Questions de collections

Nouveaux enjeux des collections à la Bibliothèque municipale de Lyon

Gilles Éboli

Dans un établissement (la Bibliothèque municipale de Lyon) qui est résolument « orienté publics », la collection, singulière par son ampleur et sa nature – et définie à travers l’usage qui en est fait –, pose de nombreuses questions aux professionnels qui en ont la charge, évoquées ici de manière non exhaustive : questions de gouvernance des collections, questions d’organisation et enfin questions liées au périmètre de la collection.

In a place like the Lyon municipal library that is first and foremost about serving the public, the collection – unique in size and scope and defined by the use made of it – raises numerous questions for the library staff in charge of it. The article discusses some of these questions, looking at issues of governance, organisation, and what boundaries should be placed on the collection.

Précisons d’entrée le périmètre de ce qui suit : il s’agit ici d’établir la liste, brièvement commentée, des questions posées par la collection de la bibliothèque de Lyon à sa direction. Il ne s’agit donc pas de la somme définitive et ultime traitant une fois pour toutes de façon théorique et pratique le thème de la collection dans les bibliothèques en France et à l’étranger, encore moins de la revue exhaustive des écrits touchant ce sujet. Enfin, nous ne prônons rien en présentant cette sorte de photographie interrogative, ni un « retour » de la collection (était-elle donc partie ?) sur le devant de la scène bibliothéconomique, ni son effacement final. En revanche, il nous a paru pertinent de nous arrêter (je dis « nous » pour la BmL, Bibliothèque municipale de Lyon) sur l’état de la collection (comme on dit l’état de l’Union, très simplement) dans un établissement à la collection singulière et interrogée décidément par un projet d’établissement se proclamant haut et fort « orienté publics ».

À nouveau, précisons. D’abord, il s’agit d’une collection singulière par son ampleur : avec presque quatre millions d’items, la BmL est, en nombre, la plus importante collection en région ; singulière ensuite par sa nature : les fonds patrimoniaux témoignent par leur richesse et leur diversité d’un brillant passé de capitale de l’imprimerie et, des manuscrits mérovingiens et carolingiens de Florus à la collection jésuite des Fontaines (déposée), un large spectre physique et numérique s’offre à l’observation ; singulière, enfin, par son traitement par Google : la quasi-totalité – 400 000 titres – des imprimés antérieurs à 1920 a été numérisée et est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, partout dans le monde. Un nouveau paradigme d’usage s’offre à l’étude bibliothéconomique.

Toutefois, nous ne voulons pas parler de la collection en elle-même et pour elle-même mais de l’usage de cette collection, et de son usage dans le cadre du projet d’établissement mené depuis 2011 : au bout de cinq années, en effet, un premier recul peut être pris. Par ailleurs, il sera question de l’usage d’un point de vue bien précis qui est celui de la direction, c’est-à-dire de l’impact de la question de la collection sur la stratégie définie ou à définir pour la conduite de l’établissement.

Après ces précisions nécessaires, quelques éléments relatifs à ce projet d’établissement « orienté publics » dont je cite brièvement les intentions, la « vision » au sens anglo-saxon : « Disons simplement ici d’entrée de jeu notre conviction, forte, sur la présence plus que jamais nécessaire de la bibliothèque dans la Cité. Fabrique de citoyenneté, hub social et culturel, facteur d’harmonie, lieu du lien et du vivre ensemble tout comme plate-forme de diffusion et de partage des savoirs, la bibliothèque est d’abord républicaine : liberté de se construire, égalité d’accès, fraternité d’échange et de partage des opinions, des émotions ; elle est ensuite citoyenne, partageant avec son patrimoine des mémoires et des identités communes, donnant avec ses équipes, ses collections, ses espaces, ses rencontres à écrire, à lire, comprendre et discuter le monde que nous créons et vivons, permettant enfin aux membres de la communauté de se projeter, ensemble, vers des avenirs possibles. Elle participe en dernier lieu de ce mouvement qui va de la collection vers le public, les publics, les plaçant au cœur de ses dispositifs et non pas comme variable d’ajustement, les accueillant en acteurs, en créateurs aussi, voire en producteurs de contenus et non plus seulement en usagers passifs. Le modèle opérationnel du “living lab” peut être ici convoqué : des environnements et des services innovants, orientés publics et issus d’une conception et d’un développement participatifs. » On pourra, je le sais, s’agacer de la présence à la longue irritante de ces désormais poncifs : « de la collection vers les publics », « les publics au cœur des dispositifs », « l’innovation, la participation et la co-construction » ; mais soulignons que ces nouveaux marronniers ont désormais envahi des champs autrement plus vastes que les bibliothèques, que ce texte a été écrit il y a près de cinq ans et qu’il reprend des thèmes travaillés en somme depuis le congrès de Paris de l’ABF il a plus de… dix ans !

