Questions aux vastes collections

Pascal Boulanger

Poème de Pascal Boulanger, bibliothécaire à Montreuil.

A poem by Montreuil librarian Pascal Boulanger.

Dans le miroir

Le tourment de la bibliothèque

La masse de l’église

Les herbes baignées de rosée

La rose de Paracelse

& nos âmes

écorchées d’ombre & de coulpes

........

Comment résister, comment échapper…

à la société pourvoyeuse de dopes ?

aux rivalités mimétiques ?

à la soumission de l’intime et du secret au tout-à-l’égout des caméras ?

au vouloir-guérir ?

aux sépulcres blanchis ?

aux relents d’abattoir des diverses communautés humaines ?

à l’aggravation de la puissance de mort ?

aux crimes généralisés et à la rotation des stocks humains ?

aux trafics d’organes, aux famines organisées, aux guerres encouragées ?

aux désirs suggérés par les neurones miroirs ?

aux sacrifices rituels, à la montée des extrêmes ?

aux pathologies de la relation ?

à la volonté de puissance qui n’est que le moteur du ressentiment ?

à tous les modernes qui ne se prosternent que devant eux-mêmes ?

aux passions tristes ?

à la complaisance au malheur ?

à un monde suractif voilant la dépression ?

à l’insatisfaction générale, à l’homme calculable ?

aux cadavres maquillés vivants ?

à la mode du compassionnel ?

à l’homme nouveau, sans mémoire et sans dette ?

à l’intelligence abstraite des affairistes du numérique ?

à une société où l’adulte est éternellement enfant ?

au mécénat maternel ?

au scoutisme planétaire ?

aux médiathèques qui ont remplacé les bibliothèques ?

à l’homo technicus, programmé dans un tube de verre ?

aux messages préétablis, à l’édifice des superstitions ?

aux commémorations, négations, soumissions, ruminations, inhibitions, désolations, occultations, convulsions, pressions, perversions ?

aux représentations lisses et festives du monde ?

à la vie comme mort déguisée ?

à la magie quotidienne du mal ?

à la transe des traders ?

à la dette infinie envers tout collectif ?

à la post-littérature du tu cliques et tu niques ?

à notre cimetière en fête à l’âge écranique ?

au recouvrement de l’art par la culture puis de la culture par le divertissement ?

aux vies circulaires aliénées par la nécessité, ou pire encore, par le loisir ?

aux écoles du loisir ?

à l’homme-mesure qui n’adhère plus qu’à son vide dépressif ?

à l’assèchement que reflète l’écran de la webosphère ?

à la chosification transhumaniste ?

à la débâcle des montages symboliques et normatifs ?

à la culture comme retour assassin de la technique ?

à la clinique de la défonce ?

aux dieux fétiches, ceux de la technique et du libre marché ?

aux bibliothèques jetables, comptables, recyclables ?

aux désherbages systématiques et statistiques ?

aux fins mesurables et utilitaires ?

aux glaciers en technicolor ?

aux animaux en peluche ?

aux cracheurs de feu ?

aux intermutants du spectacle ?

au progrès de la diététique et de la pornographie ?