La tragédie des services communs

Pour des droits de tirage

Benjamin Caraco

Article publié dans le BBF n° 1 de mars 2014


La loi sur le prix unique du livre a consacré fiscalement le fait que ce dernier n’était pas un produit comme les autres. Faut-il en déduire que cette qualité particulière du livre, et plus généralement de la documentation, empêche d’appliquer un raisonnement économique au monde des bibliothèques qui les conservent et les communiquent ?

L’économie de la culture, sous la pression des différentes tutelles des bibliothèques (ministères, universités et collectivités territoriales), a dernièrement envisagé la question de la valeur ajoutée produite par les bibliothèques afin de justifier son coût, voire tout simplement son existence. La bibliothèque étant habituellement considérée comme un bien public, c’est-à-dire un bien (ou un service) dont l’utilisation est à la fois non rivale (la consommation d’un agent ne doit pas affecter celle d’un autre) et non exclusive (tout le monde peut en bénéficier), cette approche en termes de valeur ajoutée a montré certaines limites puisqu’un grand nombre des bénéfices produits par les bibliothèques sont incommensurables, qu’il s’agisse de leur rôle démocratique ou de construction identitaire par exemple. Par ailleurs, si le marché n’assure pas la fonction bibliothèque mais que la tâche en incombe à des acteurs publics, l’on peut anticiper qu’une telle approche guidée par la logique économique ne sera pas nécessairement en faveur de ces dernières. L’avènement du numérique a vraisemblablement changé en partie la donne et, pour Jean-Michel Salaün, une multinationale comme Google s’est largement inspirée du modèle économique de la bibliothèque  1, arrivant à le rendre rentable en captant l’attention du consommateur puis en revendant cette dernière au plus offrant.

La théorie économique est aussi mobilisée pour comprendre l’usage et la bonne allocation de biens communs, tout particulièrement pour le nouveau monde engendré par le numérique et menacé de nouvelles « enclosures » comme l’illustre bien le collectif « SavoirsCom1 » fondé par Lionel Maurel et Silvère Mercier  2. En effet, comme le rappelle Hervé Le Crosnier, « la connaissance est souvent considérée par les économistes comme un bien public  3 ».

Toutefois, bien que la notion de biens communs soit également mobilisée ici, elle fait plus prosaïquement référence à la documentation à l’université, sous ses aspects avant tout budgétaires  4. Les bibliothèques et la documentation sont organisées majoritairement sous la forme de services communs de la documentation (SCD) au sein des universités françaises ; un décret sur leurs statuts, dont la dernière mouture date du 25 août 2011, définissant d’ailleurs leurs missions et leur fonctionnement. Le contexte renouvelé par les différentes réformes universitaires (LRU, RCE) mettant en place l’autonomie des universités a entamé une nouvelle ère dans les relations entre les SCD et leurs tutelles, la présidence se substituant au ministère de l’Enseignement supérieur, acteur autrefois via le fléchage des crédits, comme principal interlocuteur à la fois concernant la définition des moyens et l’établissement des priorités. Cette nouvelle relation n’a pas été sans conséquences – budgétaires – comme le révélait un « bilan d’étape » de Christophe Pérales, alors directeur des bibliothèques et de l’IST de l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines en décembre 2012  5.

Comment envisager désormais la dotation budgétaire d’un service commun, devant remplir des missions relevant à la fois de la formation et de la recherche, alors même que la contraction généralisée des budgets universitaires et l’absence de représentation des directeurs de services communs aux principales instances de décision universitaires (CA, conseil académique composé d’une commission recherche et d’une commission formation, conseil des directeurs de composantes) n’invitent pas à placer la documentation au cœur des priorités en dépit de son caractère nécessaire pour tous ? Pour réfléchir à d’éventuelles solutions, un détour par la « tragédie des biens communs » pourrait être fructueux.

La tragédie des biens communs…

Dans un article de 1968 publié dans la revue Science, le biologiste américain aux prises de positions souvent polémiques, Garrett Hardin (1915-2003) théorisait la « tragédie des biens communs » à propos de la question de la surpopulation de la planète  6. Dans cet article, Hardin développait l’idée selon laquelle, contrairement aux représentations courantes, un certain nombre de problèmes étudiés dans les revues scientifiques ne pouvait pas avoir de solutions techniques et que la question démographique en était une illustration.

Pour Hardin, l’œuvre de l’économiste Adam Smith aurait contaminé le reste des sciences en instaurant en principe que les comportements individuels visant à maximiser leur utilité ont aussi des effets positifs pour la société dans son ensemble : la célèbre théorie de la « main invisible ».