Maintenant, un peu d’ordre dans les trop nombreuses questions dont nous pouvons faire état : en tout premier lieu, les questions de gouvernance qui recouvrent les principes mêmes de ladite gouvernance des collections (charte d’acquisition, politique d’acquisition), le budget des collections (plan pluriannuel d’investissement, répartition des entrées entre investissement et fonctionnement), son exécution à travers les marchés et les problématiques liées de droits d’auteur. La deuxième vague d’interrogations va concerner l’organisation autour de l’organigramme et de la politique documentaire au sein de l’organigramme, du circuit du document, des offices au catalogage. La troisième tranche met en débat le périmètre de la collection en listant les tensions entre médiathèque de proximité et bibliothèque de référence, nouvelles et anciennes volumétries des nouvelles et anciennes médiathèques, part des espaces de stockage de la collection et part de l’espace de son exploitation dans le schéma directeur du site de la Part-Dieu (requalification), et enfin les nouveaux territoires retravaillant la carte documentaire avec, évidemment, la Métropole lyonnaise et la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes. Pour éviter le plan en trois parties, nous ajouterons deux strates pour terminer ce pèlerinage : d’abord l’incoutournable strate numérique avec l’inévitable contrat Google et les tensions traditionnelles de répartition budgétaire entre physique et numérique avec les questions de modèle économique à la clé ; après un bref passage sur l’innovation (le streaming équitable, le jeu, le pilon transfiguré), ce vaste programme se clôt par… les publics, ce qu’ils disent de la collection à travers les enquêtes qualitatives et quantitatives récemment menées à la BmL, leurs usages, leurs non-usages, avec les thématiques de confiance/défiance et, in cauda venenum, la collection… comme support de médiation !

Le contexte général des « environnements contraints » nous invite à commencer par la question budgétaire. En amont, on aurait pu préparer le terrain à la décision des élus par un dossier « charte des collections » posant les enjeux, fixant les principes et les engagements, décrivant les protocoles : mais, las, il n’en est rien dans la patrie même de Bertrand Calenge, pas de charte des collections, pas non plus jusqu’à un passé très récent de politique documentaire dans l’organigramme (nous y reviendrons) ni dans un quelconque document programmatique (en revanche des outils très pointus initiés par Bertrand, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui). Pourtant ce terrain doit maintenant être retravaillé ; même si le budget, confortable, reste stable (de faibles variations saisonnières jusqu’à aujourd’hui, autour de presque deux millions, tout confondu, investissement et fonctionnement, papier et numérique, monographies et périodiques), l’avenir doit être préparé : comment accompagner un développement quantitatif (création de trois nouvelles médiathèques, actuellement pourvues en « extraordinaire » de construction mais pas en « ordinaire » d’ouverture), qualitatif (intégrer les jeux, les jeux vidéos) et hybride (VOD, prêt, 1D touch, etc.) ? À Lyon, les acquisitions monographiques le sont en investissement, investissement inclus dans un plan de mandat (PPI : plan pluriannuel d’investissement). Le prochain mandat est donc à envisager d’ores et déjà de ce point de vue et de son corollaire, la répartition investissement/fonctionnement. On connaît l’intérêt qu’il y a à placer les monographies en investissement (TVA récupérée, report) mais les transferts en fonctionnement étant quasi impossibles, comment basculer par exemple du papier (investissement) en numérique (fonctionnement) à l’heure des bibliothèques non seulement hybrides mais aussi agiles ? L’exécution dudit budget, ici comme ailleurs, passe aussi par des marchés et la question est : comment concilier les exigences logistiques (80 000 documents entrés bon an mal an hors périodiques et hors dépôt légal), qui vont conduire à une taylorisation des tâches et donc au recours à des librairies « industrialisées », et une ambition de biodiversité chez les fournisseurs, de « cousu main » dans la commande ? Les derniers marchés de la BmL ont vu la grande librairie Decitre, lyonnaise faut-il le rappeler, emporter quasiment tous les lots, les libraires indépendants baissant finalement les bras devant les contraintes du marché municipal, certains vivant même la fin du contrat antérieur comme une délivrance, d’autres comme une fatalité (plus de candidature en jeunesse par exemple, pour cause d’absence de successeur ou de trop grande fragilité), les derniers enfin avec cette amertume de ne pouvoir travailler vraiment sur un projet ambitieux de dialogue et de co-construction durable entre passeur de commande et fournisseur. Toujours sur le registre réglementaire, la question reste ouverte du droit de prêt pour les jeux vidéos, la BmL ne pouvant entraîner sa collectivité sur un terrain juridique mal assuré.

