régulièrement en prison.

      Les libraires peuvent aussi être partenaires des prisons. En dehors de la fourniture de livres, il arrive que les libraires interviennent en tant que médiateurs du livre. À Brest par exemple, Dominique Leroux, libraire spécialisée en bande dessinée  8, intervient dans le cadre du club de lecture de la maison d’arrêt. La libraire laisse des BD en « office » aux détenus. Avec le réseau des bibliothèques de Brest, la libraire a édité l’an passé une sélection de BD, prescription de lectures des détenus pour tous les Brestois.

      Quartier Livre

      Quartier Livre est un projet régional, inspiré des démarches « Facile à lire », qui s’est déroulé en 2015 et 2016 dans les sept prisons bretonnes avec :

      • des espaces « Facile à lire » installés dans des lieux particuliers de la détention (couloirs d’accès aux soins, accès aux promenades, salle d’attente du SPIP [1]) ;
      • des temps de médiation avec des compagnies qui ont proposé des lectures ou des ateliers autour des textes « faciles à lire » ;
      • une résidence d’écrivain à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, avec l’auteure nantaise Laurence Vilaine, d’avril à juin 2016. Des carnets d’écriture ont été remis à tous les détenus bretons, carnets qui recèlent des extraits de textes écrits par les détenus de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, à l’occasion des ateliers d’écriture avec Laurence Vilaine.

      La communication autour d’un tel projet est fondamentale, pour que les informations circulent, et que des traces sortent des prisons. C’est Maïlys Affilé, chargée de communication à Livre et lecture en Bretagne, qui a pris en charge cette partie essentielle.

      Toutes les informations et images de Quartier Livre sont sur le blog [2].

      [1] SPIP : service pénitentiaire d’insertion et de probation.

      [2] Le GT dys a organisé les premières rencontres « Lecture et dyslexie », les 9 et 10 novembre 2016 à Rennes. Retrouvez les traces des rencontres sur le site de Livre et lecture en Bretagne :

      http://www.livrelecturebretagne.fr/lecture-et-handicaps/les-groupes-de-travail-regionaux/le-groupe-de-travail-lecture-et-dyslexie/

        D’autres démarches régionales existent en direction des publics éloignés

        Livre et lecture en Bretagne a ainsi créé avec des partenaires deux groupes de travail régionaux :

        – le GT pictogrammes est un groupe de travail composé de bibliothécaires et d’experts du domaine du handicap, dont l’objectif est de créer une base de pictogrammes pour une signalétique adaptée dans les bibliothèques ;

        – le GT dys travaille et propose des projets autour de la lecture et la dyslexie (le groupe est piloté par Livre et lecture en Bretagne et la bibliothèque des Champs Libres de Rennes) [1].

        [1] https://quartierlivreblog.wordpress.com/
        Vendredi 7 avril 2017, à Rennes, se tiendra une journée régionale « Lire en prison », avec notamment la restitution du projet Quartier Livre.

          En guise de conclusion

          Le travail auprès des publics empêchés est passionnant, en plus d’être largement porteur de sens. Si nous avons lancé quelques pistes en Bretagne, bien d’autres encore sont à creuser, comme une meilleure prise en charge des détenus par les bibliothèques à leur sortie de prison, que celles-ci deviennent des lieux pivot de la réinsertion. Plus largement, il est urgent que les bibliothèques assument le volet social de leur action, qu’elles placent les publics éloignés au cœur de leurs projets, pour une véritable « démocratie culturelle ».

          Si les noms qu’on prête aux missions et aux publics éloignés continuent à susciter l’étonnement, le fond ne doit plus faire débat. Qu’on les nomme publics éloignés, spécifiques, empêchés, la prise en compte de tous les publics doit devenir une évidence pour les bibliothèques comme pour l’ensemble des acteurs du livre.

          Et on sait que les projets développés pour ces publics profitent à tous.

          La commission ABF « Hôpitaux Prisons »

          Créée en 2011, la commission « Médiathèques d’établissements pénitentiaires » de l’ABF réunit une dizaine de bibliothécaires professionnels soucieux de rendre visible, d’accompagner et de soutenir le travail des bibliothécaires mené dans les établissements pénitentiaires [1].

          Depuis sa création, cette commission a organisé trois journées d’études nationales, travaillé à la rédaction d’un ouvrage de la collection Médiathèmes, La bibliothèque, une fenêtre en prison [2], et se montre attentive à l’ensemble des actions menées en direction des publics privés de liberté.

          Son objectif est d’apporter aide, expertise et outils nécessaires aux collègues soucieux de développer des partenariats et d’entamer des actions, les carences structurelles de lecture publique au sein des établissements pénitentiaires étant toujours importantes sur le territoire.

          En ce sens, la commission exerce également un rôle de veille et d’alerte, prenant, entre autres, position face au dispositif « Lire pour s’en sortir » actuellement en cours de déploiement dans les établissements pénitentiaires, et se positionnant comme un interlocuteur nécessaire et indispensable auprès des différentes tutelles dans l’élaboration des dispositifs touchant au livre et à la lecture auprès des publics empêchés [3].

          C’est dans cette dynamique qu’a été validé, en automne 2016, l’élargissement de la commission aux bibliothèques d’hôpitaux.

          Les sujets de réflexion, les contraintes posées par le cadre, les conventions interministérielles et la notion de « publics éloignés » sont autant de points communs qui ont justifié cet élargissement, dans la volonté constante de préserver et de valoriser la place et le rôle des bibliothécaires professionnels dans ces actions.

          L’ensemble des outils, des ressources et de la veille proposés par la commission, élargie avec des professionnels issus des bibliothèques d’hôpitaux, seront disponibles sur un blog mis en ligne courant 2017. Ses membres se tiennent également à la disposition de chaque professionnel ou structure souhaitant organiser une journée d’étude sur le sujet, un partenariat local ou, simplement, se sentant parfois isolé dans des lieux où livre et lecture sont rarement des priorités.

          Hélène Brochard

          Responsable de la commission « Hôpitaux Prisons » de l’ABF

          [1] http://www.abf.asso.fr/4/107/201/ABF/hopitaux-prisons

          [2] Une recension de cet ouvrage a été publiée dans le Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, n° 9, p. 159-160. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2016-09-0159-003

          [3] http://www.abf.asso.fr/1/22/466/ABF/communique-la-lecture-est-un-droit-non-limite-par-une-decision-de-justice-