Pour appuyer sa démonstration, Hardin prend l’exemple d’un champ ouvert à tous où des éleveurs feraient paître des animaux. Dans son exemple, lorsqu’ils réfléchissent individuellement à faire paître un animal de plus, tous les éleveurs calculeraient implicitement ou explicitement le rapport entre le coût et l’avantage d’une telle décision. Cette dernière a en effet un versant positif : l’ajout d’une nouvelle bête au troupeau qui pourra être revendue entièrement au profit de son éleveur ; et un versant négatif : la pression sur les ressources du champ augmente avec la bête supplémentaire. Les conséquences étant cependant partagées par tous les éleveurs, le choix d’ajouter une nouvelle bête rapporte plus qu’il ne coûte à l’éleveur. Et ce raisonnement vaut pour les bêtes supplémentaires, ainsi que pour tous les éleveurs s’ils sont rationnels… Pour Hardin, voilà la tragédie : les éleveurs sont encouragés par la logique du système à augmenter sans limite la taille de leur troupeau dans un monde fini sans contribuer à son entretien et/ou à son renouvellement. La ruine serait donc le sort qui guetterait tous les biens communs dont l’utilisation est libre et donc potentiellement victime de dégradations comme il l’illustre avec le cas de la pollution.

À la suite de cet article, les recherches concernant la théorie des biens communs ont été relancées et les idées exposées par Hardin ont été nuancées, voire remises en cause par les travaux sur l’économie politique des communs, menés avec une approche institutionnelle, d’une chercheuse comme Elinor Ostrom (1933-2012), prix Nobel d’économie en 2009. À la menace de dégradation relevée par Hardin, Ostrom ajoute celle de l’enclosure ou de la privatisation de ces communs. Délaissant l’approche abstraite de Hardin, Ostrom s’est efforcée d’enquêter sur les communs afin de « montrer que des formes de gouvernance autres que privatisation ou étatisation sont possibles, et qu’elles sont concrètement mises en œuvre par des communautés pour protéger et maintenir les ressources partagées qui leur sont confiées  7 ». Ces arrangements institutionnels s’efforçant de gérer ces biens communs peuvent être bien souvent informels et dépendent des contextes locaux pour Ostrom qui a d’ailleurs proposé un « cadre d’analyse et développement institutionnel destiné à l’observation des communs ».

Le modèle d’Hardin est indéniablement trop simpliste ou orienté idéologiquement par bien des aspects et les recherches empiriques d’une Elinor Ostrom ont permis de redonner toute sa complexité à la question de la gouvernance des biens communs. Il aurait été également possible de prendre comme point de départ à l’analyse le dilemme du prisonnier ou la figure du passager clandestin de l’action collective  8. Néanmoins, dans le cas présent, ce traitement de la tragédie des biens communs semble – malheureusement – correspondre à certains développements récents concernant la situation de la documentation à l’échelle de nos universités.

… Appliquée aux SCD

Revenons-en donc maintenant au monde des bibliothèques universitaires. Comme leur nom l’indique, elles sont dans le contexte français, des services communs de la documentation. Le terme de commun est d’ailleurs davantage adapté que celui de public dans ce cas précis. En effet, la non-rivalité constitutive d’un bien public n’est pas nécessairement un attribut du service commun de la documentation, puisqu’un choix (ou arbitrage) budgétaire en faveur d’une discipline se fait au détriment d’une autre, le budget étant une donnée finie. Commun, plus que public, puisque d’après le décret de 2011 : « Toute bibliothèque ou tout centre de documentation de l’université a vocation à être intégré dans un service commun  9. » Un SCD est par essence un service transverse de l’université, accompagnant aussi bien la formation (via l’acquisition de documentation de niveau enseignement) que la recherche (via l’acquisition de documentation de niveau recherche, et notamment des abonnements de plus en plus exclusivement électroniques), ou que les services administratifs (documentation juridique pour les services juridiques ou des marchés, informatique pour les services informatiques, de presse pour les services de communication, etc.).

Les SCD répondent aux besoins d’une multitude d’acteurs sans pour autant bénéficier d’une représentation garantie dans les instances de gouvernance de l’université, ce qui est également le lot des autres services communs de l’université. Lors des phases de dialogue budgétaire puis du vote au conseil d’administration des répartitions budgétaires, ils n’ont pas voix au chapitre et doivent compter sur de bonnes relations avec la présidence ou le vice-président qui leur a été attribué, s’il existe bien sûr. Sans compter que la prolifération de la documentation électronique, si elle a rendu de nombreux services aux enseignants-chercheurs, a contribué à rendre invisibles les SCD et à couper le lien de cause à effet entre budget documentaire et fourniture documentaire lors du vote budgétaire. En conséquence, le SCD étant à tout le monde, il n’est à personne et peut être appréhendé comme un bien commun.