Deuxième vague : organisation. Le nouvel organigramme (2011-2013) a créé une direction des collections et des contenus. C’est déjà dire que le précédent n’en comportait pas, d’une part, et que d’autre part collections et contenus sont liés. Lisons les attendus du nouvel organigramme : « La direction des collections et des contenus a en charge la définition et la coordination de la politique documentaire de l’établissement, ainsi que les politiques patrimoniale et de conservation qui en découlent. Elle pilote par ailleurs le développement de la bibliothèque numérique de Lyon, Numelyo, et la production de contenus qui leur sont liés. Les services qui y sont rattachés sont : le Fonds ancien, le Silo, les Bases bibliographiques et numériques (constituées de la coordination bibliographique et de la rétroconversion), la Documentation régionale et dépôt légal. » Le mot est lâché, le service créé : politique documentaire ! « Ce service aura en charge la définition et la mise en œuvre d’une politique documentaire structurée. La BmL acquiert chaque année près de 80 000 documents, sans compter les documents numériques toujours plus nombreux. De plus en plus complexes, les acquisitions, premier poste budgétaire en investissement de l’établissement, se doivent désormais dans le contexte de la bibliothèque hybride et du projet d’établissement de suivre une politique d’achat formalisée et cohérente, portée à la connaissance du public et mise en œuvre de façon harmonieuse et raisonnée par l’ensemble des équipes. » C’est dit ! Autres particularismes bien lyonnais autour du circuit du document : avec tout d’abord l’élaboration de la commande ici structurée par les fameux « offices ». Impossible de détailler ce système complexe, à la fois fédérateur et chronophage, structurant et imposant (dans tous les sens du terme, y compris au sens d’imposition), riche de matière et pauvre d’agilité : disons en résumé que, comme pour l’Éducation nationale, une réforme des offices est toujours sur le feu alors qu’une sorte d’auto-organisation s’est de facto mise en place afin que le système puisse accompagner les évolutions (apparition d’un office « young adults », achats sur liste ici, regroupement thématique là, tensions réseau/centrale parfois : un corps vivant…). Sur le (petit) feu aussi, le catalogage avec un dossier récupération de notices de la BnF rouvert en 2010 et toujours bien vivant lui aussi (étape actuelle : la passerelle Z3950 !).

