La bibliothèque, une fenêtre en prison
ABF, collection « Médiathèmes », n° 15, 2015, 190 p., ill.
ISBN 978-2-900177-42-6 : 30 €
La bibliothèque, une fenêtre en prison, titre de la collection « Médiathèmes », réalisé par la commission « Bibliothèques et médiathèques en établissements pénitentiaires » de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), est un ouvrage qui vient à point nommé pour donner des repères, des pistes et des bonnes pratiques aux professionnels des bibliothèques qui souhaiteraient mieux connaître l’univers carcéral et les modalités d’intervention auprès des publics sous main de justice. L’ouvrage, introduit de façon enthousiasmante par Anne Verneuil, ancienne présidente de l’ABF, est enrichi de nombreux encadrés et témoignages.
Sur les publics, rappelons tout d’abord que la population carcérale n’a jamais été aussi importante en France (plus de 76 000 personnes en détention, et plus de 170 000 personnes suivies en milieu ouvert). Elle est essentiellement masculine (3,5 % environ des publics sous main de justice sont des femmes) ; environ 800 mineurs font l’objet d’un suivi, que ce soit en milieu ouvert ou en milieu fermé. La durée moyenne de détention est de 8 mois ; l’âge moyen des personnes sous main de justice est de l’ordre de 35 ans.
Le taux d’illettrisme de la population détenue est d’environ 11 % ; il est supérieur à la moyenne nationale. C’est dans l’ensemble un public hétérogène, plutôt en difficulté avec la lecture.
De ce fait, la fréquentation de la bibliothèque peut être difficile et elle peut apparaître comme un lieu étranger, mais aussi comme le lieu où l’on peut se mettre ou se remettre à lire. La bibliothèque est également le lieu où l’on peut emprunter les documents, consulter sur place, échanger avec d’autres détenus ou participer à des activités culturelles. C’est souvent le seul lieu culturel en détention. D’autre part, le livre et la lecture peuvent aussi permettre aux personnes incarcérées de mettre des mots sur les raisons de leur condamnation.
La lecture reste un droit, même avec les privations de libertés : accès à la culture, à la formation, à l’information, aux loisirs…
L’ouvrage présente dans une première partie le contexte carcéral, les types d’établissements pénitentiaires et les différents intervenants administratifs, judiciaires, associatifs, etc.
Le cadre juridique et l’environnement législatif sont longuement détaillés, en particulier la riche histoire du partenariat entre les ministères de la Justice et de la Culture, qui ont donné lieu le 3 mai 2012 à la circulaire de mise en œuvre des projets culturels destinés aux personnes placées sous main de justice et aux mineurs sous protection judiciaire.
Il est important de noter que le décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 relatif aux règlements types des établissements pénitentiaires (art. 19, 2e alinéa) précise que « la médiathèque met gratuitement les publications écrites et audiovisuelles de son fonds à la disposition de chaque personne détenue », et « il est assuré un accès direct et régulier aux ouvrages, quel que soit l’emplacement de la médiathèque dans l’établissement […] ».
L’article 14 de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a modifié l’article 721-1 du Code de la procédure pénale, en introduisant « une réduction supplémentaire de la peine, [qui] peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale […] ».
Il est également rappelé (circulaire du 3 mai 2012) que les bibliothèques de prison doivent se rapprocher le plus possible des bibliothèques « de droit commun », disposant d’une surface minimum à respecter, d’une certaine volumétrie d’ouvrages renouvelés périodiquement, d’une amplitude horaire suffisante, et pouvant proposer une action culturelle.
La seconde partie de l’ouvrage détaille l’univers « prison » et la place que peut y prendre la bibliothèque. Première visite, premières impressions… Il n’est en effet pas inutile de rappeler que le bibliothécaire qui intervient en prison le fait avec toute sa personne ; il doit mobiliser son savoir-faire, son savoir-être et doit faire face à des bruits, des odeurs et des sensations d’enfermement qui rompent avec l’extérieur.
L’intervenant bibliothécaire doit aussi composer avec un temps qui s’écoule différemment, à la fois ralenti, en suspens et régi par les rituels du quotidien.
Le fonctionnement d’une bibliothèque de prison ainsi que la présentation des personnels qui y interviennent sont largement développés. Le rôle des bibliothèques territoriales y est souligné (circulaire du 14 décembre 1992 relative au fonctionnement des bibliothèques et au développement des pratiques de lecture dans les établissements pénitentiaires) : « Que ce soit en matière de budget, de commandes, de catalogage, de signalisation ou d’animation, l’intervention de bibliothécaires professionnels est indispensable. »
On pourra évoquer les aides déployées par le Centre national du livre (CNL) qui octroie, au taux maximum, des soutiens pour l’acquisition d’ouvrages et de matériels de lecture, la formation des personnels et l’action culturelle, présentés en annexe.
L’action culturelle fait l’objet d’un dernier exposé, où le cadre est posé : missions de la bibliothèque, contraintes à intégrer lors du projet d’action culturelle et éléments de mise en œuvre, pour des actions dans et hors les murs de la prison.
Enfin l’ouvrage, dans une dernière partie, esquisse quelques pistes de réflexion et élargit à d’autres thématiques : quid, en effet, des nouvelles technologies dans l’univers carcéral, de la notion de bibliothèque « troisième lieu », et de la représentation de la bibliothèque de prison au cinéma ?
Un petit article rapporte des expériences innovantes, étonnantes, voire surprenantes de bibliothèques de prison à l’international, en termes d’accès au livre ou d’action culturelle.
Cet ouvrage témoigne du fort investissement de l’ensemble des membres de la commission de l’ABF, et rend ainsi compte du riche travail construit depuis plusieurs années autour des thématiques de l’accès au livre et à la lecture en établissement pénitentiaire. Il démontre une fois de plus, si besoin en était, le caractère indispensable des partenariats entre établissements pénitentiaires et bibliothèques publiques pour que les publics sous main de justice, même avec privation de libertés, aient pleinement accès au livre, à la culture et aux savoirs.