À cela, il faudrait ajouter que l’environnement institutionnel favorisé par l’autonomie des universités et plus généralement par l’économie de la connaissance se caractérise davantage par la compétition, la mise en concurrence, que la collaboration : que cela soit entre nations, entre universités d’un même pays, entre composantes (laboratoires, UFR), et entre services et composantes, sans compter entre enseignants-chercheurs via les modalités d’évaluation et de course au financement. Autant d’éléments qui conduisent les différents acteurs en présence à chercher à maximiser leur utilité sans pour autant que leurs décisions « micro » aient un effet « macro » positif, bien au contraire, malheureusement.

Dans le cas de la documentation universitaire, chaque composante ou laboratoire a tout intérêt à se concentrer sur les dépenses lui permettant de maximiser son utilité (son prestige, sa dotation en moyens financiers et humains) sans se soucier des autres partenaires-concurrents que sont les autres composantes, laboratoires ou services. Dans le cas d’un laboratoire par exemple, son intérêt est donc d’avoir un grand nombre de chercheurs publiant dans des revues prestigieuses, d’organiser des colloques augmentant sa visibilité, de soutenir une revue scientifique, etc. Bref, de maximiser l’utilisation de ses moyens afin de pouvoir les reproduire et si possible en accumuler de nouveaux. Pour cela, le laboratoire a avant tout besoin de moyens humains (des chercheurs, du personnel technique et administratif), de matériel (un laboratoire, des équipements pour ses expériences) et d’outils de diffusion des résultats de sa recherche (une revue, des colloques ou des frais de mission pour envoyer ses membres à des conférences). Dans cette équation rentrent aussi des besoins à première vue annexes mais néanmoins indispensables, parmi lesquels la documentation.

Or, cette dernière est de plus en plus mutualisée et concentrée par les SCD, ce qui a ses avantages en termes de gestion financière comme de savoir-faire. L’un des principaux inconvénients est que la question documentaire disparaît de l’écran de contrôle des responsables de laboratoires qui se concentrent sur ce qu’ils considèrent comme les éléments les plus importants de leur équation. Ils souhaitent continuer à bénéficier d’une documentation et de services documentaires de qualité pour mener à bien leurs recherches. Lorsqu’il s’agit d’attribuer des crédits lors du vote du budget de l’université, ils ont logiquement tendance à privilégier leur laboratoire, qui leur rapporte directement dans l’immédiat, au détriment de la documentation, qui concerne tout le monde et les affecte moins. Ne contribuant pas au renouvellement de la ressource documentaire et étant suivis en cela par les autres laboratoires et composantes ayant le même raisonnement, ils contribuent à la dégradation de la ressource documentaire.

Dans le cas de la documentation universitaire, le problème est accentué par les modalités d’évolution de carrière des enseignants-chercheurs, dépendante de leur évaluation pour leurs activités de recherche et non d’enseignement. Rationnellement, que cela soit au niveau individuel ou au niveau de leur laboratoire ou composante, ils ont tout intérêt à défendre leurs crédits plutôt que ceux de la documentation, surtout si elle concerne l’achat de livres pour les étudiants. De plus, les effets pour l’ensemble de la communauté se faisant sentir à moyen et long terme, surtout pour les décideurs, ils empêchent une prise de conscience rapide du problème. Doucement, mais sûrement, l’on en revient à la tragédie des biens communs théorisée par Hardin, appliquée cette fois aux services communs.

Quelles solutions ?

Un détour par l’article d’Hardin s’impose avant d’envisager quelques pistes de solutions au problème de la dissolution du bien commun qu’est la documentation au sein des choix individuels des membres de la communauté universitaire.

Face à la perspective d’une dilapidation des biens communs, Hardin n’envisageait pas comme valable l’appel à la conscience des individus, leur demandant de s’abstenir, de modérer ou de prendre en charge le renouvellement du bien commun au nom de l’intérêt général. Pour lui, il s’agissait même d’une injonction contradictoire : « Utilisez cette ressource avec modération mais si vous vous conformez vraiment à ce précepte, vous n’êtes pas rationnels. » Pour Hardin, le concept de responsabilité ne devait pas s’entendre ainsi – comme principe moral – mais comme le produit d’accords sociaux biens définis, à l’origine d’une coercition acceptée mutuellement comme les impôts ou les droits de propriété. Il reconnaît toutefois que ces derniers, couplés avec l’héritage, sont profondément injustes mais, selon lui, inévitables pour éviter la dilapidation des biens communs, qu’il préfère sauvegarder avant tout au risque de laisser des inégalités se développer.