Questions de périmètre maintenant : les différentes versions de la charte documentaire (aujourd’hui, la v3) distinguent bien les trois grandes missions de l’établissement sur lesquelles appuyer une politique documentaire avec une mission de lecture publique (« cette mission suppose un ancrage fort dans le territoire, un développement de partenariats avec des acteurs locaux et des acquisitions courantes et renouvelées sur des contenus allant de l’apprentissage de la lecture jusqu’à un niveau documentaire approfondi… Les contenus doivent relever de la culture, du divertissement, de la formation, et de l’information des usagers »), une mission de bibliothèque de référence (« il s’agit d’une offre documentaire approfondie et rétrospective faite de sélections, allant de l’initiation simple à un niveau professionnel ou universitaire de niveau licence/BTS… en complémentarité avec les bibliothèques universitaires plus spécialisées ») et une mission de bibliothèque patrimoniale (« qui concerne en particulier des services chargés de la préservation, de la conservation, de la médiation, de la valorisation et du développement continu de collections anciennes et du Dépôt légal des imprimeurs de la région (par délégation de la Bibliothèque nationale de France), ainsi que de la constitution de ce qui fera le patrimoine de demain »). Mais quid des répartitions budgétaires pour chaque champ, des espaces qui leur sont consacrés, des publics visés ? La question fait débat de façon récurrente, par exemple pour le département littérature entre, pour aller vite, les tenants de l’exigence référentielle et universitaire et les tenants d’une présence non honteuse de la BD, du roman de terroir, de la fantasy. Après une ouverture « médiathèque » qui aura vu un réaménagement bienvenu des espaces (zone BD, pôle langues…), un réexamen peut avoir lieu à l’aune de la référence métropolitaine, nouvelle venue dans un débat sans cesse renouvelé.

Concernant le réseau, et donc en termes de proximité, la question se déporte sur le modèle, et celui des trois nouvelles médiathèques devant ouvrir en 2016-2017 revisite sérieusement les schémas plus anciens : volumétrie light (20 livres par mètre carré, au lieu de 40, voire 50), espaces d’usage du public (« grandir », « temps libre », « apprendre ») et non de stockage de la collection, décloisonnement, fonds privilégiant l’actualité, etc. Le modèle lyonnais du département est remis en question sur le réseau tandis que le site de la Part-Dieu le réaménage en univers regroupant des grandes familles « programmatiques » (« mémoires », « créations », « savoirs », « enfance »). Les mêmes relectures sont à l’œuvre au cœur du schéma directeur de requalification de la Part-Dieu, à l’image des programmations d’Helsinki ou d’Aarhus où, pour la première fois en Europe, les surfaces de la collection deviennent minoritaires par rapport aux surfaces d’urbanité (« est-ce encore une bibliothèque ? », dira-t-on : certes, et il faut bien l’espérer !). À l’autre bout de la chaîne, la collection cependant se rappelle à notre bon souvenir avec le silo de conservation : capacité de stockage démesurée en 1972, aujourd’hui saturation sous trois ans imposant l’écriture d’une politique forte de désherbage ; la présence d’amiante, elle, entraîne dès mars 2017 le lancement de travaux d’un montant de 12 millions d’euros, pour six ans. Un poids budgétaire énorme, des contraintes de fonctionnement longues et lourdes, mais au bout du compte, des conditions améliorées de travail pour les agents et de conservation pour les collections : le silo idéal est en route.

Dernière relecture territoriale à l’œuvre : celle de la Métropole de Lyon. La BmL n’a pas encore de statut particulier dans ce cadre mais joue de fait un rôle métropolitain. Par l’importance et la richesse de ses collections, par sa mission de conservation, la BmL a vocation à se définir comme un des établissements phares du réseau des bibliothèques de la Métropole de Lyon et doit prendre en compte un territoire qui dépasse le seul territoire de la ville de Lyon. L’apparition récente de la Comue (communauté d’universités et établissements) lyonnaise repose la question d’une carte documentaire partagée tandis que le département Documentation régionale de la Part-Dieu lance ses premières acquisitions auvergnates au-delà du bloc rhônalpin, le dépôt légal, lui, restant sur ses anciennes bases.