Hardin passe ensuite en revue les différentes solutions offertes : vente des biens communs comme des biens privés ; les conserver comme des biens communs tout en restreignant l’usage selon des critères d’attribution à définir (richesse, mérite, etc.) ; le tirage au sort ; la règle du premier arrivé, premier servi ; la taxation dans le cas de la pollution afin de rendre son traitement plus rentable par rapport à l’impôt (c’est d’ailleurs grosso modo ce qui se passe avec le protocole de Kyoto concernant les gaz à effets de serre) ou, dit autrement, d’internaliser les externalités. Il conclut personnellement en faveur de nouvelles « enclosures », donc des formes de privatisation, acceptées mutuellement, et se fondant sur l’idée qu’un certain nombre existent déjà et sont considérées comme normales. Les enclosures du passé, comme celles à venir, ont été à l’origine de sacrifices, de privations matérielles ou de liberté.

Dans le cas de la documentation, une privatisation au sens propre n’a bien sûr pas de sens dans le contexte universitaire, toutefois son autre acception mérite d’être envisagée pour les besoins de la démonstration. Nous retiendrons deux autres pistes en plus de cette dernière : la « taxation » et les restrictions d’usages sous la forme de quotas.

« Privatiser »

Quelle pourrait être la traduction d’une « privatisation » de la documentation au sein d’une université et est-elle souhaitable ? Beaucoup ont vu, incités en cela par les mesures visant à réaliser des économies sur le train de vie de l’État (LOLF, RGPP…), en l’autonomie des universités une occasion de mutualisation des dépenses documentaires (dédoublonnement des abonnements de périodiques avec le passage au tout numérique chez de grands éditeurs, fermeture de petites bibliothèques d’UFR et de laboratoires ou mise en réseau avec centralisation de certaines tâches). Regagnant un contrôle sur les dépenses documentaires, les présidences d’université ont pu en faire un axe de leur stratégie de développement. Une privatisation impliquerait donc, dans le cas présent, un retour de la gestion documentaire au niveau de chaque laboratoire, UFR ou composante, voire services, avec les difficultés que cela risque d’engendrer. Qui peut aujourd’hui faire l’acquisition d’un abonnement pluridisciplinaire fonctionnant sur un modèle d’achat de bouquets de revues ? Si ScienceDirect représente un coût qui n’est déjà plus soutenable à l’échelle d’une université, il n’est même pas envisageable pour un laboratoire ou une composante, à quelques rares exceptions. Outre les prix des abonnements qui, par le jeu des tranches tarifaires, risquent d’augmenter, le retour des ressources doublonnées semble alors annoncé, sans compter la dispersion des moyens humains et l’appauvrissement des possibilités consécutives à la nouvelle polyvalence des personnels, qui risquent de remettre en cause la spécialisation, alors que les projets sont de plus en plus techniques. Plus largement, outre qu’il s’agirait d’un important retour en arrière en termes de mutualisation, avec les implications financières et en termes de qualité de service que cela entraîne, une telle solution ne résoudrait vraisemblablement pas la question de la documentation de niveau enseignement, qui ne permet pas aux différentes entités de maximiser leur utilité via leur recherche, seule dimension de leur activité pour laquelle elles sont évaluées.

Cette première piste éliminée, il convient de revenir dans le giron du bien commun, en abordant les deux solutions suivantes : la « taxation » et l’instauration de quotas.

« Taxer »