Nous ne reviendrons pas ici sur le fameux contrat Google de numérisation des imprimés de la BmL, si ce n’est pour dire que mi-décembre 2015 fermait le site lyonnais (emplacement secret !), tâche accomplie : c’est-à-dire qu’à cette date Google avait, conformément à son contrat, numérisé près de 400 000 volumes, et il faut ici s’arrêter un moment sur ce chiffre pour mieux le comprendre. Pour aller vite, 400 000 imprimés, c’est la quasi-totalité des livres de la BmL numérisables (avant 1920 pour les droits, pouvant supporter la numérisation pour la conservation, hors très grand format, etc.) ; c’est donc la quasi-totalité du fonds lyonnais qui est désormais accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 partout dans le monde sur Google Books et sur la bibliothèque numérique de Lyon, Numelyo. Quel impact ? Évidemment, nous manquons encore de recul, d’outils pour avancer les choses de façon sinon définitive du moins assurée, mais quelques repères sont d’ores et déjà discernables pour ce qui est bien un nouveau paradigme d’usage de la collection. Évidemment, et comme pour les archives dont les fonds de généalogie sont en ligne, les communications en salle des livres du silo ont chuté ; d’autres causes sont en jeu (recul des humanités qui constituent l’essentiel de la collection, nouveaux modes d’accès à l’information, inutile de développer), mais l’accès par internet au document concurrence, comme on s’en doute, un mode d’accès bientôt désuet. Comment évaluer ces accès internet ? Pour 2014, Google annonce des chiffres tournant autour de 64 millions de visites pour les collections lyonnaises : chiffre stupéfiant dont on n’aurait jamais osé rêver. Reste à analyser ce chiffre, et savoir les usages qu’il recouvre : pourquoi cette bible portugaise du début du XVIe siècle, jamais vraiment remarquée jusque-là dans le fonds jésuite, fait-elle l’objet à elle seule de plus de 80 000 visites sur le seul mois d’octobre 2014 ? Derrière ces chiffres vertigineux, qui militent à n’en pas douter pour le succès réel de cet élargissement de l’accès au savoir, sans doute y a-t-il des études passionnantes à mener pour éclairer cette nouvelle lanterne.

On peut le concevoir, l’opération Google aura, ces dernières années, mobilisé bien des forces de l’établissement et pas seulement en termes de logistique de préparation : l’investissement dans Numelyo est bien celui que se devait de faire le service public pour offrir un réel accompagnement, ici comme ailleurs. Du coup, d’autres voies numériques auront été moins fréquentées : le prêt numérique, la VOD sont bien inclus au sein du programme « Bibliothèques numériques de référence », y compris dans sa déclinaison lyonnaise, Lyon attendant une meilleure définition des modèles économiques à la clé et faisant confiance aux collègues lancés dans PNB, notamment, pour défricher efficacement ces contrées. Ici aussi, des arbitrages sont nécessaires en termes de priorité même si on ne peut être satisfait de l’existant : pourquoi 10 % seulement des acquisitions pour le numérique dans une bibliothèque qui se veut hybride ? Comment inverser ou simplement faire évoluer la tendance à l’heure de contraintes budgétaires nouvelles ? Comment enfin rester innovant et transformer véritablement en essai l’expérience 1D touch (streaming musical équitable), prendre en compte de nouvelles demandes (le jeu) ? La revisitation du pilon, sollicité comme jamais (associations caritatives, entreprises d’insertion, boîtes à livres participatives et co-construites, etc.), s’ajoute à ces formes nouvelles d’usage et non-usage de la collection sans épuiser le sujet.

Nous terminerons, on l’avait deviné, cette liste de questions sur la collection lyonnaise par… les publics (et non pas ses publics). Tout d’abord, en tentant de cerner au plus près ses discours sur la collection, au-delà de ce qu’on peut traditionnellement induire des classiques indicateurs inscriptions/prêts. Pour ce faire, deux séries d’enquêtes ont été menées à la BmL, quantitatives et qualitatives. Les premières, quantitatives donc, consistent en deux vagues d’enquêtes de satisfaction conduites en 2013 et 2015 auprès de 5 000 fréquentants à chaque vague. Une mesure de poids donc, qui dit, insistons humblement là-dessus, la grande satisfaction desdits fréquentants qui ont décerné une note de 16 sur 20 (15,8 pour être exact) à chaque consultation. Soit une approche quelque peu scolaire, nous en convenons, mais suffisamment réjouissante en ces temps pas toujours euphoriques, et claire par ailleurs pour être portée auprès des élus et partagée avec les équipes. Mieux, les évolutions perçues en deux ans montrent les grands objectifs du projet d’établissement en passe d’être atteints, notamment en ce qui concerne les jeunes publics.

Pour l’heure, écoutons ce que disent ces fréquentants de la collection : facilité et rapidité d’emprunt proches de l’excellence (moins à la Part-Dieu, vive donc la proximité !), mise en avant améliorée des nouveautés, accompagnement des bibliothécaires, sont plébiscités, alors que sont bien perçus mais ressentis comme perfectibles le choix des livres, des revues et des CD, tout comme leur présentation ou la logique de classement des collections, la prise en compte de l’avis des lecteurs et enfin une évolution prioritairement souhaitée du choix de DVD. Des points de satisfaction donc, des points à améliorer aussi. L’enquête qualitative elle, menée à travers une trentaine d’entretiens mêlant publics actuels, publics non réinscrits et non-publics offre une approche bien différente qu’il conviendra d’approfondir. En effet, ses premiers résultats donnent une mesure du chemin restant à parcourir, pour ne pas dire qu’ils mesurent la distance entre coupe et lèvres : « du point de vue des collections, écrit Sylvie Bougeard-Pierron, chargée de mission à la BmL qui a mené les entretiens, tous les enquêtés considèrent la bibliothèque comme pourvoyeuse de livres, davantage de fonds que d’actualité. Suivant les profils de lecteurs, deux préjugés émergent : d’un côté, ceux qui considèrent que les bibliothèques sont essentiellement littéraires, proposent du roman, de la lecture loisir pour de “gros lecteurs” ; de l’autre, ceux qui distinguent peu les bibliothèques municipales des bibliothèques universitaires et pensent qu’elles s’adressent aux périodes de formation initiale : petite enfance et cycles universitaires pour les lectures sérieuses… Le premier pas vers la bibliothèque, la porte d’entrée privilégiée, est indubitablement les collections et souvent un segment très précis, qui représente une sorte de prétexte à entrer, à essayer le service. Mais la satisfaction du besoin initialement exprimé est insuffisante et c’est bien la diversité et la richesse de l’offre qui fidélise, pour peu que l’accompagnement des visiteurs dans leur appropriation de cette diversité, voire de cette profusion, ait eu lieu ». Voilà de quoi nous inciter à bien penser les chemins à baliser, pour le public et le non-public, si on veut mener à bien un projet de bibliothèque… quatrième lieu.

Même travail à mener pour faire basculer, à l’occasion de l’automatisation des transactions par exemple, les relations à l’usager de la méfiance vérifiant tout à la confiance facilitant plus, un autre contrat étant alors tacitement passé par la bibliothèque avec l’emprunteur individuel. Dans ce dialogue nouveau, où bibliothécaires et usagers bâtissent ensemble la collection musicale de la Croix-Rousse dans le 4e arrondissement, ou les fonds de mangas avec budget autogéré par les ados dans le 4e et le 6e arrondissement, il est clair que la collection n’est plus une fin en soi mais un point, essentiel, du dialogue, un outil de médiation, tout comme les valises thématiques soutiennent la mise en œuvre des actions proposées dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires, en tant que support donc et non comme fin en soi, comme lien et non comme but. Le vieil axiome du bibliothécaire passeur entre l’usager et le document est tout d’un coup retourné, le document étant le médiateur d’une co-construction désormais essentielle entre bibliothécaire et usager : de quoi faire se retourner Dewey dans sa tombe, s’il ne s’agissait ici de terminer ce qui, en fait, n’a pas de fin, par un clin d’œil, par une figure de style. Quoique…