La ressource documentaire est épuisable mais elle est heureusement renouvelable. Un modèle reposant sur la taxation, souvent utilisé pour préserver un bien commun victime d’une dégradation issue de la pollution ou tout simplement d’une surconsommation d’une ressource rare, pourrait impliquer un prélèvement sur les ressources de chaque utilisateur. Dans le cas de l’université, il s’agirait de prélever un pourcentage du budget de chaque entité d’enseignement et de recherche afin d’abonder au budget du SCD. Outre un seuil minimum de prélèvement, il conviendrait bien sûr de le moduler en fonction de l’intensité de l’utilisation. Les laboratoires et les composantes en lettres et sciences humaines ou en mathématiques ayant avant tout besoin de documentation pour produire leur recherche, le taux de prélèvement sera plus important. Toutefois, un autre élément devra être pris en compte : le coût de la documentation. Les SHS sont de grosses consommatrices de documentation mais le coût de cette dernière n’a rien à voir avec la documentation en sciences et techniques, même pour une utilisation moindre… D’autres pistes de prélèvements sont envisageables comme l’illustre la proposition de Christophe Pérales d’affecter une partie du « préciput de l’ANR » aux dépenses documentaires  10. Systématisé, ce fonctionnement aurait pour avantage de traduire dans les faits des positions de principe en faveur de la documentation, tout en prenant en compte le coût supplémentaire que représente l’engagement de donner une somme pour l’intérêt général  11, tout en s’assurant que tout le monde en fera autant.

« Instaurer des quotas » : la piste des droits de tirage

Dans un autre registre, peu éloigné de la solution de la taxation, la restriction des droits d’usage de la ressource documentaire pourrait être une piste à explorer. Quelle forme cette restriction doit-elle prendre ? Existe-t-elle déjà pour d’autres services ? Certains services ont d’ores et déjà réussi à s’assurer la maîtrise des dépenses liées à une fonction précise tout en responsabilisant les entités utilisatrices.

Les « droits de tirage » qui peuvent être pratiqués dans certains domaines (informatique, communication, etc.) sont ainsi une forme de quota. Lors de la préparation du budget, chaque composante doit faire remonter ses besoins propres, qu’elle administre directement, et ses besoins auprès d’autres services : un certain nombre d’affiches ou de dépliants auprès du service communication, de nouveaux ordinateurs ou tablettes auprès du service informatique. Une fois ce recensement accompli, une étape d’arbitrage est bien sûr nécessaire. Elle repose, comme pour le prélèvement, sur des critères qui ne sont pas tant objectifs mais qui font consensus. En sus, la présidence a alors une vision globale des besoins qui lui permet de déterminer des priorités en fonction de sa stratégie de développement. Comme pour une enclosure, cela implique un sacrifice : normalement, avec un tel système, il n’est plus possible de dépenser dans son coin pour de la documentation et l’on perd donc une part de la maîtrise de ses dépenses. Toutefois, le revers positif de la médaille, c’est que tout comme il n’est plus possible de dépenser dans son coin, il n’est plus possible de se défausser de ses dépenses sur les autres et in fine de découvrir qu’à terme ses besoins n’ont pas pu être satisfaits. La question documentaire réapparaît alors sur le radar des différentes entités membres de la communauté universitaire.

Dans les deux derniers cas toutefois, il est vraisemblable qu’un seuil de dotation « plancher » reste nécessaire afin de couvrir les besoins documentaires des étudiants qui ne rentrent pas dans la logique actuelle de gouvernance, voire les besoins transversaux comme les achats de documentation pluridisciplinaire. Les recettes normalement engrangées par le SCD pourraient-elles suffire à couvrir ces besoins (droits de bibliothèques, amendes perçues, sommes reçues pour les livres perdus et autres revenus éventuels) ?

Si de telles solutions semblent trop complexes à mettre en œuvre, en particulier concernant la détermination de critères et la perte de liberté budgétaire, faudra-t-il alors s’en remettre à l’injonction « morale » ou à la rationalité à plus long terme ? Ou inviter systématiquement les directeurs de SCD aux principales instances de décision, que la question documentaire soit à l’ordre du jour ou non ?

Épilogue

La question du financement de la documentation à l’université appelle plus largement celle de la gouvernance des SCD à l’heure où le concept de learning centre invite aussi au rapprochement – allant de la simple collaboration à la mutualisation – de services aux fonctions différentes. Convient-il de faire des SCD des composantes au même titre qu’une UFR, ce qui aurait des conséquences en termes de représentation dans les différentes assemblées universitaires ? Ou faut-il adopter un mode de gouvernance par projet, avec un comité de pilotage invitant aussi bien des professionnels de la documentation, que des enseignants-chercheurs, des représentants des usagers étudiants, comme le prévoient déjà les conseils de la documentation, que des représentants d’autres services impliqués et des directeurs de laboratoires et d’UFR ?

Quoi qu’il en soit, et pour en revenir une dernière fois aux réflexions de Garrett Hardin, il conviendra de trouver des solutions et de trancher en faveur de l’une ou l’autre, le statu quo étant malheureusement une forme d’action, conduisant inexorablement à dilapidation du bien commun.